L'étranger
Le lendemain, comme à son habitude lorsqu'il ne partait pas en mission, Aaron sortit de bonne heure, juste après avoir pris un copieux petit-déjeuner. Naturellement, ses pas l'entraînèrent vers la source qui jaillissait au beau milieu de la forêt. Il espérait une visite de l'enchanteresse, il avait besoin de lui confier ses doutes et ses craintes au sujet du printemps à venir.
À mi-chemin, il stoppa cependant sa marche et s'accroupit au pied d'un arbre, tous ses sens en alerte. Quinze années dans la forêt lui avaient appris à être attentif au moindre son. Les bruissements qu'il venait d'entendre ne correspondaient ni au vent ni à un animal. Mais au pas irrégulier d'un être humain. Aaron savait qu'aucun de ses guerriers ne devait rentrer dans la matinée au repère. La personne qui évoluait dans les bois était étrangère à Jorren.
L'Archer se saisit de son arc et se dissimula derrière un épais buisson, prêt à attaquer.
à cet endroit, ils étaient très loin de la civilisation. L'inconnu devait marcher depuis au moins trois heures.
Le jeune homme nota mentalement de revoir l'organisation des patrouilles de surveillance. Jamais personne n'aurait dû pouvoir s'aventurer aussi prêt de son refuge sans être repéré. Les craquements devenaient plus forts. Qui que soit cet intrus, il ne prenait même pas la peine de dissimuler sa présence. Aaron envisagea deux possibilités : la première, la moins rassurante, supposait que l'étranger était un ennemi très sûr de lui. La seconde, qu'une personne s'était égarée. Et dans ce cas, elle devait être étrangère à Efrijan.
Tout le monde dans le royaume croyait à la légende qui affirmait que la forêt de Jorren était un lieu maudit et abritait des bêtes féroces. Aucun habitant n'osait s'enfoncer dans les profondeurs des bois, Aaron le savait puisqu'il faisait lui-même vivre cette légende à chacune de ses sorties de la forêt.
Les pas se rapprochaient. L'Archer fronça les sourcils. L'inconnu était blessé, il en avait la certitude. Les bruits qui lui parvenaient aux oreilles lui indiquaient un déplacement incertain, difficile. À moins que cela ne soit une ruse. Le jeune homme se saisit d'une flèche et se positionna de manière à pouvoir tirer dès qu'il apercevrait la silhouette de l'intrus. C'est alors qu'un cri étouffé retentit, suivi d'un craquement sourd. Puis ce fut le silence.
Craignant toujours un piège, Aaron se tient immobile plus de dix minutes avant de finalement se redresser et partir à la recherche de l'étranger. Il avait à peine marché vingt mètres lorsqu'il découvrit une silhouette allongée sur le sol.
Il s'agissait d'un homme qui ne devait pas être plus âgé que lui. Ses vêtements miteux étaient déchirés à plusieurs endroits. Ils étaient également maculés de sang. L'Archer s'approcha avec précaution, prêt à réagir en cas d'attaque. Mais l'inconnu était évanoui. Aaron palpa rapidement ses habits à la recherche d'une arme. En pure perte.
Puis il observa avec attention l'étranger. Il était grand mais maigre. Son visage creusé trahissait un manque de nourriture évident. Malgré cela, l'Archer ne put s'empêcher de remarquer des traits réguliers et harmonieux. Il grimaça en comprenant que cet homme s'était battu récemment. Sur sa pommette droite, une marque violacée commençait à s'estomper. Et du sang avait séché à la racine des cheveux. Était-ce un vagabond ? Quelqu'un qui avait tout perdu à cause des nombreuses taxes imposées par Korag ?
Aaron s'interrogea toujours sur ce qu'il convenait de faire lorsque l'inconnu ouvrit faiblement les yeux.
— Aidez-moi, implora l'étranger
L'Archer s'agenouilla à ses côtés et parvint à croiser son regard :
— Qui êtes-vous ? D'où venez-vous ?
— J'ai fui Xangrath. Ils allaient me tuer...
— Qui ? Pourquoi ?
— Je...ils savaient...
L'inconnu ne put terminer sa phrase car il s'évanouit à nouveau. Convaincu qu'il ne représentait aucun danger, Aaron voulut le soulever pour le prendre dans ses bras. Mais malgré sa maigreur, l'étranger pesait trop lourd pour qu'il puisse parcourir deux kilomètres et le ramener au repère. Indécis, le jeune homme hésita quelques instants sur ce qu'il convenait de faire. Il ne pouvait décemment laisser un blessé au beau milieu de la forêt. Il risquait de se faire attaquer par une bête sauvage. Il décida de fabriquer un brancard de fortune sur lequel il installa le vagabond. Puis il se mit à progresser lentement dans la forêt pour atteindre son premier poste de garde.
Là, il demanda à l'une des sentinelles d'aller chercher de l'aide.
Il patienta une vingtaine de minutes tout en gardant un œil sur l'étranger, toujours inconscient.
Aaron remarqua alors une tache de sang plus importante sur sa tunique, au niveau de l'abdomen. Peu désireux de voir l'inconnu mourir à ses pieds, il s'agenouilla et souleva avec précaution le vêtement. Il découvrit plusieurs entailles récentes ainsi que d'autres bleus.
L'Archer s'interrogeait toujours sur les circonstances qui avaient poussé cet homme à pénétrer dans la forêt de Jorren lorsque Nyssa arriva en courant, suivie par quatre rebelles.
La jeune femme se précipita vers son ami, inquiète :
— Tu vas bien ?
— Moi, oui. Lui...j'ignore où il a traîné mais il est mal en point. Tout ce que je sais c'est qu'il vient de Xangrath et qu'il est en fuite.
— Que vas-tu faire avec lui ?
— Le ramener et le soigner.
Nyssa fronça les sourcils :
— Et s'il s'agissait d'un espion ? Ou un homme envoyé par Korag ?
— Eh bien dans ce cas nous le retiendrons prisonnier. Ce ne sont pas les cachots qui nous manquent. Peux-tu regarder les plaies de son ventre ? Je crois qu'elles sont infectées.
Aaron évita d'ajouter que son instinct lui soufflait de protéger l'inconnu. Jusqu'à présent, il avait toujours suivi ses intuitions, convaincu que l'enchanteresse, avec laquelle il avait signé un pacte, lui envoyait des messages par la pensée.
En observant avec attention l'étranger, l'Archer sentit, au plus profond de son être, que ce dernier devait rejoindre leurs rangs. Il ignorait pourquoi mais il pressentait une catastrophe si le blessé tombait entre les mains de Korag.
Nyssa s'approcha de l'inconnu, sous l'étroite surveillance des guerriers. Après un rapide examen, elle se tourna vers Aaron :
— Ce n'est pas trop grave. Il suffira d'appliquer quelques cataplasmes durant trois ou quatre jours. Il est vraiment maigre...
— Oui, je l'ai remarqué. Bien, rentrons. Ne restons pas ici.
L'Archer demanda à deux de ses hommes d'organiser plusieurs patrouilles de surveillance afin de s'assurer qu'aucun ennemi n'avait découvert leur repère. Puis, avec les deux autres rebelles, il traîna le brancard jusqu'à leur repère. Ce ne fut pas une mince affaire de transporter l'étranger évanoui jusque dans les souterrains. Cependant, il n'ouvrit pas les yeux avant d'être installé dans une petite cellule, à l'écart.
Nyssa désinfectait ses nombreuses blessures lorsqu'il l'interpella :
— Où suis-je ? Qui êtes-vous ?
La jeune femme se tourna vers Aaron qui surveillait les opérations. Ce dernier s'approcha de la paillasse où avait été installé l'étranger. Il lui tendit un gobelet rempli d'eau et le regarda boire avidement le liquide avant de l'interroger :
— Avant toute chose, je veux connaître votre identité et savoir pourquoi vous vous trouviez dans la forêt ?
— Je...je m'appelle Niall. J'étais un soldat de Xangrath. J'ai dû m'enfuir.
— Pourquoi ?
L'autre soupira :
— Connaissez-vous les lois de Xangrath ? La rigidité avec laquelle le roi gouverne le pays ?
— J'en ai entendu parler. Ce n'est pas l'homme le plus ouvert d'esprit que je connaisse.
— Non en effet. Pour mon malheur...
Niall se mit à tousser. Nyssa lui offrit un autre gobelet d'eau. Aaron attendit quelques instants avant de reprendre :
— Vous faites partie des minorités opprimées par Sirlàm ?
— D'une certaine manière, oui. J'ai toujours dissimulé mon secret mais j'ai compris que quelqu'un avait des soupçons à mon égard. Je savais qu'à Efrijan personne ne chercherait à m'envoyer en prison. Et qu'on ne me reprocherait pas de ne pas avoir épousé une femme.
— Oh...je vois.
Même sans des explications précises, l'Archer savait de quoi parlait le soldat. À Xangrath, les hommes qui fréquentaient des personnes de même sexe étaient pourchassés avec une violence incroyable. Après leur arrestation, ils étaient torturés durant des semaines avant d'être pendus ou brûlés sur un bûcher. Aaron comprenait mieux pourquoi l'étranger était venu à Efrijan.
Le royaume prônait une liberté incomparable. Dans le pays il y avait autant de couples mixtes que des couples de femmes ou d'hommes. Et tout le monde cohabitait en parfaite harmonie. De l'autre côté de la frontière, au contraire, les sujets du roi Sirlàm vivaient un véritable enfer.
Cependant, Aaron gardait à l'esprit que le soldat pouvait tout aussi bien travailler à la solde de Korag.
Il décida de poursuivre ses questions :
— C'est donc la raison qui vous a poussé à quitter Xangrath pour venir à Efrijan ?
— Oui. Je ne savais pas très bien où me rendre et j'ai eu le malheur de croiser une bande de brigands. Ils m'ont volé le peu d'argent que je possédais, mes armes, mes vêtements et m'ont laissé pour mort à la sortie d'un village. Je me suis caché comme je pouvais et je ne marchais que la nuit. Cela fait cinq jours. Je pensais que je pouvais rejoindre le port de Terglen mais je crois que je me suis trompé de chemin. Je ne connais pas Efrijan.
— Pourquoi aller au port ?
— Pour trouver du travail. Sans argent, je ne peux ni me nourrir ni trouver un logement.
— Que pensez-vous de l'homme qui gouverne ce pays ?
— D'après ce que j'ai entendu, c'est un véritable tyran. Il s'entendrait bien avec le roi Sirlàm.
— Et que savez-vous de cette forêt ?
— Rien. C'est un lieu particulier ? Interdit ? Je...je suis désolé, je...c'est un endroit qui vous appartient ? Je...je vais repartir dans ce cas, je ne veux pas vous causer des ennuis.
— Je ne vous laisserai certainement pas vous en aller dans cet état. Vous êtes blessé et bien trop faible. Et j'ai une proposition à vous faire.
Nyssa donna un petit coup de coude à Aaron. Celui-ci se tourna vers elle et comprit que son amie désirait lui parler en privé. Il s'éloigna de quelques pas afin que le soldat ne les entende pas.
— Quoi ? demande l'Archer d'un ton sec.
— Aaron, tu ne penses pas sérieusement à lui proposer de rejoindre nos rangs ?
— Pourquoi pas ? Ce n'est pas un ennemi, j'en suis convaincu. Et c'est un homme qui était dans l'armée de Xangrath. Lorsqu'il sera remis sur pieds, je suis convaincu qu'il pourrait être un renfort intéressant pour notre groupe. Il connait certainement quelques techniques de combat intéressantes.
— Tu devrais demander l'avis du conseil avant de prendre la moindre décision. Et avant de proposer quoi que ce soit à cet homme. Ce n'est pas dans tes habitudes de passer outre l'avis du groupe.
— D'accord. Tu as raison. Je m'excuse, j'ai voulu aller trop vite. Nous allons nous réunir pour en discuter, naturellement.
Aaron se retient, de justesse, de révéler à Nyssa ses étranges pressentiments. La sorcière qui veillait sur la troupe des rebelles avait été très claire : son existence devait demeurer secrète. L'Archer n'avait pas le droit de dire quoi que ce soit qui se rapportait à elle.
Il demanda à deux hommes et deux femmes de rester dans l'alcôve où il avait installé le soldat. Puis il se mit à la recherche de ses adjoints et leur demanda de rejoindre la salle du conseil.
Il résuma la situation et exprima ce qu'il avait en tête. Tout le monde l'écoutait avec attention. Puis l'Archer demanda à ses compagnons de donner leur avis.
— Je suis d'accord pour qu'il rejoigne nos troupes. C'est un soldat, il sera un renfort de choix. Enfin, quand il sera guéri, indiqua Rory.
— Je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée. Nous ne savons rien de lui. Il pourrait avoir menti, contra Farrell
— Et que vas-tu faire dans ce cas ? Il connait notre repère. Nous ne pouvons le laisser repartir. Soit il devient l'un des nôtres, soit il meurt, ajouta Kalaris
— J'ai entendu les échanges qu'il a eu avec Aaron. Je ne le crois pas dangereux. Mais, s'il reste parmi nous, je préfèrerai qu'il soit placé sous surveillance constante. Tant que nous n'avons pas la garantie de sa loyauté envers nous, ajouta Nyssa.
Márgrég et Saïra partageaient l'avis de Rory. Il fut donc décidé que Niall deviendrait l'un des leurs, s'il acceptait la proposition d'Aaron. Tous l'espéraient car ils rechignaient à tuer un homme dont ils ignoraient tout. Le chef des rebelles indiqua qu'il formerait lui-même le nouveau venu. Ainsi, il garderait en permanence un œil sur lui.
Puis Eamon leva la main :
— Puisqu'il vient de Xangrath, nous devrions l'interroger au sujet des projets du roi. Il sait peut-être quelque chose puisqu'il était dans son armée.
— C'est ce que je comptais faire, répondit Aaron.
La réunion fut rapidement clôturée et le petit groupe rejoignit la cellule où reposait Niall.
Ce dernier buvait à petites gorgées un bol de bouillon que lui avait apporté l'une des femmes chargées des repas de la troupe.
Aaron comprit que l'étonnement du soldat n'était pas feint lorsqu'il lui exposa son offre. En balbutiant, il remercia l'Archer et les autres membres du conseil.
Tous le laissèrent ensuite, toujours sous bonne garde, pour qu'il puisse se reposer.
Comme toujours, lorsqu'une personne rejoignait la troupe, Aaron prononçait un bref discours de présentation lors de repas du soir. Ce jour-là, étant donné les circonstances, il annonça la nouvelle pendant le déjeuner. Il expliqua que Niall avait besoin de repos et qu'il resterait alité quelques jours. Plusieurs personnes exprimèrent leur mécontentement. Depuis la prise de pouvoir de Korag, Xangrath était devenu un ennemi d'Efrijan. Accueillir l'un de leurs soldats n'était pas une bonne idée. Aaron essaya de rassurer tout le monde mais, le soir venu, il se coucha inquiet. C'était la première fois, depuis qu'il avait rejoint la forêt de Jorren, que des rebelles n'acceptaient pas l'une de ses décisions.
Le jeune homme songea qu'il devrait rester attentif les prochains jours. Et il devrait faire en sorte que Niall s'intègre très rapidement à la troupe. Pour cela, il n'y avait qu'une seule possibilité : en faire un excellent combattant. Aaron n'avait jamais eu d'importants problèmes relationnels à gérer depuis qu'il s'était établi à Jorren.
Cette fois, il le pressentait, les choses seraient différentes. Il devrait se battre contre les autres rebelles pour imposer sa décision.
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Voilà une arrivée qui risque de changer beaucoup de choses au sein de la troupe...
Que pensez-vous de Niall ?
Qui est-il ?
Aaron fait-il une erreur en lui proposant d'intégrer le groupe des rebelles ?
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