Chapitre 21 - Partie 2


— Ainsi, petit prince, tu refuserais de coopérer à notre grand projet, dit Silus en lui attrapant les cheveux pour l'obliger à relever la tête.

Son regard de prédateur donna à Aidan l'impression d'être une toute petite souris face à un très gros chat. Pourtant, quand il lui répondit sa voix ne trembla pas.

— Plutôt mourir.

Il en fallait plus pour impressionner Silus. Celui-ci partit d'un grand rire qui arracha un frisson à Aidan. Ce type était fou. Un fou furieux qui tenait sa vie — et peut-être bientôt celle de tous les Riglianiens — entre ses mains.

— Tu crois vraiment que tu as le choix ? Vous avez entendu vous tous, il croit qu'il peut décider de qui vit ou qui meurt ici, s'exclama-t-il en lâchant l'héritier pour faire face à l'assistance.

Quelques spectateurs s'esclaffèrent. Les autres se contentèrent de se regarder en silence, semblant se demander avec nervosité quelle réaction leur chef attendait d'eux. Silus finit par se calmer, passant en une fraction de l'hilarité à un sérieux de mauvais augure.

Se tournant de nouveau vers le prince agenouillé devant lui, il le gifla avec une telle violence qu'Aidan se retrouva à terre. Un goût métallique lui emplit la bouche. Il s'était mordu la langue. Silus se pencha vers lui, le tirant par les cheveux pour amener son visage près du sien.

— Tu veux mourir ? Pas de problème, je peux arranger ça, lui dit-il. Mais pas avant que tu es signé ce foutu papier.

— Jamais, répéta Aidan en crachant un glaviot ensanglanté sur son tourmenteur.

Un éclair de pure rage traversa le visage de Silus quand le liquide rosâtre l'atteignit et le prince y vit le reflet de sa propre mort. Le premier coup que Silus lui assena le fit se plier en deux de douleur. Le second lui coupa le souffle et s'accompagna d'un craquement sinistre qui ne laissait rien présager de bon. Après le troisième, Aidan cessa de compter. Recroquevillé en position fœtale, il se contentait d'attendre que cela se termine. D'une façon ou d'une autre. Il n'avait de toute façon que peu d'espoir quant à ses chances de survie. S'il ne le tuait pas tout de suite, Silus se débarrasserait de lui sitôt qu'il ne lui serait plus d'aucune utilité. Étrangement, cette idée lui apporta une certaine paix intérieure. Il avait passé sa vie à redouter le moment où des assassins viendraient mettre fin à ces jours. Maintenant que c'était inéluctable, il ne ressentait plus aucune peur. À peine une pointe de regret à l'idée qu'il n'avait pas réussi à sauver Clayton.

Soudain, les coups cessèrent. Il fallut plusieurs secondes à Aidan pour réaliser que quelqu'un s'était interposé entre lui et Silus. Callum ? Non. L'homme portait un pantalon coloré et non la tenue noire des ombres.

— Ça suffit, ordonna son sauveur en posant une main sur le bras de Silus. Mort, il ne nous sera plus d'aucune utilité.

Celui-ci le dévisagea comme s'il était un cafard dans sa soupe. L'espace d'un court instant, Aidan crut que, pris dans sa folie, Silus allait le tuer lui aussi, tout émissaire de l'Empire qu'il était. Mais un fond de raison apparut dans son regard et il se contenta de se dégager. Il le contourna ensuite pour s'accroupir à côté du prince toujours étendu sur le sol. Le soulevant par les cheveux, il lui chuchota à l'oreille.

— Tu te fiches peut-être de mourir, mais rappelle-toi qu'il n'y a pas que ta vie qui est en jeu, lui murmura-t-il avant de lui tordre le cou vers l'estrade où se tenait Clayton. Fils adoptif ou pas, je n'hésiterais pas une seconde à le sacrifier si cela sert mes objectifs.

À ces mots, Aidan se sentit pris de nausées. Il ne doutait pas un seul instant que Silus mettrait sa menace à exécution. Satisfait de ce qu'il lisait sur le visage du prince, le roi des rats le lâcha. Il se tourna ensuite vers Clayton.

— Emmène-le, j'en ai fini avec lui, déclara-t-il avant de quitter la salle sans un regard pour sa victime ou pour l'émissaire.

L'Islaodien attendit que Silus soit parti pour se pencher sur Aidan.

— Vous allez bien ? Vous pouvez vous lever ?

— Je n'ai pas besoin de votre aide, protesta le prince en tentant tant bien que mal de se redresser.

La dernière chose dont il avait besoin, c'était de la pitié du type qui avait planifié l'invasion de son royaume et le meurtre de son père.

— Si vous le dites, répondit l'Islaodian d'un ton dubitatif. Callum, il est tout à vous.

— Tu peux marcher ? lui demanda à son tour Clayton en l'attrapant par le bras pour l'aider à se remettre debout.

— Je crois. Du moins, si tu ne me lâches...

— Tant mieux, le coupa l'assassin. Alors, ne restons pas là.

Il passa un bras sous l'épaule du prince et entraîna celui-ci vers la sortie. Ils avancèrent ainsi, Clayton portant Aidan plus qu'il ne soutenait.

— Clayton, s'il te plaît, arrête-toi. Clayton ! insista Aidan quand ils se furent éloignés de la salle du trône.

Ses côtes meurtries lui faisaient un mal de chien et surtout, il avait besoin de parler à Clayton. Celui-ci s'arrêta et le plaqua violemment contre le mur, lui arrachant un gémissement de douleur.

— Ma parole, tu es complètement inconscient ! hurla-t-il. Qu'est-ce qui t'as pris d'essayer de t'enfuir ? Tu devais bien te douter que la sortie du repaire serait surveillée. Et où Fleur-de-Lune ? J'espère que tu n'es pas assez stupide pour l'avoir entraînée dans tes bêtises !

À la mention de Fleur-de-Lune, Aidan rougit. Il s'en voulait d'avoir mis la fillette en danger. Heureusement, celle-ci avait réussi à s'enfuir. Les deux brutes ne s'étaient d'ailleurs pas donné beaucoup de peine pour la retenir. À croire qu'ils ne souhaitaient pas vraiment l'attraper. Peu importait, Aidan ne comptait pas se laisser intimider si facilement par Clayton. Pas cette fois.

—C'est moi qui suis totalement inconscient ? Par tous les dieux, Clayton, tu comptes vraiment livrer Riglian à l'empire ?

Clayton baissa les yeux, incapable de soutenir son regard. Aidan y vit une ouverture dans laquelle il s'engouffra.

— S'il te plaît, Clayton, il n'est pas trop tard. Tu peux encore arrêter tout ça. Fais-moi sortir d'ici et allons trouver mon père...

Le visage de Clayton se durcit et Aidan sut qu'il l'avait perdu.

— Ne m'appelle plus jamais Clayton, gronda l'assassin. Clayton est...

—... mort, le coupa Aidan d'un ton amer. Tu l'as déjà dit, mais je sais bien que c'est un mensonge. Clayton, Callum, peu importe le nom que tu portes, tu es toi. Et le garçon que j'ai connu n'aurait jamais trahi son pays.

Le couloir était désert. Il n'y avait qu'eux, si proche et si loin en même temps. Toute cette rancune, cette incompréhension qu'ils ressentaient saturaient l'air, le rendant si dense qu'il aurait aussi bien pu s'agir d'un mur.

— Pourquoi Clayton ? Pourquoi t'accroches-tu à cette vieille rancune comme si ta vie en dépendait ?

— Parce que je n'ai pas le choix, murmura Clayton. Mon père est mort sous mes yeux. J'ai vu...

Sa voix se brisa, révélant une souffrance si sincère qu'elle chassa la colère qui obscurcissait le cœur d'Aidan. Le prince effleura la joue de Clayton, là où les bagues de Silus avaient laissé une légère cicatrice. La mâchoire de l'assassin se contracta, mais celui-ci ne chercha pas à se dérober. Les doigts d'Aidan glissèrent alors dans les mèches brunes.

— Aidan... non...

Mais le prince le fit taire en posant ses lèvres sur les siennes. Clayton resta d'abord de marbre, le corps tendu à l'extrême comme s'il s'apprêtait à se battre et Aidan sentit les larmes lui monter aux yeux. Il s'était trompé, Clayton ne l'aimait pas. Il ne voyait en lui que le fils de l'homme qui avait ordonné l'exécution de son père. Puis quelque chose céda à l'intérieur de Clayton et celui-ci lui rendit son baiser. Un baiser passionné, avide, urgent, presque désespéré.

Aidan ferma les yeux tandis qu'une déferlante d'émotion s'abattait sur lui. Il s'agrippa au cou de Clayton tel un homme sur le point de se noyer. Le monde autour de lui avait disparu, la douleur aussi. Il ne restait plus que Clayton, son corps chaud et puissant qui l'écrasait contre le mur, sa langue qui se mêlait à la sienne.

Quand leurs bouches s'écartèrent, Aidan eut l'impression de remonter à la surface après avoir sombré au plus profond de la mer. Il eut à peine le temps de reprendre son souffle avant que Clayton l'embrasse à nouveau. Cette fois, le baiser se fit plus doux, plus tendre, moins pressé, comme si l'assassin avait enfin rendu les armes. Aidan s'y abandonna complètement, savourant ce moment qu'il n'avait même jamais osé imaginer.

Leurs lèvres finirent par se séparer, mais ils restèrent blottis l'un contre l'autre. Aidan posa sa tête sur l'épaule de Clayton. Ce dernier poussa un long soupir et appuya son front sur le crâne du prince.

— Je suis désolé, Aidan. Vraiment...

Sa voix se brisa et Aidan sentit ses cheveux s'humidifier. Il lui fallut quelques secondes pour réaliser que Clayton pleurait. Cette prise de conscience le bouleversa et les larmes lui montèrent aux yeux.

— Je t'aime, Clayton...

Ses mots n'eurent pas l'effet escompté. Clayton se dégagea et un froid immense envahit Aidan.

— Mieux vaut que l'on ne se voie pas ces prochains jours, déclara l'assassin sans même le regarder.

Comme si rien de tout ça ne s'était passé, qu'il ne venait pas de s'embrasser, qu'Aidan ne lui avait pas ouvert son cœur.

— Clayton, le supplia le prince, mais celui-ci avait reprit son masque impassible. 

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