Chapitre 2 : "Superficielle comme un pet de poule."
Robyn
Bientôt une semaine que mon mystérieux voisin canon a emménagé en face.
Chaque fois que je l'aie au téléphone, Nina m'encourage à aller frapper à sa porte. Elle a élaboré un scénario machiavélique digne d'un film X au rabais où je déboulerais devant lui avec une robe blanche trempée – sans avoir mis de soutien-gorge, évidemment – en l'implorant de m'aider à réparer une fuite dans la tuyauterie de ma salle de bains.
N'importe quoi. Quelle grosse tarée.
Je dois aller apporter des courses à Lili dans son immeuble. Peut-être m'en apprendra-t-elle davantage sur lui.
Temps mort. Avant de vous présenter la vieille pintade haute en couleurs, je dois vous briefer à son sujet. Je préfère mettre en garde les âmes sensibles.
Lili, c'est son surnom affectif. Son vrai nom est Jacqueline, mais elle l'exècre au point de menacer de retirer son dentier et de cracher aux pieds de l'offenseur qui ose l'appeler ainsi. Cette vénérable dame – vénérable, elle, la blague ! – a soixante-treize ans. Son mari est mort d'un cancer des testicules il y a une décennie. Depuis, elle vit seule dans son appartement. Elle a une fille un peu plus âgée que moi et deux petits-fils, mais Lili et elle sont brouillées. Ca fait maintenant quatre ans que Lili n'a pas vu sa famille, qui ne lui donne plus aucune nouvelle. Il faut dire que mon amie a un caractère épouvantable qui ne s'arrange pas avec le temps. Sa fille a fini par couper les ponts à la suite d'une remarque particulièrement méchante sur l'éducation "foutrement laxiste" de ses petits-enfants et le pénis tordu de son "couillon de gendre". Et comme Lili est aussi fière qu'un vieux paon et plus butée qu'une mule boiteuse, elle refuse de présenter ses excuses à sa fille. Bref, Lili n'a qu'une amie : moi. Je lui rends visite une fois par semaine. J'en profite pour lui apporter quelques courses et faire un brin de ménage chez elle en papotant. Ses voisins la haïssent – la réciproque étant vraie – et elle a perdu les rares amis qui la supportaient à peu près après le décès de son époux.
Cette vieille bique est atroce, une vraie teigne à la langue de vipère et au comportement délibérément choquant, mais comme je suis un peu tarée, je l'adore et je la considère comme ma grand-mère.
Pour en revenir au mauvais caractère et au profil spécial de Lili, imaginez la progéniture bâtarde de Satan et de Tatie Danielle*, ajoutez-y le côté psychopathe d'Hannibal Lecter* et vous aurez une vague idée de ce dont elle est capable. Norman Bates* se pisserait dessus face à elle. Je n'exagère pas. Le pire, c'est qu'elle n'est pas folle : elle a toute sa tête et c'est ce qui est le plus flippant. Au Moyen-Age, les villageois l'auraient dénoncée et elle aurait été brûlée sur le bûcher pour suspicion de sorcellerie. Si elle intégrait une maison de retraite, elle serait du genre à injurier les enfants venus voir les autres résidents, pousser les vieux cloués en fauteuil roulant dans l'escalier et à cogner son déambulateur sur les auxiliaires de vie gériatriques.
Les gens qui ne la connaissent pas ont tendance à se fier à ses airs de gentille mamie gâteau qui va prier à l'église le dimanche. Erreur fatale. Elle a travaillé son innocent sourire de façade pour vous attirer dans sa toile. Et le jour où elle vous attrape, elle révèle sa nature de veuve noire pour vous gober tout cru comme le moucheron que vous êtes...
Pour ma part, Lili me fait beaucoup rire et je peux parler de quasiment tout avec elle. Je m'engueule aussi avec elle quand elle abuse – donc très souvent – mais nos prises de bec ne durent jamais plus de quelques minutes. Sur certains points, nous nous ressemblons, elle et moi. Anya m'a sorti une fois que je deviendrais comme Lili en vieillissant. Un frisson glacé a couru le long de mon échine en entendant cet affront dans la bouche de ma princesse.
Quand j'ai emménagé dans l'immeuble en face du sien, le facteur remplaçant s'est emmêlé les pinceaux. Mon nom de famille est Lewis et celui de Lili est Lawas. Ce crétin acnéique a cru que je faisais partie de la famille de la vieille dame irascible, que j'habitais avec elle et, dans sa logique à deux balles, il a mis mon courrier dans sa boîte aux lettres. J'ai réussi à coincer le facteur pour lui demander pourquoi je n'avais pas reçu la moindre lettre depuis plusieurs jours et il m'a confessé sa méprise en se confondant en excuses.
J'ai donc été frapper à la porte de Lili et c'est ainsi que je l'ai rencontrée. Elle a reluqué ma dégaine de haut en bas avec un mélange de mépris et de dégoût, m'a traité de, je cite "gouine qui bouffe de la moule et broute du gazon", m'a annoncé qu'elle avait fichu le feu à mon courrier et m'a claqué la porte au nez. Outrée, je l'ai insultée de tous les noms en bombardant sa porte de coups de pieds et j'ai écrit "vieille conne" au feutre indélébile sur sa boîte aux lettres. Le lendemain, elle glissait une crotte de chien bien odorante dans la mienne – oui, je suis abonnée. Bref, nous nous sommes fait la guéguerre pendant quelques semaines, puis, sans aucune raison, nous avons sympathisé. Allez comprendre ! Quand on en reparle aujourd'hui, on en rigole et elle qualifie nos anciennes vacheries de préliminaires à notre belle amitié.
Pas de langue de bois avec Lili. Quand je ne vais pas bien, elle le devine aussitôt et me harcèle jusqu'à ce que je crache le morceau. Elle prétend que les gosses lui donnent des rhumatismes et de l'urticaire, mais elle est toujours généreuse et attentionnée envers Anya. Depuis deux ans, elle a vraiment du mal à marcher et à bouger, alors je lui ai proposé un coup de main occasionnel. Au début, elle a refusé – aussi fière qu'un vieux paon, je vous dis – puis elle a fini par céder devant mon entêtement et les efforts physiques que ses corvées lui coûtaient. Elle voulait me payer, mais je n'ai jamais accepté son argent. Moi aussi, je suis fière comme un vieux paon et plus butée qu'une mule boiteuse. Et elle a une petite retraite, en prime. Elle la dépense dans des activités... surprenantes, dira-t-on. Malgré son grand âge, Lili a une libido de nymphomane. Donc, elle achète des films porno à tout-va, ainsi que des accessoires érotiques que je lui ai ordonné de ranger dans son armoire pour que je ne tombe jamais dessus en faisant le ménage. En gros, sa vie sexuelle est plus palpitante que la mienne, ce qui est le comble du ridicule. Je vous ai dit qu'elle m'avait offert un énorme gode doré de trente centimètres en guise de cadeau d'anniversaire ? Et sinon, elle fume comme un pompier – tabac et shit, fourni au pied de son immeuble par les petits dealers du quartier – et boit comme un trou. Elle affirme que la drogue soulage la douleur de sa cataracte et que l'alcool lui permet de ne pas se pendre à la poutre de sa chambre. En général, quand je lui rends visite, soit elle est bourrée, soit elle plane. Parfois les deux en même temps. Je l'ai retrouvée une fois à poil dans le couloir de son immeuble, faisant un strip-tease pour essayer de séduire une plante verte fanée qu'elle prenait pour son époux. Ce jour-là, mes yeux ont bien failli exploser hors de leurs orbites et mon petit-déjeuner était prêt à jaillir sur les murs. Elle venait de descendre une bouteille de vin rouge à elle toute seule et de se griller un joint bien chargé.
Fin du portrait de ma chère Lili. Vous voilà prévenu...
Revenons au présent. Equipée du magnifique cabas à roulettes vintage aux rayures vertes de ma voisine, je me présente devant la porte vitrée de son immeuble et sonne à son interphone. Au bout de quatre sonneries, la vieille sorcière décroche et me lance sa célèbre phrase d'accueil.
– Si vous êtes un démarcheur, allez crever la gueule ouverte en enfer, pourriture communiste !
– Lili, c'est moi, je réponds avec lassitude.
Sa voix de mégère s'adoucit aussitôt :
– Ramène ton p'tit cul tatoué, ma Robinette !
La porte s'ouvre.
Robinette... Mon dieu ! Je hais son surnom à la con et elle le sait pertinemment. J'entre dans le hall en tirant le lourd et hideux cabas derrière moi.
J'aperçois une haute silhouette masculine qui s'engouffre dans l'ascenseur et je me mets à trottiner dans sa direction tant bien que mal avec mes talons aiguilles alors que les portes commencent à se refermer.
– RETENEZ-LE ! je meugle spontanément.
Une large main bronzée s'abat avec vivacité sur le capteur et les portes se rouvrent. Je me faufile dans l'ascenseur en passant sous un long bras tendu et je décoche mon fameux sourire solaire censé faire fondre la banquise à mon sauveur impassible.
– Merci, c'est...
Je ne termine pas ma phrase.
Arrêt sur image !
Mayday ! Mayday !
Souffle coupé.
Cœur qui tressaute.
Yeux écarquillés.
Bouche béante.
Entrecuisse... en phase de liquéfaction.
C'est lui.
Inutile de vous préciser qu'il est cent mille fois plus séduisant vu de près. De loin, il était déjà torride. Mais là, ce type atteint le plus haut niveau de la pyramide de la beauté mâle inventée par Nina et moi-même au lycée. ( Oui, les mecs attribuent bien des notes aux femmes, pourquoi pas nous ? Egalité des sexes que diantre ! )
Echelon Un : mignon.
Echelon Deux : canon.
Echelon Trois : acteur de cinéma.
Echelon Quatre : gravure de mode.
Echelon Cinq... BOMBE ATOMIQUE ET PULVERISATEUR DE DIGNITE FEMININE.
Une fois, j'ai rencontré un Echelon Trois au pub. Mes hormones ont dansé un tango. Ce riche snobinard dans son polo de golf a balancé un regard dédaigneux à mes cheveux teints en violet et, avec le recul, j'ai un peu honte de dire que j'ai ajouté une pincée de piment dans son bourbon. Il a passé sa soirée aux WC. On récolte ce qu'on sème et je suis un chouia... rancunière.
J'ai couché avec un Echelon Un et un Echelon Deux après la fin de mon histoire désastreuse avec Lucas. Je n'ai jamais dépassé la barre de l'Echelon Deux, même dans le domaine du flirt.
Là, je suis enfermée dans un ascenseur très étroit et très suffoquant avec la crème de la crème, un surréaliste Echelon Cinq catégorie explosive grand ténébreux aux yeux clairs qui respire le sexe et le danger.
Il doit avoir une trentaine d'années. Une main enfouie dans la poche, l'autre tenant un paquet de croquettes pour chien, il porte un jean noir et une chemise bleu pâle retroussée aux coudes – ses avant-bras musclés et surtout tatoués me laissent pantoise – qui mettent en exergue sa taille immense et sa carrure sportive de boxeur poids lourd. Son visage est aussi attirant que son corps : des yeux turquoise à tomber par terre dont la luminosité est accentuée par son teint mat, une mâchoire carrée ombrée de barbe naissante et, pour couronner ce tableau de maître, des lèvres pleines dans lesquelles je croquerais volontiers. Ses cheveux châtains aux reflets dorés sont coupés courts sur les côtés et plus longs au sommet du crâne. Ils forment une masse décoiffée, épaisse et soyeuse, que je meurs d'envie de caresser. Je distingue la partie supérieure d'une arabesque noire hérissée de pointes dans son cou épais qui disparait sous le col de sa chemise. S'il y a bien une chose qui me fait perdre les pédales chez un beau jeune homme – plus que d'habitude, j'entends – ce sont les tatouages.
– ... courtois de votre part, j'achève dans un gargouillis minable.
Il hausse une épaule musclée pour manifester son désintérêt total et se détourne de ma négligeable personne, le regard verrouillé aux chiffres rouges qui indiquent les étages en défilant sur le panneau digital. La loose pour moi. Il ne m'adresse pas le moindre mot, ce gros connard rigide. Hum, peut-être est-il muet ? Mais il aurait pu au moins me sourire par politesse, il est doté d'une bouche et de mandibules merde ! Je m'apprête à taper rageusement de l'index sur le bouton du cinquième étage, mais je me rends compte qu'il est déjà activé. Logique. Je renifle discrètement son subtil parfum de bois de santal. Cet abruti hautain sent bon, en plus ! Je m'adosse au mur en adoptant une expression faussement détachée et je sifflote un air paillard, le bout de ma sandale tapotant mon cabas de grand-mère.
Du coin de l'œil, je détecte le léger mouvement de tête d'Echelon Cinq qui m'avise lui aussi en biais. Je mentirais si je disais que la tension sexuelle est palpable entre nous dans cet ascenseur, car pour obtenir ce résultat, il faudrait qu'elle ne soit pas unilatérale. Le silence est inconfortable.
Je vous ai déjà dit que je détestais le silence ?
En désespoir de cause, je croise les bras sur ma poitrine avec désinvolture pour remonter mes seins et valoriser mes deux percutants atouts dans le décolleté de ma robe vert pomme. Peine perdue. Echelon Cinq ne fixe pas ma poitrine comme la plupart des hétéros lambdas. Ses yeux sont désormais rivés droit devant lui. Ses doigts pianotent sur sa cuisse en signe d'impatience. Je ne pense pas qu'il soit gay, bien que mon radar à homos ne soit pas aussi infaillible que celui de Nina. Donc...
A : Il n'a pas remarqué mes seins opulents parce qu'il est bigleux.
B : Il préfère les petites poitrines.
C : Il est prêtre.
D : C'est un alien.
J'opte pour l'option A. D'accord, j'ai un look particulier qui peut rebuter les gens ordinaires, mais je ne suis pas un laideron non plus, et je mérite un regard un peu plus insistant qu'un simple coup d'œil évasif !
Les portes s'ouvrent.
Les règles conventionnelles de la galanterie voudraient qu'un homme me laisse passer devant lui, mais Echelon Cinq, qui semble pressé de sortir, ne les applique pas. Un connard fini, décidément ! Je marmonne en lui emboîtant le pas mais là, catastrophe ! Je ne regarde pas où je marche et le fin talon de ma sandale se coince dans l'interstice qui sépare l'ascenseur du couloir. Je tente de dégager mon pied d'un coup sec mais la lanière qui enserre ma cheville rompt et, entraînée dans mon élan, je valdingue comme une grosse dingue en avant. Avec l'élégance d'un hippopotame alcoolique, je m'effondre de tout mon long. Non pas dans les bras robustes d'Echelon Cinq – ce serait trop beau... – mais sur la moquette moisie et tachée du couloir à ses pieds.
Je me vautre, je me ramasse, je m'aplatis, et surtout je me retrouve le cul en l'air à terre, ma robe remontée au-dessus des hanches. Heureusement que j'ai pensé à enfiler une culotte ce matin ! ( Je précise parce que j'ai oublié d'en mettre une fois. Ou deux. Ou trois ? ) Une culotte blanche striée de têtes de mort roses, accessoirement. Je rougis et m'empresse de rajuster ma robe en quatrième vitesse en priant pour que mon nouveau voisin sublime n'ait pas eu le temps de la voir.
– Vous n'avez rien de cassé ?
Sa voix grave, profonde et rocailleuse me fait frissonner. Il a un très léger accent... italien, je crois. Forcément ! Non content d'avoir un visage d'éphèbe, un corps de folie et de sentir bon, cet imbécile possède un timbre affreusement sexy et un accent italien. Quelle injustice.
Je relève la tête. Mes yeux confus naviguent de sa main tendue à son visage indéchiffrable. Le Pulvérisateur de Dignité Féminine porte bien son nom... Je secoue sèchement la tête, mortifiée de honte de m'être ridiculisée pour la deuxième fois devant lui. Puis je me rétablis sans son aide, drapée dans les lambeaux spectraux de mon microscopique amour-propre. Son bras retombe le long de son flanc. Tandis que j'époussette les pans de ma robe et redresse mon cabas à roulettes en position verticale, Echelon Cinq me contourne et s'accroupit pour retirer le talon de ma chaussure abîmée de son piège. Il se remet debout avec souplesse et me tend ma sandale argentée.
– Voilà votre escarpin, Cendrillon.
Un léger sourire en coin recourbe le coin de ses lèvres sensuelles.
Cendrillon ? Il se fout de ma gueule !
– Ce n'est pas un escarpin, c'est une sandale et je vous emmerde ! je peste en claudiquant vers lui et en lui arrachant ma chaussure de la main.
Mon agressivité verbale fait arquer un sourcil à Echelon Cinq. Il pince les lèvres comme s'il se retenait de dire quelque chose et, sans forme de procès, me tourne le dos pour aller ouvrir la porte de l'appartement 508, derrière laquelle son chien jappe. Il la referme sans m'accorder le moindre regard.
– Connard, je maugrée en allant sonner à la porte du 511 sur le même pallier.
Les quatre verrous de Lili sont tirés les uns après les autres. Je colle un baiser sur sa joue ridée au passage et j'enlève mon autre sandale en m'affalant dans son canapé olivâtre. Je lui raconte ma mésaventure.
Compatissante, elle ? Sa cigarette au bec, elle éclate d'un rire grinçant.
– T'as deux pieds gauches, Robinette, alors pourquoi te percher sur des talons aiguilles ! Naine un jour, naine toujours !
– Ca amincit les jambes et je ne suis pas si petite ! Je mesure un mètre soixante, pas un mètre vingt !
– Assume tes jambes potelées et ta taille de naine. Au fait, t'aurais pas un peu grossi, toi ? T'as pris au moins deux kilos depuis la semaine dernière, suppute-t-elle en louchant sur ma poitrine et mon ventre.
– Au fait, tu n'aurais pas un peu vieilli, toi ? Tu as pris au moins cent rides depuis la semaine dernière, je rétorque avec une hargne similaire à la sienne.
– T'es sacrément mal lunée aujourd'hui ! T'as encore tes règles ou quoi ?
– Non, c'est juste le fait de voir ta tronche.
Lili se marre en s'installant à côté de moi sur le canapé.
– Saloperie, va ! Alors, quel est le problème ? T'es vexée que mon nouveau voisin n'ait pas salivé sur tes nichons ? T'es superficielle comme un pet de poule, Robinette !
– Mais non ! Ce type est aussi aimable qu'une porte de prison. Un rustre.
– Si c'était un rustre, il t'aurait pas tendu la patte pour t'aider à te relever et il aurait pas ramassé ta pompe. Il te plait, c'est ça ? devine-t-elle en me dédiant un clin d'œil libidineux. T'as envie de faire plein de cochonneries avec lui ?
– Oui. Non. Peut-être. J'en sais rien !
– Il te plait, déclare-t-elle, sûre d'elle. T'as les joues aussi rouges que ta tignasse. En même temps, t'as bon goût. Y'a de la chair bien ferme à palper sur la marchandise, j'suis sûre. Il me plait à moi aussi, on va être en concurrence sur ce coup-là.
Je la dévisage avec incrédulité, mais elle est sérieuse. Elle agite une main osseuse vers le paquet de sucre qui trône sur sa table de cuisine, se rengorge et recrache une bouffée de cigarette.
– J'ai une longueur d'avance sur toi, Robinette ! Moi, j'me suis pas étalée comme une crêpe devant lui. Je suis allée lui demander ça hier en minaudant, en lui faisant les yeux doux et en roulant du cul. Il était charmé, le beau gosse. Il dormira pas dans ma baignoire. Mon flair me dit qu'il aime les couguars expérimentées, renchérit-elle en faisant mine de griffer les airs avec ses doigts crochus.
– Tu as le double de l'âge d'une couguar, Lili, je dis en levant les yeux au plafond. A moins qu'il ne soit fétichiste des momies ou nécrophile, tu n'as aucune chance de conclure avec lui.
– Je te parie vingt balles que je ramène ce p'tit cul rond dans mon lit avant la fin du mois !
– Vivant et consentant ?
– Vivant et consentant, évidemment !
– Pari tenu, je dis en lui tapant dans la paume.
Je glousse intérieurement. Lili va le harceler et le draguer jusqu'à ce qu'il soit au bord du suicide. Bien fait pour toi, Echelon Cinq.
– Il me rappelle mon Bernard, commente mon amie avec un sourire rêveur.
Je décoche un regard dérouté vers la photo encadrée au mur d'un vieux bonhomme édenté, chauve et bedonnant.
Ma grimace me vaut un coup de pied de Lili dans le tibia. Aïe ! Elle a encore de la force dans la jambe, la harpie !
– Au temps de sa jeunesse, idiote !
– Tu délires. Il est froid comme un glaçon, ce type.
– Mais enfin, Robinette ! Les hommes froids sont réputés pour être chauds comme la braise au pieu !
– Tu regardes trop de films pornos, Lili, je dis en allant ranger ses courses.
– Et toi, tu n'en regardes pas assez. Ca fait combien de temps que tu n'as pas baisé ?
Une bouteille de vodka à la main, je réfléchis en me tapotant le menton. Un an ? Un an et demi ? Mon silence méditatif est significatif pour elle.
– Seigneur tout puissant, ma petite, ça doit puer l'huître périmée dans ta culotte ! Jungle amazonienne et toiles d'araignées à volonté !
– Lili, je m'épile, je me lave et je m'entretiens, je te signale. Alors ça... c'est l'hôpital qui se fout de la charité ! Tu n'as pas eu de relations sexuelles depuis la révolution industrielle !
– J'ai couché avec Bernard la veille de son décès.
– Je comprends mieux pourquoi il est mort...
Elle fait semblant de ne pas m'avoir entendu.
– Il n'avait plus qu'un testicule, mais son engin était encore en état de marche avec une ou deux pilules bleues. Et puis, n'oublie pas Bertrand.
Bertrand est le nom de son godemiché favori. Je sais, c'est très perturbant.
– Est-ce qu'on peut changer de sujet, s'il te plait ? J'ai une remontée acide.
– Tu travailles aujourd'hui, Robinette ?
– J'ai un rendez-vous ce soir au salon de tatouage.
– Et comment va ma petite Anya ?
– Elle terrorise toujours les garçons de sa classe à l'école.
– Telle mère telle fille !
Sur ce point, je ne peux pas lui donner tort.
***
Valentin
A peine ai-je refermé ma porte que j'entends la pin-up empotée et caractérielle m'insulter de "connard" dans le couloir. Je ne peux l'en blâmer : jusqu'à ce qu'elle se casse la gueule, je ne me suis pas montré des plus agréables avec elle. "Ce n'est pas un escarpin, c'est une sandale et je vous emmerde !" m'a-t-elle hurlé en récupérant sa chaussure. Ca fait bien longtemps que personne ne s'est adressé à moi de la sorte...
Elle n'a pas froid aux yeux. En revanche, j'ai eu chaud aux miens dans l'ascenseur. Son parfum floral et ses obus moulés dans sa robe couleur jade m'ont causé une érection qui a atteint son apogée lorsque j'ai entrevu son postérieur bombé recouvert par une invraisemblable culotte blanche à têtes de mort roses. Si je ne m'étais pas inquiété qu'elle se soit blessée dans sa chute, j'aurais laissé libre cours à un éclat de rire.
Intrigué par les raisons de sa venue dans mon immeuble, je ne m'éloigne pas, écoutant le bruit de ses pas dans le couloir. Elle toque à une porte et salue quelqu'un. J'identifie la voix de ma vieille voisine étrange venue m'emprunter du sucre hier. Sa grand-mère ?
Peu importe, ce ne sont pas mes oignons.
Les simples intonations de crécelle de la femme âgée suffisent à calmer ma trique.
Je remplis la gamelle de Lass de croquettes et m'installe derrière mon bureau pour étudier le dossier de ma future cible, procuré par Giacomo, mais une certaine culotte blanche à têtes de mort roses imprimée sur ma rétine me déconcentre.
***
Robyn
Dans le hall de son immeuble, j'ai lorgné inconsciemment sur l'étiquette collée sur la boîte aux lettres du 508. L'Echelon Cinq se nomme Valentin Laurent. Etrange, ce n'est pas un nom à consonance italienne.
Valentin... Un prénom romantique pour un connard de première.
"Superficielle comme un pet de poule", m'a dit Lili.
Elle a peut-être un tout petit peu raison, finalement.
Je fais l'aller-et-retour entre le square situé à deux cents mètres et le hall de son immeuble pour aller chercher quelque chose que je glisse dans la boîte aux lettres de monsieur Valentin Laurent.
Plusieurs petits sacs en plastique que je viens de récolter dans un distributeur public pour le ramassage des crottes de chien.
***
Le lendemain midi, je vais relever mon courrier dans ma boîte aux lettres.
Ma mâchoire pendouille jusqu'au sol.
Sous mes factures se trouve... un tube de colle spécial chaussures.
Merde.
Le connard a du répondant !
Et maintenant, en prime, il connait également mon nom.
Tatie Danielle : vieille femme horrible et détestable du film français du même nom.
Hannibal Lecter : tueur en série cannibale du film le Silence des Agneaux joué par Anthony Hopkins.
Norman Bates : tueur en série du film Psychose réalisé par Alfred Hitchcock.
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