Révélations
Le lendemain matin, après avoir mangé, Aaron se rendit au chevet de Niall.
Propre des pieds à la tête, les cheveux coiffés et le visage débarrassé du sang séché, il ressemblait bien plus à l'idée que l'Archer se faisait d'un soldat de Xangrath. Même s'il était mince et que ses blessures n'étaient pas encore guéries, le jeune homme se doutait que Niall était un soldat bien entrainé. Dans le cas contraire, il n'aurait jamais pu survivre dans la forêt. Certes, il était épuisé lorsqu'il l'avait trouvé mais après une nuit de repos, Aaron avait déjà remarqué de subtils changements chez le nouveau venu.
Lorsqu'il entra dans la cellule où il avait été installé, l'Archer le salua d'un signe de tête :
— Avez-vous bien dormi ?
— Oui, merci. J'avais presque oublié le confort d'un véritable couchage.
— Depuis combien de temps avez-vous fui Xangrath ?
— Deux mois. Il m'a fallu de nombreuses ruses et beaucoup de patience pour quitter le pays. Les frontières avec Efrijan sont très surveillées depuis que Korag le sanguinaire a pris le pouvoir.
— Et vous avez entrepris ce voyage seul ? Où se trouve votre compagnon ?
— Je...je n'en ai pas.
Les rougeurs qui apparurent sur les joues de Niall firent douter Aaron. À moins qu'il n'était arrivé quelque chose et, dans ce cas, l'Archer comprenait que le soldat ne souhaite pas en parler. Du moins, pour le moment. Un jour, il devrait être transparent sur son passé. Du moins, avec le chef des rebelles.
Un bref silence régna dans la pièce. L'Archer demanda alors aux gardes qui surveillaient la pièce de sortir. Il voulait pouvoir discuter avec Niall sans personne pour interférer. Lorsqu'ils furent seuls, Aaron reprit, d'un ton rassurant :
— Ici, vous n'avez pas besoin de vous cacher. Cependant, vous devez comprendre qu'au début les autres membres de la troupe seront méfiants. Peut-être même que certains seront ouvertement hostiles à votre présence parmi nous.
— Je comprends. Après tout, je viens de Xangrath. Je regrette tellement d'y être né. Ce pays est affreux. Enfin, la mentalité. Une bonne moitié de la population partage les positions du roi. Les autres, comme moi, n'ont que deux choix possibles : se taire ou se cacher. Mais comme Sirlàm offre de l'argent aux délateurs, il n'est pas rare que même un père dénonce son propre fils.
— C'est ce qui vous est arrivé ? s'enquit Aaron.
Niall laissa échapper un rire amer :
— Si cela avait été le cas, je ne serai plus de ce monde. Même si je ne suis que son quatrième garçon, mon géniteur n'aurait jamais permis que sa famille subisse un tel affront.
Aaron observa le soldat avec attention. Quelque chose l'intriguait. Niall parlait trop bien pour un simple soldat. Même sa posture semblait étrange. Assis bien droit sur sa paillasse, le nouveau venu dégageait une impression de force et de grandeur qui ne cadrait pas avec sa fonction dans l'armée de Xangrath.
Sentant qu'il devait immédiatement clarifier les choses, Aaron s'adossa au mur de la cellule et croisa les bras. Son regard devint moins engageant lorsqu'il toisa Niall :
— Je crois que vous ne m'avez pas tout dit à votre sujet, déclara l'Archer d'un ton sec et où toute bienveillance avait disparu.
Le soldat se tassa un peu sur lui-même et grimaça. Il détourna la tête un bref instant avant d'oser affronter le chef des rebelles :
— Non, en effet.
— Votre nom. Le vrai.
— Niall est un surnom. Je ne crois pas que vous auriez pu m'identifier si je vous avais indiqué mon prénom mais j'ai préféré tricher un peu. Je suis bien soldat dans l'armée de Xangrath. Mais je m'appelle Niallàn Therkildsen, je suis le comte de Korshavn.
Aaron bondit vers l'autre homme et enserra son cou tout en enfonçant son genou dans son abdomen. Il n'avait plus rien de complaisant. À cet instant, il était redevenu un guerrier prêt à combattre l'ennemi. Et l'homme qui se trouvait dans la cellule était potentiellement un ennemi.
Niallàn se débattit avec ses maigres forces. Au prix d'un effort surhumain, il parvint à rouler sur lui-même et à échapper à la prise d'Aaron. Le soldat essaya d'occulter la terrible douleur qu'il ressentait dans le ventre tout en se reculant contre le mur de la pièce et en levant les bras pour se protéger.
— Je ne suis pas à la solde de Korag. Je ne suis pas un espion de Xangrath. J'ai fui mon pays parce que l'homme que j'aimais a été assassiné sous mes yeux il y a trois ans. Il était capitaine dans l'armée de mon père et il a été dénoncé par quatre hommes qui briguaient, comme lui, le poste de commandant. Pendant deux ans, j'ai cru que notre liaison était restée secrète. Puis j'ai découvert qu'il existait un complot pour me mener au bûcher. Avec l'approbation du roi ! Alors j'ai déserté. J'ai réussi à quitter la caserne et j'ai erré pendant des mois avant de réussir à quitter Xangrath. Je dormais dans les fossés, je volais des miches de pain et je buvais aux fontaines pour survivre. Comment pourrais-je approuver les actions d'un tyran comme Korag et comme mon père ? Je ne pourrais pas ! Je ne pourrais pas...
À bout de souffle, Niallàn s'effondra en murmurant les derniers mots.
Aaron l'observa, méfiant. Le soldat, recroquevillé sur sa paillasse, tremblait de tous ses membres. L'Archet sentait que l'autre avait dit vrai. La détresse, la rage, l'impuissance, la frustration dans sa voix étaient suffisants pour comprendre qu'il ne mentait pas.
Néanmoins, le jeune homme restait sur ses gardes. C'est pourquoi, il choisit de ne pas s'excuser pour son geste de violence. D'une certaine manière, ce serait comme se retrouver en position de faiblesse par rapport à Niallàn. Et c'était totalement exclu.
L'autre était peut-être le fils d'un roi, mais l'Archer était le chef des rebelles. Celui qui commandait, celui à qui tous les membres de la troupe devaient le respect.
Le soldat avait accepté de rejoindre leurs rangs. Il devrait donc se plier aux règles en vigueur.
Allait-il accepter de rester ?
Après ce qui venait de se passer, Aaron s'interrogea à ce sujet. Comme si Niallàn devinait ses pensées, ce dernier se redressa un peu, toussa plusieurs fois tout en se tenant le ventre avant d'interpeller le chef des rebelles :
— Vous allez me demander de partir, n'est-ce pas ? souffla-t-il.
— Non.
Le soldat s'appuya sur ses coudes pour retrouver une posture plus décente. Il détestait paraître faible. Sous l'œil attentif d'Aaron, il se rassit sur sa couche en essayant d'adopter une attitude digne. Il s'attendait à être emmené loin de la cachette des insurgés mais la réponse tranchante de l'homme fasse à lui était sans appel.
— Alors vous allez me tuer ? murmura Niallàn, déboussolé.
— Non.
— Me garder comme esclave ?
— Non.
Le soldat secoua la tête, agacé par l'attitude d'Aaron. Ce dernier venait tout de même d'essayer d'attenter à sa vie. Pourquoi donc s'obstiner à le garder parmi sa troupe ?
Niallàn s'énerva :
— Et quoi ? Cela vous plait de m'humilier de la sorte ? Vous ne pensez pas que ma situation est déjà assez difficile comme ça ? J'ai entendu beaucoup de choses à votre sujet depuis que je suis arrivé à Efrijan. Mais personne ne vous a décrit comme une personne malveillante et irrespectueuse. Vous croyez que ça me plait d'être le fils d'un homme aussi abject ? Vous croyez que c'est facile à vivre ? Vous savez quoi, laissez-moi partir. Je n'ai pas envie d'être un fardeau pour vous. Et je peux vous promettre que je ne révèlerai à personne votre cachette.
— Vous resterez. J'ai besoin de renfort. Vous avez accepté ma proposition.
— Mais je...
— Et je ne suis pas fou. Vous permettre de quitter cet endroit ? Jamais. Je ne vous connais pas, je ne vous fais pas confiance. Je vous conseille de vous reposer pendant encore quelques jours. Ensuite, je me chargerai personnellement de votre entraînement. J'ai un petit conseil à vous donner : vous avez intérêt à vous montrer à la hauteur. Et sachez qu'ici, je suis le seul maître. À Xangrath, vous êtes le fils d'un roi, très bien. Ici, à Efrijan, vous n'êtes rien. Et votre identité doit rester secrète. Pour tous, vous serez Niall, simple soldat de l'armée de Sirlàm.
Aaron quitta ensuite la pièce et annonça aux trois hommes chargés de la surveillance de Niallàn qu'ils pouvaient reprendre leur poste.
L'Archer décida d'aller s'entraîner. Il avait besoin de se changer les idées. De ne plus penser aux prunelles bleues qui l'avait fixé d'un air désemparé. Ni à la fragilité évidente du guerrier de Xangrath. Non, Aaron ne devait pas se laisser attendrir. Et il ne devait surtout pas baisser la garde.
Tandis qu'il tirait flèche après flèche avec une rage inhabituelle, le jeune homme commençait à douter de son choix. Pourtant, il l'avait senti au plus profond de lui-même : Niallàn devait rester avec eux. Non pas parce qu'il représentait un danger mais bien parce qu'il serait un atout pour le groupe.
Pourtant, ses révélations inattendues sur ses origines interpellaient l'Archer. Comment le fils d'un roi aussi puissant que Sirlàm avait-il pu tromper la vigilance des sentinelles de sa caserne ? Comment avait-il réussi à quitter le pays sans se faire prendre ?
Alors que sa quinzième flèche finissait, comme les autres, au centre de la cible qu'il visait, Aaron réalisa qu'il existait également une option qu'il n'avait pas envisagée : celle que Niallàn soit un imposteur. Qu'il se prétendait être le fils de Sirlàm alors qu'il n'était peut-être qu'un simple soldat. Mais de quelle manière l'Archer pourrait-il le vérifier ? Il n'était jamais allé à Xangrath et n'avait jamais rencontré la famille royale. Même en posant des questions précises à Niallàn, le jeune homme n'aurait aucun moyen de s'assurer que l'autre disait la vérité.
C'est alors qu'il songea à l'un des anciens conseillers du défunt roi Érimón, le dernier souverain d'Efrijan avant la prise de pouvoir de Korag.
Si Aaron décidait de consulter le vieil homme, il se plaçait dans une situation délicate : lui demander des renseignements vitaux sans lui dévoiler quoi que ce soit au sujet de Jorren.
Et s'il posait ce choix, il devait contacter le conseiller au plus vite.
L'Archer termina son entraînement et partit à la rechercher de Nyssa et Rory. Il les trouva en train de discuter âprement dans la grande salle. Il était encore trop tôt pour manger, la pièce était vide.
Les deux amis se tournèrent dans un ensemble parfait dès qu'ils aperçurent Aaron :
— Tu as été voir Niall ? s'enquit Nyssa.
— Oui, je suis passé dans sa cellule répondit l'Archer.
— Il va s'en remettre ? Ses blessures ne sont pas trop graves ? insista Rory.
— Non, rien de problématique. Je pense que dans trois ou quatre jours il aura repris suffisamment de forces pour commencer sa formation.
— Tu as l'air contrarié, ajouta le meilleur ami d'Aaron.
— Moi ? Pas du tout. Je réfléchissais au meilleur moyen d'intégrer Niall. Pour une fois, j'ai sous-estimé la tolérance du groupe.
Nyssa haussa les épaules :
— Rien d'étonnant. Il vient de Xangrath. Et c'est un soldat de l'armée de Sirlàm. Cela fait beaucoup contre lui.
— Je sais. Mais je sais aussi que ce n'est pas une erreur de l'intégrer dans nos rangs, répondit Aaron.
— Tu comptes l'utiliser comme espion ?
— Peut-être. Je ne sais pas encore. Laissons-le guérir et ensuite, je verrai comment il évolue. Je pars dans la forêt, je ne reviendrai que ce soir. Nyssa, tu me remplaceras durant mon absence.
— Très bien.
L'Archer salua ses amis et se rendit dans la vaste pièce qu'il avait aménagé pour lui. Il alluma quelques bougies placées dans des lanternes et se rendit au fond de la salle. Près d'un grand baquet de bois qu'il utilisait pour se laver, il retira son masque avec délicatesse avant de plonger ses mains dans un seau d'eau fraiche et de se frotter rapidement le visage. Dans un coffre imposant rangé contre un mur, il en sortit un poignard de combat qu'il attacha à sa ceinture.
Il remit ensuite son masque, prit son arc et son carquois, éteignit les bougies et quitta la pièce. Il se dirigea alors vers le fond du repère, là où se trouvaient les cuisines. Il y demanda quelques biscuits et plusieurs morceaux de viande séchées qu'il emporta avec lui.
D'un pas assuré, Aaron s'enfonça dans la forêt, vers un endroit situé à vingt minutes de marche des ruines du château. Comme toujours, il guettait le moindre bruit suspect, la main prête à dégainer son arc en cas de besoin. Tout en marchant, il grignota un bout de viande et réfléchit à sa confrontation avec Niallàn. Le prince Niallàn, plus exactement. Était-il réellement prêt à se soumettre à ses ordres ? Accepterait-il d'être tout en bas de l'échelle de la hiérarchie de la troupe ? Même s'il avait rejoint les rangs de l'armée de Xangrath, il avait passé toute son enfance dans le palais de son père, avec une multitude de domestiques à son service. Ici, à Jorren, il devrait travailler. Couper du bois, aider en cuisine si nécessaire, faire les lits, veiller à la propreté du repère, apprendre à se battre, à tirer à l'arc et s'occuper des enfants. Aaron se demanda si Niallàn avait déjà dépecé un animal ou égorgé un poulet. Une tâche dont il devrait s'acquitter régulièrement. Tout comme aller chercher de l'eau au puit. Ou même travailler au potager.
Non, évidemment. Que ce soit en tant que soldat ou petit prince, il ne connaissait pas le travail manuel.
Prince ou pas prince, il devra s'adapter. Il n'aura pas le choix.
Enfin, Aaron arriva à destination. Son regard s'éclaira lorsqu'il contempla devant lui les eaux translucides du lac. En été, il adorait s'y baigner. Seul, bien entendu.
Il se mit à espérer une apparition de l'enchanteresse. Lorsqu'il la rencontrait, cela se passait toujours à côté de la source ou ici, sur les bords du lac.
Il se mit alors à songer à elle.
S'il vous plait. J'ai besoin de vous. Je ne sais que faire avec Niall. Ai-je commis une erreur en l'épargnant ? Aidez-moi, je vous en prie.
L'Archer s'assit sur un rocher et attendit. Il se remémora encore son geste de la matinée. Avait-il réellement eu l'intention d'étrangler Niallàn ? Il ne savait pas. Il ne comprenait pas sa réaction. Il ne s'était pourtant pas senti en danger et lorsqu'il avait découvert le soldat inanimé dans la forêt, il était pourtant certain d'avoir découvert un allié de poids.
Perturbé, craignant d'avoir commis une erreur de jugement, le jeune homme soupira et son regard erra sur les eaux calmes du lac.
C'est alors qu'il remarqua une légère brise qui agitait les feuilles des arbres. Il scruta alors les alentours avec attention. Le brouillard recouvrit alors l'étendue d'eau et ses berges, enveloppant Aaron d'une étrange couverture laiteuse. Le silence se fit, les oiseaux cessèrent de gazouiller et les poissons s'enfuirent au fond du lac.
Ce dernier ne réagit pas. Ce phénomène n'avait rien d'inquiétant pour lui. Si les habitants d'Efrijan se seraient enfuis, craignant que quelque spectre ne vienne torturer leur âme, l'Archer, lui, savait que cela annonçait l'arrivée de la sorcière.
Aussi vite qu'il était apparu, le brouillard se dissipa et les lieux reprirent vie.
Aaron se leva avec lenteur. Devant lui, entouré d'un halo de lumière éclatante, se tenait une femme à la longue chevelure blonde. Elle était vêtue d'une robe grise plus adaptée à la cour d'un roi qu'à une escapade en forêt.
Comme toujours, le jeune homme attendit qu'elle parle. Il n'avait pas le droit de poser des questions. Il écoutait, il s'exprimait, il obtenait parfois des réponses ou, le plus souvent, de quoi se torturer l'esprit plusieurs nuits durant.
— Le prince de Xangrath doit rester. Forme-le. Fait-en ton allié. La réussite de ta mission repose sur votre confiance mutuelle. Vos destins sont désormais liés.
— Alors il est vraiment prince...Je suppose que je n'ai pas le choix. Et...attendez, que voulez-vous dire en parlant de nos destins liés ?
— Confiance et respect vous mèneront jusqu'à la victoire. Suspicion et dédain précipiteront votre perte, répondit l'ensorceleuse.
— Charmant...Que se passera-t-il si Niallàn voit en notre combat l'occasion d'œuvrer pour lui-même ? Il est prince. Que ferais-je s'il réclame la couronne d'Efrijan ?
Les mots de l'apparition furent exactement les mêmes. Aaron comprit que l'entretien était terminé. Il y eut une soudaine bourrasque et l'enchanteresse disparut.
Le jeune homme, d'une certaine manière, se sentit rassuré. Niallàn ne lui avait pas menti. Il n'aurait donc pas besoin d'envoyer une missive à un conseiller de l'ancien roi d'Efrijan.
Néanmoins, l'insistance de la sorcière sur leurs destins liés tracassait l'Archer.
Pour l'heure, Aaron n'avait pas le choix. Il devait s'assurer de transformer l'ancien soldat en un guerrier efficace.
Sinon, il échouerait. Le message de l'ensorceleuse était clair.
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Quelques révélations intéressantes vous ne trouvez pas ?
Niall est donc un prince de Xangrath. Pensez-vous qu'il s'habituera facilement à la vie dans la forêt ?
Quant à sa future cohabitation avec Aaron, votre avis ?
Et ces mots de l'enchanteresse ? Qu'en pensez-vous ?
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