Abigaïl Crystalla Madgat

Lorsque Crystalla sentait la douleur des coups, le fer rouge à même sa peau. Quand les humains – l'étaient-ils encore ? – lui enfoncèrent des pieux un peu partout et lui arrachèrent les yeux, ses pensées n'étaient tournées que vers une seule chose.

Le passé.

Elle se remémorait son désespoir, sa vie en Amérique.

Elle se rappelait sa famille.Famille.

Alors, avant que la mort ne l'emporte, elle décida de rappeler à elle l'histoire.

Son histoire.

Parce que c'était toujours moins douloureux que de se laisser mourir.

Abigaïl était une fillette obéissante. Née en 1850 à Washington, elle avait appris très tôt les notions de respect, de silence aussi. Elle savait qu'étant une fille différente des autres, il ne fallait pas qu'elle se fasse remarquer.

C'était pour ça qu'elle se taisait. Et observait.

Oui, elle aimait regarder les autres, avec un air impassible. Les voir, se tortiller, mal à l'aise, sous son regard rouge. Souvent, son père lui disait de ne pas le regarder lorsqu'il lui parlait.

Il avait peur d'elle et de sa différence.

Crainte de son regard. Effroi de ses cheveux – si blancs que la neige en paraissait grise – qui virevoltaient. Parfois, quand son cousin passait près d'elle, il accélérait le pas, par inquiétude de toucher sa peau pâle.

Parce que, tous, ils avaient peur d'elle. Ils étaient terrifiés.

Et elle, elle ne comprenait pas pourquoi. Son père et sa mère étaient normaux. Elle ignorait bien sûr qu'en réalité, s'ils portaient tous deux, le gêne de la maladie, n'en étaient pas malade.

C'était à l'époque.

La douleur devint tout à coup plus forte. Un coup plus puissant que les autres.

Elle suffoqua.

Le fil de ses pensées se perdit. Lentement, elle réussit à se calmer, alors que la torture continuait. Il fallait qu'elle se concentre.

Elle ne devait pas oublier.

Un jour, quant elle eu onze ans, ses parents furent tués. Un attentat alors qu'ils quittaient le Sud, après des vacances.

La guerre avait éclaté.

Le reste de sa famille ne voulait pas d'une albinos. Ils ne voulaient pas d'elle. Elle fut confiée à un tuteur, temporairement.

Elle en aurait ri si seulement elle savait ce que signifiait le mot « rire » !

Quelle hypocrisie avait-elle pensé en voyant l'homme – un vieux soldat à la retraite dont la principale raison de vivre était l'alcool – car sa vie de jeune fille ne pouvait décemment se passer comme celle des autres !

Sa vie n'était qu'une longue répétition des même scènes. Comme une pièce de théâtre. Elle restait confinée dans une chambre miteuse. La bonne lui apportait ses repas, lui jetant des regards effarés. Etait-ce à cause de sa condition où de son apparence, Abigaïl ne l'avait jamais su.

Elle s'en fichait en fait.

Ses parents ne l'aimaient peut être pas, mais ils avaient été bons envers elle. Et ils étaient sa famille.

Famille.

Ce mot ne voulait plus rien dire.

Elle sourit dans la souffrance. Un grognement de colère résonna et un coup de poing dans les côtes le lui retira bien vite.

Pourtant, alors que doucement, la mort accueillait sa conscience, elle souriait toujours.

Souvenirs chéris.

Lorsqu'elle eut treize ans, en 1863, elle réussit à s'enfuir. La seule chose qui l'aidait à tenir était la petite lucarne qui lui permettait de voir les étoiles. Elle les trouvait si belles, si brillantes... Elle aurait voulu être une étoile pour ne plus être « différente ». N'être qu'une partie de la lumière. C'était pour cela qu'elle s'était échappée.

Car c'était le point culminant.

Le vieil aigri, non contente de l'enfermer, avait décidé de la fiancer. Sans le lui dire. Ou plutôt en lui jetant l'information après avoir bu plus que de raison.

Alors elle était partie.

Brisant les derniers liens avec son ancienne vie.

Ou avec sa vie entière.

Malheureusement, la malchance poursuivit l'enfant qui avait dans l'idée d'aller se réfugier au Canada – pays libre de toute guerre. Mais son physique aidant, elle fut vite retrouvée et elle dut se mettre à fuir, non plus seulement son tuteur, mais bien, une bonne partie de la police.

Elle n'avait pas peur.

Elle ne savait plus ce que signifiait ces mots – peur, terreur, crainte, effroi, inquiétude – parce que pour elle le courage était de l'inconscience.

Elle aurait voulu mourir plutôt que de retourner chez eux.

Parce que ce n'était pas chez elle. Ce n'était pas <spa: sa maison.

Encore un peu.

Elle cracha du sang. Son sang.

Elle se savait mieux seule.

Elle avait toujours été seule !

Elle tomba, au cours de sa fuite, sur une querelle entre une réserve d'Indiens et des sorciers américains. La querelle dégénéra en bataille.

Le temps était à l'affrontement et à la mort.

Alors qu'elle tentait de partir du site, elle se retrouva prise entre deux feux. Une nouvelle fois, sa physionomie lui joua des tours. Les Indiens la prirent pour une sorcière et la visèrent de leur flèches acérées.

Les sorciers quant à eux, ne firent aucun effort pour l'aider.

Elle n'était qu'une étrangère.

Le secours vint de l'extérieur.

« Elle va bientôt crever ! Autant la laisser là ! »

Perdue dans les méandres de son esprit, c'est à peine si Crystalla distingua les paroles. Le flot de son sang ne semblait jamais vouloir s'arrêter. Chaque partie de son corps était douloureuse, lui indiquant sa mort prochaine.

Encore un peu.

Elle ne sentit pas qu'on la soulevait. Elle était déjà partie.

« Ça va aller, jeune fille ? » Murmura son sauveur.

Elle ne répondit pas, se contentant de s'écarter et de hocher la tête. L'inconnu se retourna vers le combat qui faisait toujours rage, quelques mètres plus loin et soupira :

« Il semblerait que mes affaires avec le chef indien soit compromises. Moi qui pensais aller vite et repartir à la maison. J'ai même le temps de sauver de petites humaines. »

Abigaïl frissonna en entendant le mot « maison » - qu'est ce que c'était déjà ? – et tourna la tête avec une lueur d'étonnement en écoutant les parles suivantes. Elle eut le courage de demander :

« ... Humaine... ? »

« Oui. Toi. » Répondit-il avec un sourire amical.

Elle ne sut si c'était la pression, ce sourire ou simplement autre chose, mais elle se retrouva quelques secondes plus tard à pleurer dans ses bras.

De rage ou de bonheur.

Erèbe la berça doucement, tendrement, lui murmurant des paroles réconfortantes, s'asseyant à même le sol pour mieux la consoler, alors que d'un geste, il faisait taire les interrogations de Marie et Alycia venues le rejoindre.

Cette fillette possédait un pouvoir brut, incroyable.

C'était même étonnant que personne n'en ait fait une sorcière. Mais lui, ne commettrait pas la même erreur. C'est pourquoi, tout naturellement, il lui proposa de rester avec lui.

Abigaïl hésita.

Elle ne savait quoi choisir, même si cet homme semblait digne de confiance. Elle ne savait quoi dire aussi. Pourquoi elle ? Sa différence ne lui faisait pas peur ?

Sa réponse fut simple et courte.

« J'ai besoin de gens puissants. Différents ou non. »

Elle finit par hocher la tête. Lentement, puis de plus en plus rapidement, comme pour se persuader elle-même.

Faisait-elle le bon choix ?

« Viens » Dit-il simplement.

Elle lui prit la main et ils disparurent.

Crystalla était allongée sur un lit.

Infirmerie.

Tout en ayant conscience de son environnement elle se sentait détachée de tout. Elle sentit – ou vit ? – l'infirmière et des professeurs arriver. La révélation de sa condition vampirique ne la surprit pas plus que ça.

Les humains n'étaient pas forcément stupides.

La révélation suivante fut juste la confirmation des pensées de Crystalla – son esprit.

« Elle ne s'en sortira pas. »

Lorsqu'elle découvrit le palais, Abigaïl ressentit à peu près les même sentiments que ressentirait Ginevra, des années après.

De l'émerveillement.

De la méfiance.

Et elle redécouvrit l'appréhension.

Erèbe était gentil et un hôte agréable. Il lui révéla la vérité. Toute la vérité. Son passé. Ses vies. Sa nature.

Son destin.

Elle accepta tout et lui en fut reconnaissante quant, à l'inverse, le Prince ne lui demanda rien sur elle. Elle ferait le premier pas

Peut être.

Il la conduisit dans une chambre, lui indiquant que ce serait la sienne. Puis, doucement, il posa un baiser sur son front. Pour lui dire « Bonne nuit ».

Cette nuit-là, Abigaïl rêva qu'elle restait avec eux pour toujours.

Comme une famille.

Lorsque Erèbe déboula dans la pièce, un air malheureux sur le visage, Crystalla regretta presque de ne pouvoir lui parler.

Presque.

C'était nécessaire pour qu'il réussisse. Et il lui restait Ginevra. Et Alycia. Et Marie, toujours présente depuis sa naissance.

Sa première.

Elle n'était pas indispensable.

Elle ne l'était plus.

« Veux-tu rester avec moi ? »

La question était tombée comme ça. D'un coup. Et Abigaïl – ou Crystalla, comme elle préférait se faire appeler, à cause des étoiles, qui ressemblaient à du cristal – ne savait pas vraiment quoi répondre.

Etait-ce réellement possible ? Qu'il veuille d'elle ?

Elle n'y croyait qu'à moitié. Pourtant, l'air plein d'espoir d'Alycia et le regard tendre de Marie la convainquit que non.

Elle avait trouvé sa famille.

Erèbe la transforma de la même manière qu'il transformerait Ginevra. En douceur. Et lorsqu'elle devint un vampire, c'est son sang qu'il lui offrit en premier. Parce qu'il était son créateur, son maître.

Elle l'aimait plus que tout.

Son Souverain.

Crystalla – son esprit – aurait bien voulu adresser une dernière parole à son Prince. Mais elle ne put.

Elle s'évanouit dans les airs avant. Lorsqu'il la réduit en poussière.

Née de la Poussière, tu redeviendras Poussière...

Qui avait dit cela déjà ?

Et puis, après tout... Quelle importance puisque son esprit était lumière.

Merci pour tout...

Abigaïl « Crystalla » Madgat

Dors parmi les étoiles que tu aimais tant.

Voila un chapitre sur la vie de Abigaïl.

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