. IV .
«Derek, you and I were meant to be»
- Qu'étais-je censée lui répondre ? Qu'il était laid en plus d'être susceptible ? Cela aurait été mensonger.
- Altesse !
- L'insolence ne vous sied pas, Clara!
Le soir tombait. Depuis que Derek l'avait quittée, Clara s'était installée dans le canapé du grand salon et n'avait plus bougé. Elle serrait fort un coussin contre elle. Geneviève, sa dame de compagnie, et Melchior, le chambellan, la sermonnaient encore sur son comportement de la veille. Sur le petit guéridon face au canapé attendaient un encrier, une belle plume et quelques feuilles vierges.
- Votre orgueil vous perdra, ma chère !
- Lui aussi s'est laissé emporter, je me suis seulement abaissée à son niveau.
- Vous ne croyez pas un instant à vos dires.
- Si la destruction d'un train miniature n'est point une raison suffisante pour rompre des fiançailles...
- Vous aviez 8 ans, Princesse !
- Et ?
- Aujourd'hui, vous en avez 25 et vous devez vous montrer mature !
- J'y tenais à ce jouet... Et puis, je ne suis pas seule responsable de cela !
- J'espère bien que votre prince a un aussi bon conseiller comme vous en avez un ! Vous devez lui écrire pour vous excuser. À votre âge, le mariage devient inévitable, nous vous servons un plateau d'or le parfait promis et vous, vous...
- Je lui ai fait un compliment.
- La beauté est tout ce qui vous importe ?
- S'il était resté plus longtemps, je lui aurais fait la liste de ses qualités...
- Comme ?
- Euh... Ses yeux ! Sa taille parfaite ! Toutes ses petites choses...
- Nommez-les, allez-y !
Un silence passa. Il fallait vraiment lui arracher les mots de la bouche, à cette héritière !
- Écoutez, je sais que j'ai été rustre. Mais le mal est fait, j'ai tenté des excuses, il m'a ignoré. Je ne m'en fais pas, la reine est aussi obstinée que mon père, ce mariage va être arranger. Je veux faire de Derek mon roi !
- Tiens donc ? Parce qu'il est beau ou parce que votre père le roi vous l'a choisi ?
- Quelle mauvaise langue vous faites, parfois, Melchior ! J'ai peu discuté avec lui, mais... Cela m'a suffit... Il...
- Vous l'aimez, Altesse ? réalisa Geneviève, un peu lente.
- C'est peu de dire aimer, je l'adore ! confessa-t-elle, à voix haute. Et je sais qu'il me trouve attirante.
- Vaniteuse, en plus...
Elle ignora la remarque et plongea son visage dans son coussin, et l'enlaça, comme s'il s'agissait de son futur roi.
- Il me reviendra au galop !
Personne n'entendit le tonnerre gronder à cet instant, car un chevalier à l'armure déformée enfonça la porte du palais avant de s'effondrer sur le seuil. Le choc de son armure de fer contre le sol résonna et fit sursauter la princesse et ses compagnons. Melchior allait appeler la garde quand il reconnut cet individu !
- Un garde de la reine Juliette !
Clara eut la sensation de se prendre un coup dans l'estomac. Elle se précipita vers le chevalier. Il était gravement blessé et avait le visage tuméfié.
- Appelez le docteur !! cria Geneviève.
Le chevalier empoigna le bras de la princesse :
- La reine... Le prince... Cette... Danger... Elle est venue du ciel...
- Où est Derek ? Et sa Majesté ?
- ... Attaqués...
Clara sauta sur Mont d'Or et partit au triple galop, sans attendre sa garde. Elle alla si vite qu'elle ne sentit pas la pluie.
Elle arriva enfin sur le lieu d'agression... Un véritable carnage qui coupa la respiration de la princesse ! Des morceaux d'arbres carbonisés jonchaient la route, les cavaliers étaient tous inconscients, leurs armures comme fondues sur eux. Clara mit le pied à terre... Dans une flaque de sang. Elle regarda, paniquée, ce désastre.
- Derek ? Votre Majesté ? Altesse ?
Elle vit la couronne de la reine Juliette. Brisée. Elle s'en approcha et découvrit la souveraine gisant dans un ravin du bord de la route. Elle avait des griffures plein le visage.
- Votre Majesté !
Clara s'élança et s'agenouilla à ses côtés.
- Votre Majesté ! Que s'est-il passé ? Où est votre fils ? Majesté ?!
Juliette ouvrit faiblement les yeux.
- Clara... Ma fille... Tu...
Elle grimaça de douleur.
- Majesté...
- C'est ma faute, je... Je ne l'ai pas vue venir... Elle... Elle est revenue... Clara, elle m'a... Cette... Elle est apparue... La créature... Prends garde, Clara ! Elle se transforme... Cette chose... N'est pas ce qu'elle semble... Tu entends... Elle n'est pas ce qu'elle semble être ! Forts pouvoirs... Elle a tous les pouvoirs... Et de ses ailes...
- De quoi parlez-vous ? Où est Derek ?
- Mon enfant...
Elle toussa et du sang déborda de sa bouche. Son souffle était brouillé à cause de ses côtes cassées. Ses yeux s'embuèrent.
- Majesté, tenez bon ! Dites-moi où est Derek ?
- Derek a... Derek est... Il... A été... Enlevé.
Une ultime larme coula et la reine expira.
Seule, sous la pluie, dans la boue et le sang, Clara demeura figée. Sans pleurer, elle ferma les yeux de celle qui était destinée à devenir sa belle-mère, puis elle leva la tête vers le ciel, désemparée.
- DEREK !!
Non loin de là, de l'autre côté des bois, un sombre renfoncement situé à la frontière des deux proches pays, se trouvait une barrière rocheuse d'où coulait une petite cascade d'eau claire. Nul ne savait d'où venait sa source. Car c'était un barrage enchanté. Derrière la cascade se trouvait un rideau de lierre qui cachait l'ouverture d'un tout autre endroit : une vaste clairière semblait s'étendre à perte de vue ! Une grande forêt recouvrant les vestiges d'un ancien château détruit encerclait un lac. Au bord du lac, un regroupement de flamants décolorés ne se faisait pas remarquer. Ils avaient l'air triste et le regard tourné vers Othella qui, sur le bord du lac, émiettait grossièrement les pétales d'un bouquet de roses et les jetait dans l'eau, près d'un magnifique cygne.
- Allons, mon prince, il ne faut pas m'en vouloir. Si tu ne m'avais pas résisté... Il te suffit d'attendre le reflet de la lune sur l'eau...
Le cygne scrutait le ciel. Un croissant de lune était là-haut mais dissimulé sous un mince nuage.
- Patience, patience...
Dans les arbres, deux chouettes se recroquevillaient dans leur trou. Cachée derrière une pierre, une petite grenouille observait discrètement la magicienne et l'animal. Le cygne tournait en rond sur l'eau. Enfin, il aperçut le nuage fondre et laisser apparaître la lune. Le cygne nagea jusqu'à ce qu'il soit sur son reflet. Dès lors, un cercle doré se forma autour de lui, ses plumes se mirent à briller, les flots s'élevèrent pour l'entourer et quand ils disparurent, Derek était là. À la place du cygne. Dans l'eau jusqu'à la taille, il était en chemise, ses cheveux bouclés étaient détachés et répartis sur ses épaules et sa lèvre supérieure était légèrement fendue. Sans l'ombre d'un sourire, il s'approcha du bord. Othella lui tendit la main :
- Mon prince...
Il sortit de l'eau sans lui accorder un regard et la dépassa.
- Reconnais la puissance de mon art, ha ha !
Othella réapparut juste devant lui, lui barrant le chemin.
- Alors, Derek, cette petite journée t'a-t-elle éclaircie les idées ? As-tu réfléchis à ma proposition ?
- C'est toujours non !
Il s'éloigna. La sorcière ricana.
- Derek, Derek, Derek... Tu ne fais que retarder l'inévitable. Tu finiras par accepter ma demande... Ou bien, tu me la feras toi-même !
- Jamais !
- Ce n'est qu'une question de temps avant que tu ne deviennes mien... Mon roi !
- Je ne vous épouserai jamais ! rugit-il.
- Dans ce cas, tu resteras ici toute ta vie et ton pauvre royaume sera privé de gouverneur. Est-ce là ce que tu veux ?
- Si seul le royaume vous intéresse, prenez-le ; vous en avez le pouvoir !
- Hélas, si c'était si simple !
Derek cherchait des yeux une issue quand la sorcière fut de nouveau devant lui. Avant qu'il n'eut le réflexe de reculer, elle le saisit aux épaules.
- Je veux ce royaume légalement, pas en usant de ma magie, sinon je passerais ma vie à me battre pour le garder.
Ses doigts osseux et puissants relâchèrent le prince, pour effleurer ses boucles.
- Tandis qu'en épousant l'héritier légitime...
Elle fit apparaître une couronne d'or et la plaça sur le crâne du prince.
- Pense à ton peuple, que je saurai diriger mieux que n'importe qui... Tu ne peux les abandonner. Ils n'ont plus personne... Puisqu'il ne reste que toi !
L'évocation de la mort de sa mère lui noua la gorge. Mais il ne voulait pas offrir une nouvelle victoire à cette mégère et lui montrer ses larmes. Il s'écarta d'elle, la couronne s'évapora.
- Vous feriez mieux de me tuer maintenant car je ne vous céderai pas !
- Ha ha, quelle assurance, Altesse ! Cela me plaît...
Elle s'approcha de lui, il tenta de la fuir en courant.
- Tu peux toujours filer, tu es à moi, chez moi ! Dès que la lune disparaîtra, tu redeviendras cygne ! Tu ne peux quitter cet endroit. Je suis ta seule chance, Prince ! Penses-y !
Son rire se perdit dans les bois. Derek se perdit, essaya d'avancer toujours droit devant lui mais il revint, sans comprendre pourquoi, devant le lac. La sorcière avait disparu. Il balaya l'endroit du regard mais ne vit personne. N'entendit personne. Il fit demi-tour et partit en courant tout droit. Mais il se retrouva de nouveau sur la rive. Il se mit à trembler et leva les yeux vers le ciel, le regard sur le croissant de lune.
- Ô, Clara... Pourquoi t'ai-je quittée ?
_-_-_
De jour en jour, le vent d'été perdait de sa chaleur, annonçant l'arrivée imminente de la saison prochaine. Des feuilles brunes, jaunes et rouges furent balayées des jardins royaux, les derniers fruits des vergers cueillis et les branches nues taillées.
Depuis son lit, le roi William observait par sa fenêtre un petit groupe d'oisillons se frotter les plumes. Ils étaient nés au printemps dernier et il était temps pour eux de prendre leur envol. Les reverrait-il ?
Depuis la mort de sa fidèle amie Juliette, il y a quelques mois, le roi dépérissait : il n'avait pas supporté la nouvelle, encore moins les obscures circonstances du décès. Quelqu'un avait assassiné cette brave souveraine, ainsi que sa garde et sa famille. William se souvenait avoir beaucoup parlé politique avec, et jamais elle n'avait évoqué le moindre tourment, le moindre incident, la moindre injustice... Rien pour justifier cet acte ! Des mois après les funérailles, il n'arrivait toujours pas à réaliser qu'il ne la reverrait plus jamais. Eux qui avaient tant de projets... À commencer par l'union de leurs pays. L'héritier du royaume de Juliette ayant disparu, William, par devoir, s'était proclamé gouverneur officiel, afin de veiller sur cet innocent peuple et d'accomplir la volonté de son amie. Maintenant souverain de deux royaumes, il se sentait fatigué et sa santé ne faisait que s'affaiblir. Heureusement qu'il était soutenu. Il n'était plus que l'ombre de lui-même, comme si tous les malheurs lui étaient tombés dessus. Il regrettait que la faucheuse l'ait épargné lui et pas son amie. Surtout, ce qui l'inquiétait le plus était...
- Votre Majesté ?
L'intendante entra dans sa chambre.
- J'ai ce que vous m'avez demandé.
Il lui fit signe de s'approcher. L'intendante l'aida à se redresser sur ses oreillers, installa un plateau de lit sur ses genoux et y étala une pile de lettres ainsi que plusieurs parchemins. Le roi soupira :
- Pensez-vous que je fais le bon choix ?
- Votre Majesté... commença-t-elle, hésitante. Vous faites cela pour son bien et celui de votre royaume.
- Certes, mais... Est-ce qu'elle... N'y verra-t-elle pas... Notre situation l'exige, n'est-ce pas ?
Il ignorait s'il essayait de convaincre son intendante ou lui-même. Elle se pencha vers lui et lui rappela, d'une voix rassurante :
- C'est votre devoir. Ecoutez votre cœur.
Il réfléchit un instant. Puis il ouvrit la main, pour qu'elle lui donne sa plume.
- Je ne veux plus voir cet air de souffrance sur son visage.
Et il se mit à rédiger.
Dans les jardins, une assiette vola, avant d'exploser en morceaux : une flèche l'avait percutée en plein milieu ! Une seconde, bien que plus vive, connut le même sort. Une autre, lancée à l'horizontale, aussi. Deux dépassèrent la cime des sapins au même moment, mais furent cassées à une seconde d'intervalle.
- Que de progrès, Altesse, je vous félicite !
Un serviteur se hâta de ramasser les débris. Un autre tailla de nouvelles flèches. Melchior s'aventura dans ce ''terrain de chasse'', en secouant la tête.
- Vraiment, Altesse, votre entêtement me dépasse. Ces entraînements ne vous apporteront rien. Ne pouvez-vous pas vous intéresser à autre activité ? J'ai ouïe dire que le comte de Galiléo souhaitait apporter son soutien à la construction du pont en l'hommage de la reine Juliette. Peut-être pourriez-vous vous rencontrer ?
Clara, en bottes de chasse et en jupe coupée sous les genoux, préféra accorder son attention à son arc. À ses côtés, Geneviève gronda le chambellan :
- Melchior, enfin, vous croyez que le cœur de son Altesse oubliera le prince si tôt ?
- Que croyez-vous ? Qu'il va revenir l'été prochain pour la conquérir, comme toutes les autres années ?
Un bruit d'éclat les coupa. Clara lançait elle-même les vieilles assiettes, ramassait avec une rapidité de félin son arsenal et brisait le projectile avant que ce dernier ne retombe. Melchior soupira et partit. Il n'approuvait pas l'étrange manière dont elle évacuait son chagrin. Comme tout le monde, elle devrait plutôt s'habiller en noir, se recueillir sur les stèles royales, ou prier. Ou pleurer ; cette princesse n'avait pas versé une larme depuis la disparition de ses amis royaux. S'acharner à devenir archère ne lui servirait à rien. Mais Melchior, comme tous, ignorait que Clara ne faisait pas son deuil. Pour la simple et bonne raison qu'elle ne croyait pas en la mort de son fiancé. Elle tendit son arc et se répéta, inlassablement, comme une promesse.
- Je te retrouverai, Derek.
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