Tâches ménagères et autres contrariétés
Le lendemain matin, après une courte nuit, Aaron décida d'avoir une discussion avec Nyssa et Rory au sujet de Niallàn.
Bien entendu, il ne comptait pas leur révéler la vérité à son sujet, mais il avait besoin de leur avis au sujet de l'intégration de l'ancien soldat au sein de leur troupe. Le laisser dans une cellule individuelle n'aiderait pas à le faire accepter des autres rebelles.
Après avoir mangé avec ses deux meilleurs amis, l'Archer se rendit avec eux dans la forêt à une centaine de mètres de leur repère.
— Alors, qu'est-ce qui se passe avec Niall ? questionna Nyssa.
— Comment sais-tu que je voulais vous parler de lui ? rétorqua Aaron.
— Parce que tu étais censé débuter son entrainement et tu me l'as envoyé pour apprendre les techniques de chasse. Ce qui m'a semblé étrange parce que ce n'est pas le plus important, indiqua Rory.
— Il m'agace, répondit l'Archer.
— C'est un peu mince comme justification. Je te rappelle que tu disais la même chose de Farrell. Sans parler de tes prises de tête avec Darick.
— C'est différent.
— Et ? Pourrais-tu être plus explicite ? Parce que je ne suis pas doué pour les devinettes, tu le sais très bien !
— Eux savaient où se trouvait leur place. Niall...
— Oh, oh attends. Tu n'es pas en train de nous faire une petite crise de jalousie ? Ne me dit pas qu'il est meilleur que toi avec un arc dans les mains ?
— Certainement pas !
— Mais il en est proche. Oui, oui je le vois dans tes yeux. C'est un très bon guerrier. Ou du moins un bon archer et il risque très vite de te faire de l'ombre.
— Tu veux mon avis ? Je le crois suffisamment intelligent pour rester à sa place, je veux dire, ne pas agir comme un chef, mais pas assez humble pour se taire.
— Et comme toi, tu ne supportes pas qu'on te contredise, ça va faire des étincelles. Oui je vois le truc. Par contre, on ne peut pas être toujours présents à tes côtés, si c'est ce que tu souhaites. J'imagine que Niall se comportera correctement s'il n'est pas seul avec toi. Hum...tu n'as pas l'air convaincu ?
— Non, en effet. Avec moi, c'est évident qu'il ne tiendra pas sa langue. Je crois même qu'il n'hésitera pas à me contredire sur tout. Et il le fera également devant les autres. Je pense même qu'il se fera un plaisir à me reprendre dès qu'il peut.
— Mais pourquoi ? insista Rory.
— Nous avons eu un échange un peu tendu hier.
— Un peu ?
Aaron tourna le dos à ses amis. Nyssa attendit quelques instants avant de s'approcher de lui et de poser une main bienveillante sur son épaule :
— Tu veux que j'aille parler à Niall ? demanda-t-elle.
Sans tourner la tête vers elle, l'Archer soupira :
— Inutile. J'ai juste...Il m'a parlé d'un truc de son passé, un moment douloureux. Et moi...sans le dire exactement, j'ai évoqué Siborg. Je...j'ai peur qu'il utilise cela contre moi ensuite.
— Pourquoi le ferait-il ?
— Je ne sais pas. Peut-être que je panique pour rien.
— Tu ne nous parleras pas de votre conversation ?
Aaron finit par faire face à la jeune femme :
— Non. Et crois-moi, ce n'est pas parce que je n'ai pas confiance en vous. C'est pour vous protéger. De la même manière que je dois dissimuler mon visage pour nous assurer de pouvoir mener nos actions contre Korag jusqu'au bout, j'ai appris des choses hier de Niall qui pourraient tous nous mettre en danger.
— Merde, à ce point-là ?
— Oui. C'est...je ne m'y attendais pas. Tu vois, si j'en parle aux membres du conseil, cela arrivera forcément aux oreilles de quelqu'un d'autre, même sans intention de nuire à qui que ce soit. Ensuite si l'information quitte Jorren, tout le pays sera au courant en moins d'une semaine. Korag le découvrira à un moment ou un autre et là...nous courrons tout droit à la catastrophe.
Nyssa se crispa :
— Tu ne me rassures pas...marmonna-t-elle.
— J'en suis sincèrement désolé. Je ne m'attendais pas non plus aux révélations de Niall.
— Mais alors, ne serait-il pas lui-même un danger pour nous tous ?
— Non, je ne le pense pas. Il n'est pas stupide. Si sa fuite à Efrijan est découverte, il finira certainement à Xangrath pendu ou brûlé vif. Il n'a aucun intérêt à ce qu'on le retrouve.
— C'est sa personnalité et son caractère qui vont constituer un problème pour nous, c'est bien ça ? demanda la jeune femme.
— C'est ma grande crainte.
— S'il t'emmerde en permanence, quelques punitions le materont rapidement. Je doute qu'un soldat sache dépecer une biche ou égorger un poulet. En fait, tu ne devrais pas attendre. Attribue-lui déjà quelques tâches bien pénibles ou ennuyantes. Cela l'incitera peut-être à plus d'humilité, déclara Rory.
Cette intervention arracha un sourire à Aaron. Il remercia ses amis pour leur écoute et leur indiqua qu'il allait chercher Niall pour le conduire aux dortoirs. Ces derniers étant bien surveillés, il ne craignait rien. Mais l'Archer décida de discuter avec les gardes pour qu'ils tiennent l'ancien soldat de Xangrath à l'œil.
Le jeune homme se rendit dans la cellule de sa nouvelle recrue. Niallàn venait de terminer son petit-déjeuner qu'un rebelle lui avait apporté à la demande d'Aaron.
— J'aimerais que tu rejoignes un des dortoirs collectifs dès ce soir, indiqua le chef des rebelles après avoir salué le prince.
— J'imagine que je n'ai pas le choix ?
— Cela fait partie des règles de vie de notre communauté. Seuls les couples peuvent disposer d'une pièce privée. Il y a deux grands dortoirs mixtes mais également un pour les hommes et un pour les femmes. Je souhaitais que chacun puisse avoir le choix. Ces endroits sont exclusivement faits pour dormir. Si tu souhaites partager un peu d'intimité avec quelqu'un d'autre, nous avons aménagé plusieurs cellules à cet effet. Suis-moi, j'aimerais te montrer.
Aaron passa rapidement dans le couloir des chambres privées et désigna l'un des dortoirs mixtes. Il y entra à la suite de Niallàn. L'Archer désigna de grandes armoires dépourvues de portes installées contre les murs latéraux :
— Nous ne possédons pas grand-chose. Chacun a cinq ou six tenues différentes. Soit qu'il a ramené de chez lui avant de s'établir à Jorren, soit qu'il a confectionné ici. Est-ce que tu sais coudre ou repriser des vêtements ? demanda-t-il.
— Pas du tout !
— Tu apprendras. Nous t'avons fourni ta première tenue, tu vas devoir fabriquer les prochaines. Oh, bien entendu, tu ne seras pas seul, tu apprendras avec nos meilleurs éléments.
— Je n'ai pas le choix ? grommela Niallàn, peu enthousiaste.
Aaron soupira :
— Nous vivons en communauté, loin de tout. Cela implique une certaine organisation. Chacun ici a appris de nombreuses choses. Ainsi, ce ne sont pas toujours les mêmes qui servent les repas, nettoient, lavent le linge ou vont chasser. Les tâches changent chaque semaine pour éviter une certaine monotonie. Et pour maintenir la convivialité au sein de notre groupe. Ainsi personne n'est privilégié ou défavorisé. J'imagine que cela ne sera pas facile pour toi au début. En tant que prince, tu as été habitué à un certain niveau de confort...
— Oui, lorsque je vivais au château de mon père. Jusqu'à mes douze ans. Ensuite on m'a gentiment envoyé dans la caserne des gardes royaux pour commencer mon apprentissage de soldat. C'était soit cela soit partir au monastère et devenir moine. Les seules fois où je suis revenu au palais c'était pour de grandes réceptions. Je ne dormais pas dans mon ancienne chambre, je devais regagner le dortoir des soldats. Donc, le manque de confort, je connais depuis...depuis dix-huit ans.
— Eh bien, j'ose espérer dans ce cas que tu trouveras cet endroit plus accueillant.
— Et toi ?
— Moi ?
— Tu es le chef, ici.
— Oui, mais je travaille comme tout le monde. Cette semaine, je m'occupe de l'abattage des poulets et du ramassage des œufs dans le poulailler. Tous les jours je pars en forêt pour cueillir des baies et des fruits. Ainsi que des plantes pour nos guérisseurs. Dans deux jours, j'aiderai au nettoyage des pièces communes et j'irai récolter le raisin dans une clairière à un kilomètre d'ici afin qu'ensuite nous puissions fabriquer notre vin.
— Je vois. Et moi, que vais-je devoir faire ?
— Pour garder la même organisation, tu vas aider en cuisine pour la préparation des trois repas de la journée et tu assureras également le nettoyage des plats. Dans deux jours, tu apprendras à tuer les poulets, tu travailleras au potager et au verger. En plus de la réalisation de tes vêtements. Il faudra également que tu te fabriques ton arc et tes flèches. Tu verras, toutes nos journées sont bien occupées.
— C'est même pire que de l'esclavage ! Dire que je croyais que les domestiques au château de mon père étaient malheureux, je crois bien qu'ils travaillaient moins que cela, protesta Niallàn.
Aaron préféra ignorer les jérémiades de l'ancien soldat. Il l'emmena un peu plus loin dans les souterrains pour lui montrer le dortoir des hommes, trois fois plus petit. Il lui indiqua les lits tout simples alignés dans la pièce :
— Que choisis-tu ? Le dortoir mixte ou celui-ci ?
— Le mixte. Il y a plus d'espace. Quel lit puis-je occuper ?
— Il y en a plusieurs qui sont libres tout au fond. Les dortoirs sont surveillés, tout comme chaque recoin de cet endroit. Les gardes viennent plusieurs fois par nuit notamment pour allumer de nouvelles bougies et vérifier que tout va bien, qu'il n'y a personne malade. Les armoires sont ouvertes mais le vol n'est pas toléré. Il n'est accepté nulle part en vérité. Si tu as faim en dehors des repas, tu es libre de te rendre aux cuisines pour demander un fruit, un morceau de gâteau, de pain ou de fromage. Des cruches d'eau sont disponibles toute la journée dans la grande salle où nous mangeons. Ce que tu récolteras au verger et au potager doit être rapporté aussi vite que possible au garde-manger. Là encore, si tu veux manger une pomme, une poire ou n'importe quel autre fruit, il te suffit de te rendre aux cuisines et de demander. Je ne peux surveiller tout le monde et ce n'est pas la mission des gardes. C'est pourquoi j'espère que je peux compter sur ton honnêteté. Oh, j'oubliais. Tout manquement aux règles en vigueur au sein de notre communauté est sanctionné par des tâches supplémentaires. Je n'ai jamais eu à sévir très souvent. J'espère que tu sauras t'intégrer rapidement et que tu adopteras un comportement correct.
— C'est une menace ?
— Non, j'explique exactement la même chose à toutes les personnes qui nous rejoignent. Hum...je vais t'amener dans la salle qui sert à la confection. Je pense que tu peux y travailler une heure avant de rejoindre les cuisines pour aider à préparer le déjeuner.
Niallàn ne répondit pas mais Aaron constata qu'il n'était pas enchanté par le programme qu'il lui avait concocté. Ce dernier se demanda avec inquiétude quand l'ancien soldat se rebellerait. Car, c'était une certitude pour le jeune homme, cela finirait par se produire un jour. Néanmoins, l'Archer se sentit rassuré en songeant que Niallàn allait passer du temps avec Jadranka. Elle allait très vite lui faire passer l'envie de se plaindre.
Après avoir présenté l'ancien soldat au groupe occupé à repriser des vêtements, Aaron se rendit au poulailler. Lorsqu'il eut terminé de ramasser les œufs, il examina avec attention les installations pour vérifier si des travaux d'entretien étaient nécessaires ou non.
Lorsqu'il regagna le repère, il passa chercher Niallàn qui ne dissimula pas son soulagement. Visiblement, l'apprentissage de la couture était laborieux.
Aaron présenta le prince à Jadranka, déposa son panier remplit d'œufs et quitta les lieux. En réalité, il ne se rendit pas très loin, dans une pièce qui jouxtait les cuisines et qui servait parfois à entreposer des vivres. Grâce à une toute petite fenêtre qu'il ouvrit avec discrétion, il observa les premiers échanges entre Niallàn et Jadranka.
Cette dernière, les mains posées sur les hanches, contemplait l'ancien soldat d'un air sceptique :
— Et tu étais dans l'armée de Xangrath ? Tu ne ressembles pas à un combattant, déclara-t-elle.
— Je ne...commença Niallàn vexé.
— Ici, c'est moi qui parle et toi, tu écoutes. Bien. Il faut que tu saches que nous sommes trop nombreux pour pouvoir servir tout le monde en même temps. Il y a donc deux groupes. Auquel il faut ajouter les enfants qui mangent séparément. Aujourd'hui, nous avons prévu un potage de légumes agrémenté de beaux morceaux de lard et de pommes de terre. En accompagnement il y aura de la galette de sarrasin. Tu vas t'occuper des carottes et des poireaux.
Le visage de Niallàn blêmit. Jadranka l'observa, circonspecte :
— Eh bien, que t'arrive-t-il ? demanda-t-elle.
Aaron se mordilla les lèvres pour ne pas rire. Il avait déjà compris. Il observa le prince de Xangrath avec attention. Ce dernier désigna un couteau sur la table devant lui :
— Je ne sais pas cuisiner, grommela-t-il.
— Tu ne sais pas ou tu ne veux pas ?
— Pardon ? Les deux, si vous voulez savoir en fait. Je...bon sang, c'est...ce travail...
— Il me semble que tu as accepté de rester parmi nous. Que croyais-tu ? Que nous passons nos journées à dormir, à manger et de temps en temps tirer à l'arc ? En attendant, le repas ne va pas se préparer tout seul. Va te mettre là-bas, à côté d'Azko. Il va t'apprendre.
Un homme de taille moyenne, avec un léger embonpoint et une mine revêche, lui fit signe. Niallàn s'approcha d'un pas trainant tout en maudissant silencieusement Aaron.
Deux heures plus tard, l'Archer prit place dans la grande salle avec Nyssa et Kalaris. Rory, occupé à l'extérieur avec un groupe de combattants, avait décidé de manger plus tard.
— Alors, ce nouveau venu ? Comment s'adapte-t-il ? interrogea Kalaris.
— Visiblement il n'a pas saboté notre déjeuner, sourit Aaron en humant le délicieux fumet qui s'échappait de son bol de potage.
— Oh, méfie-toi. Il connait peut-être certains poisons et en aura versé dans la marmite...
— Avec Jadranka dans les parages ? J'en doute. Et sous la surveillance d'Azko ? Impossible.
Les trois rebelles s'esclaffèrent. Azko était réputé pour son caractère grincheux et pour la manière intraitable avec laquelle il formait les nouveaux arrivants en cuisine. Ancien propriétaire d'une auberge à Terglen, il était l'assistant principal de Jadranka pour la préparation des repas. Et il prenait ce rôle très au sérieux. Un peu trop même aux yeux d'Aaron.
Niallàn passait certainement un très mauvais moment.
Bien entendu cela devait être un choc pour lui. Même s'il avait vécu une grande partie de sa vie dans la caserne de Räma, la capitale de Xangrath, il n'en restait pas moins un prince de ce pays. Se voir obligé d'effectuer des tâches identiques aux domestiques de son père devait le vexer.
Aaron pouvait comprendre son courroux mais la troupe fonctionnait ainsi. Niallàn n'avait pas le choix. Car l'Archer le savait, il ne pouvait pas se permettre de « libérer » l'ancien soldat.
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