Le batelier

Le lendemain, alors que l'aurore courait dans les champs pour les inonder de lumière, le prince arriva en vue d'un cours d'eau gonflé par les crues. Heureusement pour lui, un bac semblait faire la liaison entre les deux rives. Il s'approcha.
« Bien le bonjour, batelier !
– Le bonjour, fit-il en relevant son chapeau de paille. 'Vous faudrait quoi ?
– Eh bien, traverser avec ma monture, pardi !
– Ça tombe bien, c'est mon boulot.
– Parfait, allons-y alors, qu'attendons-nous ?
– Bé mon paiement ! Je bosse pas gratos, eh.
– Je suis sans le sous car parti en toute hâte sauver ma promise la princesse du royaume d'à côté ! Mais je vous promets que je vous couvrirai d'or dès que possible.
– Ben c'est ballot, ça. C'est que moi, j'ai besoin de monnaie sonnante ce soir pour acheter ma pitance.
– Allons, aider à la réussite d'une quête ne vous semble pas assez ?
– Qu'est-ce que ça peut me faire ? Si ça vous va pas, z'avez qu'à aller au pont en amont.
– Et est-il loin ?
– Oh, vu la crue, il doit être répandu sur quelques kilomètres. L'est pas très solide, vous voyez.
– Diantre. »

À court d'idées, le prince prit une expression pensive, et un peu renfrognée. Le batelier, quant à lui, prit son outre et avala quelques goulées. Ce geste sembla donner une idée au prince.
« Puisque vous refusez de me faire passer, je vais vous apprendre plusieurs choses. D'abord que, tout comme être obtus tue – c'est dans le mot –, l'eau bue tue, et puisque qui a bu boira, tu vas mourir, chaque gorgée te rapprochant de ta fin. D'autre part, je vous rappelle que qui dort dîne, ce qui signifie que vous ne dormez pas assez à votre goût. Somnolez donc plus pendant les creux de la journée et vous aurez le ventre moins creux.
– Eh mais c'est un peu saugrenu, mais pas insensé ce que vous m'dites, là.
– Alors, mon bon, je vous saurai gré de nous faire traverser, car je ne pourrais passer à gué avec le courant. Vous aurez tout le temps de vous reposer après, et donc de vous sustenter.
– Soit, faisons ainsi dans ce cas. »

Le courant était fort, mais le batelier connaissait son affaire et, bientôt, le prince posa les sabots de sa monture sur la berge gonflée d'eau. Sans un regard pour l'homme qui s'allongea immédiatement pour s'endormir sur son bac, qui fut aussitôt emporté, il continua son chemin.

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