— Doucement !
Ils venaient tout juste d'arriver au Sanctuaire. C'était ainsi qu'Iris appelait cette île qui se trouvait non loin de Cindera, c'était un minuscule ilot sur lequel se trouvait une immense tour, sa tour. Et dès qu'ils entrèrent, Iris ne perdit pas un instant pour les nourrir. En un instant, ils se jetèrent dessus et dégustèrent ce repas, les larmes aux yeux. Ils trouvèrent le plus petit morceau de pain aussi doux que succulent. Ils se régalaient et Iris s'en amusait.
— Après cela, il vous faudra prendre un bain, même deux.
L'odeur infecte qui s'émanait d'eux et la crasse qui recouvrait leurs cheveux bruns fit comprendre à Iris qu'ils ne s'étaient pas lavés depuis des mois.
— Merci, lâcha Dana émue d'être enfin libre.
— Oh Trésor, tu auras bien le temps de me remercier plus tard.
Veleim déglutit et rota avant de se tourner vers elle.
— Est-ce que... Est-ce qu'on pourra visiter Cindera ?
Iris acquiesça sans le quitter des yeux. Elle n'avait pas oublié le massacre qu'il avait commis, cet excès de rage qui mena à la mort de dizaines de personnes. Durant un instant, il changea et d'une certaine façon, elle crut voir un autre.
— Vous serez libres. Une fois votre apprentissage terminé, vous pourrez même retourner en Ténérie si vous le désirez.
La seule mention de leur royaume baigna leurs yeux de larmes et raya tout sourire de leurs visages.
— Vraiment ? demanda Dana.
— S'il reste quelque chose... répondit Veleim las.
Dana lui lança un regard noir et Iris intervint avant qu'une dispute éclate.
— Ne partez pas défaitiste, aucune guerre n'est infinie.
— Doit-on vraiment s'exercer à la magie ? demanda Dana.
— Vous devez impérativement maitriser la magie si vous ne voulez pas devenir dangereux pour les autres et pour vous-mêmes. Je me charge uniquement de vous entrainer, vous n'êtes plus esclaves désormais.
— Pourquoi faire tout ça pour nous ?
Elle trouva cette question idiote, même si elle comprenait. Après tout ce qu'elle avait vécu, Dana devait ne pas y croire. Ce qu'elle s'apprêtait à vivre était un peu comme un rêve, incroyable et inespéré.
— Nous sommes pareils vous et moi, des sorciers. On nous traque partout à travers le monde.
— On vous a aussi arrachée à votre famille ?
Elle se moquait de leur pitié même si la soudaine compassion de Dana la toucha. Cette petite était sensible, soucieuse des autres et peureuse.
— Ma famille est... particulière. Ma mère vit toujours mais je n'ai plus aucun contact avec elle.
Et cela lui était parfaitement égal. D'ailleurs, elle regrettait même d'avoir connu sa mère. Elle la détestait, elle lui avait pourri la vie et avait tenté de la faire disparaitre à plusieurs reprises.
— Parlez-nous de la magie ! lança Veleim.
— Il y a tant à dire. C'est une langue ancienne appartenant à un peuple venu d'un autre monde. Quand La Collision s'est produite, ce sont eux qui ont amené la magie. Et les monstres.
Elle les observa tour à tour. Veleim s'intéressait réellement à la magie alors que sa sœur semblait plus en retrait, comme si elle voyait ce don comme une malédiction.
Parler cette langue est essentiel, tout comme la volonté qui permet de façonner le sort. Cependant, n'oubliez jamais qu'un mot prononcé équivaut à un sort lancé.
— J'ai envie de devenir plus fort, souffla Veleim.
Iris esquissa un léger rictus. Ce garçon, elle se devait de le surveiller de près car si elle ne se trompait pas à son compte alors il pourrait très bien devenir l'un des plus grands ennemis de ce monde.
*
Après un si long voyage, Iris aurait aimé se reposer. Un bon bain chaud, voilà de quoi elle avait besoin. Rien n'était mieux que se relaxer dans l'eau chaude sous des litres de mousses, malheureusement elle était attendue. Par chance, Savina, sa seule amie si elle pouvait la qualifier de la sorte, n'était jamais en retard. Bien au contraire. Plus exaspérant encore, elle parvenait à arriver à l'avance ce qui ne cessait de la couper dans ses acticités. Et puis, il y avait les jumeaux. Si Savina n'était pas apparue de si bonne heure, elle aurait eu le temps de les envoyer prendre un bain et filer dans leur chambre, malheureusement ce fut Veleim qui accueillit son amie. Ce garçon se sentait tellement à l'aise qu'il se permettait d'ouvrir la porte à n'importe qui, en plus de cela il avait osé la dévisager. Mais elle ne pouvait pas lui en tenir rigueur. Savina était ravissante et, à son âge, il était normal d'admirer une telle beauté et de s'imaginer quelques fantasmes. Rien qu'à ses grands yeux bleus, Savina parvenait à charmer n'importe qui. Il suffisait de rajouter à cela son épaisse chevelure noire, ses traits fins et son sourire rayonnant pour obtenir une femme magnifique. Et irrésistible.
— J'ignorais que tu prenais des apprentis, fit-elle savoir.
Iris soupira avant de s'asseoir confortablement dans son somptueux fauteuil rouge. Savina la jugeait, elle le voyait et le sentait. Elle désapprouvait ses choix et en tant qu'amie, elle se permettait de le lui faire savoir.
— Le monde est suffisamment dangereux, non ? Et tu n'as même pas averti Triss.
Elle soupira et leva les yeux au ciel. S'il existait un monde dans lequel Triss ne s'immisçait pas dans la vie des autres sorciers, alors elle s'y serait rendue sur le champs.
— Et s'ils ne progressent pas, il le sera davantage.
— Moi qui croyais que tu ne tenais à personne, se moqua-t-elle. Te voilà bien changée, mon amie.
— Ce n'est pas leur sort qui m'inquiète. As-tu déjà entendu parler de la nécromancie ?
Savina fronça les sourcils, réaction tout à fait normale chez toute personne un temps soit peu saine d'esprit.
— Qu'essaies-tu de faire ? Iris, je te préviens si tu tentes la moindre expérience sur ces enfants, j'avertirai Triss. Il est hors de question que tu sombres dans la folie comme lui...
Mazak. C'était ce nom qu'elle avait sur le bout des lèvres, ce nom maudit qu'elle n'osait pas prononcer. Elle en avait peur, tous en avaient peur.
— Tu vas sans doute me prendre pour une folle mais je suis persuadée que Mazak était assez puissant pour vaincre la mort.
— Si c'était le cas, il serait revenu depuis bien longtemps, lâcha Savina peu convaincue.
— Pas forcément. J'ai mis dix longues années à explorer toutes les possibilités et j'en suis venue à la conclusion que Mazak avait transféré son esprit. Ou du moins une partie. Rappelle-toi de ce qu'on dit, durant la bataille finale l'Ordre le trouva affaibli.
— Dans quelles sombres théories me perds-tu ? soupira Savina. Où serait passé son esprit ?
— Dans le corps de sa fille. Je suis sûre que ce fou à entamer sa renaissance alors que sa femme était enceinte. Le bébé qu'elle portait, sa propre fille, avait en elle l'essence de Mazak.
— Alors pourquoi n'est-il pas revenu ? Si ce que tu me dis est vrai, cette fille aurait dû être Mazak.
Iris secoua la tête. Savina ne comprenait pas, ou bien elle la prenait pour une folle. Dans tous les cas, cela l'exaspérait. Pourquoi fallait-il tout compliquer ?
— Parce qu'il ne pouvait pas utiliser une enveloppe charnelle déjà créée. Dès que sa fille procréa, ce fut comme si elle prononça un sort et dès lors, Mazak revint à la vie. A présent, il lui faut recouvrir la mémoire, et ses forces d'antan. N'oublions pas qu'il n'est pour l'heure qu'un enfant.
— C'est totalement improbable ! s'écria Savina. Si Triss apprenait tes raisons...
Iris haussa les épaules, elle se moquait de cette mage, elle se moquait d'elles toutes.
— Je n'ai pas passé dix ans de ma vie à chercher dans le vide. J'ai retrouvé la trace de Mazak et Talia. J'ai retrouvé leur fille même. Elle se prénommait Mérédith et vivait en Ténérie. La guerre l'arracha à ce monde, toutefois elle eut deux enfants il y a de cela une dizaine d'années. Et comme n'importe qui de nos jours, elle les cacha et leur cacha leur nature, leur magie.
Savina passa ses mains sur son visage. Visiblement exaspérée, elle ne comprenait pas tout mais elle pouvait faire un rapprochement avec les récents évènements. Avec ces disciples. Ces jumeaux ténériens âgés de seize ans.
— Iris... Penses-tu que l'un d'eux est..
Elle ne termina pas sa phrase, elle n'osait pas. Iris lui adressa alors un grand sourire dont elle avait l'habitude, le genre qui transcendait son âme, le genre qui lui glaçait le sang. Savina venait enfin de comprendre. L'un d'eux était Mazak lui-même, et Iris penchait fortement pour Veleim. Elle avait vu son excès de colère, cette rage démentielle avec laquelle il massacra ces criminels.
— J'en suis persuadée. Veleim et Mazak ne font qu'un, et je dois impérativement contrôler ce garçon, il ne faut pas qu'il se souvienne de son passé.
— Non, souffla Savina. Tu dois le tuer, Iris. Tu dois tuer ce monstre avant qu'il ne gagne en puissance !
Iris secoua la tête. Savina était en colère, elle le sentait bien pourtant elle ne protesta pas. Elle savait très bien qu'elle perdrait cette bataille. Personne ne pouvait lui faire changer d'avis.
— Je dois encore étudier cela, je dois être sûre de moi.
— Tu l'es déjà ! Ne me mens pas, s'emporta Savina. Te rends-tu compte de la situation ? Le plus grand sorcier de tous les temps, le plus grand danger de notre monde est vivant. Et tu pourrais le vaincre, tu pourrais le tuer une bonne fois pour toute !
— Arrête de crier, veux-tu. Mazak et Veleim sont à la fois identiques et différents... Mazak a commis une erreur, je le pense sincèrement. D'une part il est revenu à la vie et d'autre part, il a permis à Veleim d'exister. Et la raison à tout cela porte un nom : Dana.
La tension entre elles monta d'un cran, mais Iris s'en moquait. Elle irait au bout de ses idées quoi qu'on lui dise et Savina l'avait bien compris, c'était pour cette raison même qu'elle préféra arrêter là. Toute discussion était inutile.
— S'il te plait... Tu n'es pas venue au conseil d'hier, viens au moins à celui du mois prochain. Je ne te demanderai rien d'autre.
Iris acquiesça. Elle approchait du but, de la plus grande découverte magique de tous les temps. Un sorcier était revenu à la vie, il s'était créé une nouvelle enveloppe charnelle. C'était de la folie et pourtant, c'était vrai.
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