Chapitre 19
—... Je suis là, Aidan, près de toi. Quoi que tu croies voir, ce n'est qu'un mauvais rêve. Il faut que tu ouvres les yeux.
Aidan se réveilla en sursaut, le corps trempé de sueur et le cœur battant à tout rompre. Des images atroces flottaient encore à la périphérie de sa conscience et il lui fallut quelques secondes pour se rendre que cette chaleur qui l'entourait était celle des bras de Clayton.
— Tout va bien. Je suis là. Tout va bien, lui murmurait ce dernier en le berçant doucement.
Clayton... Clayton était rentré. Il était sain et sauf et le serrait maintenant contre lui.
— Clayton, dit-il d'une voix étranglée. Tu es là. J'ai eu si peur. J'ai rêvé... J'ai rêvé qu'ils te faisaient du mal. Je ne pouvais rien faire, rien du tout.
Il éclata en sanglots. Ce rêve lui avait paru si réel qu'il peinait encore à se persuader qu'il s'agissait uniquement d'un mauvais tour de son inconscient. Pourquoi son esprit s'évertuait-il à le torturer ainsi ? N'était-il pas censé être dans le même camp ?
— Si tu semblais avoir si terrifié, c'est parce que tu t'inquiétais pour moi ? demanda Clayton en lui caressant doucement le dos.
Aidan hocha la tête en reniflant. Maintenant que le cauchemar était fini, il se sentait idiot. Encore une fois, il était le pauvre petit prince qu'il fallait consoler. Il aurait tant aimé qu'une fois, juste une fois, son ami puisse se reposer sur lui. Malgré son envie de se blottir dans la chaleur des bras de Clayton, il se dégagea.
— Je suis désolé, dit-il en essuyant les larmes qui coulaient le long de ses joues. Je suis ridicule à pleurer comme ça comme un enfant.
— Ne dis pas ça, commença Clayton. Tu n'es pas ridicule. Tu es juste...
—... Faible. Affligeant. Pathétique.
— Ce n'est pas ce que j'allais dire...
— Mais c'est la vérité. Même si vous ne m'aviez pas enlevé, jamais je n'aurais pu monter sur le trône.
Clayton ouvrit la bouche, comme pour réfuter cette affirmation, puis la referma en soupirant. Il n'avait jamais été très doué pour mentir.
Il resta immobile une longue minute à observer Aidan, qui serrait les poings pour contenir son envie de pleurer. Finalement, il se leva et se dirigea vers son coffre. Il en tira une chemise et un pantalon propre qu'il posa sur le lit.
— Change-toi et rejoins-moi dehors, dit-il avant de quitter la pièce.
Pris au dépourvu, Aidan jeta un regard interrogateur à Fleur-de-Lune, mais celle-ci haussa les épaules pour signifier qu'elle non plus ne comprenait pas ce qui se passait. Elle attrapa ensuite le tas de vêtements et les lui fourra dans les mains comme pour l'inciter à se dépêcher. La perspective de cette sortie improvisée semblait la mettre en joie. Face à cet enthousiasme communicatif, le prince sentit son angoisse s'évaporait. Tant que Clayton était à ses côtés, il ne voyait pas ce qui pouvait lui arriver de mal.
***
Tandis qu'il suivait Clayton dans les couloirs des rats, Aidan songea qu'il avait peut-être fait preuve d'un peu trop d'optimisme. « Il est temps d'apprendre à te défendre » lui avait dit l'assassin quand il lui avait demandé où il l'emmenait et le prince avait peur de deviner ce que cela signifiait. Il jeta un regard à Fleur-de-Lune qui trottinait gaiement entre eux, visiblement ravie de se retrouver avec les deux hommes. Au moins, l'une d'entre eux prendrait du plaisir à cette sortie. Il doutait fort que ce soit son cas.
Ses craintes se confirmèrent quand ils pénétrèrent dans ce qui ressemblait fort à une aire d'entraînement.
— Je ne suis pas sûr que... commença-t-il quand Clayton lui présenta une dague.
— Tu préfères rester faible, le coupa l'assassin. Qu'est-ce que tu as dit d'autre ? Affligeant. Pathétiques.
Aidan avala sa salive. L'idée d'affronter l'ombre, même pour de faux, le terrifiait. Mais il en avait aussi marre d'avoir peur, de se sentir impuissant... Il tendit donc une main tremblante vers l'arme.
— Je sais que tu n'aimes pas la violence, reprit Clayton dont le ton s'était adouci. Mais parfois, on n'a pas le choix. Maintenant, mets-toi en position.
— Tu ne prends pas d'arme ? demanda Aidan.
Le léger sourire qui étira les lèvres de son ami fit rougir le prince. Clayton ne le jugeait pas assez dangereux pour s'équiper d'une arme. Ce constat, bien que sans doute largement mérité, le mit en colère. Il chargea alors, lame en avant. Son adversaire, nullement impressionné par son attaque, bloqua le coup d'un simple mouvement du poignet. De l'autre main, il frappa Aidan à la gorge. Celui-ci lâcha la dague et tomba à genoux, le souffle coupé. Fleur-de-Lune se précipita vers lui.
— Laisse-le, Fleur-de-Lune, dit Clayton. S'il s'agissait d'un combat réel, il serait mort.
La petite fille lança à l'assassin son regard le plus noir, mais s'écarta tout de même.
— Ramasse ton arme et relève-toi, ordonna Clayton d'un ton sec.
Aidan sentit les larmes lui monter aux yeux. Clayton avait frappé pour faire mal et le prince ne comprenait pas ce qu'il avait fait pour mériter un tel traitement.
— Si ton objectif est de me montrer que je ne serais jamais capable de te tenir tête, c'est bon, j'ai compris, s'exclama-t-il en massant sa gorge douloureuse. On peut passer à autre chose.
— J'ai dit : debout, gronda Clayton en l'attrapant par le col de sa chemise pour le remettre sur pieds. Maintenant, ramasse cette putain de dague.
Aidan obéit, effrayé par l'aura meurtrière qui se dégageait de l'ombre. Il resta là, arme à la main, tremblant comme une feuille.
— Qu'est-ce que tu attends ? Attaque !
Le prince s'exécuta sans grande conviction, paralysé par la peur de souffrir.
Cette fois, Clayton esquiva l'attaque en se décalant d'un pas sur le côté. Il n'eut cas tendre la jambe pour qu'Aidan, emporté par son élan, trébuche et s'écrase la tête la première dans la sciure. Quand celui-ci chercha à se relever, l'assassin l'attrapa par les cheveux et lui plaqua le visage au sol.
— Tu n'arrives même pas à me blesser alors que je suis désarmé. Comment espères-tu te défendre contre quelqu'un qui viendrait te tuer ?
Des larmes coulaient maintenant sur les joues du prince. Les souvenirs de toutes les brimades subies pendant son enfance remontèrent à la surface. Les rires cruels de ses persécuteurs. Les chuchotements dans son dos où qu'il aille : « faible, pathétique, pitoyable ». Ses suppliques pendant que ce monstre plantait son poignard dans la poitrine de Derik. Ce sentiment d'impuissance qui ne l'avait jamais quitté et qui le poursuivait jusque dans ses rêves. Il ne voulait plus jamais ressentir ça !
À tâtons, il chercha la dague qui lui avait échappé. Ses doigts finirent par se refermer sur la garde et, faisant fi de la douleur qui lui vrillait le crâne, il se retourna et frappa Clayton. La lame au bord émoussé ricocha sur l'épaule de l'ombre, si violemment que le choc l'arracha des mains du prince. Une grimace se dessina sur le visage de son adversaire, mélange de douleur et de surprise. L'assassin ne s'attendait visiblement pas à être touché. Aidan devait exploiter ça à son avantage. Toujours à quatre pattes, il bondit vers l'arme.
Clayton fut plus rapide. Il repoussa brutalement Aidan et se saisit de la dague qu'il braqua sur l'héritier. Celui-ci en cogna le sol de frustration. À son grand étonnement, les lèvres de l'assassin esquissèrent un rictus amusé, une ébauche de sourire qui s'élargit progressivement jusqu'à se muer en francs éclats de rire. Une réaction si incongrue de la part de l'ombre qu'elle fit fondre la colère d'Aidan. Le rire de Clayton, voilà un son qui lui avait manqué.
Une fois calmé, Clayton aida Aidan à se relever.
— Tu vois que tu es capable de te défendre, lui lança-t-il en lui rendant l'arme. Mais il va falloir faire quelque chose pour tes cheveux. Il offre une prise trop facile pour l'adversaire.
Le regard du prince passa de la lame qu'il tenait à la main aux boucles blondes qui lui tombaient sur les épaules. Ses cheveux clairs hérités de sa mère qui ne lui avait toujours valu que du mépris à la cour de son père. Il en attrapa une poignée et coupa.
— Comme ça ? demanda-t-il, une pointe de défi dans la voix.
Fleur-de-Lune applaudit bruyamment, mais aucun de ses compagnons ne lui prêta attention. Les yeux d'Aidan ne quittaient pas Clayton qui, lui, fixait les mèches qui se mêlaient à la sciure d'une expression indéfinissable sur le visage.
Il fit un pas en avant et Aidan ne put s'empêcher de reculer devant son regard de prédateur. Mais son dos ne tarda pas à heurter un mur, et il se retrouva acculé, coincé entre la cloison et Clayton.
Aidan frémit quand celui-ci leva la main dans sa direction, persuadé que son geste de défi avait fâché l'assassin, mais Clayton se contenta de la glisser dans sa chevelure désormais asymétrique. Son corps, tout contre le sien, était chaud, presque brûlant. Il sentait la sueur à laquelle se mêlait un parfum capiteux, presque sucré, un parfum de femme. Un sentiment étrange étreignit le cœur d'Aidan. Qu'avait donc fait Clayton pendant cette longue absence. Et avec qui ?
— Clayton... murmura-t-il.
Mais celui-ci ne semblait pas l'entendre. Sa poitrine se soulevait et s'abaissait à un rythme bien trop rapide et ses yeux noirs étaient empreints d'une lueur anormale. Sa poigne se resserra sur les cheveux du prince, se faisant presque douloureuse.
— Clayton... gémit Aidan. S'il te plaît, lâche-moi, tu me fais mal.
Le regard de l'assassin, son expression, tout cela l'effrayait. Clayton avait totalement disparu, il ne restait plus que Callum. Une bête sauvage, imprévisible, dangereuse. Il tenta de le repousser, mais autant essayer de faire bouger un mur. De sa main libre, l'assassin attrapa les poignets du prince et les souleva au-dessus de sa tête.
—Clay... Callum, s'il-te-plaît, lâche-moi.
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