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« Les guerres apportent la peur et la peine, mais aussi son lot de criminels, de pillards en tous genres.»

— La Guerre

L'esclavage était un sort pire que la mort. La vie sans liberté n'avait aucun goût, aucune saveur, Veleim et Dana l'avaient compris assez tôt. Autrefois, pourtant, ils étaient libres. Ils pouvaient courir et explorer les villes, ils aspiraient à des grands rêves, on leur permettait de rire, de se faire des amis, on les nourrissait et ils dormaient en paix chaque jour. Ce temps était révolu.

Il y eut la guerre. La bête de haine lancée par Héliar ravagea des villes entière, incendia champs et forêts, massacra pléthore de soldats et peupla le royaume de milliers d'orphelins livrés à eux-mêmes. Ils durent se battre pour survivre. Ils volaient, chassaient des rats et insectes, dormaient à même le sol froid. Mais ils étaient libres. Puis il y eut les pillards, des adversaires trop forts pour eux, bien trop violents. Si Gart, leur chef, ne les avait pas découvert doté de magie, il les aurait tué.

— Allez ! Bouge-toi ! beugla Gart.

Le colosse les exploitait. Quand bien même la magie était passible de peine de mort, elle fascinait et Gart en avait conscience. Dans ces terres en ruines, les lois des rois n'existaient plus, celles des plus forts étaient d'applications. Et le plus fort, c'était lui. Dès lors, il utilisa ses monstres, comme il aimait les appeler, pour divertir la population. Un moyen efficace de faire fortune.

— Je n'ai pas payé pour rien ! s'énerva un homme.

— Utilise ta magie ! cria une femme avant de l'insulter.

Dana était à bout, en larmes et son frère n'était même pas là. Elle aurait tellement aimé l'avoir à ses côtés, qu'il puisse prendre sa défense, lui redonner confiance en elle, la rassurer. Mais Gart préférait les séparer. A présent elle était seule. Livrée à elle-même et à un don qu'elle ne connaissait pas. La magie suivait parfois sa volonté sans forcément lui obéir et lui permettait d'exécuter quelques petits tours très épuisants. Parfois, ceux-ci échouaient.

— Désolée, murmura-t-elle.

La vue du fouet et les cris des deux hommes la firent éclater en sanglots.

— Arrête de chialer ! râla Gart. Tu me fais honte, et je déteste ça !

Le fouet retentit sur le sol. Elle sursauta. La peur se déposa au creux de ses entrailles, et elle se figea. Face à elle, les objets dispersés sur le sol refusaient de léviter. Le bruit, le stress, la chaleur et la fatigue l'en empêchaient ; la faim la tiraillait, sa bouche était toute sèche et la douleur compressait ses jambes. Elle ferma les yeux et pleura à chaudes larmes, elle savait très bien ce qui l'attendait. Onze coup de fouets allaient s'abattre sur elle et déchirer son dos. Elle redoutait ce moment. Elle connut une seule fois cette punition et quand elle y pensait, la douleur revenait tirailler son dos. Elle ne voulait pas. La peur remonta le long de son corps en prenant soin de pétrifier chacun de ses organes. Elle souffla. Fermer les yeux était son seul échappatoire. Dans cette foule elle ne voyait que des monstres qui l'utilisaient comme un vulgaire objet, qui se moquaient de ses douleurs et de ses peurs.

Soudain, des acclamations et applaudissements la poussèrent à ouvrir les yeux. Sous le choc, elle lâche un petit cri. Autour d'elle, les objets tournoyaient au-dessus de sa tête ce qui suscita fascination, mépris et surtout surprise.

— Je vous demande pardon pour l'attente ! supplia-t-elle.

Ses yeux se perdirent dans la foule. Elle était persuadée que ce sort ne venait pas d'elle, qu'un autre sorcier se trouvait parmi les clients. Dans leurs regards, elle ne vit que jugement ; on la prenait pour un monstre. Tous semblaient la haïr. Tous sauf une femme qui lui adressa un léger sourire. Une femme élégante bien qu'un peu ronde, avec de grands yeux aussi bruns que ses cheveux.

— Cette petite est impressionnante, lâcha-t-elle une fois que le calme revint. Est-elle à vendre ?

Tous s'écartèrent de la sorcière, ce qui permit à Dana de mieux l'observer. Une femme très grande aux cheveux aussi noirs que le maquillage de ses lèvres. Dana ne put décrocher son regard de ses yeux, deux joyaux d'un bleu magnifique. Cette femme était resplendissante. Cependant, elle dégageait une aura terrifiante qui poussa Dana à s'en méfier.

— Il en faut du courage pour poser cette question à Gart le Sanglant ! ricana Gart.

Comparé à cette montagne de muscles, la sorcière n'était qu'une brindille aussi frêle que fragile pourtant, elle ne baissa pas le regard. Il n'aurait suffi à Gart que d'un coup pour briser son crâne. Dana l'avait déjà vu faire. Une fois, il attrapa un de ses adversaire et comprima sa tête entre ses mains jusqu'à ce qu'elle explose. Cette image terrifiante la marquait encore, c'était pour ça qu'elle vivait la boule au ventre.

— Ou bien assez d'or qui pourraient vous sortir de la misère. Regardez autour de vous, il n'y a que ruines et pauvreté.

Dana ferma les yeux d'instinct. Elle ne voulait pas voir la suite, persuadée que Gart allait l'éventrer sur place.

— Si tu as tant d'argent, tu devrais savoir qu'il est dangereux d'en parler.

Dana tremblait. D'une part, elle avait envie de la sauver, de la sortir de cet enfer. Et d'autre part, elle préférait laisser faire. Obéir à Gart était la seule chose à faire.

— Et vous, vous devriez savoir que garder des sorciers comme esclaves n'est pas judicieux. Ils prendront en assurance avec l'âge, et en puissance. S'ils venaient à se rebeller, que se passerait-il ?

— Je les tuerai, s'exclama-t-il comme s'il s'agissait d'une évidence.

Ce sont des sorciers, continua Iris d'une voix calme. D'ici quelques années, leur magie dépassera le stade de tours de cirque, finit-elle d'une voix tranchante.

Dana frémit. Si Gart commençait à les craindre elle et Veleim, ils les tueraient sans hésitation. Elle ne voulait pas mourir. Une larme s'écoula le long de sa joue droite, pourquoi devait-elle connaitre une telle vie ? Pourquoi devait-elle vivre dans les ruines d'Askar ? Dans cet endroit immonde où la violence et la mort régnaient.

— Je n'ai peur de personne, cracha Gart.

— Soit.

Et la sorcière partit. En vie. Contre toute attente, Gart ne l'avait pas tuée, il ne l'avait même pas intimidée, apeurée, non. Il la laissa tranquille. C'était comme s'il n'osait pas l'affronter. Ou alors elle l'avait ensorcelée ? Personne n'aurait sur dire, pas même Dana qui était trop troublée.


*

Gart débectait Veleim. Au-delà de les utiliser lui et sa sœur comme des objets dénués d'âmes, des armes ou des bêtes de foire, il martyrisait la population entière. Il était arrivé un jour à Askar et naturellement, par sa force et sa violence, il s'accapara des ruines et de leurs habitants. Depuis, il y régnait en tyran. Il fit bâtir quelques abris bien trop petits pour tout ce monde, bien trop insalubres et força la population à le payer. Et il ne prenait pas seulement l'argent. Il s'emparait de tout ce qui lui était utile : nourriture, vêtements, mobilier et même les personnes elles-mêmes. Et bien sûr, il fallait bien que quelqu'un se charge de percevoir ces taxes. Veleim. C'est ainsi qu'il arpentait les rues en compagnie de Garon, un jeune homme à peine plus âgé que lui. Parfois, Veleim se demandait comment ce gringalet aussi lourd qu'un enfant était parvenu à rejoindre la bande de Gart, il était dur de le prendre au sérieux même avec cet épais coutelas qui trônait à sa ceinture.

— C'est ici, souffla Garon.

Veleim frappa trois fois à la porte, assez pour qu'il puisse l'ouvrir. Un vieil homme se leva alors et marcha vers eux, il était si vieux et maigre qu'il tenait à peine debout. Veleim sentit que Garon était à deux doigts de lui dire de rester assis, mais il avait une réputation à tenir.

— Vous devez de l'argent à Gart.

— J'ai déjà payé la semaine dernière, soupira-t-il. S'il vous plait...

— La loi est simple.

Contrairement aux autres, Garon ne menaçait jamais ces pauvres gens ce qui surprenait toujours Veleim.

— S'il vous plait...

L'homme, qui tremblait déjà comme une feuille, se mit alors à pleurer comme un enfant. Tout cela dégoutait Veleim au plus haut point. Il se sentait responsable, car il participait à cett horreur. Contrairement à Dana, il agissait comme un membre du groupe, bien que Gart le prenne avant tout pour son esclave. Sa magie était utile pour intimider les quelques habitants.

— Brûle tout, souffla Garon.

Veleim grimaça et tendit la main sans entendre les supplications du vieillard. Il ne s'habituerait jamais aux cris, aux pleurs et aux regards effrayés, ainsi il avait appris à fermer les yeux. Au fil du temps, le feu venait seul jusqu'à lui, et chaque prononciation de ce mot dévastateur était accompagnée d'une série de frissons. Gart le prenait pour un monstre et il avait raison.

— Hiyr.

Et les flammes emportèrent tout. En un instant, il ne resta plus rien de ce petit abris et Veleim sentit un poids peser sur son cœur. Cet homme dévasté s'effondra à genoux, il ne vivrait sans doute plus très longtemps et ce à cause de lui. Aussitôt sa maison brûlée, les deux hommes partirent. Veleim n'osait pas se retourner, il n'osait pas croiser les regards désapprobateurs des quelques curieux.

— Moi aussi je n'aime pas ça, confia Garon.

Même s'il s'en était douté, Veleim fut frappé de stupeur.

— Pourquoi ?

— Regarde-moi, sourit-il. Rejoindre Gart était la seule solution pour ne pas crever, tu vas t'y faire.

— Les autres sont plus forts que toi alors comment as-tu fait ?

— J'ai dû tuer mon propre frère et lui arracher le cœur, dit-il en haussant les épaules. Faut bien vivre.

Veleim écarquilla les yeux. Garon lui parut alors plus froid et sombre, comme s'il venait de perdre une partie de son humanité en un instant. Son regard transpirait désormais la folie et la soif de sang, comme tous les autres. Veleim recula d'un pas, dégoûté par cet homme qu'il jugeait différent. Jamais il ne blesserait Dana, pas même pour la place de Gart.


*

La nuit, autrefois atroce et terrifiante, était devenue le moment préféré des jumeaux. Dormir à la belle étoile n'avait rien de beau : quand le vent glacial ou la pluie battante ne les empêchait pas de dormir, c'était la peur. La peur de ces brutes qui pouvaient, à tout instant, les agresser ou bien la peur des monstres, des abominations dont la seul présence secouait les entrailles des plus téméraires. A présent, bien qu'emprisonnés, ils ne risquaient rien. Oh bien sûr ils dormaient sur un sol aussi dur que de la pierre et Gart pouvait les réveiller à tout instant, mais ils étaient au chaud et en sécurité. Etant la propriété de Gart, personne n'oserait s'en prendre à eux. Dès lors, cette cage représentait tout pour eux. C'était leur bulle.

— Hiyr.

Veleim allumait toujours un feu assez petit pour ne pas se faire prendre et assez puissant pour leur tenir chaud. Il était plus fort, alors c'était son rôle. En quelques sortes, il était doté d'un don magique impressionnant, certains mots lui venaient en tête sans raison alors que Dana n'en connaissait aucun.

— Il s'est passé quelque chose, murmura Dana.

Son sang ne fit qu'un tour, comme à chaque fois. Veleim détestait laisser Dana seule, il craignait que Gart ne la viole. Cette simple idée lui retournait les tripes.

— Dans l'assemblée, il y avait une sorcière... Elle m'a aidée et personne ne s'en est aperçut, pas même Gart. Ensuite, elle a proposé de nous acheter.

Veleim fronça les sourcils.

— Imagine qu'elle revient... Imagine qu'elle arrive à nous arracher de cet endroit ?

Veleim n'attendait que ça , que quelqu'un vienne les sauver de ces brutes épaisses. Et la compagnie d'une sorcière serait plus qu'acceptable, car il aimait la magie. Il détestait l'utiliser à de telles fins, mais il l'adorait. Il ne pourrait être que plus heureux si elle acceptait de devenir son mentor, de faire de lui un grand mage. Ainsi il pourrait protéger sa sœur.

— On serait libre. Mais Gart n'acceptera jamais, c'est déjà un miracle qu'il ne l'ait pas tuée.

Dana acquiesça, les larmes aux yeux. Même si elle ne lui en parlait pas, il savait qu'elle rêvait chaque soir de liberté. Elle était comme un oiseau en cage. Elle rêvait de voler, car c'était sa nature et on l'en empêchait. S'il en avait la force, Veleim la sauverait. Il les tuerait tous sans exception.

— Je garde espoir, souffla-t-elle. Elle semblait si déterminée que je ne peux croire qu'elle nous laisse seuls.

Veleim hocha la tête. Il ignorait pour quelles sombres raisons cette sorcière voulait absolument d'eux mais il espérait qu'elle réussisse à les sortir d'ici, quitte à tuer ces bandits.

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