La princesse

« Voilà qui est contrariant, le sang a formé comme un voile pudique sur le cercueil et je ne peux voir ma promise avant d'agir. Morbleu ! »
Le prince l'inspecta, mais ne put trouver de système d'ouverture : il était formé d'un seul bloc de verre.
« Diantre, mais c'est que j'aurai peur de l'ouvrir ! J'ai peur de savoir ce qui se cache derrière ce sang immonde, peur de ne plus pouvoir revenir en arrière ! Il faudra le briser, mais... Et si elle était laide ? Allons, reprends-toi, tu suffoques, tu blêmis à présent qu'a sonné l'heure d'accomplir ta quête ! Qu'importe si elle ne convient pas : un héritier et puis tu en trouveras bien une autre ! »

Il siffla alors son cheval et lui indiqua le cercueil d'un geste.
« Donne une bonne ruade dedans mon brave ! »
Le cheval ne se le fit pas redire et flanqua un grand coup dans le cercueil, qui le fit glisser sur le rocher, planer un instant dans les airs avant de s'écraser au sol avec fracas.
« Bon, voilà qui est fait. »

Le prince s'approcha du bord du promontoire et se stoppa net, couvrant sa bouche de sa manche, le regard horrifié. Dans la clairière, les bris de verre s'étalaient dans une mare d'humeurs, de morceaux de chair et d'os. En un éclair, le prince comprit : la sorcière avait bel et bien plongé la princesse dans un sommeil éternel, et le temps qu'il arrive, celle-ci s'était nécrosée. En secouant la tête, il murmura tout bas :
« Un verre cassé est comme un rêve brisé : la multitude de fragments épars reflète une réalité en morceaux, comme ton corps décomposé, et maintenant, ce sont les vers qui te feront la cour... »

Il jeta un coup d'œil à la ronde et trouva le crâne, qui gisait au milieu d'une flaque de cervelle. En tendant deux doigts précautionneusement, il l'attrapa et le porta à son regard.
« Je n'avais vu que tes portraits, accrochés au-dessus de mon lit, mais... Je crois que... oui je t'aimais, oui, mais tu es à présent un cadavre purulent et tes intestins sont apparents. Cependant... la fée m'a dit qu'un baiser d'amour te réveillera alors... »

Réprimant son dégoût, il approcha le crâne de son visage et le déposa sur ses lèvres. Après quelques secondes, comme il semblait ne rien se passer, il rouvrit les yeux et écarta ce qu'il restait de la tête.
« Voilà qui est étonnant, la princesse ne s'est pas réveillée. »
Dans un éclat de lumière, Timul apparut, se tenant les côtes de rire. Entre deux éclats, elle parvint à demander à un prince déconcerté :
« C'était bien de l'embrasser ?
– Ma foi... Disons que ce n'était pas horrible.
– On dirait bien que tu as un penchant pour les cadavres !
– Mais... Et la princesse ?
– Oh, elle est morte.
– Et vos conseils ?
– Ils étaient parfaitement exacts. Allez, je te laisse, la bise à ton père à ton retour ! »

Sans plus un mot, elle rejoint les étoiles, laissant le prince perplexe.
« Au fond... dit-il après avoir réfléchi, elle a raison. Ce n'est pas si terrible. »
Et c'est ainsi qu'il rentra chez lui, sa promise dans sa poche.

Il vécut heureux.

Fin.

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