Mauvaises nouvelles

Il faisait étonnamment chaud pour cette période de l'année. L'automne était pourtant installé à Jorren depuis plusieurs semaines. Le soleil qui brillait à travers les feuilles mordorées des arbres lui fit cligner des yeux. Il aimait s'échapper le soir et profiter d'un moment de calme à l'écart de la troupe. Dans ces instants de grâce, la forêt s'enveloppait d'une sérénité presque magique.

Il s'abreuva à la source qui jaillissait face à lui. Puis il se redressa et soupira. Encore un hiver et il pourrait enfin mettre ses projets à exécution. Il avait suffisamment nourri sa vengeance, il était temps de passer à l'action.

Il se rappela alors sa rencontre avec l'enchanteresse, quatorze années auparavant. Elle avait tenu sa promesse. Le puit fournissait de l'eau pour toute la troupe. Le potager et le verger ne craignaient pas l'hiver. Les bois regorgeaient de gibier et le poulailler n'était jamais vide.

Depuis son arrivée à Jorren, il n'avait pas connu la faim.

Et heureusement ! Car il avait fallu du temps pour rendre sa vie plus confortable au cœur de la forêt. Mais il était fier de ce qu'il avait accompli.

L'Archer se remémora l'apparition alors qu'il se cachait dans une grotte, face à la mer. Une femme dont il n'avait pu déterminer l'âge. Aussi belle qu'effrayante, elle lui avait confié une mission. C'est elle qui lui avait conseillé de s'établir à Jorren.

Il l'avait dévisagé avec incrédulité. Lorsqu'il était enfant, ses parents lui avaient expliqué qu'en des temps reculés les bois auraient abrité des fées, des sorcières et d'autres créatures aux immenses pouvoirs.

Lui qui croyait que les histoires de mages n'étaient que des contes pour enfants, avait été choqué de découvrir qu'ils existaient réellement.

Il aurait pu croire à une hallucination si l'ensorceleuse ne lui avait pas fait signer un parchemin avec son propre sang. Elle lui avait confirmé les rumeurs au sujet de Jorren même si la communauté de mages ne comportait plus, à présent, qu'une dizaine de personnes éparpillées dans tout le pays.

Le jeune homme ne regrettait pas son engagement. À l'époque, comme bon nombre d'habitants d'Efrijan, il ne souhaitait qu'une chose : faire tomber Korag le sanguinaire et venger la famille royale.

Il ne disposait pas d'une armée aussi puissante que celle du tyran mais les hommes et les femmes qu'il avait patiemment formés depuis de longues années étaient d'excellents combattants. Il comptait sur l'effet de surprise et les nombreux renseignements patiemment collectés pour renverser celui qui usurpait le trône d'Efrijan depuis bien trop longtemps. Car l'échéance approchait. Inexorablement.

Un léger craquement retentit non loin de lui. Aux aguets, l'homme se dissimula derrière un buisson et saisit son arc. La crainte disparut de son visage dès qu'il reconnut le signal. Il sourit à Rory, son meilleur ami, lorsque ce dernier apparut de l'autre côté de la source :

—Tu t'inquiétais pour moi ? J'avais prévenu que je partais une ou deux heures pourtant.

— Lorcan et Eamon sont revenus. Aaron, je suis désolé mais...ils apportent de bien mauvaises nouvelles.

L'Archer étouffa un juron. Il enjamba le mince filet d'eau qui serpentait entre les pierres et se mit à courir. Rory laissa échapper un cri de protestation :

— Tu aurais pu m'accorder quelques minutes de repos, bâtard !

L'autre stoppa sa progression et se retourna pour observer son ami qui s'avançait vers lui sans se presser :

— Je sais que tu as passé la journée vautré dans les bras d'Estrid. Tu n'es pas fatigué.

Après avoir adressé un clin d'œil à son ami, l'Archer reprit sa course. Rory parvint à le rattraper et ils parvinrent ensemble non loin de l'entrée de leur royaume souterrain. Les deux hommes s'arrêtèrent cependant à une centaine de mètres, non sans avoir au préalable signalé leur arrivée aux sentinelles.

Pendant quelques minutes, ils guettèrent le moindre signe d'une présence étrangère aux environs.

Assurés qu'il n'y avait aucun ennemi à l'horizon, les deux amis se dirigèrent d'un bon pas vers le passage secret.

Avant de disparaître dans les entrailles de la terre, Rory observa Aaron avec discrétion. Jamais ce dernier ne lui avait parlé de sa famille. Jamais il ne lui avait expliqué pourquoi il avait vécu dans les îles du Nord. Ou comment il était devenu le prisonnier d'Ogrior, le terrible roi de Siborg.

Rory n'avait jamais posé de questions, malgré la curiosité qui le démangeait. Aaron était comme un frère pour lui. Mais il devait avoir ses raisons pour ne jamais évoquer le passé. Peut-être attendait-il que Korag soit vaincu pour lui parler. Ce n'était un secret pour personne que l'Archer n'avait une seule idée en tête. Un jour, alors qu'il s'était laissé aller à de rares confidences, Aaron avait murmuré que les rebelles étaient sa seule famille.

Et cela taraudait Rory. Pour avoir connu, lui aussi, l'enfer de Siborg, il avait échafaudé quelques théories. Ses propres parents, croyant pouvoir faire fortune, s'étaient retrouvés prisonniers d'un bourreau de la pire espèce.

Une petite tape le sortit de ses pensées :

— Désolé, je ne voulais pas te vexer. Tu mérites de te reposer, déclara Aaron.

— Oh, tout va bien. Je ne me suis pas senti blessé par tes paroles. Allons retrouver Lorcan et Eamon.

Depuis son arrivée dans la forêt, l'Archer avait élu domicile dans les ruines d'un ancien château. Le temps et la végétation avaient fait disparaître l'édifice sous une véritable armure de bois, de ronces et de pierres. En surface, il ne restait pratiquement rien. La nature avait repris ses droits.

Mais en sous-sol le jeune homme avait découvert un gigantesque labyrinthe, un dédale de couloirs, de pièces et de cachots où il avait aménagé son repaire secret.

Bien que la destruction du château remontait à plus de cinq cents ans, personne ne se rappelait son existence. Aaron lui-même n'en avait jamais entendu parler. Et la sorcière s'était bien garder de lui révéler sa présence au cœur des bois.

Les ruines avaient l'avantage non négligeable de se situer au beau milieu de la forêt de Jorren, dans un endroit particulièrement difficile d'accès et à plus de trois heures de marche de la civilisation. Le lieu constituait dès lors un refuge idéal.

Rory écarta plusieurs couches de lierre épais qui tombait en cascade et dissimulait à la perfection l'entrée de leur cachette. Il émit un curieux sifflement auquel un bruit similaire lui répondit.

Les deux hommes descendirent une trentaine de marches de pierre et se retrouvèrent devant une lourde porte en chêne surveillée par une autre sentinelle. L'Archer salua le garde avant que celui-ci le laisse accéder aux souterrains.

Un étroit couloir apparut, éclairé par de nombreuses lanternes. Deux nouveaux guetteurs firent leur apparition. Même si l'enchanteresse lui avait promis qu'il serait protégé à Jorren, l'Archer avait été intransigeant sur les mesures de sécurité.

Personne ne devait découvrir cette retraite. Car le lieu n'hébergeait pas que des hommes. Il y avait également des femmes et des enfants.

Celui que tout le monde connaissait sous le prénom d'Aaron se rendit dans l'un des cachots qu'il avait transformé en salle du conseil.

Il y tenait de nombreuses réunions avec un petit groupe de rebelles qu'il avait choisi avec soin. Il s'agissait de quatre hommes et quatre femmes qui l'avaient rejoint dans sa croisade depuis plus de dix ans.

Né et éduqué à Efrijan, Aaron veillait à ne pas se comporter de manière aussi rigide que dans le royaume voisin de Xangrath. Là-bas, les femmes étaient contraintes de rester chez elles. Elles n'avaient pas l'autorisation de rejoindre l'armée ou de travailler tout simplement. Elles devaient s'occuper de leur maison, des repas et de leurs enfants.

Au sein de sa troupe, tant les hommes que les femmes s'occupaient des tâches domestiques. Chacun pouvait s'entraîner au combat et tous étaient de redoutables archers. De plus, les membres de la troupe avaient le droit de s'exprimer et de donner leur avis avant toute expédition punitive décidée par Aaron. Ce dernier tenait plus que tout à créer un climat de confiance et à impliquer tout le monde dans la vie de la communauté.

Les adjoints du jeune homme le rejoignirent très vite. Parmi eux, Lorcan et Eamon affichaient une mine sombre. Aaron comprit que les informations qu'ils s'apprêtaient à lui confier concernaient Korag.

Rory prit place à la droite de l'Archer. Nyssa, une jeune femme brune à la peau hâlée et aux yeux sombres, s'installa à gauche. C'est elle qui avait découvert les souterrains et qui avait proposé à Aaron d'y établir leur quartier général. À l'époque, ils avaient quinze ans tous les deux et formaient avec Rory un trio inséparable.

Aaron avait sauvé Nyssa, orpheline et sans famille, d'une vie de misère. Cette dernière lui avait promis son aide indéfectible.

La complicité qui unissait les trois amis n'avait jamais faibli. Au fil des années, elle s'était renforcée et personne au sein de la troupe ne songeait à remettre en question la position privilégiée que Nyssa et Rory occupaient auprès de l'Archer.

La jeune femme échangea un bref regard silencieux avec Aaron avant de se tourner vers Eamon :

— Qu'avez-vous découvert ?

— Korag a envoyé des émissaires à Xangrath.

— QUOI ? s'exclama Farrell, le dernier homme du conseil.

— C'est la vérité. Une dizaine de hauts dignitaires de la cour ont quitté la capitale hier soir, précisa Lorcan.

— Je ne comprends pas. Que cherche Korag ? s'interrogea Márgrég, la doyenne de l'assemblée.

— Je pense qu'il aimerait rattacher Xangrath à Efrijan. Depuis son accession au trône, il n'a jamais caché sa volonté de conquérir de nouvelles terres, précisa Eamon.

— D'autres informations au sujet de cette manœuvre ? s'enquit Aaron.

— Oui. Deux navires de guerre s'apprêtent à quitter le port de Terglen. D'après les indiscrétions de deux matelots, ils doivent mettre le cap vers les îles du Nord. Plus exactement Mazorn, Siborg et Yozar.

— Une date précise a-t-elle été décidée pour le départ ?

— Dans trois jours. Quatre tout au plus.

— Bien.

Aaron resta impassible malgré les frissons qui parcoururent son corps lorsque Eamon évoqua Siborg. Il se concentra de toutes ses forces sur le présent pour ne pas se laisser submerger par la colère. Il se tourna vers Saïra et Kalaris, les deux femmes qui n'avaient pas encore pris la parole :

— Vos espions pourraient-ils placer deux ou trois hommes sur les bateaux ? Nous devons absolument découvrir ce qu'il se trame.

— Cela devrait être possible, affirma Kalaris.

— Dans ce cas, j'aimerais que vous partiez au plus vite pour Terglen. Demandez à Skylar et Halim de vous escorter. S'ils refusent, qu'ils viennent me trouver. Oh, et demandez à vos contacts de causer quelques dégâts sur place. En attendant que le reste de la troupe agisse. Nous devons empêcher tout départ du port.

Nyssa et Rory observèrent Aaron avec inquiétude.

— Pourquoi Korag enverrait-il des troupes à Siborg ? Ogrior ne se soumettra jamais, avança Rory.

— Je l'ignore. Mais si ce tyran a décidé de conquérir les îles du Nord, toute la région sera à feu et à sang. Ogrior se vengera sur la population d'Efrijan, c'est une certitude, grimaça Aaron.

— Que comptes-tu faire ? demanda Nyssa.

— Comme je l'ai indiqué, empêcher le départ des navires. Et tout faire pour retenir Korag au pays. Nous devons trouver quelque chose qui le détourne de ses projets sans provoquer une déclaration de guerre.

— Tu as une idée ? s'enquit Rory.

— Peut-être. Je sais qu'il est tard mais rassemble tout le monde. Dès demain matin, nous devons nous rendre au port et nous assurer que la flotte de Korag ne quitte pas Terglen dans les prochaines semaines.

— Comment ?

— En les privant de nourriture, d'eau et d'armes. En endommageant les bateaux.

— Cela ne retardera l'expédition que de deux ou trois semaines. Un mois tout au plus. Ce n'est pas suffisant Aaron, indiqua Nyssa.

— Je sais. C'est pourquoi nous allons faire sauter l'arsenal qui se trouve à côté du port. Puis nous allons répandre des rumeurs au sein de l'armée de Korag. Les informations qui circuleront parmi les soldats seront si déplaisantes qu'elles déclencheront une mutinerie. Le temps que tout se calme, l'hiver sera là et ce fumier sera contraint d'annuler son offensive vers les îles du Nord. Nous ferons appel aux troupes de Darick. Ils sont les mieux placés pour s'occuper des soldats. Je vais faire une annonce, préparez vos affaires et allez dormir un peu. Nous partirons avant le lever du soleil.

— Et au printemps prochain, Korag essayera une nouvelle fois d'aller rendre une petite visite de courtoisie à Ogrior, exposa Rory.

— Je ne crois pas. Il fêtera ses cinquante ans. D'après mes renseignements, il a prévu de très nombreuses festivités et peut-être même un mariage.

— Et nous participerons à la fête, rassure-moi !

Aaron sourit à son meilleur ami :

— Nous ferons bien mieux que cela.

Aaron clôtura la réunion. Kalaris, Saïra, Márgrég, Farrell, Lorcan et Eamon quittèrent la salle rapidement. Comme toujours, Nyssa et Rory s'attardèrent auprès de leur ami. Il leur indiqua qu'il n'emmènerait pas la jeune femme avec lui à Terglen. Elle aurait la délicate tâche d'assurer la surveillance du repère durant l'absence d'une partie des troupes.

Rory et Nyssa acquiescèrent. Après autant d'années, ils connaissaient les règles par cœur. La jeune femme ayant fait partie de la dernière mission, elle laissait à présent sa place à d'autres.

Aaron les pria ensuite d'aller se reposer. Pour eux aussi, les prochaines journées seraient longues.


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Par facilité j'ai décidé de poster le chapitre modifié car j'ai ajouté une petite dimension " magique" par rapport à la première version qui date de plus d'un an.

Un premier chapitre qui vous donne des informations au sujet de l'Archer. Aaron n'est donc pas son véritable prénom. Mais, jusqu'à la révélation de son identité, il sera nommé dans le texte soit par ce prénom, soit par son surnom ;-)

A intervalles réguliers, j'évoquerai l'île de Siborg et un homme prénommé Ogrior. C'est une partie importante du passé de notre héro. Qu'imaginez-vous ? (j'aime bien avoir vos hypothèses car vos commentaires ont parfois une influence sur le développement de l'histoire...)

Vous avez également pu découvrir deux personnes très importantes pour Aaron : Nyssa et Rory. Ils forment le trio fondateur de la bande de rebelles. Même s'ils sont très proches de notre personnage principal, ils ne connaissent rien de son passé.

Sinon concrètement, que pensez-vous de ce début ? (Ceci est mon premier roman en Fantasy, ne soyez pas trop sévères lol D'ailleurs je prends tous les conseils pour m'améliorer)

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