21

Lorsqu'Ash pénétra dans la cour à l'arrière du commerce, Dryt'waru était en train de discuter avec Ezio sur le banc orné de lierre. Les deux cessèrent lorsqu'ils virent le loup s'approcher d'un pas trop vif. L'inquiétude remplaça le calme sur leurs traits.

— Ash ?

— Le prince a disparu, lâcha-t-il de but en blanc.

Dryt'waru pinça les lèvres, croisant ses mains garnies de bagues sur ses genoux. Il serra les doigts sur l'étoffe de ses vêtements.

— Tu as déjà fouillé le palais j'imagine.

— Oui, mais rien. Même pas une trace olfactive. Ou alors, mon odorat n'est pas capable de la détecter au milieu de toutes les autres odeurs qui se mélangent au palais... Mais j'en doute. Je reconnaîtrais Ethel entre mille.

Ash haït les accents désespérés qui pointaient dans sa voix, mais il y avait plus urgent.

— Ezio, pourrais-tu m'aider ? Un de tes sorts permettrait-il de localiser le prince ?

Le sorcier réfléchit un instant.

— Oui. C'est possible. Mais tu dois m'amener quelque chose qu'il a porté, qui porte sa trace.

— Je le ferai.

— Allez près du palais, intervint le triton rapidement.

Comme ni Ash ni Ezio ne semblait suivre son raisonnement, il s'expliqua en replaçant quelques mèches sur son épaule, le regard agité et inquiet.

— Ça me semble peu probable que la démoniste ait attiré le prince loin du lieu du bal. Elle doit faire vite avant que quelqu'un ne la trouve. Quand vous aurez localisé Ethel, occupez-vous directement de neutraliser Waeghana.

— Ezio, ton sortilège est-il prêt ? interrogea Ash d'un ton pressé.

— On fera avec, éluda le sorcier en se levant. On y va.

Le capitaine de la garde n'était pas rassuré par cette réponse, mais dut s'en contenter. Il serra les dents et fit volte-face, s'engageant dans le passage qui menait à la rue suivi d'Ezio.

Alors qu'il tournait dans la direction du palais, Ash renifla par précaution. Cependant, alors qu'il n'était censé sentir qu'une fragrance de pavé et de nuit, une autre odeur lui parvint. Il se figea, puis tendit l'oreille. Derrière lui, le sorcier s'immobilisa et retroussa les manches de son manteau, le regard alerte.

— Nous sommes suivis ? articula-t-il lorsque le loup se tourna vers lui.

Ash ne répondit pas, mais lui fit signe de ne pas bouger.

Soudain, il se précipita vers la façade de la bijouterie dans un mouvement flou. Quelques pas, un regard luisant et il ferma les doigts sur le capuchon d'une cape, le rabattant vers l'arrière sans aucune douceur. Un petit cri de douleur lui apprit qu'il avait attrapé des cheveux dans la manœuvre.

Puis, l'odeur se précisa et il écarquilla les yeux.

— Princesse ? chuchota le capitaine en la lâchant.

— Je peux tout t'expliquer !

Il dévisagea les prunelles noisette, les boucles brunes et la robe de bal cachée sous la cape sombre. Que faisait-elle ici, bon sang ? Ce n'était pas le moment !

— Que faites-vous ici ? chuchota-t-il avec empressement.

— Je t'ai suivi, murmura la jeune femme en baissant les yeux, légèrement honteuse.

— Mais... Pourquoi ?

— Parce que tu me caches des choses ! Et que tu recherches Ethel. Je t'ai entendu en parler à tes hommes...

Comment avait-il pu être aussi distrait ?

— Princesse, vous devez rentrer au palais. Venez, nous allons vous ramener.

— Qui est l'homme avec toi, Ash ?

Le loup jeta un regard paniqué au sorcier, qui offrit une révérence gracieuse à la jeune femme.

— Je suis le Comte Svaldiva. Une connaissance d'Ash.

— Et pourquoi êtes-vous ici, avec lui ?

Le visage clairement suspicieux d'Adeline fit serrer les dents au capitaine, qui lui saisit le bras avec fermeté.

— Venez. Nous n'avons pas le temps de discuter, nous en parlerons plus tard... chuchota-t-il en l'emmenant dans la rue pavée.

— Où est Ethel, exactement ? Pourquoi le recherches-tu ? N'est-il pas au palais ? continua toutefois la princesse avec obstination.

— Altesse, pour l'amour de Dieu, cessez de poser des questions, grommela Ash.

Il ne pouvait s'empêcher de penser que chaque seconde perdue les rapprochait d'une possible mort du prince.

— Mais je suis inquiète, Ash ! Tu n'es plus toi-même depuis des jours et voilà que mon frère s'évanouit dans la nature ! Tu as mis les soldats en alerte et même le roi commence à se demander où est passé son fils !

N'y tenant plus, le loup plaqua sa paume sur la bouche de l'altesse et planta deux yeux brillants dans les siens.

— Nous n'avons pas le temps, martela-t-il tout bas. Vous pouvez au moins le comprendre, n'est-ce pas ? Je vous expliquerai tout plus tard. Maintenant, vous rentrez au palais et je vais sauver votre frère !

Adeline écarquilla les yeux et Ash se rendit compte de sa propre bêtise. Il jura et relâcha la jeune femme, qui le suivit en silence, soufflée par la note d'urgence qui avait fait vibrer la voix du capitaine. Que se passait-il réellement ?

Le loup activa le pas et se mit à monter vers le château, silencieux dans les ruelles des quartiers qui bordaient le palais. Ezio, lui, garda un œil sur la princesse. Ils ne devaient pas la perdre de vue et elle ne devait pas se faire distancer... malgré l'allure rapide du capitaine. Le sorcier grommela. Depuis quand un loup ne savait-il pas quand une humaine le suivait ?

*

Ash n'avait eu aucun mal à se faufiler jusqu'aux appartements princiers, suivi d'Adeline, pour subtiliser un collier appartenant à Ethel. La pierre rouge rubis pendait à une chaînette d'or finement ouvragée, le bijou valait une petite fortune.

Il l'avait passé à son cou et s'était tourné vers celle qu'il considérait comme sa petite sœur. Elle le regardait sans mot dire, figée au milieu du petit salon. Ash soupira.

— Je suis désolé pour le ton que j'ai employé il y a quelques minutes, princesse...

— Si Ethel est réellement en danger, Ash, murmura Adeline, alors je comprends. Mais... ne peux-tu pas m'expliquer maintenant ?

Le capitaine détourna le regard. La princesse eut un sourire triste, jouant avec les bords de sa cape du bout des doigts. Elle se mordit la lèvre.

— Je suppose que c'est grave, alors. Mais tu me diras tout lorsque tu auras sauvé Ethel, n'est-ce pas ? Je n'aime pas te voir ainsi. Tu t'enfermes dans tes problèmes... Tout seul.

J'aimerais tant pouvoir tout vous dire, princesse... Mais c'est bien trop gros comme secret, bien trop dangereux.

Et je risque de perdre la vie cette nuit, alors je n'aurai probablement plus l'opportunité de vous avouer la vérité...

Un immense chagrin lui étreignit le cœur. Le loup céda et vint entourer la jeune femme de ses bras. Il serra le corps à peine plus menu que le sien, tentant de s'abreuver de cette affection qui les unissait. Il tenta d'étouffer l'horrible sentiment d'adieu qui l'enserrait dans un étau, nourri par les paroles d'Emmha.

Surprise, Adeline lui rendit son étreinte. Ash lui apparut désespéré... Elle renonça à le presser de tout lui dire, songeant qu'il devait voler au secours du prince ; mais elle se jura de ne rien lâcher à son retour. Car elle ne doutait pas qu'il réussirait à ramener son frère en vie ; Ash n'avait jamais failli. Elle avait confiance en ce lien indéfectible qui unissait les deux jeunes hommes.

Après quelques instants qu'il aurait souhaité prolonger, Ash se détacha de la princesse et recula vers la porte, le collier au rubis pendant sur son torse. Adeline se retint de l'interroger à ce propos également.

— Je vous attendrai ici, souffla la jeune femme.

Le loup aurait voulu lui répondre qu'ils se reverraient à l'aube.

A la place, il hocha la tête, la gorge nouée, et disparut dans le couloir.

*

Ash s'était enfoncé dans le Bois Hanté, où l'attendait Ezio.

Le sorcier, drapé dans un long manteau d'excellente facture, aurait pu détonner dans l'environnement forestier. Cependant, Ash voyait bien qu'il n'appartenait pas au monde des humains. Une aura plus sauvage l'enrobait, légère impression dangereuse qui confirmait la puissance de l'homme.

Le loup se faufila jusqu'à son complice et lui désigna le collier. Le sorcier y posa deux doigts, ferma les yeux et murmura quelques mots dans une langue inconnue d'Ash. Une lueur verte brilla un instant dans l'air, puis une forme complexe formée de traits et de formes géométriques se dessina entre eux. Ash en déduisit qu'elle faisait office de boussole.

Lorsqu'Ezio se recula, le loup observa avec une certaine fascination mêlée de méfiance les différentes parties du sortilège se mouvoir entre elles. Elle pointaient apparemment dans une direction, bien qu'Ash aurait été incapable de déterminer laquelle.

Le sorcier observa un instant les dessins verdâtres qui flottaient au-dessus de sa main droite, puis se tourna vers le loup.

— Je l'ai trouvé.

Ash sentit l'adrénaline envahir ses veines. Le bout de ses doigts picota agréablement.

— Guide-moi.

Ezio hocha la tête et se mit en marche, le sortilège toujours flottant au-dessus de sa paume. Les troncs sombres et les feuillages drus les plongeaient dans une pénombre accentuée par la nuit tombante. Au-dessus des cimes montait déjà la lune, ronde et pleine, qui projetait des rayons aux teintes sanglantes. Ash en ressentait les effets, bien plus que d'habitude. Peut-être était-ce dû à sa perte de contrôle récente, mais il sentait la partie animale de son être gratter à la surface de ses pensées. Elle voulait sortir.

Il la repoussa plus doucement qu'à l'accoutumée, tentent de lui expliquer qu'un déchaînement sauvage ne les aiderait pas. Elle parut l'entendre.

Devant lui, Ezio progressait à pas rapides parmi les racines. Ash brûlait d'envie de le dépasser pour se ruer dans la direction du prince, mais il ne connaissait pas le chemin et s'en remit à son guide, bien que ses jambes fourmillent d'impatience. Il plia et déplia les doigts convulsivement, se contenant comme il pouvait.

Ils marchèrent durant ce qui parut une éternité au milieu de la végétation. La lumière de l'astre nocturne donnait à la forêt des allures de cauchemar, les feuilles et les troncs paraissaient couverts d'une mélasse pourpre, semblable à des bouillons sanglants.

Aucun sentier ne sinuait au cœur de ces bois désertés par les humains, mais les hululements de la vie nocturne s'élevaient parmi les feuillages. Ash pouvait situer chaque animal qui les entourait, de la musaraigne au hibou, du mulot à la belette, du blaireau au renard. Mais toujours aucune trace de son prince.

— On approche. Calme ta respiration, Ash. Si je peux t'entendre, la louve aussi, murmura Ezio en obliquant vers la gauche, les yeux rivés à son sortilège.

Le capitaine de la garde obtempéra, bien que son rythme cardiaque ne ralentisse pas. Il avait l'impression que la température de son corps augmentait de plusieurs degrés, comme s'il se préparait inconsciemment à l'affrontement inévitable qui les attendait.

Il renifla un coup, tentant de séparer les senteurs boisées de toutes celles qui pourraient leur indiquer la position du prince et de ses ravisseuses.

— Ils sont...

— Au nord.

Ezio jeta un regard surpris au loup, qui avait tourné violemment la tête vers le septentrion. Ses yeux bleus luisaient et tout son corps, tendu, semblait prêt à se précipiter à toute allure.

Le sorcier songea qu'il avait tendance à oublier l'âge du capitaine. Après tout, il n'avait vécu que dix-huit années... Et cette jeunesse se révélait pleinement, le possédait tout entier en cet instant. Ash ne réfléchissait plus ; il ne songeait qu'à se précipiter pour sauver le prince. Le sang-froid l'avait déserté.

Ezio fronça les sourcils et posa une main sur l'épaule du loup, le retenant d'une poigne ferme.

— Ash, murmura-t-il en affrontant les prunelles azur. Si tu te précipites sans réfléchir, nous allons droit à la catastrophe.

— Je les sens, gronda le loup.

— Ils sont proches. Nous y allons, mais essaie de reprendre le contrôle de ton esprit.

Ash secoua la tête et s'avança d'un pas.

— Je vais bien. Si nous tardons, nous arriverons trop tard.

Ezio fronça les sourcils, mais laissa l'épaule du loup lui échapper. Ash se mit à courir, d'abord à une allure humaine, puis de plus en plus vite. Il frappa le sol forestier puissamment, chaque pas le projetait à plusieurs mètres par-dessus les racines et les ronciers. Par moment, sa cape battait dans l'air et le dotait d'amples ailes sombres, alors que ses mèches grises s'échappaient de sa tresse. Le vent nocturne s'engouffra dans ses poumons et il gonfla son torse le plus possible, tentant d'inspirer autant d'air qu'il pouvait. Ses muscles commençaient à brûler, il se sentait capable de tout. La puissance paraissait pulser peu à peu sous sa peau, il la sentait, éveillée par la lune ronde dans le ciel.

Ezio se mit à le suivre, envoyant son sort au néant d'un mouvement de poignet. Ils n'avaient plus besoin de magie si le loup avait senti le prince.

Son souffle à lui se faisait plus haché, il voyait Ash accélérer devant lui, ombre parmi les ombres, louvoyant parmi les troncs aussi agilement qu'un souffle de vent.

Ash ne s'arrêta que face à un mur de roche, couvert de lierre et de mousse. L'odeur d'Ethel paraissait se fondre dans la pierre. Il fronça les sourcils et renifla, énervé d'avoir perdu la piste. Il fit les cent pas, fureta, mais rien à faire. Le loup aurait pu hurler de frustration. Il fixa la roche et s'en approcha, grondant.

— Ash !

Un sorcier essoufflé jaillit à ses côtés et se plia en deux, les mains sur les genoux, en sueur. Il reprit contenance en quelques secondes, mais releva un regard presque accusateur.

— Je ne cours pas aussi vite que toi, souffla-t-il.

— Il a disparu dans la pierre, lâcha Ash sans y prêter la moindre attention, les yeux rivés au mur tapissé de végétation.

Le sorcier soupira en levant les yeux au ciel.

— Laisse-moi regarder...

Il s'approcha et inspecta la paroi un instant, avant de claquer des doigts. Une petite flamme s'alluma à leur bout et il l'approcha de la roche. Quelques lignes se mirent à luire faiblement, d'une aura rouge.

— C'est une porte qui réagit au surnaturel, à la magie. Les humains ne peuvent pas la franchir d'eux-mêmes...

Ezio prit une inspiration, puis plaqua sa paume contre les glyphes, qui s'illuminèrent d'une lueur sanglante. Le sorcier grimaça, puis ramena sa main à son torse. Devant eux, le mur s'enfonça sur lui-même et un passage se révéla, sombre, si noir que le sorcier n'y voyait rien. Le loup, lui, ne s'embarrassa pas d'appréhension et s'y enfonça, tous les muscles contractés à l'extrême. L'odeur du prince se faisait encore plus forte à cet endroit, elle l'entourait, s'accrochait aux parois glaciales.

Ezio manqua de râler, mais pinça les lèvres et suivit Ash en invoquant sa petite flamme. Derrière eux, l'entrée du souterrain se referma sans bruit.

*

— ... trouveront jamais...

Un pas après l'autre, Ash approchait d'Ethel.

— ... seul...

Il se crispa encore plus. C'était la voix de Waeghana, douce et veloutée, mais enrobée d'un sadisme certain qu'elle avait pris soin de ne jamais laisser filtrer à la Cour.

Il se mit à marcher plus vite, tout en se contrôlant pour rendre ses pas aussi légers que ceux d'un chat.

Les battements de son cœur emplissaient son crâne, l'empêchaient de réfléchir. L'odeur d'Ethel l'entourait, se renforçait à mesure qu'il approchait. La bête hurlait en lui, grattait la surface de son esprit, ruait de toutes ses forces, incapable de comprendre pourquoi Ash ne courait pas sauver le membre de sa meute.

Il est en danger, IL VA MOURIR !

Le loup grimaça et secoua la tête. Il serra le poing autour de sa pierre de lune, le regard rivé à la lumière qu'il apercevait à quelques mètres, après un coude formé par la galerie. Il entendait la respiration d'Ezio derrière lui, la voix de Waeghana devant. Il devait rester prudent pour ne pas tomber dans un piège. Ses pas glissaient sur le sol en silence. Son cœur lui hurlait de courir, mais sa raison le retenait encore.

Puis, un nouvel effluve lui parvint.

Ash se figea.

La bête poussa un cri enragé.

Du sang.

Le parfum métallique s'engouffra dans ses narines, lui brouilla les pensées. Il fut comme foudroyé.

Dès lors, il sut. Ce sang, c'était celui d'Ethel.

Un rugissement tonitruant jaillit de sa gorge et ses iris flamboyèrent. Comment avaient-elles osé ? Oser le toucher, lui ! Sa meute !

Ash arracha sa cape, la jeta au sol et saisit la pierre de lune entre ses doigts prolongés de griffes. Le cristal n'était plus qu'une pierre ébène. Il tira dessus. La chaîne cassa et le collier tomba au sol. Au même instant, la faible énergie apaisante qui avait réussi à maintenir l'animal enfermé, cette dernière barrière déjà tremblante, disparut.

Le loup releva le visage et, l'esprit inondé de son désir de vengeance, se jeta en avant. 

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