Chapitre 1 - Partie 1
Quand Aidan ouvrit les yeux, la chambre était plongée dans l'obscurité. Les servants n'étaient pas encore venus tirer les lourds rideaux qui obstruaient les fenêtres. A côté de lui, sa mère dormait profondément. Il entendait sa respiration calme et profonde. L'enfant se blottit contre elle, s'imprégnant de son odeur. Elle sentait si bon, une odeur sucrée qui lui rappelait l'enfance, le temps du bonheur et de l'insouciance. Il secoua la tête pour chasser cette pensée qui semblait appartenir à quelqu'un d'autre et cette douleur inconnue qui l'accompagnait, comme si un poids immense comprimait sa poitrine. Les larmes lui montèrent aux yeux sans qu'il sache pourquoi.
— Maman, murmura-t-il. Maman, tu dors ?
Sa mère grogna et se tourna de l'autre côté. Il hésita. Elle était si fatiguée en ce moment. C'était parce qu'elle avait beaucoup de soucis. Tout le monde ici était méchant avec elle. Elle disait que ce n'était pas grave, qu'il ne devait surtout pas s'inquiéter pour ça, mais il connaissait la vérité qui se cachait derrière les sourires rassurants. Il l'entendait pleurer le soir quand elle croyait qu'Oniri, gardienne des rêves l'avait pris sous son aile protectrice. Dans ces moments-là, il serrait les poings et enfouissait son visage dans l'oreiller pour empêcher ses propres larmes de couler. Il aurait voulu l'aider, mais que pouvait-il faire du haut de ses cinq ans ? Les grands se moqueraient de lui. Si seulement son père était là, ils feraient moins les malins, tous ces vautours dont les ricanements les poursuivaient où qu'ils aillent. Mais il était parti en voyage depuis des mois, les laissant tout seuls. Comme toujours. Depuis le temps, l'enfant s'était habitué à ses longues absences. C'était ça, d'avoir le roi pour père. De lourdes responsabilités pesaient sur ses épaules, et un jour, le tour d'Aidan arriverait, charge à lui d'assurer la sécurité et le bien-être de son peuple. Une perspective qui effrayait le jeune garçon au plus haut point. Et s'il ne s'avérait pas à la hauteur de son rang ? S'il décevait les attentes qu'on plaçait en lui, l'unique héritier de sa dynastie ? Lorsque sa mère l'emmenait rendre hommage aux dieux ou distribuer l'aumône, il sentait bien que la population attendait beaucoup de lui. La foule se pressait autour de lui, criant son nom. Des femmes tendaient les mains pour le toucher quand il leur donnait une pièce ou un morceau de pain. A l'extérieur de ces murs, les gens l'aimaient, un amour si inconditionnel que parfois il lui coupait le souffle. Il ne supportait pas l'idée qu'un jour, ils puissent se détourner de lui.
Incapable de retrouver le sommeil, il se glissa en dehors des couvertures, frissonnant au contact du sol glacé sous ses pieds. Il jeta un dernier regard vers sa mère, puis, le plus silencieusement possible quitta la chambre qu'ils partageaient.
La lune haute s'infiltrant par la fenêtre baignait l'antichambre d'une douce lueur. Aidan se glissa par la porte entrouverte et s'approcha de la paillasse d'Aela. La jeune esclave originaire de Nouerdia était la première servante au service de la reine. A ce titre, elle ne quittait jamais sa maîtresse, dormant au seuil de la chambre pour que celle-ci puisse l'appeler en cas de besoin.
— Aela, je n'arrive pas à dormir. Tu peux me raconter une histoire ? demanda-t-il en s'agenouillant à côté d'elle.
Pas de réponses.
— Aela, s'il te plaît, insista-t-il en la secouant légèrement.
Le tissu sous ses doigts était humide. Surpris, il regarda ses mains et constata qu'elles étaient tachées de rouge. Il les essuya sur sa chemise de nuit, laissant de longues traînées sur le vêtement blanc.
— Aela, appela-t-il d'une petite voix plaintive qui trahissait son inquiétude. Aela, réveille-toi, s'il te plaît.
Il la secoua plus fort. Son corps était aussi mou qu'une poupée de chiffon. Il sentait confusément que quelque chose clochait, mais son cerveau d'enfant refusait encore d'admettre la cruelle vérité.
— Je crains fort qu'elle ne se réveille plus jamais, fit quelqu'un dans son dos.
Aidan se retourna. Un homme entièrement vêtu de noir se tenait à l'entrée de la chambre de la reine. Un masque de cuir cachait le bas de son visage dont la partie supérieure était dissimulée dans l'ombre d'une capuche. Le regard du prince passa d'Aela au grand couteau que tenait l'individu. Du sang frais gouttait de la lame tachant le sol en pierre. Derrière lui, il apercevait le grand lit où dormait sa mère. Les rideaux étaient grands ouverts. Un rayon de lune se faufila jusqu'à la couche révélant la longue entaille qui marquait son cou. Aidan hurla, un hurlement qui tenait plus de l'animal blessé que de l'être humain.
L'homme fit un pas vers lui. Terrifié, Aidan tenta de reculer, mais il bascula en arrière et atterrit sur les fesses.
L'assassin posa un genou à terre pour se mettre à sa hauteur, plongeant ses yeux dans ceux de l'enfant. Un regard bicolore que celui-ci ne pourrait jamais oublier.
Terrifié, le prince hoquetait pitoyablement, secoué de sanglots qui l'empêchaient de respirer, et à plus forte raison, de parler. L'homme lui caressa la joue y laissant une trace humide. Du sang ! Le prince gémit de plus belle. L'inconnu émit un bruit qui ressemblait vaguement à un rire et se pencha pour lui murmurer à l'oreille :
— Ne t'inquiète pas, petit prince. Ton heure n'est encore pas venue. Mais sois sûr d'une chose : un jour, je reviendrais pour toi.
Ces derniers mots saisirent le prince d'effroi. Il resta figé, pétrifié par l'horreur tandis que le monstre se relevait et quittait la pièce sans un regard pour l'enfant tremblant de peur qu'il laissait derrière lui.
Il resta ainsi pendant de longues minutes avant de trouver la force de bouger. Ses jambes vacillèrent quand il essaya de se mettre debout. La nuit était froide et il frissonnait dans sa chemise trop légère. Il jeta un coup d'œil au corps de celle qui, au fil du temps, était devenue pour lui comme une seconde mère. Cette vision ne lui inspira rien. Il se sentait vide comme si le froid qu'il ressentait à l'extérieur avait gagné l'intérieur, engourdissant son esprit et son cœur comme il engourdissait ses muscles.
Titubant comme un ivrogne ayant bu trop de vin, il abandonna le cadavre de l'esclave et se dirigea vers la chambre. La reine était allongée sur lit, ses longs cheveux blonds étalés sur l'oreiller. La lune, compagne fidèle, éclairait son visage. Elle semblait paisible et l'enfant aurait pu croire qu'elle dormait s'il n'y avait pas eu tout ce sang.
Aidan resta figé à l'entrée de la pièce, dans l'incapacité d'admettre ce que ses yeux lui montraient.
Les gardes royaux surgirent à ce moment-là, l'épée au clair. Il ne leur fallut pas longtemps pour comprendre la situation. Ils rangèrent leur arme et l'un d'eux s'approcha du prince.
—Par tous les dieux, votre altesse, vous êtes couvert de sang. Etes-vous blessé ?
Aidan reconnut Roderic, l'un des membres de la garde royale. Il secoua la tête, sans quitter sa mère du regard. Le soldat jeta un coup d'œil à son collègue qui examinait le corps de la reine.
— Elle est morte. Il n'y a plus rien à faire.
En entendant ces mots, le prince sentit quelque chose se réveiller en lui. La gangue de glace qui engourdissait son cœur se fissura et celui-ci se brisa en morceaux.
— Non, non, vous mentez ! Maman ! Maman, s'il te plaît, réveille-toi. Ne me laisse pas tout seul. Maman ! cria-t-il en se précipitant vers elle.
Le garde s'interposa, l'empêchant d'approcher du lit.
— Votre Altesse, vous ne devriez pas...
— Lâchez-moi, lui ordonna Aidan en lui donnant un coup de pied dans le mollet.
Surpris, le soldat le lâcha. L'enfant en profita pour rejoindre sa mère. Il lui prit la main et la posa sur sa joue, comme elle le faisait souvent.
— Je suis là, maman. Je t'en prie, reviens. J'ai besoin de toi.
Les soldats, affligés, se regardaient en silence. Ils n'avaient pas été formés à gérer ce genre de situation. Ce fut finalement Roderic, qui malgré son jeune âge, prit la direction des opérations.
— Que quelqu'un prévienne Lord Bellamont, ordonna-t-il. Je veux également deux hommes devant la porte. Personne ne doit entrer dans cette pièce tant qu'il ne l'aura pas autorisé. Les autres, réveillez tout le monde. Il faut fouiller chaque pièce du château. L'assassin est peut-être encore entre ces murs. Quant à moi, je m'occupe du prince.
Ses collègues acquiescèrent, soulagés que quelqu'un leur dise quoi faire. Quand les hommes se furent dispersés, Roderic s'approcha d'Aidan.
— Je suis désolé, votre Altesse. Elle est morte. Je sais que ce n'est pas facile à entendre, mais vous devez l'accepter.
Aidan continua de serrer la main de sa mère sans prêter attention au garde.
— Votre Altesse, je vous en prie, insista ce dernier. Vous devez la laisser partir. Venez avec moi. Nous allons vous nettoyer de tout ce sang.
Aidan secoua la tête. Il savait que s'il la quittait, il ne la reverrait plus. Perdant patience, Roderic souleva le prince pour l'éloigner de force. L'enfant se débattit, distribuant coups de poing et coups de pieds, mais l'homme était bien plus fort que lui.
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