15
Une silhouette lupine se faufila dans un rayon de lune et Ash se tendit.
Il était bel et bien coincé. Cette lettre ne plaisantait pas.
La louve arpentait l'herbe illuminée par l'astre nocturne. Par la fenêtre du couloir, Ash distinguait clairement sa fourrure sombre et grinça des dents. Bien, Bellatrix désirait qu'il admire sa liberté. Il l'avait vue et ça ne changeait strictement rien.
Il était toujours déterminé à protéger Ethel du mieux qu'il pouvait. Ash tourna les talons et retourna dans sa chambre, les poings serrés. Lorsqu'il s'allongea sur sa couche, prêt à se lever à l'aube, il se répéta pour lui-même la décision qu'il avait prise.
Protéger Ethel, même s'il devait affronter d'autres créatures surnaturelles, même s'il devait risquer de se révéler. Même s'il devait donner sa vie pour cela...
*
Les jours suivants s'écoulèrent dans l'anxiété pour Ash. Il suivait le prince et veillait à ses tâches de capitaine de la garde, mais n'arrivait jamais à s'ôter de l'esprit l'impression d'avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Il mangeait peu, se perdait parfois dans des pensées angoissées. L'image d'Ethel baignant dans son sang et le regardant avec horreur hantait ses nuits.
Les regards de Dame Edalyna lui pesaient sur la nuque, alors que Bellatrix paraissait décidée à le coller en permanence. Ses soldats s'en amusaient, lui jetant des clins d'œil de connivence, mais Ash levait les yeux au ciel, désespéré. Cette jeune fille était bien la dernière qu'il avait envie de séduire.
Les vagues d'aura qu'elle lui envoyait avaient le don de le mettre à cran. Ethel s'étonnait d'ailleurs de sa mine sombre et lasse, mais replongeait rapidement dans ses pensées, obnubilé par une certaine femme au charme magnétique. Et Ash assistait, impuissant, aux renforcements des liens unissant l'usurpatrice et le prince. Une envie puissante de les séparer le tenaillait sans relâche. Il ne supportait pas la vision des deux jeunes adultes seul à seule, les doigts perpétuellement en contact, les yeux dans les yeux. Il haïssait par-dessus tout le sourire lumineux que cette femme faisait naître sur les lèvres du prince. Elle était la cause de sa joie. Et pour des raisons purement égoïstes et sur lesquelles Ash n'avait pas envie de s'attarder, il ne le supportait pas.
— Ash, veille à ce que personne ne nous dérange, je te prie, lui sourit justement Ethel en menant par le bras une Edalyna rayonnante.
Ils entrèrent dans les appartements royaux alors que le sourire poli d'Ash se fanait. Comment pouvait-il veiller sur le prince s'il s'obstinait à s'isoler avec la menace elle-même ? Un long soupir lui échappa et il s'adossa à la porte, résolu à monter la garde, l'oreille non pas tendue vers l'extérieur mais vers l'intérieur.
Si seulement il pouvait avertir Ethel sans s'exposer à des questions embarrassantes ! Il lui révélerait l'existence de la lettre de menace lui enjoignant de laisser les deux femmes intriguer, il lui parlerait de son instinct qui le poussait à se méfier d'Edalyna, il lui révèlerait peut-être même la nature de Bellatrix si elle s'avérait trop menaçante... Et alors il serait en sécurité.
Avec un nouveau soupir, il cessa de s'enfoncer dans de telles pensées. Cela n'arriverait jamais, il le savait. Inutile d'y songer.
— Enfin !
Ash sursauta et se tourna vers la provenance de la voix. Une silhouette légèrement indistincte luisait à quelques mètres, dans un coin du couloir. Il se mit en position défensive et plissa les paupières.
La voix avait paru fluette, murmurée, comme si la personne ne tenait pas à se faire remarquer. Ash observa l'étrange lueur qui émanait des formes, lesquelles paraissaient se raffermir, se dessiner. Etait-ce... un fantôme ?
Deux grands yeux dorés se fixèrent sur lui et la silhouette se précipita dans les airs, droit sur son visage.
Ash leva ses dagues et recula souplement de quelques pas, alors que l'être s'arrêtait net, une étrange moue ravie se plaçant sur ses traits. Le loup put alors observer la personne lui faisant face : il s'agissait d'une femme, à la peau ébène, mais qui n'avait rien d'une humaine. De longues mèches blanches aux reflets d'or cascadaient sur ses épaules, et deux cornes recourbées vers l'arrière surplombaient son crâne, décorées de multiples chaînettes de la couleur du soleil reliées à des bracelets fermés sur les étranges excroissances. Deux oreilles effilées se cachaient dans la chevelure, et les yeux de l'inconnue arboraient une intense teinte dorée.
Elle n'était vêtue que d'une tunique sans manche brune, ainsi que d'un pantalon, et ses pieds flottaient à quelques centimètres du sol. Toutefois, si ses habits paraissaient banals, les innombrables bijoux qui enserraient ses bras et ses chevilles, puis son cou, démentaient une appartenance au petit peuple.
Ash cessa son observation, préférant connaître le mystère de cette personne apparue dans le couloir, comme par magie. Son air ravi n'avait pas disparu.
— Qui es-tu ? souffla le loup.
— Je... Pourquoi tu chuchotes ?
Le jeune homme fronça les sourcils, mais consentit à s'expliquer.
— Je ne tiens pas à ameuter tout le monde dans ce château.
— Je suis dans un château ? Lequel ? Depuis quand ? Je... J'étais à Ekazyën et là...
La femme semblait visiblement perdue. Ash soupira et baissa ses armes, sans pour autant les lâcher.
— Tu es à Jasulem, désormais. Qui es-tu ? Réponds, cette fois.
— Je m'appelle Akothena et je suis une démone.
Ash eut alors le sentiment que ses ennuis ne faisaient que commencer.
*
Ils s'étaient éloignés de la porte, afin de pouvoir parler légèrement plus fort. Akothena ne cessait d'observer le visage d'Ash, détaillant ses traits, ses yeux, et la lueur qui brillait dans leur cœur.
— Je suis si heureuse d'être tombée sur quelqu'un qui peut me voir ! Mais que fait quelqu'un comme toi à Jasulem ? C'est hostile, comme royaume, non ? Enfin, si ça n'a pas changé.
— C'est une longue histoire, éluda Ash en tournant le regard vers la porte des appartements princiers.
— Mmh... Tu es victime d'un mariage forcé ?
Le loup écarquilla les yeux et rougit violemment.
— Que... Tu... Mais pourquoi penses-tu à ce genre de choses ? Non, bien sûr que non ! Je suis le capitaine de la garde et le protecteur du prince.
— Mais personne ne sait pour... ta jolie petite truffe et les adorables oreilles qui doivent te pousser sur le crâne à la pleine lune ?
— Ce n'est en aucun cas adorable ! Et non, ils ne savent pas... Peux-tu...
— J'aurais du mal à le leur dire ! ricana la démone en roulant de ses yeux dorés. Je ne suis visible que par les êtres possédant de la magie en eux, qu'elle soit sous forme de gènes dans le cas des loups, ou sous forme de pouvoirs se manifestant dans d'autres circonstances. Les mages et les sorciers, comme les loups et les tritons, peuvent me voir et m'entendre, me parler, mais pas les humains. Et crois-moi, je n'en peux plus des passants qui me passent au travers comme si je n'existais pas !
— Donc je peux compter sur ton silence ? insista Ash.
— Sinon quoi ? Tu vas me tuer ? persifla Akothena.
Seul un sourire plein de dents lui répondit, et elle se mit à rire doucement.
— Tu me plais bien, petit loup. N'aie pas peur d'une trahison de ma part.
Ash se calma et prit une profonde inspiration, encore déstabilisé par l'apparition de la démone. D'ailleurs, comment avait-elle fait ?
— J'ai enfin réussi à sortir de mon piège, lui répondit-elle lorsqu'il eut posé la question.
— Ton piège ?
— Oui, j'étais enfermée dans le corps de quelqu'un d'autre à cause d'une malédiction. Je l'ai entendu avant d'y être scellée... Depuis, tout est noir.
— Mais pourquoi quelqu'un aurait voulu enfermer un démon dans le corps d'un autre ?
— J'ai été attirée dans le piège à cause d'une malédiction, donc je suppose que l'on m'a emprisonnée pour une bonne raison ! Malheureusement, j'ignore laquelle, grommela la démone. Mais ça ne doit pas être très positif.
— Et donc, là, tu es libre ? s'enquit Ash, un sombre pressentiment faisant doucement son apparition.
— Non, je suis toujours liée à mon hôte, mais je suis parvenue à m'en extirper. Je ne peux pas m'éloigner, mais au moins, je vois, j'entends, je peux bouger à nouveau... Tu n'imagines pas la torture que c'est de vivre dans un néant noir et vide...
— Effectivement, ce doit être une torture... compatit Ash, qui s'en voulut de la presser de questions alors qu'elle venait visiblement de redécouvrir la vie.
Mais Akothena sourit largement, puis croisa les bras sur son torse, faisant tinter tous ses bijoux.
— Pas la peine de me prendre en pitié. C'est terminé à présent ! Il ne me reste qu'à trouver une manière de me détacher de mon hôte et tout ira bien.
— Qui est cet hôte ?
La démone le fixa un bref instant, paraissant hésiter un instant.
— Tu tiens à quelqu'un qui se trouve dans ces appartements, n'est-ce pas ? Et je suppose que ce n'est pas à la femme dont l'aura est saturée de magie noire.
— Je... Oui, je protège le prince alors je me soucie de lui, mais pourquoi me dis-tu cela ?
Akothena soupira et lui jeta un regard peiné.
— Ash, la personne qui m'abrite en elle... C'est le prince.
*
— Quels moyens existe-t-il pour séparer un démon de son hôte ?
La démone soupira. Ash paraissait prêt à se saigner les veines pour sauver son prince et elle trouvait cela d'une loyauté admirable, mais la panique qui l'envahissait n'était clairement pas professionnelle.
— Calme-toi, je t'en prie, souffla-t-elle en lui posant deux paumes sur les joues pour enserrer son visage.
— Lâche-moi, ne me touche pas, râla le loup en se reculant.
— Ash, il n'y a pas trente-six solutions pour me détacher du prince. Ecoute-moi bien. Nous avons le même objectif, nous devons nous entraider.
Lorsqu'elle sut qu'il l'écoutait, elle reprit.
— Soit tu forces avec de la magie noire, et l'hôte meurt.
Voyant qu'il s'apprêtait à parler, elle le coupa et lui jeta un regard noir.
— Non, écoute-moi. La magie noire n'est qu'une des solutions. L'autre consiste en l'usage de magie également, mais elle nécessite des dons que nous ne possédons pas. Il faudrait de l'aide extérieure. Connais-tu un sorcier ?
— Non, soupira Ash, et pourtant c'est la seule solution que je peux envisager. Pas question de recourir à la magie noire. Je...
Il sembla réfléchir un bref instant, puis une lueur se ralluma dans ses prunelles bleues.
— Je connais quelqu'un qui pourrait connaître un sorcier.
Alors qu'elle s'apprêtait à l'interroger, une vague de magie néfaste bouillonna dans les appartements princiers et Akothena se crispa. Ash sembla s'en rendre compte également et fixa la porte, inquiet.
— Qu'est-ce qui se passe là-dedans ? murmura le loup, les sourcils froncés.
— Je sens quelque chose, ça... ça tire un peu...
Le jeune homme se tourna vers la démone, les yeux écarquillés.
— Quoi ? Qu'est-ce que tu veux dire ?
Elle eut une grimace. La sensation n'était pas agréable du tout, elle lui donnait même la nausée. Il semblait qu'une présence l'effleurait au plus profond de son âme. Une présence néfaste, noire, menaçante, et puissante...
Akothena écarquilla brusquement les yeux, alors qu'elle paraissait en proie à d'irrépressibles frissons.
— Oh non...
Elle plongea son regard dans celui d'Ash, épouvantée.
— La femme avec ton prince, c'est une démoniste !
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