Epilogue
Jeudi 8 décembre 2016 – 8h02
Je sors lentement des brumes du sommeil, mais n'ouvre pas les yeux, pour profiter pleinement de ces quelques minutes éphémères dont je ne me lasse pas. Une parenthèse dans la course du temps, une bulle suspendue entre la vie et l'infini, durant laquelle j'ai l'impression que le monde m'appartient. Emmitouflé sous la couette imprégnée de l'odeur de Luca, je plonge le nez dans le tissu moelleux et prends une longue inspiration pour mon premier shoot de bonheur de la journée : mes bronchioles crépitent, mes synapses implosent et de multiples explosions dévastent ce qui me restait de lucidité. Une vague d'euphorie liquide se répand instantanément dans mes veines. Putain de merde. Cette odeur-là a toute sa place dans la catégorie des drogues dures, si vous voulez mon avis. Je suis irrémédiablement accro. Un junkie irrécupérable... et content de son sort, en plus. Un sourire niais s'accroche à mes lèvres à cette pensée, et je retiens un soupir dépité en imaginant à quel point je dois avoir l'air d'un parfait crétin.
Un parfait crétin certes, mais un crétin heureux – je tiens à le préciser.
Son souffle tiède et régulier survole ma nuque comme une caresse. Son bras passé autour de moi et sa main abandonnée à plat sur mon ventre me maintiennent contre lui. La chaleur de son corps se diffuse dans mon dos, dans mes fesses pressées contre son bassin, dans nos jambes emmêlées. Nous sommes si collés l'un à l'autre, de haut en bas, que je ne sais plus ce qui lui appartient et ce qui est à moi. Une sensation voluptueuse fleurit dans mon cœur, à l'idée que ce sera ainsi chaque jour de notre vie – encore quelques semaines à patienter - et je fais glisser mes doigts entre les siens.
- Je sais que tu es réveillé, murmuré-je en levant enfin les paupières sur la faible clarté bleutée de ce matin d'hiver.
Mon regard tombe sur les murs de pierres ocres traversés de poutres de chêne brun, auxquels sont accrochées cinq ou six photos encadrées de la Toscane et de la Drôme. Je reconnais deux clichés que Luca a pris au tout début de l'automne, le jour où il a enfin eu les clés – le terrain situé à l'ouest avec le chemin qui serpente à flanc de colline vers le ruisseau, et la façade de la maison devant laquelle s'élève le vieux puits blotti à l'ombre de l'olivier bicentenaire. Sur les autres, le val d'Orcia, Montepulciano et Mirmande. Elles n'y étaient pas la dernière fois que je suis venu, il y a 3 semaines. De format plus ou moins grand, elles apportent une touche de modernité au cocon douillet et rustique de la chambre – l'ensemble me plait beaucoup... comme tous les aménagements que Luca a réalisés depuis deux mois, du reste. En seulement quelques semaines, il a réussi à faire de cet endroit un refuge qui nous ressemble et dans lequel je me sens bien, je nous sens « nous ». Je laisse mes yeux s'égarer un moment sur les collines ponctuées de cyprès qui s'étendent à perte de vue, sur les toits de tuiles rosées enchevêtrés qui semblent se disputer la première place d'un podium vers le sommet du village.
Mirmande et Montepulciano : c'est vrai que ces paysages se ressemblent. Je ne suis pas vraiment dépaysé ici. De toutes façons, mon paysage, c'est Luca. Où que nous nous trouvions, je ne suis jamais dépaysé. Je souris, tandis qu'il fait glisser ses lèvres sur mon épaule, à la naissance de ma nuque, provoquant une avalanche de frissons le long de mon échine.
- Comment tu fais ?
Sa voix encore engourdie par le sommeil vibre contre ma peau. Je roule sur moi-même pour lui faire face et hausse une épaule.
- Je ne sais pas... Je le sens, c'est tout.
Je passe une jambe par-dessus sa hanche. Il y étend une main possessive et exerce une pression douce pour me rapprocher de lui. Nous nous sourions en nous dévisageant mutuellement, comme si nous avions tous les deux du mal à croire que ce que nous vivons à cet instant est bien réel... Nos matins ensemble ont décidément un goût de trop peu.
- J'aime t'avoir sous mes doigts quand je me réveille... c'est trop bon, murmure-t-il en fermant les yeux un bref instant, un sourire alangui au coin des lèvres.
- Mmmh... et j'aime tes mains sur moi, réponds-je en approchant mon visage du sien.
Mes lèvres rejoignent les siennes, tièdes et gonflées de sommeil, dans une lente caresse partagée. Il y a un goût d'immensité dans les baisers de Luca, des sensations toujours différentes, toujours renouvelées et l'impression d'une chute libre vers toujours plus de plénitude. C'est juste addictif. Sa main remonte le long de ma cuisse et trace de fines courbes sur mon flanc et dans le bas de mon dos, réveillant les cellules encore assoupies au fond de moi dans une infinité de tressaillements délicieux. Tandis que nos respirations s'alourdissent un peu plus à chaque seconde qui passe, une vibration sourde et intense que je reconnais croit dans le creux de mon ventre. Ma raison ne va pas tarder à rendre les armes, je le sens : son corps m'appelle, mon amour l'attend. Lorsque sa main s'échoue sur mes fesses, mon bassin, doté d'une vie propre, se presse contre le sien dans une étreinte lascive.
- Amore mio... j'ai envie de toi... gronde-t-il d'une voix rauque dans mon cou en écho au bouquet de sensations qui fleurit en moi.
La vibration dans mes entrailles s'enflamme instantanément. Je gémis doucement en sentant contre mes hanches nos sexes s'éveiller à leur tour. Je ne sais pas d'où sort l'éclair de lucidité qui jaillit alors à mon esprit :
- Mais tu n'as pas cours aujourd'hui ? Et ton entraînement, c'est à quelle heure ?
- Je ne sais pas de quoi tu parles... bougonne-t-il en m'enserrant plus fort. Ah, si... j'ai une super idée : tu me fais un mot d'excuse ?
Je pouffe contre sa peau, sans répondre immédiatement. Durant quelques secondes, je continue d'onduler contre son bassin en mordillant la peau de son cou. Oui, j'avoue, cela n'est pas très charitable de ma part : je n'essaye même pas de l'inciter à rester sur le droit chemin. Il faut dire que le geignement qu'il laisse échapper à cet instant ne m'y aide vraiment pas. Il m'encourage même à poursuivre : nous sommes décidément aussi faibles l'un que l'autre. Mais je sais exactement ce qui va se passer – et rien que d'y penser, mon corps bouillonne d'impatience et mes entrailles se tordent par anticipation.
- Oui, bien sûr... Je vais trouver un truc très crédible... Laisse-moi réfléchir... Pour la fac, que penses-tu de quelque chose comme : « Veuillez excuser l'absence de Monsieur Tessaro ce jour : il a étudié la technique de la galipette dans son pieu avec le planteur d'oliviers durant toute la matinée » ? ... Et pour ton coach, c'est encore plus facile : « Tessaro n'est pas en mesure de suivre l'entrainement aujourd'hui, il a dépensé la totalité de son capital musculaire et cardiaque ce matin dans une partie de jambes en l'air ».
Il recule la tête et me toise d'un air dépité.
- Tu es nul en mot d'excuse, Bravetti.
- Ah ben merci.
- D'abord, les services de la fac n'ont pas à savoir que je me tape le planteur d'oliviers – je mets qui je veux dans mon lit – et pour ce qui est du club, je crains que rien ne puisse justifier mon absence à un entrainement... même le jour de mon enterrement, il faudra que je la joue fine. Mais c'est à 18 heures... il est possible qu'on ait fini d'étudier la technique de la galipette.
Il joue des sourcils en me lançant une œillade séductrice, manifestement très satisfait de sa blague débile. Je secoue la tête, blasé.
- Alors on va dire que je te laisse te démerder avec ton coach... en revanche, je tiens à ce que les choses soient bien claires une fois pour toutes : planteur d'oliviers ou pas, essaye de mettre un autre que moi dans ton lit, je te massacre.
Je ponctue ma phrase d'un mouvement plus appuyé des hanches en pressant ma main dans le bas de son dos. Il se tend sous mon étreinte et tente sans grand succès de retenir un nouveau gémissement.
- Sache que tu ne m'intimides pas ! grimace-t-il en resserrant sa prise sur mes fesses.
Je ris entre ses bras. C'est si bon d'être là, sous la couette avec lui. Cela fait des semaines que je n'avais pas pu profiter de sa peau, de son corps contre le mien, de ses yeux qui me dévorent dès qu'ils se posent sur moi, de ses mots d'amour murmurés au creux de mon oreille. Trois, au moins. Bien trop.
Dès que nous en avons l'occasion, nous nous retrouvons dans la Drôme ou à San Stefano – depuis la fin de l'été, c'est le plus souvent moi qui fais la route, parce que les cours à la fac et le rugby laissent peu de marge de manœuvre à Luca. Et puis, pour être honnête, nous sommes bien mieux ici, seuls dans notre refuge. Parce que même si ma mère s'efforce désormais d'adopter une attitude presque chaleureuse lorsqu'il vient, nous savons tous que persiste au fond d'elle une amertume, un regret, qui ne la quitteront probablement jamais... et que nous sentons peser sur nous au moindre geste d'affection, au moindre regard que nous échangeons.
D'ailleurs, elle nous a annoncé fin novembre qu'elle passerait les fêtes de noël en Sardaigne. Ok. Je suppose qu'elle supporte mieux les choses ainsi. En ce qui me concerne, je veux passer la fin d'année avec Luca. Ce sera la première fois. Pas question que nous soyons séparés – genre : lui à Lyon, moi à San Stefano. J'irai où il sera – même si mon prénom n'apparait nulle part sur la liste des invités. Au pire, je l'attends assis sur le trottoir. Bon, ok, je dramatise. On en a parlé il y a plusieurs semaines : lui non plus, n'envisage pas de passer les fêtes sans moi.
Et puisque la mère et le beau-père de Luca seront au Portugal, nous avons proposé à Giovanni et sa femme, ainsi qu'à Chiara et sa petite famille de nous retrouver au domaine. C'est le plus simple : il y a suffisamment de place pour loger tout le monde sans que nous ne nous marchions dessus. Ce sera la première fois que je rencontrerai sa sœur. Franchement, je ne suis pas sûr d'être prêt. Même si, en réalité, Luca m'a parlé d'elle et de Louise tant de fois que j'ai le sentiment de les connaitre déjà.
Bref.
Il n'était pas du tout prévu que je débarque hier soir : la récolte des olives bat son plein au domaine – autant dire que tout l'équipage est sur le pont du matin au soir, avec à peine une demi-heure de pause à midi. Haroun et moi imposons un rythme plus que soutenu à la douzaine de saisonniers présents... mais ça devient trop long, trop pénible. Nos appels quotidiens en WhatsApp et les trois jours par ci par là que nous parvenons à nous offrir ne me suffisent plus. Il me manque tellement – mais c'est terminé. J'en ai ma claque. Ça fait des semaines que j'y pense, que je retourne toutes les possibilités dans ma tête. Et quand je dis toutes, c'est vraiment toutes – y compris celle qui consiste à quitter l'Oliveraie pour de bon. Ce qui revient plus ou moins à trahir tous ceux qui ont fait naitre et grandir le domaine avant moi, et à me couper de mes racines familiales, soyons clairs. Mais si je ne réagis pas, c'est lui, c'est nous que je trahis. C'est évidemment inenvisageable.
Et ce n'est pas avec les 30 ou 40 oliviers que je vais planter ici que je vais pouvoir gagner ma vie – d'autant qu'il faudra attendre au moins 4 ans pour les premières récoltes dignes de ce nom.
Quand il est retourné en France, début septembre, la situation nous semblait juste inextricable. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé à Marchettin'olio un partenariat pour le développement de son réseau de distribution en France. C'était à l'issue de notre réunion mensuelle début octobre... je ne sais pas précisément comment cette idée m'est venue – ou bien si, en fait : il avait récupéré les clés quelques jours auparavant et m'avait envoyé un screen dans la foulée, qu'il avait intitulé : Chez Nous. Voilà. C'est aussi simple que ça. Et c'est exactement à ce moment-là que l'idée a germé dans mon esprit : Luca est mon chez moi. J'en ai même discuté avec Nonna – je tiens à faire les choses correctement. Elle m'a assuré qu'elle me soutiendrait, quelle que soit la décision que je prends. La décision, ça fait bien longtemps que je l'ai prise, en réalité : je veux vivre avec Luca, le voir et lui parler tous les jours, me réveiller dans ses bras chaque matin et m'endormir contre lui après avoir fait l'amour chaque nuit.
Et hier matin, dans ma messagerie, un mail de Silvia, qui me propose un contrat d'un an – pour « vérifier la faisabilité du projet ». Parfait : une vie avec Luca, et un taf en prime. Bordel : qui refuserait un truc pareil ? J'ai presque sauté dans ma voiture pour m'enfiler les 800 kilomètres qui nous séparent.
- J'ai envie de toi, maintenant. J'ai envie de rester dans ce lit, juste parce que tu y es. Je ne veux pas te quitter. Je veux profiter de toi autant que possible.
Sa voix rauque tout contre mon oreille me tire de mes pensées. Je resserre mon étreinte et ma jambe autour de sa taille. Nos sexes sont déjà durs entre nous et la perspective de nos étreintes à venir comble ma poitrine d'un voile brulant.
- Alors, profite, mon cœur... soufflé-je en passant ma main dans sa nuque pour le rapprocher de moi. Je plante mon regard dans le sien. J'ai envie de savoir une nouvelle fois combien tu m'aimes...
Il incline la tête en essayant de contenir le sourire qui fleurit sur ses lèvres – il a bien compris que je le taquine.
- Je t'aime comme un fou. Tu le sais.
Je plisse des yeux rieurs et tendres.
- Oui... mais je veux le sentir encore. Je veux te sentir partout sur moi, je veux te sentir en moi, cuore mio.
Ses pupilles se dilatent instantanément. Un océan bleu lagon m'engloutit, tandis qu'il bascule au-dessus de moi et rejette la couette à nos pieds d'un geste sec. Le contraste de température entre l'atmosphère douillette sous l'épais tissu et le reste de la pièce est saisissant. Mais je n'ai pas le temps de me plaindre : alors qu'il se fait une place entre mes jambes, la paume de sa main entame de lentes caresses sur mon torse, y parsemant une multitude de frissons enfiévrés. Mes papillons se révoltent et tentent par tous les moyens de sortir de leur cage. Le rythme de ma respiration ressemble à une partition digne des milieux Underground londoniens des années 90 : erratique et désordonnée. Je m'offre sans retenue à l'exploration de ses doigts sur mes pectoraux, mon ventre, mon aine et mes hanches. Il enflamme chaque parcelle de mon corps.
- J'aime te toucher, gronde-t-il soudain d'une voix sourde en effleurant mon sexe gonflé – je retiens à peine un râle de frustration – ou de plaisir – ou les deux, je ne sais plus. Les connexions de ma raison ont fondu. Tout n'est plus qu'une espèce de mélasse dédiée aux délices que me procurent sa peau contre la mienne. « Je ne m'attendais pas à ce que tu viennes... Et bordel, c'est... trop bon. De dormir contre toi, de me réveiller avec toi. De te caresser ici, dans notre chambre, dans notre maison. Je te voudrais avec moi tous les jours, tout le temps. Tu n'imagines pas à quel point j'ai hâte que ça arrive... », reprend-il en se penchant jusqu'à poser ses lèvres sur les miennes.
- Moi aussi, j'ai hâte, soufflé-je en sachant que ce n'est désormais qu'une question de jours – un mois tout au plus. J'ai également hâte de le lui annoncer... tout à l'heure – parce qu'à cette seconde précise, j'ai vraiment, vraiment d'autres préoccupations en tête. En tête... façon de parler !
Ce baiser là est en effet plus passionné que le précédent, plus impatient et avide. Nos langues sont passées d'une valse à un rock endiablé, mes mains glissent jusqu'à ses hanches que je presse avec ferveur et la fièvre nous emporte. Après quelques minutes insatiables, ses lèvres descendent dans mon cou et y déposent des dizaines de baisers légers et amoureux, puis s'attardent sur mon épaule et ma poitrine. Lorsque sa langue entreprend de jouer avec mon téton, une onde de plaisir absolu me traverse littéralement et j'entends un râle sortir de ma bouche – ce qui le fait sourire contre moi.
- J'aime entendre ton plaisir, tesoro, dit-il en poursuivant son chemin sur ma peau.
Il trace un sillon humide du bout de la langue sous mon nombril. Mes doigts se crispent dans ses cheveux : le sentir parcourir mon corps me procure des sensations inouïes, que je n'ai jamais éprouvées qu'avec lui. Je sais que c'est lui qui me lèche et m'embrasse – et ça change absolument tout. Il survole de ses lèvres la triquetra désormais tatouée sur le côté de mon aine puis son nez glisse vers la toison de mon bas ventre, je l'entends inspirer lentement :
- J'aime ton odeur, amore, j'aime te respirer...
Mon corps tout entier est secoué de mille arcs électriques, alors que ses doigts parcourent mon sexe sur toute sa longueur, doucement, amoureusement : j'aime que ses lèvres, que son visage, que ses mains soient à cet endroit précis, j'aime sentir sa langue sur ma peau, là où elle est si fine que la moindre caresse me fait tressaillir du bout des orteils jusqu'à la pointe des cheveux.
- Luca... putain...
A présent, sa bouche parvient à mon sexe tendu, autour duquel il referme sa main. Sa langue lèche mon gland humide. Une fois. Puis une seconde. Ses lèvres cheminent avec douceur jusqu'à mes bourses, dont il s'empare avec ferveur.
Je gémis outrageusement dans l'espace de la chambre – il y a quelques instants, il a dit « notre chambre »... il n'a pas conscience du bonheur pur que j'ai éprouvé à cette seconde-là... ou bien si, à en juger par ce qu'il est en train de me faire, précisément maintenant :
- Mon cœur... c'est si bon...
- J'ai envie de te donner du plaisir, amore... je veux que tu saches combien je t'aime...
Les longues minutes qui suivent sont emplies de soupirs et de gémissements, de caresses tendres et de baisers enflammés, de prières ardentes et de cris étouffés... Nous nous aimons, comme nous nous sommes toujours aimés : sans retenue, sans filtre, avec une évidence qui n'appartient qu'à nous.
Une vague ultime me terrasse lorsqu'il bascule une dernière fois les hanches pour s'enfoncer au plus profond de moi et je me tends en enfonçant mes doigts dans son dos. Il s'arque quelques secondes plus tard en rejetant la tête vers le ciel dans un cri fauve, avant de s'écrouler sur moi. Nos corps en sueur s'épousent parfaitement, même après l'orgasme, et je le serre dans mes bras en couvrant son cou de baisers.
Un rayon de soleil pâle traverse la pièce de part en part, l'illuminant d'une clarté intense presque blanche. Il est 10 ou 11 heures, peut-être. Il a loupé les cours de la matinée. Mais on s'en fout : à la fac, qui fait encore des mots d'excuse ?
Dans l'air flotte une odeur voluptueuse, âpre et acidulée – celle de nos ébats, mélangée au parfum citronné de Luca. Je kiffe l'idée de baigner dans cette odeur-là, précisément. Allongé de biais dans le lit, la joue posée sur mes bras croisés en travers de sa poitrine qui commence à s'apaiser, je le dévisage en silence. Un sourire de bien-être accroché aux lèvres, il me regarde lui aussi, repoussant du bout des doigts les mèches qui retombent invariablement sur mon front. Une immense brèche de bonheur partage ma poitrine en deux, élargissant à l'infini l'horizon qui s'offre devant nous.
Je suis heureux. Eperdument, absolument, inconditionnellement heureux. Il semble l'être, lui aussi. Non. J'ai la certitude qu'il l'est. C'est une évidence. Une bouffée d'euphorie pure me submerge et s'échappe de mes lèvres.
- Si tu es d'accord, je m'installe ici après les fêtes.
Ses doigts s'immobilisent dans mes cheveux et ses yeux se plissent – son incrédulité est manifeste et m'attendrit plus que je ne saurais dire : j'avoue, j'aurais pu y aller plus doucement.
- Tu veux dire : quand on rentre d'Italie ?
- Mmmh... Le 3 janvier... si tu es d'accord, répété-je malicieusement – je SAIS déjà qu'il est d'accord.
- Evidemment que je suis d'accord ! s'écrie-t-il en fronçant les sourcils avant de poser sa paume sur ma joue, les yeux remplis de paillettes. Ils t'ont proposé un contrat ? Mais alors, comment vous allez vous organiser ? Pour l'oliveraie, vous avez pu recruter quelqu'un ? demande-t-il avec empressement.
Je hoche la tête – mon cœur déborde devant son impatience à peine contenue et l'inquiétude sincère qu'il manifeste.
- Je commence le 15 janvier. Haroun a accepté la délégation de gestion. On a retenu Eva pour le seconder.
Après une pause, j'ajoute sur un ton volontairement détaché – mais en réalité, je n'en mène pas large :
- Il faut qu'on aille voir Nonna.
- Hein ? Pourquoi ?
J'esquisse un sourire. Cela fait des semaines que je pense à ce moment, aux mots que je vais prononcer, à sa réaction. Mon cœur bat comme un sourd au creux de ma poitrine, l'allégresse et l'anxiété se disputent la première place dans mon esprit : tout va bien. Plutôt que répondre à son interrogation, je poursuis de façon elliptique :
- Elle m'a fait promettre qu'on viendrait le lui dire... mais ça peut attendre 15 jours.
Il fronce plus intensément les sourcils, sous le coup de l'incompréhension. A la lueur qui s'allume au fond de ses yeux, je devine que ses pensées cheminent à toute vitesse. Mais je ne suis pas sûr qu'elles aient le GPS adéquat... D'un mouvement preste, je me redresse et récupère mon jean abandonné au pied du lit, puis extirpe de la poche arrière une feuille de papier pliée, froissée à force d'avoir été manipulée.
Je la lui tends et m'allonge près de lui, le regard rivé à son visage, dans lequel je lis de nouveau comme dans un livre ouvert : je veux être aux premières loges des émotions qui se manifesteront. Il déplie la feuille. Ses trait se figent progressivement, à mesure qu'il prend connaissance des lignes qu'il a lui-même écrites il y a plusieurs années à présent. Après quelques instants, il abaisse la feuille sur sa poitrine et tourne un visage interrogatif, presque désemparé, vers moi. Ses yeux brillent d'une lueur incrédule et colorée d'espoir. Je m'empare de sa main et entrecroise nos doigts avec douceur. Les mots que je m'apprête à prononcer me semblent tellement évidents.
- Moi aussi, j'ai envie de tout partager avec toi.
Ses pupilles s'arrondissent et je devine qu'il a compris ce que j'étais en train de lui dire. Ses doigts serrent plus étroitement les miens.
- J'ai envie de planter des oliviers pour toi, j'ai envie de faire l'amour avec toi au petit matin, j'ai envie de t'écrire des dizaines de mots d'excuse parce que nous aurons tardé au lit, j'ai envie de prendre soin de toi si tu es malade, de partir en voyage avec toi, de créer une huile d'olive à ton nom – je suspends mes propos, en réalisant que ce que je viens de dire est d'une niaiserie absolue – mais l'étincelle de bonheur qui transparait dans ses yeux fait exploser mon cœur, et je continue : j'ai envie de tout partager avec toi. Alors, je suis d'accord... avec le Luca de 2013. J'espère que le Luca de 2016 est d'accord, lui aussi. Tu es la plus belle incarnation du bonheur que je puisse trouver. Non. Tu es la seule, en fait. Et j'aime trop l'idée de me marier avec toi...
Son émotion est visible, même s'il tente de la masquer derrière une moue affreuse. Il scrute mon visage, à la fois éperdu et heureux, comme s'il tenait à vérifier qu'il ne rêve pas, puis il secoue la tête en passant sa main dans ma nuque pour m'attirer à lui. Nos corps s'emmêlent de nouveau – j'ai hâte que cela devienne notre quotidien.
- Le Luca de 2016 a plus que jamais envie de partager sa vie avec toi., souffle-t-il éperdu. Ça fait longtemps qu'il la partage avec toi, en fait. Tu me rends heureux, Matteo. Je t'aime.
Nous nous sourions, les yeux pleins de feux d'artifice.
- Est-ce que tu penses qu'on est trop jeune ?
Il me regarde intensément durant un bref instant, peut-être indécis. Mais son visage s'éclaire finalement :
- On avait dix ans la première fois qu'on a été heureux ensemble. Est-ce qu'il y a un âge, pour le bonheur ?
FIN
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J'ai aimé ces personnages plus que je ne l'aurais imaginé.
En écrivant les premières lignes de leur histoire, j'envisageais des rires d'enfants, du soleil méditerranéen, des effluves de lavande et de basilic, des reflets dorés sous les chapeaux de paille... juste de l'insouciance et du bonheur.
Je suis un peu triste de les quitter, mes bébés qui sont devenus grands.
Je vous remercie de m'avoir lue jusqu'ici.
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