Complications

Un mois plus tard, Aaron comprit que l'hiver ne tarderait pas à s'installer à Efrijan. Les températures, si agréables il y a peu, venaient de chuter brutalement. De nombreux arbres, à l'exception de ceux au feuillage persistant, avaient perdu leur manteau aux multiples tons vert et bruns. Il y avait moins d'oiseaux dans la forêt et le jeune homme apercevait bien plus souvent le gibier, en quête de nourriture. Il avait d'ailleurs organisé plusieurs chasses pour faire de nouvelles réserves de viande et garantir la survie de sa troupe. La première avait failli tourner au drame à cause de Niallàn qui n'avait pas voulu écouter les consignes et avait tiré trop tôt en direction d'un sanglier. Avec cinq autres bêtes, il avait fui mais dans la direction où se cachaient les rebelles. Certains avaient réussi à grimper dans des arbres mais d'autres s'étaient retrouvés face aux animaux paniqués. Heureusement, plusieurs guerriers avaient réussi à toucher les sangliers avec leurs flèches et à les achever ensuite au couteau.

Aaron n'avait pas hésité à réprimander Niallàn pour son imprudence devant tout le monde. Les relations entre les deux hommes, déjà tendues, étaient à présent glaciales.

L'Archer regarda autour de lui. Comme toujours lorsqu'il partait à la recherche de baies et de plantes, il aimait être seul.

La forêt avait pris une teinte presque irréelle. Le ciel, couvert de lourds nuages grisâtres, semblait peser sur les cimes des arbres, dont les branches nues donnaient l'impression de s'étirer à l'infini. Aaron s'enfonça dans les sous-bois. Le sentier était à peine visible mais le jeune homme connaissait les lieux à la perfection. Le silence l'apaisa. Loin du repère, loin de ses obligations, il pouvait respirer.

Chacun de ses pas soulevait un tapis de feuilles mortes, humides et brunes, Le craquement des brindilles sous ses pieds résonnait agréablement dans ce calme absolu. L'Archer était seul. Seul avec la nature pour seule compagne.

Il marchait lentement, profitant de la quiétude environnante. De temps à autre, un bruissement non loin de lui indiquait la présence furtive d'un animal. Un chevreuil, un renard ou encore un lapin curieux, rôdant dans les recoins sombres de ce monde silencieux.

Les odeurs de terre mouillée et de bois en décomposition indiquaient un changement prochain de climat. La nature était prête à plonger dans le long sommeil de l'hiver. Ce n'était pas le moment qu'Aaron préférait dans l'année. Les arbres avaient perdu leur beau feuillage et ne courbaient pas encore sous le poids de la neige.

Le jeune homme s'arrêta au milieu d'une clairière, où un arbre imposant, plus vieux que tous les autres, trônait majestueusement. Il avait rencontré l'enchanteresse à plusieurs reprises à cet endroit. Mais aujourd'hui, il ne comptait pas l'invoquer. L'Archer s'assit sur un vieux tronc et réfléchit aux évènements des dernières semaines.

Les tensions avec Niallàn l'épuisaient. Mais il ne voyait toujours pas comment les apaiser.

Il laissa son regard errer sur la forêt. Bientôt, comme tout le pays, la clairière serait recouverte d'un épais manteau blanc.

Même si les températures chutaient, la vue de la neige enchantait toujours autant la troupe des rebelles. Et l'atmosphère au repère était toujours joyeuse. Festive même. Bien loin de la mélancolie qui semblait peser sur tous à la fin de l'automne.

Après avoir laissé ses pensées s'égarer une vingtaine de minutes, Aaron vérifia qu'il avait réussi à trouver toutes les plantes demandées par les guérisseurs.

Il manquait de sauge qu'ils utilisaient pour traiter les maux de gorge, les troubles digestifs et les fièvres. Des affections qui touchaient régulièrement l'un ou l'autre membre de la troupe.

Le jeune homme n'avait pas oublié non plus d'emporter des orties dont les bienfaits étaient nombreux. Beaucoup s'en méfiaient car la plante avait mauvaise réputation. Et pourtant, elle était indispensable dans leurs réserves. En effet, Aaron l'avait appris durant sa formation, la tisane aux orties permettait de stimuler les fonctions digestives et lutter contre les lourdeurs et les crampes d'estomac. Elle aidait également à combattre les douleurs articulaires, un atout majeur pour les rebelles qui passaient beaucoup de temps à s'entraîner au combat.

Ce n'était pas les seuls avantages mais il s'agissait là de ceux qui intéressaient le plus les guérisseurs de la troupe.

Après avoir examiné son panier avec attention, l'Archer se leva et reprit le chemin des ruines.

Il était presque arrivé lorsqu'il repéra de nombreux mouvements non loin des terrains d'entraînement. Il hâta le pas et découvrir Rory, Farrell et une dizaine d'autres rebelles plaisanter avec Lorcan et Eamon qui étaient enfin de retour de leur mission à Halsora.

Aaron les salua chaleureusement. Puis, avide d'avoir de plus amples informations sur les projets de Korag, il convoqua le conseil juste après le déjeuner.

Tous s'installèrent sans dissimuler leur impatience. Lorcan et Eamon avaient quitté Jorren depuis un mois et seuls deux courriers de leur part étaient parvenus à Aaron. Des lettres dans lesquelles ils restaient vagues. Les membres du conseil avaient donc hâte d'entendre ce qu'ils avaient à leur apprendre.

Les deux frères se dévisagèrent en silence. Eamon fit un signe à son aîné pour l'inciter à prendre la parole. Ce dernier but d'abord une gorgée de son verre de vin avant de se tourner vers Aaron :

— Korag est furieux. La mutinerie organisée par Darick a pris des proportions gigantesques. Même nous, nous ne l'avons pas vu venir ! Lorsque nous quittions Halsora, une partie de l'armée avait décidé de se croiser les bras. Les entraînements sont supprimés, les désertions se multiplient. Une vingtaine de personnes ont rejoint notre groupe de Terglen et une trentaine celui qui œuvre à la frontière de Xangrath. Ce sont des renforts de choix. Nous avons discuté avec Darick. La paie des soldats a été réduite au lieu d'être augmentée. Le matériel et les armes sont insuffisants pour protéger le pays, indiqua-t-il.

— Pourtant Korag se vante depuis des mois d'avoir au contraire doté Efrijan de nombreux moyens de défense ? demanda Rory.

— C'est le cas, d'une certaine manière. Il se constitue une sorte d'armée dans l'armée. Un groupement d'élite avec des armes à profusion. Ils sont essentiellement stationnés non loin d'Halsora mais également à Molstrøm.

— Merde ! jura Nyssa.

— Et l'information est parvenue aux oreilles de certains officiers qui n'ont pas appréciés d'être mis sur le côté, compléta Eamon.

— En gros, c'est le bordel le plus complet. Korag est à présent terrorisé à l'idée qu'un autre pays lance une offensive contre Efrijan. Je n'y crois pas mais lui, oui. Des têtes sont tombées. Vraiment. Plusieurs généraux ont été accusés de trahison et exécutés sur la place publique.

Tous se regardèrent. Molstrøm était une importante garnison, non loin de la frontière de Xangrath. Ce n'était certainement pas anodin si Korag avait décidé d'y augmenter les effectifs. Mais ils comprenaient que le tyran avait également commis une terrible erreur.

Lorcan expliqua que la grogne des soldats avait gagné tout le pays. Si l'hiver n'avait pas été aux portes du royaume, nul doute qu'il aurait déjà été la proie d'affrontements entre les mécontents et le reste de l'armée.

Aaron ne dissimula pas sa satisfaction. Le tyran pouvait s'entêter à former une armée privée, cela servait leurs plans. Ainsi, il continuait de se mettre à dos une grande partie de la population et il se déforçait lui-même.

Néanmoins, ce rassemblement à la frontière ne pouvait signifier qu'une seule chose.

— Et qu'en est-il de son projet de mariage ? s'enquit l'Archer.

— Ah, ça. Il n'a pas renoncé. Il espérait lancer une attaque contre Xangrath au beau milieu de l'hiver mais la révolte en cours au sein de l'armée l'en a empêché. Grâce à nos espions à Räma, nous savons que Korag a réussi à introduire une femme au sein du personnel du palais de Sirlàm. Ce que nous nous sommes empressés de faire également, répondit Eamon.

— Vraiment ?

— Oui. Un coup de chance. Deux filles de cuisine ont quitté leur poste. La première à cause du décès de sa mère et la seconde va épouser un forgeron qui a décidé de quitter la capitale. Et deux garçons d'écurie se sont enfuis une nuit du palais et personne ne les a jamais revus. Il ne nous a donc pas été compliqué de faire entrer deux des nôtres au sein des domestiques. Il en manque tellement qu'ils engagent n'importe qui, sans se renseigner à leur sujet.

— Et donc, comment Korag espère-t-il forcer Sirlàm à accepter une union qui, de toute façon, ne le servira pas ?

— Il va d'abord lui montrer à quel point Xangrath est dépendant de ses voisins et que sans eux, le pays ne peut nourrir tous ses habitants. Il va leur proposer de leur fournir une partie des ressources de la pêche d'Efrijan, des récoltes de fruits, de légumes et de céréales. Il compte également aider Sirlàm pour former ses soldats et peut-être leur fournir des armes.

— Il n'est pas cinglé à ce point. Jamais il ne tiendra ses promesses ! s'exclama Rory.

— Ah oui évidemment. Ce n'est que de la poudre aux yeux. Comme s'il allait tenir ses engagements ! s'esclaffa Lorcan.

— Et Sirlàm est stupide au point de tomber dans le piège ? s'étonna Farrell.

— D'après nos premiers renseignements, non, il a compris la manœuvre de Korag. Il a l'intention de lui faire croire qu'il est naïf et qu'il désire plus que tout ce rapprochement commercial.

— Et ensuite ? s'enquit Aaron qui ne comprenait pas ce que le roi de Xangrath pouvait avoir en tête.

— Il se murmure qu'il proposerait lui-même que sa fille Ninog épouse Korag.

— Pardon ? s'étrangla le chef des rebelles.

— Nos espions investiguent à ce sujet. Quelque chose nous échappe. Cette union, c'est comme offrir le trône de Xangrath à Korag sur un plateau. Cela n'a aucun sens.

— Non, en effet, marmonna Aaron.

— Ce qui est inquiétant c'est que Sirlàm a visiblement l'intention de conclure un pacte avec Korag. S'il parvient à ses fins cet hiver, nous allons devoir lutter contre deux tyrans en même temps. C'est impossible, indiqua Saïra, le regard sombre.

Aaron ferma les yeux un bref instant. En effet, si les deux rois s'unissaient, et même s'ils ne tenaient pas leur parole, il y aurait une période où ils collaboreraient. Saïra avait raison. Pour les rebelles, la situation deviendrait invivable. Et l'Archer ne pourrait jamais mettre son plan à exécution. Mais s'il intervenait dans les négociations entre Xangrath et Efrijan, il risquait de provoquer une guerre entre les deux pays. Korag, malgré les problèmes de l'armée, était bien capable de lancer une offensive au beau milieu de l'hiver. Ce serait du suicide pur et simple mais Aaron commençait à bien le cerner pour savoir qu'il était prêt à toutes les folies.

Le jeune homme avait bien une idée à proposer au conseil mais il doutait que les autres membres acceptent.

— Et si nous interrogions Niall ? lança Márgrég.

Tous se tournèrent dans un ensemble parfait vers la doyenne de l'assemblée. Aaron bénit en silence son intervention. Car c'est exactement ce à quoi il pensait. Surtout en connaissant l'identité réelle de l'ancien soldat.

Il y eu un bref moment de silence. Puis Kalaris toussota avant de s'adresser au chef des rebelles :

— Je ne suis pas encore totalement convaincue par sa totale loyauté envers la troupe mais...eh bien, il a combattu au sein de l'armée de Xangrath. Il doit savoir des choses. Il peut être un atout dans notre lutte contre Korag. S'il nous aide à empêcher une alliance avec Sirlàm, je pourrais revoir mon jugement, déclara-t-elle.

Farrell hocha la tête pour marquer son accord. Saïra, Rory et Nyssa indiquèrent qu'ils devaient effectivement utiliser tous les avantages dont ils disposaient. Lorcan et Eamon qui, par la force des choses, ne connaissaient pas encore vraiment Niallàn, approuvèrent en indiquant que s'il était toujours à Jorren après un mois, c'est qu'Aaron avait estimé qu'il était digne de confiance. Et que dans le cas contraire, il aurait déjà été exécuté.

L'Archer se leva et indiqua qu'il allait chercher Niallàn. Il le découvrit dehors, non loin du terrain d'entraînement en train d'apprendre à Rani, la fille de Lorcan, à réparer son arc. L'enfant, âgée de huit ans, semblait littéralement boire les paroles du prince de Xangrath.

Aaron les observa plusieurs minutes, étonné de découvrir une facette de l'ancien soldat qu'il ne soupçonnait pas. Il eut alors le sentiment d'avoir face à lui le véritable Niallàn. Sans retenue ni faux-semblants.

De l'endroit où il se trouvait, le jeune homme pouvait observer sans être vu. Le regard pétillant, Niallàn ne cessait de taquiner Rani qui protestait et n'hésitait pas à exprimer son mécontentement en tapant du pied ou en gesticulant avec force.

Le prince éclatait de rire à intervalle régulier. Un rire franc qui résonnait agréablement aux oreilles d'Aaron.

L'Archer remarqua alors le contraste saisissant entre la carrure imposante de Niallàn et la fragilité de Rani. Il y avait aussi quelque chose de déconcertant dans la scène que le chef des rebelles avait sous les yeux. Les bras musclés de l'ancien soldat, qui semblaient faits pour le combat, s'animaient avec une délicatesse surprenante. Son attitude intimidante avait laissé place à un comportement presque enfantin.

De temps en temps, Niallàn passait une main dans ses cheveux. Un geste naturel mais qui provoquait chez Aaron un certain émoi. Les yeux fixés sur l'homme et l'enfant, le chef des rebelles se surprit à penser qu'un charme indéniable se dégageait de Niallàn.

Son sourire éclatant avait remplacé la sévérité habituelle de son visage. Le chef des rebelles découvrit que cela transformait vraiment Niallàn en un homme différent. Ses yeux brillaient d'un éclat que l'Archer n'avait encore jamais aperçu depuis son arrivée à Jorren. Ces mêmes yeux qui, d'ordinaire, le fixaient avec agacement et colère.

Niallàn Therkildsen rayonnait de façon désarmante. Il semblait tout à coup plus jeune également.

Aaron continuait de le scruter, fasciné. Il savait que dès qu'il s'avancerait, le prince de Xangrath se renfermerait aussitôt et que cette part d'insouciance qu'il exprimait avec Rani disparaîtrait immédiatement.

L'Archer hésita. Il ne voulait pas briser ce moment. Mais il n'avait pas le choix. Il s'avança et faillit perdre pied lorsque les prunelles bleues de Niallàn croisèrent son regard.

L'ancien soldat reporta directement son attention sur Rani :

— Nous terminerons demain si tu veux. Je crois qu'Aaron a besoin de moi.

Le changement de ton était subtil mais l'Archer le perçut tout de suite. Le corps du prince était à nouveau contracté et toute chaleur l'avait déserté lorsqu'il s'avança vers Aaron, après avoir embrassé rapidement Rani sur la joue.

Le chef des rebelles secoua la tête pour chasser les curieuses réflexions qui l'avaient perturbé quelques instants plus tôt.

— Je ne suis attendu dans les cuisines que dans deux heures. J'ai parfaitement le droit d'être ici, déclara d'un ton sec l'ancien soldat.

— Je ne venais pas pour te faire un reproche. Le conseil aimerait te poser quelques questions, répondit Aaron en essayant de rester calme.

— Et à quel sujet ?

— Ton père.

— Ils...

— Non, ils ne savent pas. Et personne ne saura tant que Korag n'aura pas été renversé. Mais dans la situation actuelle, ton aide serait la bienvenue. Cela ne signifie pas que tu vas rejoindre le conseil. Cependant...selon l'évolution politique à Efrijan et Xangrath, tu seras peut-être amené à l'intégrer.

— Je vois. Eh bien...allons-y dans ce cas.

Aaron fronça les sourcils. Il s'attendait à des protestations de la part de Niallàn.

Tout en se dirigeant vers l'entrée du repère, le jeune homme pria pour que le prince adopte une attitude constructive et ne provoque pas d'altercations avec les autres membres du conseil. 

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A votre avis, Niall va-t-il pouvoir apporter des informations ou sa rancune manifeste envers Aaron prendra le dessus ?

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