. III .


«As sure as the dawn brings the sunrise, we've an unshakable bond»


Le prince Derek longea les murs extérieurs du palais en petites foulées, pour ne pas être vu. Il avait besoin de temps, seul, et au calme, pour se préparer à revoir sa fiancée. Il ne l'avait pas vue depuis cinq ans et elle ne lui manquait pas ! À 25 ans, ils étaient en âge de s'épouser et, bien qu'il lui était évident de se plier à la volonté de sa mère, Derek redoutait ce mariage. Depuis sa plus tendre enfance, sa fiancée lui en avait fait voir de toutes les couleurs et le lui avait bien rendu ! Dans sa tête était ancré le souvenir d'une gamine immature et survoltée, il doutait qu'elle eut changé. Il pénétra dans les jardins royaux et s'égara en prenant tous les premiers chemins à sa gauche. Dire que petits, ils avaient fait un cache-cache ici ensemble, avec les domestiques de la princesse ; il s'était caché dans un buisson et avait attendu, attendu, longtemps, qu'on vienne le trouver... La nuit était tombée et, effrayé, il était sorti de sa cachette, s'était perdu dans ces jardins, où les gardes ne l'avaient retrouvé qu'une heure plus tard, frigorifié : il avait après réalisé qu'il avait été victime d'une méchante farce de la princesse qui, une fois qu'il s'était caché, était repartie, triomphante, à ses occupations. Maintenant, il connaissait bien ces jardins d'un vert luisant, à la pelouse parfaite, aux bosquets impeccablement taillés. La saison y était propice. Le prince, sa cape bien ajustée devant lui afin de dissimuler son costume royal, s'avança jusqu'aux écuries. Il se promena devant les box des chevaux, splendides bêtes aux robes brossées, sans croiser personne. Il n'avait jamais évoqué avec sa mère de l'endroit où il vivrait : si le mariage se faisait cet été, devra-t-il rester dans le palais de son épouse ou iront-ils ensemble vivre sur ses terres ? Une journée de route séparait les deux pays. Devront-ils trouver ou faire construire un palais entre les deux ? Le projet d'un pont entre ces pays ne se réalisera qu'après leur union. Derek ne voulut plus réfléchir à cela. 

Il caressa le museau d'un cheval brun en imaginant un instant être à sa place. Certes, il serait chargé d'équipements pour satisfaire les humains mais, une fois la balade terminée, il serait libre... Quoique, enfermé dans une écurie... Mais bien traité. Ignoré quelque temps. Avec des amis. Une arrivée au galop retentissante le tira de ses pensées et fit tourner la tête : sur un grand étalon blond, une jeune femme. Ses cheveux détachés semblaient voler au-dessus d'elle, tant elle arriva vite, aussi essoufflée que son cheval. Un sourire aux lèvres, elle fit ralentir le pas à sa monture et la fit marcher en pas-chassés, le long de l'écurie. Devant cette maîtrise, le prince prit aussitôt cette nouvelle venue pour une préceptrice d'équitation. Il l'observa : sous son sourire, une bouche rouge foncé mise en valeur par un teint pâle, atypique pour la saison et pour sa profession, elle avait l'air autoritaire. Elle était vêtue d'une chemise raffinée au jabot de mousseline et aux manches bouffantes, et d'une haute paire de bottes, les plus hautes que le prince n'ait jamais vu. L'épaisseur de ses cheveux noir de jais, longs jusqu'au milieu du dos, et ses yeux sombres révélaient un possible ancêtre des pays très au Sud. Derek ne put détacher son regard d'elle, ni faire un geste. Il avait été comme... Frappé par cette apparition. Tant qu'il ne reconnut pas sa promise !

En effet, dès que son père avait eu le dos tourné, Clara, ne souhaitant point revoir son fiancé après cinq ans de tranquillité loin de lui, s'était sauvée grâce à ses servantes dévouées. Elle avait voulu partir le plus vite possible, pour se sentir libre une dernière fois avant de passer l'été avec son promis ! Elle avait fait l'aller-retour entre l'écurie et les limites de l'immense propriété royale en quelques minutes, les mains crochées à la crinière du cheval, les cheveux secoués dans tous les sens, l'air lui giflant le visage... C'était ainsi qu'elle aimait se sentir vivante ! La vitesse, l'exploration, l'aventure, le risque... Elle s'autorisait quelques escapades hasardeuses de temps en temps, sans que cela n'ait jamais entaché son titre de future reine. Mais là, c'était urgent ; elle s'était soumise à ses devoirs et aujourd'hui, alors que son mariage approchait, elle voulait s'en défaire, juste pour quelques heures... 

Elle remarqua, aux écuries, un homme, un inconnu, qu'elle n'avait jamais vu. Elle fit mine de l'ignorer et fit exécuter une marche sur le côté à son cheval, afin d'impressionner le nouveau venu. Qui pouvait-il être ? L'évidence lui fit détourner le regard : si elle ne l'avait jamais vu, il ne pouvait que venir du royaume voisin ; il était sans doute un messager, un valet ou un écuyer. Il accompagnait certainement son fiancé et avait été sommé, avec toute la cour, de la chercher. Il ne pouvait être le prince lui-même car, d'après ses souvenirs, jamais ce sot ne sortait sans garde. Elle le trouva divinement distingué pour un valet : il était grand, à l'allure majestueuse. Il avait un visage d'ange aux traits délicats, un regard vert clair, ses cheveux châtains étaient noués en queue de cheval sur son dos. Clara devina qu'ils étaient bouclés et presque de la même longueur que les siens. Un très bel individu, jugea-t-elle. Elle lui adressa un signe de tête auquel il répondit, puis elle entraîna son cheval à sa hauteur. Sa journée allait être gâcher par l'arrivée de son fiancé, alors elle souhaita profiter de tout ce qui pourrait la faire sourire.

- Bonjour.

- Bonjour.

- Vous êtes au service de ce stupide prince ?

Derek se figea. Il ne sut s'il devait s'indigner ou rire d'un tel culot de la part d'une écuyère.

- Est-il arrivé ?

Cette femme ignorait donc qui il était ! Il sourit, trop heureux que son titre soit méconnu de cette belle inconnue. Il s'éclaircit la voix :

- Effectivement, Sa Majesté la Reine Juliette est arrivée. Voulez-vous ?

Il tendit la main pour l'aider à descendre. Elle le détailla : s'il avait su qui elle était, il n'aurait jamais eu ce geste, il aurait détourné le regard puisqu'elle n'était point en robe et appelé les domestiques royaux. Amusant ! Elle eut une idée : celle de cacher son identité à ce charmant jeune homme ! Pour se comporter enfin comme la femme qu'elle était, pour avoir enfin une conversation, même de quelques minutes, avec un homme plaisant, autre que son père, qu'un précepteur ou que son insignifiant fiancé !

Elle déclina l'aide et descendit de sa monture. Pour ne pas éveiller les soupçons, elle s'occupa elle-même de faire rentrer son cheval dans son box et le débarrassa rapidement de sa selle avant qu'un palefrenier n'arrive par ici. Elle se félicita de ne pas avoir monté avec son encombrante selle habituelle, dont les dorures et les ornements royaux l'auraient trahie. Elle enleva les rênes et les laissa tomber, car son cheval la bousculait pour qu'elle se presse de lui donner une récompense pour ses efforts ! Elle rit et prit une pomme dans un panier suspendu et la lui donna. Il la dévora, tandis que Derek ramassa les rênes pour les pendre au crochet qui leur était réservé. Clara lui sourit en tapotant le poitrail de sa monture : en plus d'être bien élevé, cet homme s'y connaissait en équitation. Il caressa le front scintillant de la bête.

- Magnifique... laissa-t-il échapper.

- Le cheval ou moi ?

Elle gloussa devant sa propre impudence et l'air confus de l'inconnu, qui rougit. Ce dernier, bien que déstabilisé, apprécia la plaisanterie. L'affolante beauté de l'animal était loin d'égaler celle de son interlocutrice. Clara se ressaisit.

- C'est le plus lourd mais c'est le plus rapide. expliqua-t-elle.

- Pourquoi aviez-vous besoin d'aller vite ?

- On peut dire que je fuyais.

- Votre princesse ? Je ne le répéterai pas ; c'est compréhensible.

Clara se pinça les lèvres. Quelle réputation avait-elle chez lui ?

- Comment s'appelle-t-il ? demanda-t-il en désignant l'étalon.

- Mont d'Or.

Ils sortirent du box.

- Pourquoi fuir la princesse ?

- Elle n'est pas aisée à vivre.

- Tiens donc...

- À ce qu'on m'a rapporté.

- Votre prince vous a dit cela ? Ce garçon incapable d'aligner deux mots sans autorisation ?

- Hum, on raconte qu'il préfère s'adresser dignement et correctement, plutôt que d'agir sans réfléchir...

- Comme la princesse ?

- Comme la princesse.

Piqués, ils ne laissèrent transparaître aucune agitation. Ils avaient envie de se plaire et ils devaient réaliser cela vite avant que leurs identités ne soient dévoilés.

- Ne parlons plus d'eux !

- Avec plaisir, leurs histoires de mariage m'écœurent !

Ils n'en revenaient pas de dire cela mais chacun devaient agir afin de gagner la confiance de l'autre.

- Et, vous êtes ?

Elle ôta son gant et lui offrit sa main. Il la lui prit et s'apprêta à y déposer un baiser.

- Altesse !

Par réflexe, les deux héritiers tournèrent la tête dans un même mouvement : une servante, haletante, les contempla un instant, avant de faire une révérence :

- Vos Altesses sont attendus par les Majestés le roi et la reine... informa-t-elle, levant le voile du mensonge.

Ils comprirent immédiatement. Pris, ils se dévisagèrent : Derek avait les sourcils froncés et Clara la bouche grande ouverte, scandalisés !


_-_-_


Un bal fut organisé le soir même. Toute la cour et quelques riches marchands purent y assister. William prétendit que c'était pour accueillir sa grande amie du pays voisin, mais en vérité, cela devait servir d'occasion pour annoncer -enfin !- le mariage de leurs enfants ! Ils trépignaient d'impatience, encore plus que le jour de leur propre couronnement. L'orchestre était joyeux, les convives aimables, la nourriture excellente... Personne ne remarqua les deux héritiers, en habits de bal, chacun dans un coin, l'air dépité. Vexés, ils ne s'étaient pas adressés la parole depuis qu'ils s'étaient croisés à l'écurie royale. Ils s'en voulaient. Ce furent les deux seuls visages sinistres de la fête. La musique s'arrêta, tout le monde applaudit, les violons se préparèrent. Les héritiers tressaillirent : l'ouverture de bal ! Leurs parents leur firent de grands signes d'encouragement et ils durent se rejoindre, avec une infinie lenteur, au milieu de la piste. William et Juliette, les mains jointes, semblaient émus jusqu'aux larmes... Puis leurs sourires s'effacèrent lorsqu'en exécutant sa révérence, Clara ne baissa pas la tête, et lorsque Derek porta la main de sa promise jusqu'à son menton sans l'embrasser. Le chef d'orchestre tapa trois coups et la musique commença. Les héritiers, le visage figé, entamèrent une valse parfaite. Faire encore semblant d'apprécier le moment. Ils n'en pouvaient plus. Il fallait qu'ils se parlent. Ce fut la princesse qui rompit la glace...

- Notre rencontre de tout à l'heure était bien fâcheuse. Sans en reparler, pourriez-vous...

- Nous gardons le vouvoiement ?

... Pour se prendre une douche froide !

- Oui. Après tout, nous ne nous connaissons point.

- Certes.

Ils n'arrivaient pas à sourire. Quelques invités le remarquèrent et en discutèrent.

- Vous ne comptez pas vous excuser ?

- Moi ? Et vous ?

- Pour quoi faire ? Le mal est fait.

Ils tournèrent encore. Ils se retinrent difficilement de ne pas se marcher sur les pieds. Leurs fiertés étaient heurtées. Ils l'ignoraient à ce moment-là, mais leurs sentiments l'étaient également. Clara avait très envie de poser sa tête sur l'épaule de cet homme et Derek voulut la blottir contre lui. Mais ils n'avaient pas fini...

- Allons, nos parents n'ont pas fait tout cela pour que nous nous disputions un tel jour.

- Qu'est-ce que ce jour a de différent par rapport aux autres ?

- Eh bien, nous. Nous sommes différents...

- Faux, vous n'avez point changé.

- Cela suffit ! Tous n'attendent que ça ; allez-vous me demander ma main ou est-ce à moi de m'en charger ?

- Pourquoi voudriez-vous m'épouser après tout ce temps et ce que vous pensez de moi ? Pour votre devoir ? Il vous importe, désormais ?

- Derek, c'est ainsi. Nous sommes fiancés.

- Qu'est-ce que vous empêche d'annuler cet ordre ? Comme vous en avez toujours voulu.

- Je vous en prie, cessez vos reproches ! Nous avons grandi. Et, si je puis me permettre, cela vous a fait grand bien : vous êtes très beau.

- Merci beaucoup. Les années vous ont également donné les distinctions des plus grandes reines.

Ces compliments, bien que venant du cœur, étaient minimisés et prononcés sans sourire.

- Donc... C'est réglé ?

- Pardon ?

- Vous m'épousez ?

- Parce que vous me trouvez beau ?

- N'est-ce point le principal ?

- Pardon ?

Ce dernier mot fut dit si fort que deux violons se stoppèrent, pour se reprendre juste après. Les Majestés firent semblant de s'inviter à danser et s'avancèrent prudemment.

- Ne vous-en faut-il pas, ne serait-ce qu'un peu, plus ?

- C'est tout ce que je désire... continua-t-elle, maladroitement.

- Est-ce tout ce qui vous importe ? N'y a-t-il rien d'autre ?

- Je ne vois pas.

- Vous n'avez pas du tout changé. acheva-t-il, en lâchant sa main.

Cette fois, la musique cessa et les promis restèrent plantés l'un devant l'autre. Le roi et la reine arrivèrent.

- Clara, qu'y a-t-il, ma fille ?

- Derek ?

Le prince ne lâcha pas la princesse du regard. Les dents serrées, il se demanda comment quelqu'un pouvait arriver à dire une chose pareille. Le courant était passé entre eux, pourquoi le rejetait-elle en attaquant son orgueil ? Elle avait vu plus loin que son apparence le matin-même et maintenant qu'elle savait qui il était, elle remettait des barrières ? Elle le détestait tant que ça ? Il ne voulut plus lui donner une autre chance. Il redressa la tête et annonça, devant toute l'assemblée :

- Je refuse le mariage !

- Comment ?!

Des exclamations de surprise retentirent. Clara, complètement ébranlée, jeta un regard autour d'elle avant de bomber le buste et de rétorquer, pour ne point se laisser humilier :

- Je le refuse également !

C'était dit. Les héritiers rompaient leurs vœux ! Les Majestés s'affolèrent :

- Derek, tu ne parles pas sérieusement, c'est impossible !

- Je n'épouserai pas une femme si méprisante !

- Derek, je t'en prie !

Le ton montait. Cela faisait fort longtemps que Clara n'avait pas levé la main sur quelqu'un. Bonnes manières obligées. Elle esquissa un petit sourire quand elle se souvint que c'était justement Derek le premier et le dernier à avoir reçu un coup de sa part !

- Et moi, je refuse d'épouser quelqu'un d'aussi susceptible !

- Clara, s'il te plaît, n'en rajoute pas, cette histoire sur ton mariage ne te regarde pas ! osa dire son père.

Il laissa sa fille pantoise et se tourna vers son gendre.

- Derek, mon petit, après tout ce temps... Souviens-toi de tous vos bons moments...

- Je me souviens de tout, Majesté. Quelle sorte de princesse se permet de juger sur les apparences ?

- Susceptible et rancunier ! releva Clara, tout haut.

Derek rougit et serra les poings.

- Comment oublier qu'elle ait essayé de me tirer dessus ?

- Comment oublier qu'il m'ait cassé le bras en me poussant dans les escaliers ?

- Vous m'avez jeté un reste de bouteille au visage en pleine messe !

- Vous avez trafiqué mon discours d'inauguration de la scierie !

- Vous avez attendu que je grimpe à un arbre pour m'enlever l'échelle !

- Vous avez dressé un chien pour qu'il ait mon odeur en horreur !

- C'est vous qui m'avez fait ça !!

- Ah, oui, peut-être bien.

- Et je ne suis définitivement plus intéressé à me donner à une fille incapable d'estimation !

- Pour qui vous prenez-vous ?

- Que signifie tous ces enfantillages ?! intervint Juliette. Est-ce là une attitude digne de vos rangs ? Je ne peux le supporter ! Derek ! J'exige que tu présentes des excuses à la princesse Clara !

- Clara, excuse-toi d'abord ! ordonna William.

Un musicien tenta de détendre l'atmosphère d'un coup de triangle, mais son collègue lui interdit le moindre geste ! Il n'y avait plus un bruit. Les altesses reprenaient leur souffle, sans se quitter du regard. Ils étaient parfaitement ridicules, ils en avaient conscience. Mais ils avaient leur fierté !

- Annulez nos fiançailles. exigea Derek, après un long silence.

Des murmures résonnèrent, tandis qu'il tourna le dos à sa promise et s'en éloigna. Juliette et William faillirent s'évanouir. Clara, la tête dressée et le cœur émietté, eut du mal à retrouver son souffle.  


_-_-_


Cette nuit-là, Clara ne trouva pas le sommeil. Elle repensait à la terrible confrontation qui avait eu lieu. Après toutes ces années, elle était libérée, non, séparée, de Derek, alors qu'elle le voulait... Cela ne pouvait pas être possible. Elle devait tout arranger ! Pour son père ! Et pour elle. Elle devait dire à Derek ce qu'elle ressentait pour lui depuis ce matin ! Ils étaient adultes, ils devaient se parler !

Elle arrangea rapidement ses cheveux, enfila sa robe de chambre, prit sa bougie et sortit de ses appartements. Le palais était aussi sombre que silencieux. La princesse se rendit jusqu'à la chambre de Derek et toqua. Aucune réponse. Elle tendit l'oreille : pas de ronflement. Il devait être réveillé. Peut-être l'attendait-il !

- Derek ? appela-t-elle,suffisamment fort. C'est moi. Écoutez, nous... Il se pourrait que nous nous sommes un peu laissés aller. Pouvons-nous en discuter ? Derek ? Je... Je suis désolée si je vous ai offensé ! Vous avez probablement toutes les qualités d'un roi et je serais ravie de les découvrir... Quand je vous ai vu, à l'écurie, comme si vous m'attendiez... Je réalise que c'est tout ce que je désire... Non, vous, il n'y a que vous que je désire... Derek ? Vous m'entendez ? Votre Altesse ? Vous m'écoutez ? Derek... C'est drôle... Nous avons la même destinée, depuis toujours, et... Certes, enfant, j'ai du vous mener la vie dure, je ne sais pourquoi, peut-être étais-je... Ô, Derek, ouvrez-moi, nous pouvons tout arranger ! Je le veux ! Je te veux ! Pardon, ce n'est pas... Oh, et puis, si, c'est ce que je pense ! Derek... Personne d'autre ne peut nous comprendre... N'avez-vous jamais rêvé d'être libre de vos choix, pour une seule journée ? N'avez-vous jamais eu envie de pleurer votre solitude ? Nous sommes pareils... Derek ?

Personne ne lui répondit et la porte resta close. Elle n'aurait pas d'autre chance. Il ne voulait plus la voir. Confuse, elle retint ses larmes, se reprit et s'en alla.


Au même moment, Derek était sorti dans le jardin afin de repérer la fenêtre de la princesse et y jetait des petits cailloux pour l'appeler :

- Clara ! Princesse ! Clara, s'il vous plaît ! Clara ! Je... J'ai été stupide ! Pardonnez-moi, Clara, ouvrez-moi ! Je dois vous dire que... Malgré votre fierté, non, votre fierté est légitime, vous ne devez vous en défaire, elle... Clara, je... Je regrette ! Je veux me marier avec vous ! Arrangeons-nous ! Nous devons... Pas pour nos parents, pas pour nos peuples, mais pour nous ! Toutes ces années sans se connaître... Au final... Clara ? Clara ? C'était une idiote querelle, je m'en excuse ! S'il vous plaît, j'ai besoin de vous voir ! Vous m'entendez ? Insultez-moi si vous le souhaitez, mais montrez-vous ! Parlez-moi ! Clara, ma chère, ça ne peut être que vous !

Devant l'absence de réaction, Derek se sentit misérable. Il avait eu sa chance et il avait tout gâché. Il pesta contre lui-même et s'en alla.


_-_-_


Le lendemain, les majestés n'avaient trouvé d'autre solution que d'une ''pause'' entre les deux anciens promis. Ils étaient convaincus que la flamme pouvait renaître et lui accordèrent quelques mois de répit pour le lui permettre. Après tout, ils avaient travaillé trop dur pour abandonner ! Ils s'embrassèrent chaleureusement en se promettant de s'écrire.

Clara et Derek avaient l'air fatigué et maussade quand ils se saluèrent. La princesse avait dévoilé son cœur la veille et il n'avait pas daigné répondre. Elle s'était excusée une fois. Alors elle se contenta d'une humble révérence. Derek releva cet effort mais il lui en voulait pour son silence de la nuit dernière. Il laissa longtemps ses lèvres sur le dos de la main de l'héritière, avant de partir. Tandis que le carrosse s'éloignait, William se lamentait :

- Clara, toutes ces années pour... Tu... Je... Vous étiez si... Faits l'un pour l'autre.

- Pourquoi, parce que nous avions le même âge ? ne put s'empêcher de rétorquer sa fille, largement attristée par le départ de Derek.

Il n'ajouta rien et rentra. Clara resta encore un moment, bien après que le carrosse ait disparu, devant les portes du château, la main embrassée par son aimé contre le cœur. Oui, il reviendrait. Elle en était certaine.



- Je ne comprends point, Derek ; rompre tes fiançailles pour si peu...

- Elle est superficielle. justifia-t-il.

- Derek, je t'en prie... Si tu considères cela comme un défaut important... Cependant, admets qu'elle a bon goût !

- Mère !

- Reconnais également qu'elle est fort jolie ! reprit-elle, d'un ton taquin.

- Vous m'avez forcé à étudier ses livres et ses toiles favoris, ainsi que l'histoire de son royaume, ce n'est pas pour que la première qualité qu'elle me trouve soit... Elle aurait pu s'excuser !

- Derek...

Juliette mit la main sur l'épaule de son fils. Il lui sourit. Il eut envie d'exiger de faire demi-tour. Il ressentait l'étrange besoin d'être près de Clara.

- Promets-moi que tu lui écriras.

- Oui, Mère.

Le carrosse s'immobilisa soudainement et les chevaux s'agitèrent. Les chevaliers ne bougeaient plus. Étonnée, Juliette passa la tête par la fenêtre :

- Qu'y a-t-il ?

Elle découvrit un mur de brume grisâtre droit devant eux et un énorme arbre mort planté au milieu de la route. Il n'y était pas la veille, à l'aller. Et il n'y avait pas eu de tempête, ni de vent. Ce n'était pas non plus la saison des bûcherons. Il n'y avait aucune raison de la présence de cet arbre en plein milieu du chemin.

- Ça alors...

- Majesté, retournez vous mettre à l'abri !

En tremblant, le chef de sa garde désigna le ciel : d'autres arbres déracinés flottaient au-dessus d'eux !

- Qu'est-ce que...

Le cortège se rassembla, aux aguets, ignorant quelle attitude adopter face à ce danger soudain. Juliette aperçut une silhouette se dessiner dans la brume et s'approcher. Les cavaliers déglutirent. La silhouette, les bras levés, arriva devant eux. Quand Juliette vit son visage, son sang se glaça : elle la reconnut immédiatement car, même vingt ans après, elle n'avait pas changé. Elle avait la même taille, son visage creux n'avait subi aucune déformation liée au temps, ses cheveux avaient la même effroyable teinte rouge... Et son aura était toujours aussi menaçante. Ses gardes sentirent le danger et sortirent leurs épées.

- Othella...

Othella sourit et baissa les bras. Les arbres flottants s'abattirent aussitôt sur le cortège ! Trois chevaliers se firent écraser sans rien voir venir, tandis que les chevaux prirent peur et fuirent ! Ceux conduisant le carrosse partirent au galop vers les bois sur le côté de la route. Les roues se détachèrent, les chevaux se libérèrent, et l'habitacle se renversa sur un chevalier qui tentait de le stabiliser !

- Derek ! hurla Juliette.

Les arbres semblèrent se relever pour aller percuter les cavaliers restants, qui hurlaient de terreur. Derek, la joue éraflée, s'extirpa tant bien que mal de la cabine renversée. Il ne comprenait pas ce qu'il se passait.

- Mère !

Juliette tourna le regard vers Othella. Cette dernière détaillait le prince en souriant. Horrifiée, Juliette lui cria de fuir ! Derek s'empara de l'épée du cavalier mort sous le carrosse et tenta d'analyser la situation.

- Pars, vite !! Va-t-en ! S'il te plaît !! Fuis, le plus loin possible !! s'égosilla la reine, les larmes aux yeux.

Elle comprit qu'Othella allait l'anéantir... Elle ne voulait pas que son fils soit présent !

- Derek !! Enfuis-toi !!

Un arbre s'écrasa à côté d'elle et la priva d'un ultime adieu avec son fils.

- Mère !! entendit-elle.

- Cours !!!

Puis tous les arbres prirent feu ! La reine était prisonnière de ce brasier. Elle aurait voulu dire à son fils de veiller sur leur royaume et le rassurer une dernière fois... Elle se retourna et vit Othella juste devant elle. Elle la nargua d'un sourire démoniaque ; elle l'avait prévenue qu'elle reviendrait !


Derek courait dans les bois à en perdre haleine ! Il devait retourner chez le roi William, chercher de l'aide ! Il trébucha, s'étala de tout son long dans les orties mais se releva et reprit sa course. Il appela à l'aide. Il n'y avait personne. Il n'entendait rien. Les bois semblaient morts, sombres et inquiets. Il avait l'atroce impression d'être suivi. La brume semblait le poursuivre ! Il ne vit pas un trou et dégringola dedans, pour atterrir dans une mare. Il se releva et chercha l'épée qu'il avait lâché. Il se figea : dans les airs, la sorcière le regardait. Il mit la main sur son épée, ôta sa cape, rassembla son courage et brandit son arme, paré à l'affrontement ! La sorcière ne bougeait pas. Derek, émergé jusqu'aux genoux, sentit les flots s'agiter et s'élever... Deux trompes d'eau, pareilles à des vagues, l'entourèrent... Il était pris au piège ! Tétanisé, il reporta son attention sur l'étrangère. Sa volonté de la combattre était toujours présente. Elle lui sourit.

Puis les eaux l'englobèrent et s'abattirent sur lui.

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