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Un sourire discret relevait les commissures des lèvres d'Ash, alors qu'il arpentait le chemin de ronde qui formait l'enceinte du palais. La haute muraille s'élevait haut au-dessus des toits des maisons des quartiers les plus proches. Le vent frais balayait les odeurs, ne portant à ses narines que la douce senteur de la pluie à venir et des herbes des champs de la vallée. Le soleil réchauffait sa peau délicieusement et il avait laissé sa tresse grise voler dans sa nuque.
Ash venait de s'échapper d'une embuscade tendue par Zachary et Amaury et il faisait un tour de routine de poste de garde en tour de guet. Il venait prendre la température de l'ambiance des troupes, glisser quelques mots à ses hommes. Ash avait toujours trouvé important de maintenir une bonne entente avec les soldats sous ses ordres. Au-delà d'une bonne atmosphère dans les casernes, c'était primordial pour qu'ils le respectent, ainsi que ses décisions. Il tenait à éviter les velléités de mutineries et puis, c'était agréable de discuter avec des hommes droits et prompts à rire, pour changer des nobles snobs et hautains qui le jugeaient du regard en lui caressant l'ego à l'aide de sourires aussi faux que les cils d'une duchesse.
Ash soupira en descendant les escaliers de pierre menant à la cour des gardes. Tout était normal aux différents points de guet des murailles, il pouvait aller prendre son dîner. Il rajusta discrètement les attaches de sa cape devant son buste en posant le pied dans la cour.
Un bruit d'épées qui s'entrechoquent lui fit tourner la tête et il aperçut, dans un coin isolé à l'ombre d'un baraquement en bois, une silhouette qui paraissait effectuer quelques parades. Ash eut un soupir amusé et s'approcha doucement, d'un pas silencieux qui lui permit de s'immobiliser juste derrière sa cible, qui n'avait rien remarqué. Ash dégaina une dague d'un geste agile et plaça le manche contre son dos.
— Quels sont vos derniers mots, ma Dame ?
Sa voix narquoise déclencha un rire cristallin et la jeune fille lâcha son arme, qui rebondit au sol sans dommage.
— Oh mon Dieu, je suis à votre merci, assassin ! Puis-je au moins savoir qui désire ma mort si ardemment ?
Elle fit volte-face et plaça une main devant sa bouche, faussement indignée.
— Vous, Ash ? Comment est-ce possible ? Trahison !
Le capitaine lança sa lame et la rattrapa souplement pour la rengainer.
— Alors, comment allez-vous, princesse ? Vous ne devriez pas vous entraîner à l'épée, votre père serait contrarié.
La jeune fille souffla peu élégamment, repoussant une mèche brune échappée de son chignon. Ses yeux marron luisirent de malice alors qu'un joli sourire venait orner ses lèvres roses.
— Mais s'il n'en sait rien, tout va pour le mieux !
Ash leva les yeux au ciel, à peine surpris par Adeline. La princesse venait souvent dans cette cour et empruntait une épée afin d'essayer d'apprendre à combattre, malgré les réticences de son père qui estimait qu'elle avait bien d'autres choses à apprendre plutôt que cet art guerrier réservé, selon lui, aux hommes. Là, dans son pantalon et sa tunique à peine féminine, la princesse Adeline Naïa de Jasulem était comme tous les apprentis avides d'apprendre qui rejoignaient la garde. La même flamme brillait dans son regard.
— Ash ?
Le capitaine camoufla un discret sourire. Il savait ce qu'elle allait lui demander. Il passa une main dans la courte mèche qui s'échappait de sa tresse et fit quelques pas sur le sable qui recouvrait légèrement le sol, l'air de s'éloigner, lui adressant un signe de tête semblable à un au revoir.
— S'il te plaît ! Ash... Je ne peux m'adresser qu'à toi. Tu es comme un frère pour moi, depuis toujours je peux compter sur toi... Les parades que tu m'as montrées la dernière fois ne sont qu'une infime partie de l'art des bretteurs. Je dois pouvoir me défendre, tu es du même avis que moi.
Une main délicate lui saisit le poignet, l'obligeant à s'arrêter. Face au présentoir, Ash lâcha un soupir vaincu. Il saisit la garde d'une épée basique et grossière, puis fit face à la princesse. Cette dernière eut un sourire qui illumina son visage, puis courut chercher la sienne. Mais avant qu'elle ne l'atteigne, un balayage la fit rouler au sol.
— Ne jamais baisser sa garde, Altesse, lâcha Ash, l'air impassible, la dépassant pour saisir l'épée qui gisait au sol. Si j'avais voulu vous tuer, vous rendriez votre dernier souffle, une lame dans le dos. Ne me tournez jamais le dos pour aller chercher votre arme.
Adelina pinça les lèvres, mais hocha la tête en se relevant, avant de s'épousseter. Ash lui donna sa lame, puis se mit en garde.
— Allez-y, princesse. Attaquez-moi. De toutes vos forces. Je suis votre ennemi.
— Mais je risque de te blesser, rétorqua la jeune fille.
Un sourire assuré se dessina brièvement sur le visage élégant du capitaine de la garde.
— Ma Dame, le jour où vous parviendrez à me blesser, il sera temps pour moi de prendre ma retraite...
— Comment osez-vous ! s'esclaffa Adeline de bon coeur. Je vais vous faire payer ces mots, Messire !
La princesse fit tournoyer sa lame dans les airs, mais elle s'écrasa sur sa jumelle avec un fracas affreux. Ash la fit reculer d'une poussée et la contourna. La jeune fille fit volte-face et repartit à l'assaut, fendant l'air de son arme, mais ses coups étaient invariablement parés ou évités avec une telle facilité que c'en devint frustrant. Le souffle de la princesse s'accélérait rapidement, quelques gouttes de sueur perlaient sur son front. Elle n'avait pas de technique à proprement parler, mais une vitalité et une envie de progresser qui la maintenaient debout et lui permettaient d'enchaîner les attaques. On voyait qu'elle désirait apprendre, elle avait répété de nombreuses fois seule, en cachette, échappant à ses suivantes d'abord, puis en faisant ses complices au fil du temps. Seulement, ses forces n'étaient pas infinies et elle commença à faiblir. Ses bras brûlaient, ses muscles hurlaient sous l'effort intense. Le sable volait autour de leurs bottes. Ash observait en réalité les mouvements d'Adeline avec attention, décelant ses atouts et ses faiblesses tout en testant sa résistance dans la durée. La vitesse des attaques étant très lente à ses yeux inhumains, il pouvait observer le jeu de jambes, les déplacements, les trajectoires de la lame sans trop de peine.
Les rares soldats qui passaient dans la cour ne s'attardèrent pas, reconnaissant la princesse. Tous savaient qu'elle n'était pas censée se trouver ici, mais personne ne la dénonçait. Adeline était appréciée de tous, même à la garde. Sa sincérité et sa bonté rayonnaient autour d'elle partout où elle se rendait. Une fois, elle avait offert un bracelet à un garde qui s'apprêtait à se marier, lui disant de l'offrir à sa future femme, car ce dernier n'avait pas assez d'argent pour acheter un présent à l'occasion des fiançailles. Tous ceux qui avaient assisté à la scène l'avaient regardée avec un étonnement flagrant, sauf Ash qui connaissait la pureté du coeur de la princesse. Il avait simplement souri.
Les soldats détournaient donc les yeux, prétendant n'avoir rien vu. Adeline enchaîna quelques frappes, essaya de feinter, mais ce fut vain. Elle avait de plus en plus de peine à soulever la lourde lame de métal.
Elle finit par soupirer, baissant son épée vers le sol sablonneux. La pointe d'Ash s'était arrêtée à quelques centimètres de sa gorge.
— C'est risible, je n'ai même pas réussi à te frôler une seule fois... Toi ou ta cape, haleta la jeune fille.
— Il faut le temps d'apprendre.
Ash alla replacer son épée à côté des autres, puis revint vers sa sœur de cœur. Elle reprenait doucement son souffle, adossée à un mur de pierre, juste dans l'ombre des murailles.
— Tu es jeune aussi, pourtant tu es plus fort que tous les soldats de ce château ! répliqua Adeline.
Ash ne répondit pas. Il préféra lui expliquer ce qu'elle devait améliorer dans sa manière de se battre à l'épée, puis la félicita sur les quelques améliorations qu'il avait remarquées. La princesse soupira lorsqu'il eut terminé.
— Sans professeur, j'aurai bien du mal pour corriger tous ces défauts...
Ses grands yeux marron supplièrent Ash. Ce dernier croisa les bras. Sa cape claqua doucement dans la brise, effleurant le sable, alors qu'il restait silencieux. Enfin, il soupira.
— Vous savez bien ce que le roi en pensera, se contenta-t-il de répondre.
— Tu n'es en rien sous ses ordres. Ton seul maître est Ethel, et je doute qu'il t'ait interdit de m'apprendre le maniement de l'épée. Qui ne dit mot consent.
— Tout de même, c'est mon roi, comme pour chaque sujet de ce royaume.
— Oh Ash, je t'en prie... Si tu ne m'aides pas, je vais devoir continuer de supporter Dame Evy et ses cours assommants sur les convenances... Savais-tu que lorsque je bois dans une coupe, ce doit être par petites gorgées ? Tout comme lorsque je mange. Tout ceci afin de répondre rapidement à une question ! Mon avis est que lorsque je mange, je mange, pourquoi devrais-je être interrompue pour une futilité ?
L'air de profonde exaspération sur le visage de la princesse arracha un petit rire à Ash. Il connaissait Dame Evy, il avait dû suivre quelques cours afin de bien se tenir aux côtés du prince et de bien accomplir ses missions. Il n'avait jamais appris une leçon aussi vite, tant il supportait mal de l'écouter ressasser les mêmes règles à longueur de temps.
— Je t'en prie, aide-moi à échapper à cet enfer, conclut Adeline en joignant les mains. Je me porte garante, si jamais mon père te reproche quoi que ce soit, je dirai que je te l'ai ordonné.
Les épaules d'Ash s'affaissèrent soudain et Adeline sourit. Sans réfléchir, elle se jeta dans ses bras et le serra contre elle. Stupéfait, Ash ne réagit pas et posa délicatement une main sur son épaule, priant pour que ni le roi, ni son fils ne passe dans les parages. La princesse se dégagea enfin et le salua d'un signe de la main, avant de s'éloigner.
— J'ai été absente trop longtemps, je dois y retourner. Merci beaucoup, Ash. Je savais que je pouvais compter sur toi !
Ah, qu'il se sentait faible. Il avait une fois de plus cédé face à ses suppliques et ses grands yeux... Il n'y avait rien à faire, elle était comme sa petite soeur, il n'arrivait pas à lui refuser grand chose.
Le capitaine soupira et lui rendit son salut, avant de tourner les talons. Il devait se rendre chez Ethel, à présent. Tant pis pour son dîner...
Son estomac gronda et il grimaça. Bon, il ferait un détour par les cuisines, juste le temps d'avaler une miche de pain.
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