2 ~ une chasse princière
Ash ne mit que quelques minutes pour atteindre les appartements royaux. Le couloir, richement décoré de tapisseries dorées, était désert. Les serviteurs devaient s'activer dans la salle de bal du palais, Ash crut se souvenir d'une petite fête qui aurait lieu le soir-même, mais à laquelle il ne comptait pas assister. Seuls les bourgeois qui désiraient se faire bien voir y prenaient part, ainsi que les nobles de la cour, mais Ethel n'y allait que très rarement, alors Ash ne pensait pas devoir y prendre part.
Ses pas réguliers se turent lorsque le jeune homme s'arrêta face à la porte lourdement ouvragée. Les appartements princiers. Il en frappa le battant, puis actionna la poignée.
— Mon prince. Vous m'avez demandé.
Ash n'alla pas plus loin que le petit salon habillé de carmin. Une main dans le dos, bien droit dans sa cape sombre, il parcourut les canapés de tissu soyeux du regard, s'attardant à peine sur les coussins d'aspect confortable et les tapis qui couvraient le sol. Quelques teintes chaudes se côtoyaient, entre le rouge sombre et le doré, le marron et le crème. Ash trouvait le petit salon apaisant, il se souvenait de leurs jeux, enfants, dans cette pièce qui avait accueilli leurs rires et leurs regards complices. À ce moment-là, Ethel et lui se moquaient encore des convenances et des différences de statut qui flottaient à présent entre eux comme une barrière.
— Ash, appela une voix depuis la pièce voisine.
Derrière une tenture ocre se cachait la chambre princière. Un endroit où Ash ne pénétrait pas souvent depuis quelques années. La dernière fois qu'il y était entré, il avait trouvé le prince torse nu et son visage avait pris la teinte d'une rose. Il avait détourné le regard avec embarras et s'était empressé d'en sortir. S'il y retournait sans savoir ce qu'il y trouverait, il ne pourrait pas cacher le trouble que faisait naître en lui l'atmosphère particulière de ce lieu, la vision des couvertures parfumées sur le lit d'Ethel... Et le souvenir d'un torse ciselé de muscles entretenus.
Il se refusa à penser à ces dérives et s'arrêta face au rideau, attentif.
— Oui, mon prince ?
— Tu peux m'appeler Ethel, ici. Nous sommes seuls.
Ash ne répondit pas. Le prince savait bien ce qu'il en pensait. Depuis des années, il avait cessé d'utiliser le prénom de celui qui était son meilleur ami. Il s'était alors brusquement rendu compte du fossé qui les séparait : lui, fils de Personne, et Ethel, le Prince héritier de Jasulem, fils du Roi, garçon au sang bleu.
— Quoi qu'il en soit, Ash, viens m'aider, s'il te plaît.
L'autre retint son souffle un bref instant, puis écarta la tenture d'une main, alors que ses yeux dirigés vers le sol rencontraient un tapis luxueux à l'apparente douceur. Il dut cependant lever le regard vers le prince pour connaître la raison de sa demande.
Vêtu d'un pantalon beige solide, mais raffiné, chaussé de bottes d'équitation brillantes, Ethel de Jasulem fixait son plus proche serviteur de ses orbes ambrées. Ash se força à se détendre, masquant la brusque tension qui s'était emparée de son corps lorsqu'il s'était aperçu que son maître n'avait pas vêtu de haut. Il s'obligea à ne faire que survoler la peau laiteuse du prince, pour venir rencontrer ses yeux, dans l'attente.
Ethel lui désigna d'un geste un vêtement de cuir posé nonchalamment sur le matelas.
— Cette protection est complexe à enfiler, j'aurais besoin de tes mains pour m'y aider, Ash.
L'autre acquiesça sobrement, ne laissant aucunement transparaître son trouble. Il le chassa, le confina au fin fond de ses pensées, pour s'approcher et saisir le vêtement.
Il devait vraiment cesser de songer à son prince d'une telle façon, même si ses doigts mouraient d'envie d'effleurer plus que nécessaire les épaules princières, que ses yeux notaient le moindre détail de ce corps dans sa rétine. Ethel était inaccessible et, de plus, ne partageait rien de plus qu'une amitié, Ash en était persuadé.
Alors, il enferma ses pensées et ajusta le vêtement sur une tunique de protection. La peau ne serait ainsi pas irritée par les frottements et le plastron de cuir ferait son travail correctement.
Lorsque le torse du prince fut protégé, ce dernier remercia son protecteur et lui apprit qu'ils partaient de suite. Ensemble, ils prirent le chemin des écuries.
***
Quelques gardes avaient été mandés pour encadrer cette sortie princière. Le groupe s'enfonça au trot dans les bois de feuillus, à l'ombre d'un soleil éclatant qui parvenait toutefois à percer les ramures pour venir éclairer de doré le sol fertile.
Ash était calme et serein, mais l'oreille aux aguets. Il ne devait rien arriver au prince, comme d'habitude. C'était son devoir d'y veiller, alors il n'hésitait pas à employer son ouïe particulière. Seuls quelques froissements issus du passage des chevaux dans l'herbe haute lui parvinrent, ainsi qu'un gazouillis d'oiseaux depuis les arbres qui les entouraient.
Plus ils s'avançaient, plus ils guettaient les bruits des rabatteurs. Un groupe faisait du bruit pour effrayer le gibier, qui accourait dans la direction de la troupe du prince. Quelques chiens, habituellement, aidaient à cette tâche, talonnant les proies épouvantées sans relâche. La meute du jour était celle du prince, des animaux dressés parfaitement, les meilleurs du pays et auxquels l'altesse rendait fréquemment visite.
Juché sur un splendide étalon noir, Ethel de Jasulem promenait son regard perçant sur les branches et les buissons devant eux. À ses côtés, un peu en retrait, trottinait la jument d'Ash, une belle bête d'une douce couleur grise. Le capitaine de la garde percevait déjà les aboiement des chiens, mais c'était encore trop loin pour l'oreille humaine, alors il l'ignora.
Les odeurs de la forêt emplirent ses narines avec force. Depuis qu'ils y étaient entrés, Ash se sentait extrêmement bien. Une vie au milieu de la nature le calmait, apaisait son besoin de liberté et lui rappelait avec douceur les moments de son enfance, avec sa mère dans leur forêt. C'était encore une vie innocente, une vie rompue à jamais et de la pire des façons.
— Ils approchent, commenta Ash au bout de quelques minutes. Majesté, tenez-vous prêt.
Le prince lâcha les rênes d'une main et saisit avec dextérité l'arc qui pendait à sa ceinture. Ash le sentit décontracté, apaisé lui aussi par l'atmosphère particulière de la forêt. Auparavant, ils venaient une fois par jour pour galoper sur les terres royales, mais à présent Ethel n'en avait plus le temps et d'autres loisirs et responsabilités les assayaient tous deux.
Une puissante odeur musquée saisit Ash d'un seul coup. Il reconnut un sanglier mâle dans la fleur de l'âge, il courait non loin, poursuivit par les chiens. Il pouvait sentir sa peur d'ici, elle lui agressait les narines et l'excitait dans le même temps. Le prédateur en lui s'éveilla doucement, mais rien de bien grave. Ash garda son contrôle et serra les doigts sur les rênes, pressant les flancs de sa jument pour suivre le prince, qui avançait vers ses chiens.
— Ash, prépare ton arc aussi, s'il y a plusieurs bêtes tu pourras en tirer une également, lui lança Ethel sans hausser la voix plus que nécessaire.
Une concentration remarquable émanait de son corps en équilibre sur sa selle. À présent, il contrôlait sa monture à l'aide de ses seules jambes et tenait l'arc et ses flèches entre ses doigts. Sa vue aiguisée balayait les feuilles, mais Ash sut que c'était dans la mauvaise direction que le prince regardait. Le sanglier allait arriver depuis la gauche, il l'entendait patauger dans un ruisseau pour espérer échapper aux limiers.
Enfin, les aboiements avertirent Ethel et il s'engouffra dans les fourrés, débouchant sur une clairière qui serait parfaite pour abattre sa proie du jour. Ash s'arrêta à ses côtés, puis effectua un arc de cercle au trot pour bloquer les issues de fuite. Les soldats qui les accompagnaient, restés discrets jusqu'ici, firent de même et bientôt, le sanglier n'aurait d'autre choix que de se jeter vers le cheval du prince.
Quelques secondes à peine s'écoulèrent dans un silence patient. Ash retenait avec maîtrise son instinct qui lui hurlait de courir vers la bête et de la déchiqueter. Il avait l'habitude à présent et n'avait jamais eu vraiment d'occasion de se déchaîner, aussi il parvenait sans mal à se contrôler, à rester impassible en toute circonstance. Parfois, cependant, il se demandait ce qui se passerait s'il laissait sa nature s'exprimer pleinement... Puis, il se rappelait des prisonniers des geôles et s'appliquait à rester de marbre.
Soudain, un craquement retentit dans les sous-bois, les bruits d'une course effrénée parvinrent aux oreilles de tous et l'animal déboula, tout en muscles et en force.
Ethel arma son arc, tendit la corde, puis laissa la flèche lui glisser des doigts.
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