Chapitre 25
La porte menant au cercle intérieur était surveillée, mais le garde ne prêta pas attention à ces hommes vêtus comme des domestiques. Callum ne comptait plus les fois où il s'était ainsi grimé dans le cadre de son travail. Les gens se représentaient les ombres avec leur costume noir qui se fondait dans l'obscurité, mais dans la réalité, il avait plus souvent eu à agir en plein jour qu'à la faveur de la nuit. Et même dans les rares occasions où cela avait été le cas, ces costumes lui avaient permis de passer inaperçu. Qui se méfiait d'un garçon de courses venu porter une lettre à un duc ? Ou de l'apprenti d'un tailleur qui rapportait la nouvelle robe de madame ?
Malheureusement, les soldats postés en bas des escaliers menant aux quartiers royaux se montrèrent un peu plus consciencieux que leur collègue. Le roi avait dû renforcer la sécurité après l'enlèvement du prince dans sa propre chambre.
— Seule la maisonnée royale est autorisée à accéder à cet étage, les informa l'un d'entre-deux tandis que son camarade leur barrait le passage de sa lance.
Callum échangea un regard avec Edwane.
— Désolé, Sir, nous avons dû nous tromper, dit-il en faisant mine de rebrousser chemin.
L'instant d'après, son plateau atterrissait sur le sol et le couteau qui s'y trouvait dans sa main. Le garde s'effondra, son épée à demi tirée. Son compagnon, quant à lui, gisait déjà sur les marches en marbre blanc, la nuque brisée par Edwane.
— Un peu salissant, commenta le rouquin en contemplant la mare de sang qui s'écoulait de la gorge de la victime de Callum. Ça va être difficile de cacher ça.
— De toute façon, nous n'en aurions pas eu le temps. Je te rappelle que le type qui est vraiment censé apporter son petit-déjeuner au roi ne va pas tarder à se pointer aux cuisines. Viens, dépêchons-nous avant que quelqu'un tombe là-dessus et donne l'alerte.
Les deux assassins progressaient en silence, l'épais tapis étouffant le bruit de leur pas. La lune, compagne fidèle, éclairait leur chemin, dessinant des ombres étranges aux statues qui ornaient le couloir. Enfant, déjà, Callum trouvait la silhouette de ces anciens rois lugubres. Il lui semblait que leurs regards de pierre menaçaient ceux qui avaient ravi le trône à leurs descendants, leur promettant un destin tout aussi funeste. Il ignorait pourquoi le père d'Aidan avait tenu à les garder. Peut-être en signe de défi, pour montrer qu'il ne craignait pas les fantômes de ses prédécesseurs. Cela n'avait plus vraiment d'importance. Bientôt, le monarque rejoindrait tous ses personnages illustres dans les limbes de l'oubli.
En passant devant la chambre qu'occupait autrefois le prince, Callum ressentit un léger pincement au cœur. Il s'apprêtait à faire de l'homme qu'il aimait un orphelin. Il fallait qu'il soit un monstre pour commettre un tel acte. D'autant plus qu'il connaissait parfaitement la douleur que causait la perte d'un parent. Il resserra les doigts autour de la garde de sa dague. Ce n'était pas le moment de céder au sentimentalisme. Pas maintenant. Pas si près du but.
La porte des appartements du roi n'était pas gardée. Étrange. Callum fit signe à Edwane de s'arrêter.
— Il n'y a pas de gardes, murmura-t-il.
— Et alors ? On va pas s'en plaindre.
— Tu ne trouves pas ça étrange ?
Un cri en provenance du rez-de-chaussée interrompit leur discussion. Visiblement, un domestique venait de tomber sur les cadavres. Ce n'était plus qu'une question de minutes avant que la garde au grand complet déboule au secours de son roi. Il n'y avait pas de temps à perdre.
Les rideaux du lit à baldaquin étaient tirés, protégeant le dormeur de l'éclat de la pleine lune qui s'engouffrait par la fenêtre. Callum approcha, ses chaussures s'enfonçant dans la peau d'ours qui recouvrait le sol. Son cœur battait la chamade. Sept ans. Cela faisait sept ans qu'il vivait dans l'attente de ce moment. Il avait traversé tant d'épreuves, consenti à tellement de sacrifices pour avoir la satisfaction de trancher la gorge de cet homme, de voir sa tête rouler de la même manière que celle de son père avait roulé jusqu'à ses pieds.
Il arracha la tenture plus qu'il ne la tira. Et là, rien ! La couche était vide. Il sentit alors la pointe d'une lame se poser sur sa nuque.
— Pourquoi ? demanda-t-il tandis que des soldats envahissaient la pièce.
— Ordre de Silus, lui répondit Edwane. Il n'a jamais été question que tu quittes le palais en vie.
Silus. Silus lui avait tendu un piège. Il avait toujours nourri des sentiments contradictoires envers son ancien maître, partagé entre la répulsion que lui inspirait cet homme cruel et la reconnaissance pour celui qui l'avait recueilli quand le monde qu'il connaissait s'écroulait. Il avait bêtement cru que Silus, à défaut d'amour, ressentait une certaine forme d'affection pour lui. Après tout, ne l'avait-il pas adopté, le nommant son fils ? Il découvrait aujourd'hui que tout cela relevait d'un plan machiavélique, un plan dont il ne parvenait pas à comprendre les raisons. Il fallait vraiment haïr quelqu'un pour se donner tant de mal pour le blesser. Or Callum n'avait rien fait pour éveiller un tel sentiment chez le roi des rats.
Trop choqué pour lutter, Callum ne résista pas quand on le désarma et qu'on lui liait les mains dans le dos. Roderic entra au moment où les soldats finissaient de l'entraver.
— Beau travail, félicita-t-il Edwane.
Il se tourna ensuite vers ses hommes.
— Bâillonnez-le et emmenons-le au roi. Je suis sûr qu'il a hâte de rencontrer l'assassin de son fils.
Callum se laissa entraîner. Il cherchait encore une explication rationnelle à toute cette mascarade. Silus souhaitait la mort du roi autant que lui. Pourquoi l'envoyer le tuer et s'arranger pour que l'opération capote ? À moins que... Edwane avait dit qu'il n'était pas prévu qu'il quitte le palais vivant. Il n'avait pas parlé du monarque. Le père d'Aidan mourrait comme prévu, mais d'une autre main que la sienne. Et lui porterait le chapeau. Clayton, le tueur de prince. Clayton, le fils du traître. Il ferait un coupable idéal. Et pour cause, il l'aurait bel et bien assassiné si on lui en avait laissé l'occasion. Il ne parvenait juste pas à comprendre pourquoi on lui avait volé sa vengeance. Cependant, il était sûr d'une chose. Si Silus le détestait à ce point, il ne donnait pas cher de la peau d'Aidan. Quel idiot il avait été de ne pas le sortir de là quand c'était encore possible ! Il aurait dû suivre les conseils d'Esmée et s'enfuir loin de tout ça. Maintenant, ils allaient mourir tous les deux.
Le roi les attendait dans la salle du trône. Callum eut à peine le temps de l'apercevoir, qu'un coup à l'arrière de la jambe le fit tomber à genoux. Une main solide lui appuya ensuite sur la nuque pour le forcer à plier l'échine. Roderic.
— Lâche-le, Roderic, commanda le roi.
Et la pression disparut. Callum releva la tête et se retrouva face à celui qui avait ordonné l'exécution de son père. L'assassin avait imaginé être envahi par la haine le jour où cela arriverait, mais l'individu devant lui n'était plus que l'ombre du monarque tout puissant qu'il avait connu enfant. Des cernes profonds pochaient ses yeux, affaiblissant son regard autrefois si perçant. Ses cheveux, plus bruns encore que ceux de Callum, étaient maintenant cousus de fils blancs. Il était devenu un vieil homme, un vieil homme fatigué et rongé par le chagrin.
Le roi le dévisagea longuement, comme s'il refusait d'accepter ce qu'il voyait.
— La rumeur était donc vraie. C'est bien toi, Clayton, murmura-t-il. Que les dieux me viennent en aide, tu es son portrait craché.
Le souverain s'éloigna de quelques pas, tournant le dos à Callum comme si sa vision était trop douloureuse pour lui.
— Pourquoi ? Pourquoi Clayton ? Pourquoi avoir tué mon fils ? Aidan t'aimait plus qu'un frère. Tu étais tout pour lui.
Callum serra les poings, rageant de son impuissance. Il aurait voulu crier au roi que lui avait bien fait tuer son meilleur ami, lui dire aussi qu'Aidan était vivant et qu'il courait un grand danger. Il ne réussit qu'à émettre un grognement incompréhensible tandis que de la bave lui coulait sur le menton.
— Enlevez-lui ce maudit bâillon, qu'il puisse répondre à ma question, commanda le monarque.
— Je ne crois pas, Votre Majesté, rétorqua Roderic.
Callum entendit le bruit d'une épée qu'on sort de son fourreau. Il roula sur le côté, évitant de justesse la lame qui lui aurait tranché la gorge.
— Par tous les dieux, Roderic, qu'est-ce que vous faites ? s'écria le roi.
— Cela ne se voit pas. Je défends mon roi. Quel dommage que ce traître de Bellamont ait eu le temps de vous tuer avant que je n'arrive.
Il n'eut pas le temps d'en dire davantage. Un couteau de lancer se planta dans sa poitrine, pile au niveau du cœur. Le temps sembla se figer tandis que l'incompréhension s'emparait des protagonistes.
— Je suis désolé, ce traître de Bellamont est mon ami. Je ne pouvais pas te laisser le tuer, déclara Edwane en haussant les épaules. Bon, fini de jouer. On a un roi à sauver.
Sur ces mots, il sortit un deuxième couteau qui finit sa course dans le cou de l'un des soldats. Le roi, malgré son âge, fut le premier à reprendre ses esprits. Saisissant l'une des épées qui décoraient la salle du trône, il se précipita dans la mêlée aux côtés d'Edwane. Le rouquin avait délaissé les armes de jet pour une courte dague qu'il maniait avec une étonnante désinvolture. À croire qu'il ne se battait pas contre un ennemi en nette supériorité numérique.
Impuissant à les aider, Callum rampa pour se mettre hors de portée des combats. À deux contre quatorze, l'affrontement n'était pas franchement équitable. Edwane et le roi se retrouvèrent à lutter dos à dos pour éviter de se faire submerger.
— Mais il sait se battre le pépé, s'exclama Edwane tandis que le monarque fendait le crâne d'un traître.
Celui-ci ne releva pas, trop occupé à dégager son arme profondément enfoncée dans l'os. Il y parvint juste à temps pour bloquer l'offensive du combattant suivant. De là où il se trouvait, Callum vit un homme les contourner par la gauche pour les attaquer par le flanc. Concentrés sur leurs adversaires respectifs, ni Edwane ni le souverain ne semblait l'avoir remarqué. L'assassin voulut crier pour les avertir, mais seul un grognement pitoyable réussit à passer la barrière du bâillon. Il maudit tous les dieux de l'avoir mis dans une telle situation et se précipita vers le danger. L'individu se tourna vers lui au dernier moment, trop tard pour éviter la collision. L'élan de Callum les envoya tous les deux à terre. Le crâne du type claqua contre le marbre, l'étourdissant juste assez longtemps pour que l'Ombre éloigne son arme d'un coup de pied. L'épée alla se perdre contre le mur, hors de portée de son propriétaire qui se relevait déjà. L'assassin, toujours attaché, ne put rien faire quand l'ennemi le frappa violemment à la mâchoire avant de le soulever par les cheveux pour lui cogner la tête contre le sol. Encore et encore. Alors que sa conscience s'échappait, Callum eut un éclair de lucidité. Il allait mourir. Il allait mourir en sauvant la vie du type qu'il avait juré de tuer.
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