Chapitre 11
Aidan se réveilla, blotti contre un corps chaud. L'espace d'un instant, il se crut dans sa chambre au palais en compagnie de Derik, puis les souvenirs lui revinrent comme une claque en plein visage. Cet homme, son poids sur lui, son odeur, Clayton... Clayton. Clayton avait tué son agresseur. Clayton qui était venu se coucher à ses côtés, comme quand ils étaient enfants et qu'il n'arrivait pas à trouver le sommeil sans sa présence rassurante.
Prudemment, pour ne pas déranger le dormeur, il se redressa sur un coude. La lampe accrochée près de la porte brillait toujours, jetant des ombres dans la pièce et sur le visage endormi de l'assassin. Le sommeil adoucissait ses traits, le faisant paraître plus jeune, presque vulnérable avec ses boucles brunes qui lui tombaient devant les yeux. Le regard d'Aidan descendit un peu plus bas, sur sa poitrine qui se soulevait et s'abaissait à un rythme régulier. Clayton lui avait cédé son unique couverture et s'était couché tout habillé. Sa chemise entrouverte laissait apparaître la cicatrice qui courait le long de sa clavicule. Aidan se demanda à quelle blessure il devait une marque pareille et combien d'autres se cachaient sous le vêtement ? Combien d'horreurs avaient subi le gentil garçon qu'il connaissait avant de se transformer en un tueur au sang-froid ?
Quelque chose dérangea Callum qui gémit doucement.
— Non, non, murmura-t-il, visiblement en proie à un cauchemar.
Le cœur d'Aidan se serra et, pris d'une soudaine impulsion, il se mit à fredonner la chanson que lui chantait son ami quand il ne parvenait pas à se rendormir, celle-là même dont il avait prétendu ne pas se rappeler. Peu à peu, le visage de Clayton se détendit et son souffle ralentit. L'espace d'un court instant, il ressembla à l'enfant qu'il avait été.
Des coups frappés à la porte brisèrent la sérénité de ce moment. Clayton émergea brusquement du sommeil, la main déjà posée sur la dague qu'il gardait près de lui. Si la présence d'Aidan à ses côtés le surprit, il n'en laissa rien paraître.
— Callum, on sait que tu es là. Ouvre, cria quelqu'un.
L'assassin se leva pour tirer le verrou qui les protégeait jusque-là. Deux hommes vêtus de noir apparurent. Des ombres. Aidan se tassa malgré lui.
— Silus veut te voir, dit l'un des nouveaux arrivants.
Ici, dans leur repaire, les tueurs ne se donnaient pas la peine de masquer leur visage. Aidan s'étonna des traits juvéniles de l'individu qui avait parlé. Ses cheveux roux trahissaient ses origines étrangères. Un esclave en fuite, probablement. Quand leurs regards se croisèrent, le garçon lui sourit. Un sourire légèrement moqueur, mais qui ne contenait aucune hostilité. Ses yeux verts descendirent sur la chemise trop grande que portait le prince et Aidan se sentit rougir, bien malgré lui.
— Si tu veux bien poser ton arme, reprit le Rat en reportant son attention sur Clayton.
Celui-ci déposa son arme sur la table d'un air neutre, presque blasé. Comme si cette remarque n'impliquait pas que les deux assassins étaient venus l'arrêter pour le conduire devant leur roi.
— Allons-y, dit-il avant de se tourner vers Aidan. Referme derrière nous et n'ouvre à personne.
***
Callum suivit ses collègues à travers les galeries familières, bien conscient du sort qui l'attendait. Marcurio était le plus vieil ami de Silus. Ce dernier ne laisserait pas son meurtre impuni. L'assassin le savait depuis le début et avait agi en connaissance de cause. Il ne fut donc pas surpris de trouver la croix dressée en arrivant dans la grande salle. Le sang de ceux qui étaient passés par là avant lui avait imprégné le bois. Le fouet, le châtiment de ceux qui refusaient de se soumettre à l'autorité toute puissante du roi des Rats.
Celui-ci patientait, assis bien droit sur son trône. Il ne paraissait pas particulièrement en colère, mais il ne fallait pas s'y fier. Callum n'espérait aucune clémence de la part de cet homme qui prétendait pourtant le considérer comme son fils. Debout à ses côtés, l'envoyé de l'empereur regardait la scène avec intérêt. L'Ombre serra les poings. La présence de cet étranger représentait une humiliation supplémentaire qui venait s'ajouter à sa punition.
— Callum, l'accueillit Silus. Tu sais pourquoi tu es là ?
— Oui. Parce que j'ai tué Marcurio.
Il ne chercha pas à se justifier et Silus ne lui demanda pas de le faire. Pas ici. Pas devant tout le monde.
— Tu connais les règles ?
— Oui.
— Et le sort réservé à ceux qui les enfreignent ?
Callum frémit légèrement. Il avait vu des hommes être brisés ou mourir sous les coups de fouet.
— Oui, acquiesça-t-il de nouveau.
Silus sourit et lui indiqua la croix. L'assassin s'y dirigea de son plein gré. Autour de lui, la foule l'observait, silencieuse, mais Callum savait que nombre d'entre eux savouraient ce moment. Ils enviaient sa relation avec Silus. S'il connaissait la vérité, peut-être changerait-il d'avis. Encore que... Le monde des Rats était si impitoyable que beaucoup s'avéraient prêts à tout pour y survivre.
L'air aussi imperturbable que s'il s'apprêtait à s'entraîner à la lutte, Callum retira sa chemise. On le sangla ensuite face au poteau, les bras attachés à la partie verticale de la croix. Pavo, le bourreau, tira sur ses entraves pour s'assurer de leur solidité. Satisfait de son ouvrage, il recula d'un pas en attendant les ordres de Silus.
Le dispositif avait été positionné de façon que les gens sur l'estrade puissent voir le visage du supplicié pendant la punition. Malgré l'angoisse qui faisait battre son cœur plus vite, Callum se força à demeurer impassible. Il n'offrirait pas à Silus le plaisir de supplier ou de se débattre.
Edwane s'approcha de lui avec son petit sourire habituel.
— Ouvre la bouche, ordonna-t-il.
Callum s'exécuta et Edwane y plaça un morceau de bois recouvert de cuir. Ils échangèrent un regard et l'assassin y lut une sollicitude qu'il n'aurait pas pensé y trouver. Inconsciemment, il serra les dents sur l'objet destiné à l'aider à supporter la souffrance de la flagellation.
Le bourreau sortit le fouet qu'il se plut à montrer à sa proie. Callum n'avait jamais aimé ce type, une brute épaisse, pas assez bon combattant pour prétendre au titre d'Ombre, mais avec un goût certain pour la torture dont Silus avait vite vu l'utilité.
— Combien de coups ? demanda Pavo.
— Cinquante, répondit Silus.
Un murmure traversa l'assistance. Cinquante, c'était beaucoup. Callum en garderait probablement des séquelles. Les Rats ne s'attendaient pas à ce que leur roi fasse preuve d'autant de sévérité envers son fils adoptif. Mais personne, pas même le principal intéressé, ne protesta et Pavo prit place derrière sa victime.
Le son atteignit Callum avant la douleur : un claquement dans l'air, le bruit du cuir frappant la chair et, seulement après, la brûlure de la peau qui se déchire. Celle-ci eut à peine le temps de s'estomper que le fouet s'abattit de nouveau. Encore et encore. L'assassin posa le front sur le poteau de bois et son esprit dériva loin de tout ça. Il avait appris cette technique de distanciation des années auparavant. Une chanson familière, la même qu'il avait refusée à Aidan la veille, resonna à ses oreilles, audible de lui seul.
Il ne se rendit pas tout de suite compte que les coups s'étaient arrêtés. Quelqu'un, probablement Edwane, lui retira le bâillon, et il reprit peu à peu conscience de ce qui l'entourait, de sa respiration saccadée, de sa peau recouverte de sueur... Il fit jouer les muscles de son dos pour constater les dégâts. Mauvaise idée. Un feu brûlant traversa les terminaisons à vif, lui arrachant un grognement de douleur.
La voix de Silus lui parvint, à la fois lointaine et extrêmement proche. Il releva la tête et découvrit son visage à quelques centimètres seulement du sien.
— J'espère que tu as compris la leçon et que tu te souviendras désormais où est ta place.
Callum avala sa salive. Il savait que son maître attendait une réponse audible pour toute l'assistance.
— Oui, articula.
Dans l'état où il se trouvait, alors même que rester conscient requérait toute sa volonté, ce simple mot lui demanda un effort insoutenable, mais il comprit à l'expression de Silus que ce n'était pas suffisant.
— Je... Je suis désolé de vous avoir déçu, reprit-il avec l'impression qu'on lui passait la gorge au papier de verre. Vous pouvez compter sur ma loyauté.
Satisfait, Silus recula.
— Détachez-le, ordonna-t-il avant de faire demi-tour et de quitter la pièce comme si le sort de son fils adoptif ne l'intéressait plus.
Callum surprit le regard de Nabal-Dar pendant qu'on tranchait ses liens, les nœuds étant trop serrés pour qu'on puisse les défaire autrement. Il avait probablement déjà assisté à ce genre de spectacle. L'empire était réputé pour sa justice impitoyable. Il se murmurait même que l'impératrice dorée empalait ses opposants à l'entrée de sa capitale pour dissuader quiconque de la défier. Et Silus souhaitait lui livrer Riglian !
Quand la dernière corde céda, Callum sentit ses jambes flageller, incapable de porter son poids. Il se serait effondré si Edwane ne s'était pas glissé à ses côtés pour le soutenir. Quoique vaguement étonné, il accepta son aide avec reconnaissance.
— Merci, souffla-t-il quand ils atteignirent le couloir.
— Il n'y a pas de quoi, répondit Edwane. Tu aurais fait la même chose si j'avais été à ta place.
Callum savait que c'était faux. Il n'aurait pas levé le petit doigt pour venir en aide à son collègue. De plus, le rouquin ne serait jamais mis dans une telle situation.
— Je suis désolé, murmura-t-il. Pour ton maître...
— Ne le sois pas, Marcurio était une brute. Je ne le regretterai pas.
En voyant le sourire de son compagnon, Callum fut pris d'un doute. Il s'arrêta brusquement, manquant de faire chuter leur fragile duo.
— Tu... Tu savais qu'il allait s'en prendre au prince. Et tu te doutais que je le buterais pour ça.
Edwane détourna les yeux.
— Si c'était vrai, qu'est-ce que ça change ? Tu aurais fini par le tuer de toute manière. Les évènements d'hier n'ont fait que précipiter un peu les choses.
Callum dévisagea ce visage d'ange. Il était tombé dans le panneau, oubliant qu'Edwane était un Rat, plus que ça, une Ombre. On ne s'approche pas si près du pouvoir sans une bonne dose d'intelligence.
— Il y avait d'autres moyens, grogna-t-il.
— Ah oui, lesquels ?
— Tu aurais pu le tuer par toi-même.
— Pour finir sur la croix ? Ou pire ? Non, merci.
Callum ne répondit pas. Il détestait l'idée d'avoir été utilisé comme ça, mais ne parvenait pas à en vouloir vraiment à Edwane. Le garçon avait eu le courage de s'affranchir de son maître, ce dont lui-même rêvait depuis des années.
Ils reprirent la route en silence.
— Tu m'en veux ? demanda Edwane alors qu'ils arrivaient devant la chambre de Callum.
— Pas assez pour te tuer si c'est ça qui t'inquiète, lui répondit l'assassin.
— Mais tu m'en veux.
— Qu'est-ce que cela peut te faire ? Ce n'est pas comme si on avait été amis un jour.
— Rien ne nous empêche de le devenir, murmura Edwane.
Son sourire disparu, il ressemblait à un enfant triste. Callum se força à passer outre cette impression. Plus jamais il ne sous-estimerait les talents de comédien de son jeune collègue.
— Une guerre se profile, reprit le rouquin. Si tu veux être en mesure de protéger ceux auxquels tu tiens, tu auras besoin d'alliés. Je pourrais être l'un d'eux.
— Tu voudrais que je t'accorde ma confiance ? Après ce que tu as fait ? réagit Callum.
Comment Edwane pouvait-il lui demander d'être son ami alors que son dos était à vif à cause de sa roublardise ? Qu'Aidan ne se remettrait probablement jamais totalement de ce nouveau traumatisme ?
—J'aurais pu nier, répliqua Edwane, tu aurais peut-être eu des doutes, mais aucune certitude. J'ai choisi de tout te dire. Tu sais ce dont je suis capable pour atteindre mes objectifs, et moi, ce que tu es prêt à faire pour protéger ceux que tu aimes.
— Je n'aime pas le prince. Son père a tué le mien et il n'a rien fait pour l'empêcher.
— Qu'aurait-il pu faire ? Ce n'était qu'un gosse, comme toi, comme moi quand je suis arrivé ici. Il n'est pour rien dans cette histoire, et, si tu refuses encore de l'admettre, ton cœur, lui, connaît la vérité. Tu n'aurais pas tué Marcurio si ce n'était pas le cas.
Hello, comment allez-vous ?
Que pensez-vous de l'évolution de la relation entre Aidan et Callum ? Et la punition pour le meurtre de Marcurio ? Est-ce ce à quoi vous vous attendiez ? Et selon-vous, Silus va-t-il en rester là ?
A bientôt,
Abigaël
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