3

« Les Fléaux sont apparus au coeur d'une époque sombre, en même temps que l'arrivée de la magie. »

— Jegan Balrug, fondateur de l'Ordre Blanc.

— Monstres !

L'alerte fut suivie de rugissements stridents. Aussitôt, Veleim se leva d'un bond et se mit devant sa sœur pour la protéger. La peur au ventre, il ne pouvait rien faire d'autre qu'entendre. Entendre les pleurs et les hurlements, entendre les cris de rage et de souffrance. Les attaques de monstres étaient fréquentes, pourtant les jumeaux ne s'y étaient toujours pas habitués. Chaque fois ils s'imaginaient la bataille et les morts. Ils ne voyaient jamais les cadavres entassés, ils sentaient juste l'odeur de la chair brûlée dès le matin, ce parfum qui les prenait à la gorge et restait ancré à jamais en eux. Malgré son courage, Veleim avait peur. Il ressentait la terreur glaciale de Dana, ce stress qui lui retournait les tripes et la rendait pâle. Elle ne s'en rendait pas compte mais la pression de ses doigts sur sa main devenait aussi douloureuse qu'un coup de marteau, mais Veleim la laissait faire. Il se devait de la rassurer, de l'aider dans cet épreuve. Et dès que le calme revint, ils purent souffler. Ils vidèrent toute l'angoisse accumulée d'une respiration et retombèrent mollement au sol. Jusqu'à ce que Gart n'arrive. Dans son regard, Veleim ne vit que rage et désir de vengeance.

— Dehors vous deux ! Tout de suite !

Jamais Gart ne les avait fait sortir de nuit, juste en haillons de tissus alors Veleim se figea. Allait-il les tabasser ? Sous le coup de la colère, il était capable des pires atrocités. Il resserra alors les doigts moites de Dana. Que ferait-il s'il s'en prenait à elle ? La peur compressait son cœur, il devait la protéger coute que coute.

Dehors, Veleim ne put détourner le regard des corps. Plusieurs hommes et femmes éviscérés gisaient là, à même leur sang et à côté d'eux se trouvait la créature responsable de tout cela. Une araignée. Une gigantesque araignée démesurée aux énormes pattes noires et aiguisées. Veleim se sentit faiblir et blêmir.

— Il est temps d'utiliser vos pouvoirs.

— Comment ça ?

Veleim sentit son cœur s'accélérer. Il redouta alors le pire, non pour lui mais pour Dana. Si Gart les envoyait combattre ces monstres, alors il ne la reverrait pas. Dana se ferait tuée. Dana était trop faible, trop fragile, trop peureuse. Elle allait mourir.

— Il est temps d'exterminer la vermine, cracha-t-il. Ils ont tué trop de monde, il est temps de leur rendre la pareille.

— Non, souffla Veleim un peu trop fort.

— Qu'as-tu dit ?

Gart s'avança alors et colla son front contre le sien, Veleim put alors voir de plus près les cicatrices cachées derrière sa barbe noire tachetée de sang. Tremblant, il se figea. Ses yeux gris dégageaient une haine viscérale et son sourire carnassier, ces dents taillées en crocs, le rendait monstrueux. Il recula d'un pas, tétanisé. Vite, il devait se rattraper.

— Je voulais dire... C'est horrible et on doit faire quelque chose pour sauver Askar.

— Me prends pas pour un con, merdeux, cracha-t-il.


*

Dana tremblait comme une feuille et le froid n'en était pas la cause. De nuit, la forêt devenait dérangeante. Elle ne s'était jamais autant éloignée de la ville et elle regrettait. Le moindre craquement de branche, mouvement dans les broussailles la firent sursauter. Les silhouettes provenaient sans doute d'animaux sauvage, pourtant elle ne voyait que des monstres. A tout moment, elle pouvait tomber sur un immense Fléau. Elle aurait tant voulu fuir mais pour aller où ? Et puis, Gart et les deux autres guerriers la protégeaient. Même si ces tyrans les traitaient comme des objets, ils avaient besoin d'eux. Elle le savait, elle l'espérait.

— Par ici ! cria Garon. De la soie, ces putains d'araignées ont recouvert des arbres de soie.

Dana ne se fit pas prier et courut vers lui, comme les autres. Elle voulait avant toute chose retrouver son frère, elle détestait être séparée de lui-même si ce n'était que d'une dizaine de mètres. Dans l'obscurité, avec ces créatures aux aguets, c'était bien trop. Parfois elle se trouvait minable, mais elle aimait lui tenir la main. Même à seize ans, elle avait besoin de réconfort et de sécurité.

— Veleim, brûle ça, ordonna Gart.

Veleim incendia alors cet arbre et alors la luminosité des flammes leur offrit une vision d'horreur. De son feuillage partaient de longs fils de soie qui s'étendaient jusqu'aux autres arbres, ensemble ils formaient une immense toile aussi grande que collante. Dana recula d'un pas. Elle n'aurait su dire ce qui l'effrayait le plus entre ça et le ricanement glauque de Gart. Le chef des pillards leva sa masse et, dans un puissant cri, l'abattit sur la toile. Contre toute attente, elle résista en grande partie.

— Crame tout ! ordonna-t-il à Veleim. Rase cette forêt s'il le faut !

Dana frémit. Elle ne supportait pas ces ordres, elle ne supportait pas toute cette destruction. Héliar ravagea le pays entier et cette forêt parvint à résister, les arbres étaient toujours en vie. Alors pourquoi devait-il la détruire ?. C'était tout ce qu'il restait du royaume. Alors quand Veleim leva ses mains vers les arbres, elle sentit les larmes dévaler sur ses joues. Impossible de protester, impossible de les en empêcher, impossible de crier.

Soudain, la terre trembla. C'était une légère secousse, quasi imperceptible. Pourtant, ils la ressentirent. Le sol se creusa sous leurs pieds et des rugissements stridents percèrent leurs tympans.

— Qu'est-ce que ?

L'un des bandits, curieux, s'abaissa au sol. Aussitôt, une araignée en jaillit et bondit sur lui ; il hurla si fort que Dana trébucha. En un instant, son visage se trouva arraché. Dans un hurlement de rage, Gart abattit sa masse sur la bête, écrasant au passage le guerrier attaqué.

— Brûlez tout !

Plus rapide qu'elle, Veleim incendia le trou d'où s'échappait les monstres. Dana observait la scène sans bouger, terrifiée par ce qu'il se passait. Une masse noire et grouillante sortait des boyaux de la Terre et les attaquaient, glaçait son sang. Les flammes de Veleim en incendièrent des dizaines mais il en venait d'autre et même Gart semblait à bout. Jamais elle n'eut cru cela possible. Les jambes flageolante, elle ne pouvait plus se lever. Elle ne parvenait même pas à fuir pour sa vie, à se défendre. Elle regardait, haletant, la respiration saccadée. A sa droite, des hurlements de douleur attirèrent son attention. Là, sous ses yeux terrifiés, un homme se faisait dévorer vivant. Alors elle vacilla. La mort était là, toute proche d'elle. Elle arrachait la vie de ces guerriers, de ses bourreaux. Et bientôt, elle tomberait aussi.

— Massacrez-moi tout ce merdier ! beuglait Gart. J'veux plus en voir une seule, et détruisez les œufs !

Dana n'en pouvait plus. Trop d'émotions la prenaient au tripes, sa vue se brouillait et ses oreilles sifflait. Où était Veleim ? Elle ne le voyait plus. Hagarde, terrorisée comme une enfant, elle le cherchait. La chaleur et la fumée âcre l'étouffaient, l'assommaient. Bientôt, elle n'entendit plus rien. Bientôt, elle ne vit plus rien.


*

A son réveil, Dan a se trouvait dans la cellule et Veleim l'observait, inquiet et triste. Elle se jeta à ses bras, heureuse de le retrouver en vie. Seulement, il culpabilisait. Elle pouvait sentir ce sentiment qui pesait sur son cœur.

— Que se passe-t-il ?

— Tu t'es évanouie pendant qu'on se battait... Gart est furieux.

Alors ses yeux s'écarquillèrent et la peur la frappa de plein fouet. Gart furieux. Cela ne signifiait qu'une chose : une sanction aussi effroyable qu'insoutenable. Le monde se mit à tourner autour d'elle, elle suffoquait ici. Elle recula contre les murs et prit sa tête entre ses mains, qu'allait-il advenir d'elle ? Elle entendit au loin des pas lourd arriver. Son cœur battait de plus en plus vite. Veleim voulu la toucher, elle le dégageait. L'angoisse l'empêchait de ressentir le moindre contact physique. Gart allait la massacrer. Et dès qu'il entra, elle eut l'impression d'entendre un dragon rugir.

— Toi ! Tu vas payer ta lâcheté ! s'écria-t-il.

Veleim s'interposa et, d'une gifle, Gart l'envoya au sol. Dana ressentait toute sa rage, cette haine intense l'étouffait comme un puissant brasier. Elle sentait sa peau brûler et son esprit vacilla une nouvelle fois. Elle hurla. Gart la souleva d'une poigne et l'emmena dehors malgré ses cris, malgré ses pleurs.

— Non ! hurla Veleim. Laissez-la !


*

Immobilisé par deux guerriers, Veleim dut observer la sentence de Dana. Sans ces lames glaciales contre sa gorge, il aurait couru vers elle pour la sauver, il aurait incendié Gart. Il aurait du le tuer. S'il l'avait fait cette nui, ils auraient pu fuir, ils auraient pu être libre. Mais sa lâcheté l'en empêcha. Et maintenant, il était forcé de voir le corps frêle de Dana écartelé. Agenouillée, des cordes tiraient ses bras vers d'impressionnants pals et alors qu'elle pleurait, Gart lui tournait autour. Veleim ressentait la terreur qui la figeait mais aussi l'humiliation. Ce lourd sentiment dû au fait qu'elle se trouvait dénudée face à une dizaine de personnes qui la fixaient, la dévoraient du regard, la foudroyaient.

— Par ta lâcheté, deux hommes ont perdu la vie ! beugla Gart. Je hais la lâcheté encore plus que ces monstres ! Tu n'avais qu'une chose à faire : incendier ces bêtes. Et au lieu de ça, tu paniquais !

Il s'était rapproché d'elle et soulevait son visage. Veleim enrageait. Il osait lui tourner le dos comme s'il ne représentait aucune menace, alors qu'il aurait pu le brûler sur place. Il sentait ce feu le ronger, ce brasier immoler tout son être.

— Il n'y a qu'une chose à faire contre la lâcheté ! Il faut la marquée pour qu'elle ne survienne plus jamais !

Il se saisit alors d'une étrange arme qui éveilla une haine et une peur intense dans le cœur de Veleim. Un manche de bois relié à deux chaines se terminant par de fines lames. Au premier claquement contre sa chair, il hurla plus fort qu'elle encore. Au deuxième, il se mordit la lèvre inférieure à sang. Au troisième, la vue du visage de sa sœur tordu sous la douleur devint insoutenable. Au quatrième, il eut un flash, une vision. Une femme aux courts cheveux noirs.

Il la voyait comme si elle était réelle. Il pouvait même entendre ses hurlements d'agonie alors qu'on l'écartelait. Déconnecté de la réalité, il assistait à une mise à mort. Incapable de bouger. La femme semblait l'appeler entre deux sanglots, elle le suppliait de l'aider. Et lui, immobile, il ne pouvait rien faire. Alors ses bourreaux continuaient à tourner cette manivelle. Devant ses yeux terrifiés, ses bras s'allongeaient encore et encore jusqu'à produire d'horribles craquement. La douleur était si intense qu'il pouvait la ressentir. Et cela développa chez lui une rage sans précédent, une haine pour l'humanité tout entière. Il détruirait tout.

— Thalia ! hurla-t-il avant d'élancer ses flammes vers ses gardes.

Sixième coup de fouet. Dana avait perdu conscience, le feu emporta tout. Les regards se tournèrent vers ces guerriers en proie aux brasiers, s'écroulant au sol et se consumant dans d'horribles cris. Des regards d'une colère inouïe.

Tuez-le ! ordonna Gart.

Un profond désir de vengeance animait désormais Veleim. Quelque chose en lui s'était réveillé, une force sombre et dévastatrice. Il les tuerait tous. Ses pupilles se dilatèrent sous l'intense rage et la soif de sang incendia ses membres. En un instant, il se jeta sur les guerriers et les immola. Leurs hurlements d'agonie attisèrent sa colère. Son cœur s'embrasa sous le poids de la haine et le rougeoiement des flammes, Gart allait payer. L'humanité allait payer. Personne n'avait voulu les aider, personne n'était venu les sauver. Son esprit vacilla vers un côté sombre et dangereux. Autour de lui, les corps calcinés tombaient et le parfum de la mort s'élevait dans les airs. Gart rugit, enragé. D'un bond, il se jeta sur lui. Veleim l'esquiva et envoya une sphère enflammée dans ses jambes. Il cria et chuta. Sa vengeance le poussait non à le tuer mais le voir souffrir. Il désirait voir ses larmes, qu'il le supplie de ne rien faire.

— Va crever ! cracha-t-il avant d'attraper sa masse.

Il ne le craignait pas. Cet être abjecte osait encore lui tenir tête, il osait affronter ses peurs encore et encore et cela attisa la haine de Veleim. Il comptait le détruire. Il bondit sur lui et posa sa main sur son visage. Aussitôt, un torrent de flammes explosa et arracha sa peau, déchira sa chair et broya son crâne jusqu'à ce qu'il éclate.

— Impressionnant.

Il se redressa, tremblant et fixa cette femme qui venait d'arriver.

— Mon nom est Iris, je suis votre amie ne t'en fais pas.

— Pourquoi n'êtes-vous pas venue plus tôt ? cracha-t-il. Regardez Dana ! Regardez son état !

Son dos déchiqueté partait en lambeaux de chairs sanguinolentes. Si cette sorcière était intervenue plus tôt, rien de tout cela ne serait arrivé. Il la haïssait tout autant que les autres.

—Du calme.

Iris avança vers Dana et posa ses mains sur son dos. Elle récita un mot qu'il ne connaissait pas encore et, sous ses yeux effarés, ses plaies se refermèrent. Iris pâlit comme si elle venait d'absorber la douleur, et Dana allait mieux. Il courut alors vers elle, les larmes aux yeux, et se hâta de la détacher.

— Je ne peux vous laisser ici, lâcha Iris. A présent, vous allez me suivre et vous deviendrez mes disciples.

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