Le comte

Salut ! Cette nouvelle a été écrite pour un concours dont le thème était "dis-moi plus que des mots d'amour", avec comme contraintes d'avoir un titre "inédit et créatif" (bon, j'avoue que le mien est pas ouf), de caler deux vers parmi deux chansons ("69 années érotiques" ou "je suis venu te dire que je m'en vais" ; j'ai choisi "tu suffoques, tu blêmis à présent qu'a sonné l'heure" et "oui je t'aimais, oui, mais"), de mettre "un verre cassé" quelque part et de ne pas dépasser 15000 caractères espaces comprises.
L'idée de base que constitue la chute m'est venue en déconnant avec une amie sur le fait que la belle au bois dormant pourrait être complètement décomposée, mais que le prince charmant l'embrasserait quand même.

J'espère en tout cas que ça vous aura plu !
N'hésitez pas à me faire part de vos remarques en commentaire :)


Le Prince charmé

Il était une fois une fée nommée Tinul qui apparut un beau jour – la voûte céleste semblait être une mer d'huile parcourue çà et là par un filet d'écume – au prince d'un royaume. Comme il était tout à fait charmant, sa surprise ne dura qu'un instant, et il lui offrit immédiatement une tasse d'earl grey, qu'il avait préparé lui-même quelques minutes plus tôt pour la boire.

« Tu es bien charitable, commença familièrement Tinul en trempant un doigt dans l'énorme tasse. Je suis venue te mettre en garde et te conseiller. »
Voyant que le thé n'était pas brûlant, elle sortit une paille de sa longue robe verte et sirota le breuvage.
« Dites-m'en plus, ô fée très grande par la sagesse.
– Il est très bon, ce thé, pile infusé comme je l'aime. Donc, si j'ai bien vu les affiches placardées un peu partout dans le royaume, tu dois te marier avec la princesse du royaume voisin ?
– Tout à fait ! Elle est très belle, très jeune, et surtout une très bonne alliance. Notre mariage scellera le destin commun de nos deux royaumes, qui s'unifieront sous le blason de ma bannière, tout comme nous nous unirons, elle et moi, sous le drapé de mon lit.
– Tu m'en verrais ravie s'il n'y avait pas un léger souci : en effet, la princesse vient d'être ravie, justement, par une sorcière.
– Dame ! Voilà qui est fâcheux et regrettable. J'espérais beaucoup de choses de notre mariage, à commencer par un héritier. Je crains que ce projet soit à présent compromis.
– Sauf si tu sauves la donzelle.
– Cela me semble complexe, car je ne dispose pas de vos grands pouvoirs, ô fée.
– Ne t'inquiète pas, tu es parfaitement capable de la sauver. Un baiser devrait suffire. Et une monture, pour accéder au lieu de sa détention. Et une épée, pour passer par son fil tout obstacle à ta quête.
– C'est dans mes cordes. J'ai récemment acquis une épée bâtarde et un fier destrier !
– Parfait ! Ne pars pas si vite, laisse-moi t'en dire plus et t'indiquer où elle se trouve !
– Oh c'est juste.
« Bien. La sorcière qui l'enleva l'a emportée dans une clairière, plongée dans un sommeil éternel et enfermée dans un cercueil de verre. Ton ardent désir et tes larmes n'y pourront rien changer ; oui : seul un baiser d'amour véritable et honnête pourrait la réveiller. Des simples mots d'amour ne suffiront pas non plus.
– Voilà qui semble complexe.
– Ton cœur saura te guider, j'ai confiance, mais également cette carte, qui indique par une croix la clairière susmentionnée.
– Eh bien, voilà qui est parfait ! Je m'en vais astiquer mon équipement et polir mon épée pour le voyage.
– N'oublie pas non plus des vivres.
– Je saurai vivre sans.
– À ta guise. Merci pour le thé ; je ne l'ai pas fini, j'en suis navrée.
– Bah, ça m'aurait ennuyé de devoir en refaire. Adieu, ô fée, et merci pour vos grands conseils !
– C'est ça, la bise à ton père. »
Et elle disparut par la fenêtre.

Après avoir graissé épée et armure de plates, le prince fonça aux écuries et, d'un bond, enfourcha sa monture, qu'il dirigea vers la grande porte de la ville. Il se sentait en pleine forme, sûr de lui, et prêt à affronter les multiples dangers qui l'attendraient sans doute sur la route. Les sabots de son étalon claquaient sur les pavés, prévenant ainsi les badauds de son arrivée, leur laissant amplement le temps de s'écarter de la route. Lorsqu'il passa la porte, son horizon autrefois bouché par les bâtiments s'ouvrit et la campagne s'étendit devant lui, avec son blé doré, ses prés verdoyants, sa boue et ses bouseux puants que le prince évita : il ne faudrait pas qu'ils tachent la robe de son superbe cheval.

C'est au rythme du trot que les astres se mirent à tourner autour du prince, qui ne s'accordait aucun répit. Après tout, plus vite il arriverait, plus vite la princesse serait dans ses bras. La carte confiée par la fée s'avéra très précise et le prince n'avait aucune peur de se perdre. Chaque jour, il progressait et s'approchait un peu plus de sa promise.

C'était sans compter un malotru moins poli que les autres, mais aussi de plus grande taille. Et plus musclé. Et plus armé. Cela n'empêcha pas le preux chevalier de l'alpaguer de la sorte :
« Holà manant ! Ne voyez-vous donc point que vous êtes au milieu de la route, que vous me barrez ?
– Messire, un simple écart vous permettrait de passer.
– Et mon épée, je pourrais vous la passer par le corps.
– Ma hache ne sert pas qu'à abattre des arbres.
– Ah oui ? À quoi d'autre sert-elle ?
– Euh eh bien, à débiter les troncs et les bûches.
– Continuez, vous m'intéressez.
– Alors, euh. À me défendre aussi !
– Mais encore ?
« Eh bien, voyons... À avoir confiance en moi et ne pas m'effondrer devant des remises en cause de ma virilité, dont elle est une extension, le symbole et l'affirmation : avec ma hache, je suis un homme, un vrai, un dur !
– Je vois. »
Et d'un geste fluide, éclatant, vif comme la foudre, il frappa en arc de cercle, coupant net le manche de la hache, dont la lame tomba à terre, suivie de l'homme, à genoux.
« Je vous laisse reconstruire votre ego, péon ! »
Le prince charmant s'en fut sans plus un regard pour le bûcheron éploré, qui fixait ce qu'il restait de sa hache.

Le lendemain, alors que l'aurore courait dans les champs pour les inonder de lumière, le prince arriva en vue d'un cours d'eau gonflé par les crues. Heureusement pour lui, un bac semblait faire la liaison entre les deux rives. Il s'approcha.
« Bien le bonjour, batelier !
– Le bonjour, fit-il en relevant son chapeau de paille. 'Vous faudrait quoi ?
– Eh bien, traverser avec ma monture, pardi !
– Ça tombe bien, c'est mon boulot.
– Parfait, allons-y alors, qu'attendons-nous ?
– Bé mon paiement ! Je bosse pas gratos, eh.
– Je suis sans le sous car parti en toute hâte sauver ma promise la princesse du royaume d'à côté ! Mais je vous promets que je vous couvrirai d'or dès que possible.
– Ben c'est ballot, ça. C'est que moi, j'ai besoin de monnaie sonnante ce soir pour acheter ma pitance.
– Allons, aider à la réussite d'une quête ne vous semble pas assez ?
– Qu'est-ce que ça peut me faire ? Si ça vous va pas, z'avez qu'à aller au pont en amont.
– Et est-il loin ?
– Oh, vu la crue, il doit être répandu sur quelques kilomètres. L'est pas très solide, vous voyez.
– Diantre. »

À court d'idées, le prince prit une expression pensive, et un peu renfrognée. Le batelier, quant à lui, prit son outre et avala quelques goulées. Ce geste sembla donner une idée au prince.
« Puisque vous refusez de me faire passer, je vais vous apprendre plusieurs choses. D'abord que, tout comme être obtus tue – c'est dans le mot –, l'eau bue tue, et puisque qui a bu boira, tu vas mourir, chaque gorgée te rapprochant de ta fin. D'autre part, je vous rappelle que qui dort dîne, ce qui signifie que vous ne dormez pas assez à votre goût. Somnolez donc plus pendant les creux de la journée et vous aurez le ventre moins creux.
– Eh mais c'est un peu saugrenu, mais pas insensé ce que vous m'dites, là.
– Alors, mon bon, je vous saurai gré de nous faire traverser, car je ne pourrais passer à gué avec le courant. Vous aurez tout le temps de vous reposer après, et donc de vous sustenter.
– Soit, faisons ainsi dans ce cas. »

Le courant était fort, mais le batelier connaissait son affaire et, bientôt, le prince posa les sabots de sa monture sur la berge gonflée d'eau. Sans un regard pour l'homme qui s'allongea immédiatement pour s'endormir sur son bac, qui fut aussitôt emporté, il continua son chemin.

Après quelques jours, il finit par remarquer que le paysage avait changé : plus de prairies, mais une lande parcourue par un souffle humide et glacé, garnie çà et là de touffes d'herbes rêches, dont les arbres ne possédaient que peu de feuilles et ressemblaient plus à des griffes qui tentaient de déchirer un ciel gris. Le prince était satisfait, voire enchanté : d'après sa carte, il était proche !

Le soir même, il arrivait en vue d'une forêt qui faisait comme un mur de branches devant lui. Après quelques mètres, tout était sombre, insondable. Le prince n'hésita pas un seul instant et sortit son épée pour dégager un chemin, éviter de déchirer ses vêtements de brocart et ne pas perdre son couvre-chef à plume de perdrix sur une branche basse. Bien vite cependant, il dût, contraint et forcé, descendre de son fier étalon pour ouvrir la voie, tant les ramées se faisaient denses, devenant de véritables épieux. Pour autant, le pire était encore à venir : à mesure que le prince s'enfonçait dans le sous-bois obscur et humide, les ronces qui, auparavant, se contentaient de rester en buissons sur le sol, commencèrent à ramper le long des troncs, à serpenter et s'enrouler sur les branches jusqu'à former une sorte de rideaux de pics acérés.

« Voilà un problème épineux ! s'exclama le prince les mains sur les hanches.
Piqué au vif par une ronce qui semblait s'être discrètement approchée, son cheval renâcla.
« Du calme, mon beau, il doit y avoir un moyen de continuer à progresser ! »
Après un instant, il s'exclama :
« Il suffit de faire un feu ! »
Le prince se concentra soudain intensément, yeux fermés avant de crier, les bras levés vers la canopée et le soleil qui la perçait timidement de ses rayons frileux.
« Je suis le prince ! Avatar de la lumière car éclatante est ma beauté, rayonnant mon charisme et resplendissante ma force ! Je descends de l'étoile qui nous donne la vie et ardent est mon désir de retrouver la princesse ! Ô devin Hélios, entendez ma demande et embrasez cette forêt ! »

« Bon ben il me reste qu'à faire un feu moi-même, dit-il déçu après quelques minutes à attendre de sentir une odeur de roussi. »
La nuit était tombée lorsqu'il parvint à se confectionner une torche, dont la flamme dansante multipliait les ombres menaçantes des ronces. Il n'hésita pas un instant pour autant et l'approcha du mur végétal devant lui. Il y eut comme un sifflement et, dans un grand craquement d'écorce, le mur qui semblait si impénétrable s'ouvrit devant eux et dévoila une clairière illuminée par la lueur argentée de la lune.

Le prince et son compagnon d'infortune s'avancèrent. La forêt se referma derrière eux en grinçant.
« Je pense que nous touchons presque au but. »
Au centre de l'éclaircie, sur un rocher plat, un cercueil en verre scintillait.
« En effet, d'après la carte, nous sommes arrivés à destination ! Plus que quelques pas, et je pourrais embrasser ma princesse et voir si ses portraits étaient flatteurs ou non ! »

À peine eut-il prononcé ces mots que les ronces se mirent à zigzaguer à toute vitesse sur le sol, se rassemblant en un point entre le prince et le cercueil, d'où elles s'élevèrent en une sorte de tornade sombre s'évasant au sommet jusqu'à obscurcir la lune, pour se rétracter en un battement et former une silhouette : la sorcière. Il était difficile de lui donner un âge, ses cheveux noirs formaient comme un buisson sur sa tête et ses yeux gris comme l'acier fixaient le prince. Elle portait un pantalon et un chemisier à manches courtes blancs.

« Vous devez être le prince avec lequel la petite devait se marier. »
Sa voix était chaude, mais avec une forme d'inflexibilité.
« Ah mais tout à fait ! Content que vous ayez entendu parler de moi ! Je viens sortir la princesse de son sommeil éternel !
– C'est impossible, j'en ai bien peur.
– Ça ne m'empêchera pas d'essayer. Les exploits, c'est mon métier.
– Et le mien est de ne pas vous laisser approcher.
– Mais enfin, pourquoi donc ?
– La princesse que vous convoitez tant a exprimé le souhait de ne jamais se marier. Je l'ai aidée en cela.
– Vous racontez n'importe quoi ! Allez, laissez-moi passer ou vous devrez vous passer de votre tête.
– Me tuer ne changerait rien.
– Alors vous ne verrez pas d'inconvénient à ce que je le fasse. »

Un croissant d'acier glacé, un sifflement, et la tête de la sorcière roula sur le sol. Un peu de sang noir gicla et se répandit sur le cercueil, glissa sur le rocher et, comme animé d'une vie propre, retourna près du corps dont il provenait, qui se dissout en une flaque sombre. Le prince s'était déjà approché du cercueil et n'avait pas jeté un regard à la sorcière.

« Voilà qui est contrariant, le sang a formé comme un voile pudique sur le cercueil et je ne peux voir ma promise avant d'agir. Morbleu ! »
Le prince l'inspecta, mais ne put trouver de système d'ouverture : il était formé d'un seul bloc de verre.
« Diantre, mais c'est que j'aurai peur de l'ouvrir ! J'ai peur de savoir ce qui se cache derrière ce sang immonde, peur de ne plus pouvoir revenir en arrière ! Il faudra le briser, mais... Et si elle était laide ? Allons, reprends-toi, tu suffoques, tu blêmis à présent qu'a sonné l'heure d'accomplir ta quête ! Qu'importe si elle ne convient pas : un héritier et puis tu en trouveras bien une autre ! »

Il siffla alors son cheval et lui indiqua le cercueil d'un geste.
« Donne une bonne ruade dedans mon brave ! »
Le cheval ne se le fit pas redire et flanqua un grand coup dans le cercueil, qui le fit glisser sur le rocher, planer un instant dans les airs avant de s'écraser au sol avec fracas.
« Bon, voilà qui est fait. »

Le prince s'approcha du bord du promontoire et se stoppa net, couvrant sa bouche de sa manche, le regard horrifié. Dans la clairière, les bris de verre s'étalaient dans une mare d'humeurs, de morceaux de chair et d'os. En un éclair, le prince comprit : la sorcière avait bel et bien plongé la princesse dans un sommeil éternel, et le temps qu'il arrive, celle-ci s'était nécrosée. En secouant la tête, il murmura tout bas :
« Un verre cassé est comme un rêve brisé : la multitude de fragments épars reflète une réalité en morceaux, comme ton corps décomposé, et maintenant, ce sont les vers qui te feront la cour... »

Il jeta un coup d'œil à la ronde et trouva le crâne, qui gisait au milieu d'une flaque de cervelle. En tendant deux doigts précautionneusement, il l'attrapa et le porta à son regard.
« Je n'avais vu que tes portraits, accrochés au-dessus de mon lit, mais... Je crois que... oui je t'aimais, oui, mais tu es à présent un cadavre purulent et tes intestins sont apparents. Cependant... la fée m'a dit qu'un baiser d'amour te réveillera alors... »

Réprimant son dégoût, il approcha le crâne de son visage et le déposa sur ses lèvres. Après quelques secondes, comme il semblait ne rien se passer, il rouvrit les yeux et écarta ce qu'il restait de la tête.
« Voilà qui est étonnant, la princesse ne s'est pas réveillée. »
Dans un éclat de lumière, Timul apparut, se tenant les côtes de rire. Entre deux éclats, elle parvint à demander à un prince déconcerté :
« C'était bien de l'embrasser ?
– Ma foi... Disons que ce n'était pas horrible.
– On dirait bien que tu as un penchant pour les cadavres !
– Mais... Et la princesse ?
– Oh, elle est morte.
– Et vos conseils ?
– Ils étaient parfaitement exacts. Allez, je te laisse, la bise à ton père à ton retour ! »

Sans plus un mot, elle rejoint les étoiles, laissant le prince perplexe.
« Au fond... dit-il après avoir réfléchi, elle a raison. Ce n'est pas si terrible. »
Et c'est ainsi qu'il rentra chez lui, sa promise dans sa poche.

Il vécut heureux.

Fin.

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