6 ~ le père qu'il n'avait jamais eu

La vieille ville qui entourait le palais du roi Eirik de Jasulem n'avait plus de secret pour le jeune homme qui s'y faufilait, camouflé sous sa cape sombre. Son pas franc le menait à travers les ruelles terreuses, entre les façades des maisons à colombages qui cachaient une partie du ciel azur, presque collées les unes aux autres au-dessus de sa tête. Quelques passants aux habits usés le croisèrent, mais ne s'attardèrent guère ; les tissus de bonne qualité qui composaient ses vêtements témoignaient de son statut, et si l'un des voleurs avait voulu le détrousser, il l'aurait regretté, comme le prédisait l'épée légère qui dépassait légèrement de la cape, menace silencieuse mais efficace.

Ash s'enfonça toutefois peu dans la ville, s'arrêtant avant d'entrer dans les quartiers les plus pauvres. Il tourna dans une ruelle attenante, après une petite place décorée d'une fontaine où quelques femmes puisaient de l'eau. L'allée était un peu mieux éclairée, cette partie de la ville logeait les marchands et les artisans qui servaient la Cour. Les maisons s'espaçaient légèrement et leurs murs de pierre solide prévenaient des incendies comme des caprices des cieux.

Les passants étaient mieux vêtus, quelques domestiques travaillaient dans les jardins ou dans les petites écuries attenantes aux demeures. Tout ici témoignait d'une certaine aisance financière, même si on était loin des palais et des châteaux des nobles, qui vivaient dans un autre quartier ou bien au palais royal même.

Ash s'arrêta enfin devant la façade d'une boutique, à l'extrémité de la rue. Une enseigne brune, en bois lisse, annonçait « bijouterie » et les lettres dorées brillaient sous le soleil.

La vitre, un peu sale, donnait sur l'intérieur de la boutique. La porte sur la droite était réservée aux clients, tandis qu'un discret passage permettait d'accéder à la cour derrière la maison. Ash, pour cette fois, choisit la porte et s'engouffra dans le magasin.

L'intérieur était assez sombre, mais quelques chandelles permettaient d'y voir clair et d'admirer les créations délicates de l'orfèvre, disposées sur des coussins de velours carmin. Ash ne s'y attarda pas et se dirigea directement vers le comptoir.

Un homme se tenait derrière le meuble de bois laqué. Il paraissait faire ses comptes, notant précautionneusement des chiffres et des lettres dans un carnet à la plume. À l'approche du capitaine, il leva à peine les yeux et lui lança, d'un ton professionnel :

— Bienvenue cher client, tout ce que vous voudrez comme bijou se trouve ici, que puis-je faire pour vous ?

Mais lorsqu'il reconnut le jeune homme aux yeux bleus et qu'il aperçut la tresse grise émerger de la capuche, il sourit largement et contourna le comptoir pour venir lui serrer vigoureusement la main.

— Ash ! Ça faisait longtemps, mon ami. Comment vas-tu ?

— Très bien, Dryt'waru.

— Ne m'appelle pas comme ça ici, allons. Viens, nous serons mieux dans la cour... Attends deux secondes, je ferme la porte.

Il sortit ses clefs et verrouilla l'entrée par précaution, puis revint vers son visiteur et l'emmena dans la cour pavée derrière le bâtiment. En son centre, une petite fontaine et un banc de pierre à l'ombre permettaient de s'y reposer. Quelques lierres serpentaient un peu partout, donnant un charme certain à l'endroit.

Les deux hommes s'y assirent et la bijoutier agrandit son sourire.

— Alors, boule de poil, comment va le palais ?

— Oh, les mêmes nouvelles que d'habitude : les nobles se pavanent et le roi condamne...

Sa voix s'était faite plus grave et Dryt'waru le perçut aussitôt.

— Il n'y a pas que cela, Ash.

Un soupir échappa au jeune homme.

— Toi mieux que quiconque pourrait comprendre. L'autre jour, un Changeforme a été condamné, mais il n'avait rien fait. Lorsque je l'ai conduit à la cellule, il a tenu des propos qui m'ont fait réfléchir, Dryt. Il s'est échappé dans la nuit, mais ses paroles tournaient encore dans mon esprit.

— À quoi penses-tu, Ash ?

— Les choses doivent changer et si je ne fais rien, je serai complice de ce roi qui tue des innocents sous prétexte qu'ils sont surnaturels.

— Que comptes-tu faire au juste ? Ne prends pas de risque inutile, mon ami, tu as la chance d'être encore en vie.

Le beau visage du bijoutier s'était fait inquiet. Il regardait le capitaine de la garde de ses yeux noirs en amandes, les sourcils légèrement froncés. Un rayon de soleil vint s'échouer sur sa peau mate et bronzée, puis sur ses mèches d'or négligemment tressées sur son épaule et piquées de perles.

— Je ne supporte plus de les voir mourir alors que j'ai le pouvoir de les aider, Dryt', souffla Ash.

L'orfèvre soupira, puis ses paumes vinrent se poser sur les joues du plus jeune. Son regard sombre se fit un instant nostalgique, alors que les souvenirs remontaient à la surface.

— Tu n'étais qu'un enfant lorsque je t'ai vu arriver, Ash. Affolé, complètement affamé, mais adorable, avec tes grands yeux bleus si clairs... J'ignore comment tu as fait pour venir dans cette ville, ou même jusqu'à chez moi, mais peut-être était-ce une bonne étoile qui veillait sur toi. J'ai décidé de te protéger, car au premier coup d'œil, j'ai vu ce que tu étais. Je t'ai appris à cacher ta nature pour survivre, je t'ai donné cette pierre de lune, et t'ai présenté comme mon neveu orphelin que j'avais recueilli. Lorsque le roi est venu avec son jeune fils pour acheter une dague de cérémonie, tu es sorti de l'arrière-boutique et tu as dévisagé le prince, mû par une curiosité enfantine. Le roi t'a aperçu et m'a interrogé à ton sujet. Comme il cherchait justement un compagnon de jeu pour le prince et que vous aviez à peu près le même âge, il a proposé de s'occuper de toi et de t'élever avec son fils, pour que plus tard tu en sois le garde du corps, le confident, l'ami. Et voilà où tu en es aujourd'hui, Ash. Tu as une vie aisée, une place respectable. Alors si vraiment tu désires changer les choses, ce que je soutiendrai de tout mon cœur, fais attention à toi.

Celui aux yeux azur eut un sourire tendre à l'évocation de ces souvenirs d'enfance. Dryt'waru l'avait accueilli, soigné, nourri, malgré ce qu'il était. Il lui en serait à jamais reconnaissant et l'aimait tendrement, comme le père qu'il n'avait jamais eu.

— Je ferai attention, Dryt'. Je te le promets.

L'autre hocha la tête, puis enleva ses mains du visage du capitaine pour s'étirer souplement, levant les bras vers le ciel. Sa belle tunique de soie légère ondula sous une petite brise.

— Bien. Mais il me semble que tu n'étais pas uniquement venu me parler de cela, Ash...





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