Aux premières lueurs du jour - partie 5

Il fallait bien que ça arrive, n'est-ce pas ? 🥺😔😔

Voici le dernier chapitre de cette histoire, avant l'épilogue. Un chapitre très long (j'espère que vous arriverez au bout !😶‍🌫️😶‍🌫️😶‍🌫️), que j'ai relu des dizaines de fois, que j'ai remanié des centaines de fois, et qui évidemment, est encore perfectible... je crois en fait que je n'imagine pas de fin à l'histoire entre Matteo et Luca et qu'inconsciemment, je repoussais sans cesse le moment (le moment !!??) d'y apposer le point final.😏😏😁

Mais voilà.

Je vous souhaite une bonne lecture, et vous retrouverai pour l'épilogue d'ici quelques jours (ou semaines, vu le rythme de tortue avec lequel j'ai écrit cette histoire), ou bien - et ce sera encore mieux ! - à travers vos commentaires et vos votes, qui me font toujours super super plaisir !!!!🥰🥰🥰

Bonne lecture et bon voyage en Italie !!!


********


Parvenu au domaine, je me dirige vers la longue table de chêne en guidant mes pas à l'aide de mon téléphone. Le ciel nuageux rend la nuit plus profonde que jamais et semble même absorber le bruissement habituel des heures nocturnes. Je distingue à peine la silhouette massive du pressoir d'où ne filtre aucune lumière – les Smith ont déjà rendu les armes semble-t-il - et la maison que je contourne est elle aussi plongée dans une obscurité épaisse, presque gluante. Si mes grenouilles ne m'offraient pas leur concert réconfortant, je me croirais presque propulsé dans une dimension parallèle où le monde vivant n'est plus qu'un lointain souvenir.

Parvenu sous l'olivier, je me laisse lourdement tomber sur le banc en soufflant. J'ai besoin de quelques minutes pour essayer d'organiser mes pensées, pour apaiser l'orage dans mon cerveau et détendre le nœud de frustration qui me tord le ventre, avant de rentrer. Mais je suis claqué – on se rappelle que j'ai dormi 3 heures la nuit dernière et que je me suis tapé des kilomètres de tuyaux à enrouler dans la journée – et mon cerveau a décrété qu'il fermait boutique ce soir. Bref. Je prends ma tête entre mes mains, accoudé au plateau de bois et gronde sans retenue toute ma colère et ma frustration, à mesure que la semaine qui vient de s'écouler défile dans ma mémoire : ces quelques heures hors du temps à Montalcino, son sourire et les paillettes de ses yeux rien que pour moi, la mine espiègle de Louise et sa maison de pierres dans les collines arides de la Drôme.

Il y a aussi sa complicité évidente avec Levani bien sûr, mais je choisis de ne penser qu'au geste de Luca pour éviter la main de celui-ci, à nos doigts enlacés ou au soupçon de tendresse qui perçait dans sa voix tout à l'heure. Je ne renoncerai à rien. Même si ça doit finir par me tuer.

- Hey !

Je lève vivement la tête, un peu agacé par cette interruption : est-ce si difficile de me laisser déprimer en paix, bordel ? Avec surprise, je découvre Logan qui se tient debout à deux ou trois mètres de là, une vieille lanterne à leds suspendue au bout de son bras levé à mi-hauteur. Il affiche un sourire à la fois confiant et gêné – et je me fais la réflexion que c'est un curieux mélange sur son visage juvénile. Quel âge peut-il avoir, d'ailleurs ? 18 ou 19 ans – guère plus.

- Tu es encore là ? m'étonné-je sur un ton plutôt sec. Disons que je n'avais pas forcément envie de tenir la conversation à qui que ce soit, précisément maintenant, et s'il pouvait le comprendre sans que j'aie à le lui signifier, ça serait une bonne chose.

Ignorant ma contrariété manifeste – ce qui l'accentue logiquement -, il hausse les épaules et s'approche nonchalamment. Sa timidité habituelle a laissé place à une assurance qui me surprend.

- Tu as une cigarette ?

Je tire le paquet de ma poche et le lui tends. Il saisit un bâtonnet ainsi que le briquet glissé à côté :

- Je t'attendais.

J'arque un sourcil incrédule tandis qu'il allume sa cigarette. Il me dévisage en tirant une longue bouffée, dont il expire la fumée sur le côté, sans me quitter des yeux. Son regard est direct, franc. Et plus qu'explicite.

Hein ? Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Et soudain, les signaux plus ou moins subtils qu'il m'adresse depuis plusieurs jours me reviennent en mémoire – les contacts furtifs de son épaule ou de sa main, ses sourires équivoques, les prétextes divers pour venir me parler... Je n'y ai pas prêté attention jusqu'ici mais à présent, cela me semble évident. Je suis stupéfait... non seulement parce que je n'ai rien vu, mais aussi parce que je réalise à quel point ce constat m'indiffère – ce qui n'aurait certainement pas été le cas il y a encore 10 jours : il est plutôt mignon, il n'est pas d'ici et quittera le domaine à la fin de l'été... en temps normal, ces trois critères réunis constituent une raison plus que suffisante pour m'accorder quelques libertés.

Ne créer aucune attache, surtout. N'éprouver aucun sentiment, avant tout. Se laisser emporter par la morsure du désir, assouvir les pulsions incandescentes au fond de mes entrailles, en prenant bien soin de réduire au silence les récriminations offusquées de ma conscience en m'imbibant d'alcool. C'est ainsi que j'ai toujours fonctionné, non ?

Toujours ? Bien sûr que non. Juste depuis que j'ai décidé de rayer Luca de ma vie il y a 5 ans. Mais il est revenu, à présent. Et bien que je n'aie absolument aucune certitude sur ce qui va se passer, sur la façon dont notre relation va évoluer, m'oublier dans des draps inconnus n'est plus une option. Je n'en éprouve pas la moindre envie, qui plus est.

Un toussotement me ramène à la réalité : Logan m'observe d'un air avide et impatient, un sourire gourmand aux lèvres. Merde... Je secoue la tête, un peu désabusé :

- Ecoute, Logan. Je n'ai pas vraiment la tête à...

Devant son air désappointé, je précise :

- En fait, il y a quelqu'un... et...

Il me fixe un instant, comme s'il peinait à donner du sens à mes propos, puis soudain, ses épaules s'affaissent et ses joues s'embrasent.

- Oh... balbutie-t-il en écrasant la cigarette dont il n'a tiré que deux taffes. D'accord... Je... je suis désolé... je...

Il gratte l'arrière de son crâne, le regard désormais fuyant, toute son assurance évaporée d'un seul coup. Je lui adresse un sourire aussi réconfortant que possible – comme le ferait un grand frère tâchant de rassurer son cadet venant de se prendre son premier râteau :

- Il n'y a aucun souci, vraiment ! Je ne...

Il se lève brusquement sans me laisser terminer :

- Oui ! Bien sûr, bien sûr... bon, ben... je ferais mieux d'y aller... sinon je risque de ne pas être frais demain matin !

Sa voix sonne faux et le rictus qui tord ses lèvres témoigne de sa profonde gêne. J'acquiesce d'un mouvement de tête – il faut croire que je n'obtiendrai pas l'Oscar dans le rôle du grand frère.

- Bonne nuit, Logan !

- Ouais... euh... bonne nuit !

Je le regarde disparaitre, avec de sérieux doutes concernant la qualité de ma nuit à venir, mais contre toute attente, elle est en effet plutôt bonne. J'imagine que le manque de sommeil que j'ai accumulé ces derniers jours m'a définitivement terrassé, ce qui m'épargne en prime mes cauchemars habituels. Lorsque la sonnerie de mon réveil m'extirpe à 7 heures le lendemain des brumes de ma nuit sans rêve, j'ai l'impression d'avoir dormi 100 ans.

Je saisis mon téléphone pour le faire taire et me fige soudain en constatant que Luca m'a envoyé un texto il y a un peu moins d'une heure.

Luca – 6h11 :

Je t'appelle à mon retour de Venise.

Je reste un long moment à fixer ces quelques mots, incrédule - mon esprit embrumé n'était pas prêt à ça. Ni à l'explosion euphorique de la petite voix avec laquelle je cohabite, suggérant que tout n'est peut-être pas perdu. Mais la silhouette de Levani s'encadrant dans le rectangle lumineux de la porte ressurgit à ma mémoire, lui coupant instantanément le sifflet. Je réprime un grognement de rage et me laisse retomber sur mon oreiller, bouillonnant de frustration... la réalité est décidément une chienne.


***


Les jours qui suivent ne m'offrent aucune minute de répit. Ma mère a décidé à l'improviste – à l'improviste : on rigole - de partir chez une vague cousine en Sardaigne, qu'elle n'a pas vue depuis 15 ans, nous laissant seuls Haroun, ma grand-mère et moi administrer le domaine. Je ne suis pas plus ému que cela, autant le dire. Nonna prend le relais pour la gestion de l'ancien pressoir – les Smith, qui nous quittent après-demain, sont plutôt autonomes, et poursuivent leur exploration de la région sans avoir besoin de notre aide. Je poste Logan à la boutique et à l'accueil des visiteurs avec elle : le fait qu'il parle anglais est un atout majeur évidemment, mais surtout – autant être franc - je ne voudrais pas que l'épisode d'hier soir entrave d'une quelconque manière son job ici. En plus, Nonna l'apprécie et le lui confier en appui n'est pas une punition – loin de là. Nous poursuivons donc notre routine sans plus de souci.

Ma grand-mère rayonne de nouveau – c'est juste incroyable. Elle s'est débarrassée du costume terne et gris qu'elle avait revêtu à la mort de mon père pour laisser celle que j'ai toujours connue ressurgir – enthousiaste, d'une énergie inépuisable, et dotée du sourire le plus ensoleillé que je lui ai jamais vu. Elle est sur tous les fronts à la fois, coordonne la gestion des commandes pour nos partenaires, la préparation des conserves et des bocaux pour le marché, le réapprovisionnement de la boutique. Rien à voir avec le fantôme qui errait depuis 5 ans sur le domaine.

Jeudi soir, il est près de minuit lorsque nous partageons une tisane de verveine – qu'elle est allée cueillir pour l'occasion derrière la maison -, en regardant les étoiles depuis le banc près de la porte d'entrée. Elle me rend près d'une trentaine de centimètres désormais, et son épaule collée à la mienne me parait bien frêle. Pourtant, je sens presque physiquement la tonicité de ses muscles, la détermination et l'énergie qui émanent d'elle. C'est tellement bon de la retrouver.

- Le bonheur te va bien, me confie-t-elle dans un souffle en portant le mug à ses lèvres.

Je baisse les yeux vers elle, interloqué. Son regard pétille de malice.

- Depuis qu'il est revenu, précise-t-elle.

Oh !? Je réprime le ricanement amer qui menace de franchir mes lèvres tandis que mon cœur se fissure. Je me râcle la gorge pour tenter d'affermir ma voix – sans grand succès, je le crains :

- Il est reparti, tu sais... je ne suis qu'un souvenir d'enfance...

Elle glousse en secouant doucement la tête. Euh... pardon ? Je n'ai pas vraiment envie de rire, moi. Mais le sourire qui orne ses lèvres semble contenir des secrets auxquels nul autre qu'elle n'a accès :

- Que vous pouvez être idiots, vous là, avec l'arrogance de vos 20 ans... il ne le sait pas encore – et toi non plus apparemment, stupido – mais votre vie n'est pas derrière vous : elle est devant. Et ensemble.

Je me fige. Elle coule un regard vers moi et arque un sourcil amusé devant mon air hébété.

- Vous n'oublierez pas de venir me le dire, quand vous vous en rendrez compte, hein, chenapans... et elle est secouée d'un nouvel éclat de rire – qu'elle est seule à comprendre mais que je savoure : ses paroles glissent comme du miel sur mon cœur meurtri. J'ai tellement envie de la croire. Après tout, peut-être a-t-elle un don de voyance ou un truc dans le genre que j'ignorais ? Elle semble si sûre d'elle que la petite lueur d'espoir qui siège au fond de ma poitrine reprend de la vigueur instantanément. Je lâche un faible sourire :

- On viendra, Nonna. Promis.

Vendredi soir après la répétition, nous prenons un moment pour évoquer le concert du 23 juillet. J'ai finalement accepté de jouer : puisque j'ai décidé de sortir de ma caverne pour renouer avec le monde, autant le faire jusqu'au bout. Nous rions, nous discutons de tout et de rien, Hannah et Valentina lovées l'une contre l'autre dans l'indifférence générale, Jason raconte ses échanges surréalistes avec le service administratif de la fac dans le cadre de son prochain semestre en Australie – et c'est comme si je me remplissais de nouveau de la saveur de la vie. Ces instants sont précieux – et j'ai l'impression de m'en rendre compte seulement maintenant, comme si je sortais d'une profonde torpeur.

Mais je m'échappe rapidement : en l'absence de ma mère, qui était censée aller au marché demain, c'est moi qui prends en charge cette partie du boulot – lever à 5 heures : si je n'anticipe pas un minimum, ça risque de piquer.

Alors que je me dirige vers la vieille Fiat que Nonna me prête, Valentina me rattrape.

- On n'a pas parlé de lundi, commence-t-elle en me regardant glisser ma guitare sur la banquette arrière.

- Qu'est-ce qu'il y a, lundi ?

Elle grogne en roulant des yeux :

- Matteo, tu es super chiant !

Je ris : j'adore l'emmerder – elle démarre toujours au quart de tour. Mais face à son air bougon, je reprends mon sérieux et m'adosse à la portière, bras croisés sur la poitrine.

- Vas-y... détaille-moi toutes les folies que ta petite tête a imaginées pour ce grand jour !

En un éclair, son visage s'illumine comme celui d'une gamine fan de Pokemon qui rencontrerait Dracaufeu en chair et en os. Enfin : une gamine, ou la Valentina d'aujourd'hui – ce serait pareil, en fait.

- Alors : j'ai invité quelques potes...

- Quelques ? répété-je avec une appréhension assumée. Parce que bon... vous ne connaissez pas Valentina personnellement, mais moi... si. Quand elle dit « quelques potes », il n'est pas impossible qu'elle ait invité la moitié du village.

- Que des gens que tu apprécies... une vingtaine...

Je manque de m'étrangler :

- Quoi ? Mais à quel moment tu as cru que...

Elle balaye ma remarque offusquée d'un geste de la main et m'interrompt :

- Arrête de faire l'enfant, Matteo ! Il n'y aura que des gens qui t'aiment !

Je souffle exagérément, exaspéré, mais elle continue imperturbable.

- J'ai donné rendez-vous à tout le monde pour 22 heures. Nonna fait les pizzas...

- Ma grand-mère ?

- Oui, ta grand-mère ! Tu connais une autre Nonna ? On se parle, tu sais ? rétorque-t-elle en haussant les épaules, comme si ma question était parfaitement idiote.

L'image de ma grand-mère devant son ordinateur ressurgit dans ma mémoire, son air de conspiratrice et son regard espiègle : j'imagine que c'était lié... Je suis donc trahi par mon propre sang ! Un flot réconfortant se diffuse en moi, à l'idée que ma meilleure pote et mon aïeule ont comploté pour me faire cette surprise. Mais je bougonne, histoire de donner le change :

- Mouais... bravo ! La loyauté en prend un sacré coup !

- Pfff... t'es vraiment débile ! Bref... tu n'as qu'un truc à faire : être prêt à 22 heures. Ça va ? Ça te parait envisageable ? siffle-t-elle, perfide. Grrrr, cette fille me rend dingue !!! Elle reprend, suffisante : « Et puis nous sommes une brochette à dormir chez toi... pas besoin de demander : on a déjà arrangé tout ce qu'il faut ! Le vieux pressoir sera libre, et nous avons prévu de planter une tente derrière le hangar... Heureusement qu'on t'a pas attendu pour s'organiser, sinon... »

Elle affiche une moue sacarstique et moqueuse, qui me fait lever les yeux au ciel.

- Formidable ! J'ai hâte ! rétorqué-je sur un ton qui exprime exactement le contraire – comment ai-je pu accepter que Valentina s'occupe de mon anniversaire ? Je suis un vrai crétin – il n'y a pas d'autre explication... « C'est bon ? Tu as fini ? Je peux y aller ? On n'est pas tous en vacances, ici ! »

Elle ignore superbement mon agacement surjoué, tandis qu'un large sourire complice apparait sur son visage.

- Alors ? Tu es content ? Tu vois, je te l'avais dit...

Je plisse les yeux, incertain et curieux.

- De quoi tu parles ?

Elle se penche vers moi et pose sa main sur mon bras.

- Ben tu sais... Levani et Luca...

Je me fige. Elle soupire en se redressant avec une moue blasée.

- Ah... non, apparemment, tu sais pas. Bon... Ils sont pas ensemble. Ou bien ils ne le sont plus. Enfin, j'en sais rien. Je sais juste que Levani est reparti jeudi matin en France. Luca l'a ramené à San Stefano mercredi soir – ça n'était pas précisément l'expression du réchauffement climatique entre eux, apparemment...

- Mais comment tu peux être au courant de ça ?

- Ah... San Stefano... répond-elle d'un air évasif et mystérieux.

Je la contemple, muet de stupeur. Je vois très bien ce qu'elle veut dire... et même si je suis dépité par ce constat, je ne peux empêcher ma petite voix intérieure de s'enthousiasmer : Putain de bordel de Dieu ! Ils ne sont pas ensemble, ils ne sont pas ensemble ! J'avoue, ma conscience manque singulièrement de tact et pourrait s'abstenir de fanfaronner – par égard pour Levani au moins – mais je n'ai jamais dit que j'étais un saint, hein...

- C'est cool, non ? insiste Valentina en affichant un air réjoui.

Je me concentre de nouveau sur ma pote et secoue la tête, en m'efforçant de réprimer le sourire qui fleurit sur mes lèvres. Qu'est-ce que je suis censé répondre, sans passer pour le goujat de service qui se réjouit du malheur des autres ? Alors je me tais et me contente de déposer un baiser sur sa joue avant de m'engouffrer dans ma voiture, sous ses vociférations indignées.

Mon cœur fait des étincelles. Ma fanfare intérieure s'est réveillée. Je ne vais pas pouvoir dormir. Ils ne sont pas ensemble. Pas encore. Plus. Ou ils ne l'ont jamais été.


***


Lundi 18 juillet – 00h37

Allongé dans mon lit, un bras replié sous ma tête, je contemple avec nostalgie les fils tissés d'une vague couleur orange grisâtre entortillés autour de mes doigts. Même s'ils s'apparentent dorénavant davantage à de vieilles ficelles informes, nos bracelets brésiliens représentent le seul souvenir vivant qu'il me reste de notre histoire. C'est un peu de Luca que je tiens dans la main, un peu de son sourire et de sa voix.

Cela fait désormais plus d'une semaine qu'il fait de nouveau partie de ma vie. Je ne sais pas quand je le reverrai et cette incertitude me pèse, évidemment. Les pics de sérénité et de confiance alternent avec le sentiment insupportable d'être piégé dans un sas dont toutes les issues sont closes, sans avoir la moindre idée de ce que je trouverai derrière les cloisons lorsqu'enfin je pourrai sortir. Une pastille sonore émane de mon téléphone et me tire de mes sombres réflexions. Je le déverrouille précipitamment. Il y a un peu plus d'une demi-heure, face à la vague de désespoir qui menaçait de me submerger et dans une tentative complètement débile d'apaiser le manque qui creuse mes entrailles jour après jour, j'ai eu la merveilleuse idée de réactiver mon compte Instagram et de chercher son profil. Il vient d'accepter ma demande. Une vague d'appréhension mêlée d'effervescence déferle en moi alors que je plonge dans la vie de Luca, d'une simple pression du pouce.

Pour l'essentiel, ses publications concernent le rugby – les matches, mais aussi les soirées de 3e mi-temps, manifestement bien arrosées. Quelques photos de la Drôme également. L'annonce de son départ pour le club de Valence. Des clichés du palio de Petroio et des rues de Sienne – je passe rapidement ceux sur lesquels j'aperçois Levani, de près ou de loin -, de Montalcino – mon cœur cesse littéralement de battre lorsque je reconnais la petite place où nous avons mangé. Ses derniers posts sont consacrés à Venise. Quelques photos de la basilique Santa Maria della Novella, des quais où sont amarrés des gondoles, et l'ile de Murano, avec ses canaux bordés de maisons aux couleurs chamarrées, sur laquelle habite son père. Giovanni apparait sur quelques-unes d'entre elles, en compagnie d'une femme blonde – sa seconde épouse, je suppose.

Un nœud se forme dans ma gorge : le père de Luca a beaucoup compté pour l'enfant et l'ado que j'ai été. J'aimerais tellement, à l'heure qu'il est, m'assoir sur le banc de bois près de l'entrée et entendre son avis sur ce que je traverse – et peut-être aussi sur ce qui nous est arrivé, à son fils et à moi. Il repousserait ses lunettes sur son front, l'air inspiré et pourtant nonchalant, le nez levé vers les étoiles. Il commencerait par quelque chose comme « Tu sais, les vénitiens... » et puis m'aiderait à faire émerger la pensée enfouie au fond de moi, rien qu'en me parlant du Carpaccio ou de la Piazza San Marco. Je n'ai aucun doute sur le fait qu'il comprendrait mieux que quiconque ce que je ressens, ce que j'ai éprouvé, son regard serait un vrai réconfort... j'aurais tellement besoin qu'on m'aide à y croire, encore.

Parce qu'au fil des jours qui passent – on ne va pas se mentir -, les mots de Valentina perdent de leur puissance et de leur irrévocable réalité, le message de Luca est relégué au rang de fantasme rêvé, les secondes précieuses à Montalcino se fanent doucement, tandis que les souvenirs de Luca et Levani si proches chez Cipriano grignotent tout l'espace de ma mémoire. Je n'ai aucune certitude, aucune idée de ce que nous sommes. Est-ce que nous sommes quelque chose l'un pour l'autre, en fait ?

Je vais avoir 22 ans demain – techniquement, je les ai déjà puisqu'il est presque 1 heure. Valentina m'a déjà envoyé un sms pour me souhaiter un bon anniversaire. Elle met un point d'honneur à être la première chaque année et ça n'a pas loupé cette fois-ci encore.

Dans un soupir, je laisse tomber mon téléphone près de moi et reporte mon attention sur nos bracelets qui ne ressemblent plus à rien, et ne serviront plus à personne. Ils gisaient au fond de la boite qui contient les lettres de Luca en patientant sagement dans l'obscurité, que quelqu'un daigne les faire réapparaitre au grand jour. Ils attendaient leur moment.

Comme j'attends le mien. Ou plutôt le nôtre.

Dans une sorte d'éclair, les paroles d'Endlessly jaillissent dans mon esprit. Seul Luca a le pouvoir de me faire renaitre à la vie, de redonner un départ à notre histoire. S'il le décide. Un sentiment d'urgence s'empare de moi : il faut que je le lui dise. Maintenant. Soudain galvanisé par un espoir fou, je me redresse et tends le bras pour saisir ma guitare posée sur son socle près de mon lit. Je place mes doigts sur les cordes et tente quelques accords pour m'accompagner, puis me mets à fredonner. Les mots, issus du plus profond de moi, surgissent d'eux-mêmes. Des mots pour changer l'histoire. Des mots pour réécrire notre histoire.

Hopefully, I'll love you endlessly
Plein d'espoir, je t'aimerai infiniment

Hopefully, I'll give you everything
Plein d'espoir, je te donnerai tout

But I wont give you up I wont let you down
Et je ne t'abandonnerai pas, je ne te décevrai pas

And I wont leave you falling
Et je ne te laisserai pas sombrer

Please, make that the moment comes
Je t'en prie, fais que ce moment arrive

J'enregistre le fichier. Puis, sans accorder à ma conscience le temps de s'interroger – au cas où elle trouverait à émettre des remarques désobligeantes que je me refuse à entendre -, je presse l'icône « envoyer » et balance mon téléphone entre mes draps, le cœur battant.

Est-ce qu'il aura envie de nous donner une seconde chance ?


***


Lundi 18 juillet 2016 – 22h31

A la lueur des lanternes que Valentina a suspendues dans les branches des oliviers, un bourdonnement joyeux peuple la nuit tombante. L'imposante table croule sous une quantité impressionnante de grandes assiettes garnies de crostini toscani et de bruschette en tous genres, offrant une mosaïque de couleurs appétissantes et chatoyantes – je n'ose même pas imaginer combien de temps de préparation tout ça a demandé, mais Valentina est arrivée à 16 heures pour s'enfermer dans la cuisine. Nonna l'a rejointe une heure ou deux plus tard et lorsque j'ai passé la tête en rentrant du taf, j'ai été expulsé manu militari avec interdiction d'approcher la zone à moins de dix mètres. Banni de chez moi, bordel !

Autour de la grande table, mes potes éparpillés en petits groupes discutent avec animation, un verre à la main. Les sourires sont sur tous les visages. La musique emplit l'espace environnant – heureusement que les Smith sont partis hier – et l'atmosphère est à la fête : ça rit, ça chante et ça chahute dans tous les coins.

Mon regard survole l'assemblée avec un sentiment de plénitude que je n'avais pas ressenti depuis des années : après ma plongée dans les abysses, le brouillard se dissipe dans ma vie... Luca a réapparu, je me suis débarrassé de ce qui encombrait ma conscience vis-à-vis de ma mère... bref : ainsi que le dit Haroun, j'ai retrouvé le chemin que j'avais perdu. Je suppose qu'il n'y a plus qu'à mettre un pied devant l'autre... je retiens une grimace à cette pensée : comme si c'était facile d'avancer, en ignorant ce qui nous attend au bout de la route ! Je remue les épaules pour m'extirper de mes réflexions et me concentre de nouveau sur ce qui m'entoure : Valentina se penche vers Hannah et enfouit en riant son visage dans son cou, Isham explose de rire à une blague probablement très douteuse de Cipriano, ainsi qu'en témoigne le coup de coude bien sonné que Vanessa lui envoie dans les côtes. Exploitant à fond son tempérament de drama queen, mon pote se plie en deux en grimaçant affreusement, mais personne ne semble y prêter attention et au bout de quelques secondes, il se redresse une moue boudeuse au coin des lèvres.

Je souris. Force est de reconnaitre que Valentina a su choisir ceux qui ont leur place ici ce soir. Merci de ne pas le lui dire, elle va me bassiner pendant des plombes.... Mais c'est vrai : tous ceux qui m'importent sont là.

Sauf un.

Je le savais, bien-sûr... mais au picotement désagréable qui griffe ma poitrine, je réalise que j'avais misé sur une sorte de petit miracle personnel pourtant tout à fait improbable. Je secoue les épaules pour chasser la nostalgie qui menace de m'envahir et rejoins tous mes invités.

Chacun leur tour, mes potes viennent me taper dans le dos, m'enlacer ou m'embrasser pour me souhaiter un bon anniversaire. Ils se sont certainement lancé le défi de celui qui sortira la blague la plus pourrie sur mes cheveux blancs, ma jeunesse éternelle ou mes nouvelles rides au coin de l'œil, ce qui suscite évidemment leur hilarité à chaque fois. Nous sommes tous demeurés très immatures – ce qui n'est pas forcément rassurant pour le futur de l'Italie – même si cela nous fait bien rire. Peu après, tous réunis autour de la grande table, nous listons nos aventures les plus improbables – comme cette fois où les chèvres du vieux Franco avaient bouffé la moitié de nos fringues pendant que nous étions en train de nous baigner à la rivière – parce que nous avions laissé dans nos poches des restes de biscuits. Dans un coin reculé de mon esprit, je nous revois, Luca et moi, à poil et pliés de rire. Nous n'avions pas grand-chose à foutre de tout ce bordel... mais la chèvre qui s'était retrouvée avec une chaussette enfoncée sur l'une de ses cornes, ça nous avait tués... j'avoue, il ne nous fallait pas grand-chose. Nous évoquons aussi nos exploits moins honorables au lycée et les heures de colle que certains d'entre nous ont accumulées durant leur parcours, sans oublier les interminables messes pour lesquelles nous étions réquisitionnés – dans la chorale ou bien encore comme figurants selon les occasions. L'année où Cipriano, déguisé en âne dans la crèche, s'est mis à braire en plein milieu de la messe de Noël suite à un pari perdu, restera sans doute l'épisode le plus épique de nos années d'enfance. Nous rions, nous buvons aussi. Le Montepulciano glisse comme du velours dans les gorges et les pizzas de Nonna sont absolument fabuleuses. Elle nous rejoint d'ailleurs au cours du repas, et je me décale pour qu'elle s'assoie près de moi. Je lui sers un verre de Prosecco et nous trinquons. Le regard que nous échangeons est complice et chargé de tendresse. Avec une émotion soudaine, je l'enlace et la presse contre moi, en déposant mes lèvres sur sa tempe.

- Merci d'être là, ma Nonna, murmuré-je contre sa peau fine. Ça fait du bien de te retrouver.

Elle niche la tête sur mon épaule dans une attitude d'abandon qui me touche plus que je ne saurais dire :

- Moi aussi je suis contente de te retrouver, carino mio... Je t'ai fait défaut ces dernières années, et je n'ai pas su veiller sur toi comme il aurait fallu... mais sache que j'ai toujours été fière de toi.

Un souffle chaud passe sur mon cœur : décidément, cette soirée est placée sous le signe de la nostalgie, mais étrangement, aucune tristesse n'y est associée - au contraire : j'ai le sentiment de faire la paix avec mon passé, de prendre racine de nouveau dans ce qui est essentiel pour moi. Un retour aux sources, en quelques sortes... C'est bon, de retourner parmi les vivants.

Haroun lui aussi s'est joint à nous – il discute à bâtons rompus avec Valentina et tente de la convaincre des bienfaits de notre huile pour le soin des cheveux. Il argumente en tirant l'une de ses propres boucles d'un air sérieux et lui propose d'en tester la souplesse et le soyeux. J'hallucine, tout en me retenant de rire. Si Haroun se met à parler de soins capillaires avec ma pote, alors je crois que ce monde est foutu. Putain. De. Merde.

Un peu plus tard dans la soirée – il ne doit pas être loin de minuit - Valentina surgit avec un magnifique Pan di Stelle qu'elle dépose sur la table, sous les acclamations de tous. Mon téléphone vibre dans ma poche. Je le sors pour l'éteindre, agacé d'être dérangé maintenant, mais cesse tout mouvement en découvrant la notification affichée sur l'écran : Luca m'a envoyé un message à l'instant. Indécis, je parcours l'assemblée du regard – je sais pourtant déjà que je ne pourrai pas attendre pour en découvrir le contenu.

- Je reviens dans une minute, dis-je en me levant à l'adresse de Valentina, occupée à disposer les bougies sur le gâteau.

- Ok !

Je m'éloigne de quelques mètres, sous le couvert des arbres qui entourent le vieux pressoir. Mon cœur cogne comme un débile dans ma cage thoracique.

Luca - 23h51 :

Je t'avais dit que je t'appellerais lorsque je reviendrais de Venise...

Je fronce les sourcils, sous le coup d'une appréhension subite, en faisant les cent pas à l'abri des arbres, tout en saisissant ma réponse.

Moi – 23h52 :

Et donc ? ... Tu es parti ?

Luca - 23h54 :

J'ai quitté Venise en début d'après-midi... mais finalement, je ne pense pas que ce soit une bonne idée. De t'appeler, je veux dire.

Une masse de 30 tonnes s'écrase au fond de mon estomac à la lecture de ce message. Je déglutis avec peine, à la fois consterné et taraudé par un sentiment d'urgence : je ne veux pas que cette conversation s'arrête là. Je veux maintenir le lien fragile qui s'est instauré entre nous – il faut que je lui réponde... mais répondre quoi ? Je lui ai envoyé cette nuit mon enregistrement de Endlessly réarrangé – cela me semblait la meilleure façon d'exprimer les sentiments qui m'habitent et l'espoir forcené qui ne me quitte pas malgré les vents contraires. Mais il n'a pas réagi. J'ai constaté ce matin qu'il avait ouvert le fichier. C'est tout. Je passe une main dans mes cheveux avec un soupir de frustration, incapable d'ordonner mes pensées. Il faut que je lui dise que...

- En fait, je préfère te parler de vive voix.

Au timbre qui résonne dans mon dos, je me retourne et me pétrifie : il est là, à quelques mètres de moi, son téléphone encore lumineux de notre échange entre les doigts. Bordel. Il l'agite devant lui, les yeux pétillants de malice – il est à l'évidence très fier de sa petite blague. A la fois déboussolé et submergé par une joie presque animale, je l'observe approcher avec sa nonchalance habituelle, sans pouvoir prononcer le moindre mot. J'ai juste envie de lui balancer un truc du genre « petit con » à la gueule, mais je ne dis rien, évidemment : je vais éviter de le faire fuir, non ?

Il s'arrête à un ou deux mètres de moi et incline doucement la tête d'un air amusé devant ma mine effarée – Petit con.

- Finalement, j'ai décidé de venir. Il jette un œil à son téléphone. « A trois minutes près, je loupais ton anniversaire. En même temps, tu ne m'avais pas vraiment invité... »

J'affiche une expression scandalisée et me récrie :

- C'est faux ! Je t'ai invité !

- Ouais, ouais... c'était pas super clair, se défend-il avec une moue railleuse et légère. Je roule des yeux en secouant la tête, dépité par sa mauvaise foi surjouée, et heureux de la complicité qu'il instaure entre nous. Heureux de sa présence inattendue. Heureux de son sourire et des étincelles qui parsèment son regard. Après un bref instant toutefois, ses traits redeviennent plus sérieux. Il se mord l'intérieur des joues, manifestement hésitant, tout en sondant mon visage comme s'il tentait d'y trouver le courage de poursuivre.

- Mais j'ai écouté ta chanson, et... je voudrais qu'on en parle – si tu es d'accord.

J'étouffe le soupir de soulagement qui tente de s'échapper de ma poitrine – ne pas se réjouir trop vite, ne pas se réjouir trop vite.

- Evidemment que je suis d'accord.

Il coule un rapide regard vers la table et nos amis rassemblés à une vingtaine de mètres de là avant de continuer :

- Bon... c'est pas vraiment le meilleur moment... Est-ce que plus tard, tu... ?

Je ne le laisse pas terminer – c'est absolument inutile : tout le monde sait ici que je n'attends que ça, « le meilleur moment ».

- Oui l'interromps-je vivement. Plus tard, c'est très bien.

Je le fixe intensément, en espérant qu'il décèle dans ce regard tout ce que je ne lui dis pas. Avant, cela marchait. Avant. Mais je n'aurai aucune certitude maintenant, alors je respire un bon coup et lance d'un air plus confiant que je ne le suis en réalité :

- En attendant, viens... j'ai un anniversaire à fêter, moi !

Un sourire espiègle étire ses lèvres – je reconnais cette expression et ça fait juste bondir mon cœur - et il me suit, en secouant la tête, désabusé.

- Mais c'est Luca !!! Hey, Mec !!! Je savais pas que tu devais venir ! Ça c'est une surprise !

Cipriano a surgi à notre approche, tel un diable du fond de sa boite avec son exubérance indéboulonnable. Il écarquille furtivement les yeux vers moi d'un air interrogateur pour s'assurer que la situation me convient. J'acquiesce en souriant, ce qui lui suffit pour abattre une main énergique sur l'épaule de Luca tandis que nous rejoignons le reste du groupe :

- Hey, regardez qui je ramène !!! C'est pas le meilleur cadeau d'anniversaire du monde, ça ?

Tous les visages se tournent dans notre direction et des exclamations joyeuses retentissent de part et d'autre. Valentina se retourne et pousse un grand cri euphorique, comme si elle ne l'avait pas vu depuis des mois. Elle se précipite et enlace Luca en posant un bisou sonore sur sa joue, accompagné de petits gloussements. Non, non, ma pote ne fait jamais dans l'excès. Je l'observe en réprimant un soupir impatient, mais rien ne lui échappe : pendue au cou de Luca, elle me toise d'un regard condescendant et esquisse une petite moue mesquine.

- Quoi ? Tu as un problème, Bravetti ? demande-t-elle lorsqu'elle consent enfin à le lâcher.

Je roule des yeux devant le sarcasme à peine voilé de son intonation et saisis le bras de Luca sans daigner lui répondre. S'il y a un meurtre ce soir, rappelez-vous que ce n'est pas ma faute.

Nous avons à peine le temps de faire quelques pas lorsqu'une exclamation tonitruante nous arrête.

- Par la Madone ! Mais qui voilà ?? Luca Tessaro ! Viens donc ici, petite canaille !

Nous nous retournons d'un même mouvement. A quelques mètres de nous, les mains sur les hanches et les yeux écarquillés, Nonna affiche un large sourire. Avec son tablier fleuri noué autour de la taille et la spatule de bois qu'elle tient dans la main aussi fermement que s'il s'agissait d'un sabre, elle est l'incarnation parfaite de la Mama Italienne, à la fois capitaine de navire et fée du logis.

Luca et moi échangeons un bref regard avant de la rejoindre. Il est manifestement surpris de la voir ici – je n'ai pas eu l'occasion de l'informer de ce qui s'est passé entre ma mère, Nonna et moi – mais je constate surtout à quel point il semble heureux de cette rencontre à laquelle il ne s'attendait pas. Ses yeux brillent comme ceux d'un gamin et son sourire est celui de l'enfance. Je fonds, une fois de plus. Elle lui ouvre ses bras et le serre contre elle un long moment tout en tapotant affectueusement son dos.

- Mon petit, mon petit... Je suis si heureuse de te revoir ! répète-t-elle plusieurs fois, la voix vibrante d'émotion.

Après quelques secondes, elle le maintient à bout de bras devant elle et l'examine de haut en bas en s'extasiant :

- Mais comme tu as grandi ! Il va falloir que j'arrête de t'appeler « Mon petit »... ça devient embarrassant !

Nous rions tous les trois. Les mains au fond des poches et le rose aux joues, Luca est redevenu le garçon de 10 ans qui passait ses vacances ici. Il la regarde avec une tendresse qui pourrait être celle d'un petit-fils pour son aïeule.

- Et qu'est-ce que tu es beau ! Tu as le même sourire que Giovanni, mon Dieu ! Tu n'as pas changé du tout !! Oh Madona ! J'ai envie de tout savoir, mais j'ai tous les cafés à préparer – je dois vous laisser : tu n'as pas intérêt à filer avant de m'avoir tout raconté, chenapan !

Sur ces mots, elle hoche la tête d'un air décidé, m'adresse un clin d'œil discret puis se détourne et s'éloigne vers la cuisine. Je secoue doucement la tête et réprime un sourire en réalisant qu'il est obligé de rester, à présent – au moins jusqu'à demain : on ne désobéit pas aux injonctions de ma grand-mère !

Moins de cinq minutes plus tard, je me retrouve devant le Pan di Stelle illuminé, entouré de mes invités.

- Souffle ! Et n'oublie pas de faire un vœu !!!

Je balaye du regard tous les visages heureux autour de moi, ceux qui me pressent de souffler, ceux qui croisent les mains avec ferveur – ma grand-mère, en fait - ceux qui attendent que j'éteigne les bougies, ceux qui n'en ont strictement rien à foutre et continuent leur conversation – mais au moins, ils font acte de présence – et il y a Luca. Face à moi. Je veux croire qu'il sait déjà quel est mon vœu. Je hausse un sourcil en captant son regard. Il me sourit et les battements de mon cœur s'accélèrent instantanément. J'inspire longuement. Je veux que notre moment vienne, je veux changer la fin de l'histoire. J'éteins les bougies d'un souffle.

Durant les heures qui suivent, nous ne nous quittons presque pas. Nos regards se croisent souvent. Je le surprends plusieurs fois en train de m'observer, absorbé dans des pensées auxquelles je n'ai pas accès, le front plissé. Lorsqu'il se rend compte que je l'ai grillé, il hausse un sourcil embarrassé accompagné d'un léger sourire. Ça me fait juste craquer. Putain, je n'ai aucun contrôle sur ce qui est en train de se passer. Il est là. On attend notre heure. Notre moment. Et je flippe comme un malade : est-ce que je ne vais pas bafouiller ? Est-ce que je suis assez présentable ? Est-ce que je vais savoir organiser mes pensées pour lui faire comprendre ce que je ressens ? J'ai l'impression de passer des entretiens d'embauche en permanence, ces derniers jours – je commence à en avoir ma claque.

Je le suis des yeux dès qu'il s'éloigne un peu, de peur qu'il ne disparaisse vraiment – exactement comme il est apparu. Pour être honnête, je reconnais que le fait qu'il soit un putain de beau gosse n'est pas complètement étranger à l'attention que je lui porte – il est juste à tomber et je ne me lasse pas de l'observer rouler des épaules ou pencher la tête sur le côté, esquisser ce sourire un brin moqueur ou écarquiller les yeux de surprise. Il me plait de haut en bas. Il me plait à l'intérieur comme à l'extérieur. Je suis définitivement amoureux de lui – les sentiments que je me suis appliqué à enfouir sous un amas de mauvaise foi et de déni durant cinq ans sont aussi vivaces et intenses qu'au premier jour.

Les heures s'écoulent et je suis heureux. Je ne ressens aucune impatience, au contraire : je sais que cette soirée ne s'achèvera pas sans que nous n'ayons parlé, et je savoure les instants qui me sont offerts avec un bonheur et une sérénité que je n'avais pas éprouvés depuis longtemps.

- Bonne nuit, tous les deux ! s'écrie Hannah en renversant la tête, agrippée à l'épaule de Valentina. Elles disparaissent vers le pressoir, enlacées, et leur voix s'amenuisent à mesure qu'elles s'éloignent. C'étaient les dernières. Ils sont tous partis à présent. Peu à peu. Nous les avons presque comptés, les uns après les autres. Sur la longue table trônent les vestiges de la fête : des assiettes vides, quelques verres à demi-pleins, des serviettes en papier roulées en boule ici ou là... Les lanternes sont éteintes et seule la flamme vacillante des trois photophores disséminées sur la table apporte un peu de luminosité. Un éclat de rire transperce l'obscurité du côté du vieux pressoir, suivi d'une exclamation enjouée. Puis le calme, de nouveau.

Nous voilà désormais seuls dans la nuit cristalline. Je devine, au silence presque complet qui nous enveloppe, que les premières lueurs du jour ne sont pas loin – c'est l'heure fugace durant laquelle la vie nocturne s'éteint avant l'explosion bruyante et chantante des cigales. Nous y voilà. J'inspire silencieusement pour tenter de maîtriser la tension qui croit de seconde en seconde et observe Luca assis en face de moi, les yeux rivés à son verre vide qu'il fait rouler entre ses doigts, abimé dans ses pensées. Les entrailles nouées, je tente désespérément de trouver quoi dire pour briser le silence entre nous et amorcer cette conversation que nous attendons depuis des heures – sans succès. Il relève soudain la tête et me sourit :

- Bon anniversaire.

Le ton chaud qu'il emploie allume instantanément une petite flamme dans le creux de mon ventre. Il y a longtemps, j'étais le seul à qui il parlait et qu'il regardait ainsi – avec une multitude de paillettes au fond des yeux et du velours dans la voix. Mais peut-être que je me trompe ?

- Merci.

- Je n'ai pas apporté de cadeau, remarque-t-il avec une moue d'excuse.

Je le considère un instant avant de lâcher d'un air blasé :

- Pas grave... et puis j'ai l'habitude, tu m'as déjà fait le coup.

- C'était il y a 10 ans ! s'exclame-t-il offusqué.

- 12, en fait.

Il pouffe en levant les yeux au ciel. Après une courte pause, il reprend :

- Smeralda et toi, ça a l'air d'aller mieux ?

- Oui... Il y a quelques jours, je me suis engueulé avec ma mère. Nonna a assisté à notre échange. Elle est intervenue quand ma mère a commencé à dépasser les bornes, et avant qu'elle ne prononce des mots qu'elle aurait sans doute regrettés... même si je sais qu'elle les pense vraiment. Bref, elle l'a remise à sa place. Puis elle s'est excusée pour... ben, pour m'avoir laissé me démerder, quoi...

Au pli dur qui se dessine dans le coin de ses lèvres, je devine que cet épisode le touche, d'une manière ou d'une autre. Cela peut sembler étrange, mais ce constat me réconforte. Il remarque :

- En tous cas, je suis content de l'avoir revue. Elle est exactement à l'image de mes souvenirs, déclare-t-il après quelques instants.

Je repense à la conversation qu'elle et moi avons eue il y a quelques jours, à ses certitudes venues d'on ne sait où, nous concernant tous les deux : « Votre vie est devant vous. Ensemble ». J'esquisse un sourire.

- Je crois pouvoir affirmer qu'elle aussi, est très heureuse que tu sois venu.

Moi aussi, je le suis.

Je devrais le lui dire. Mais je n'en ai pas le temps : en une fraction de seconde, son visage devient plus grave et un pli se creuse entre ses sourcils. Je me tends, conscient que le petit interlude que nous venons de nous accorder est désormais terminé.

Le regard de nouveau fixé sur son verre, il serre la mâchoire.

- Cette chanson... Endlessly, murmure-t-il enfin. Sa voix est basse et sourde, comme s'il se parlait à lui-même. Immobile et suspendu à la suite, je tâche de repousser l'appréhension qui me tord le ventre.

- Je l'ai écoutée des milliards de fois, durant les mois où j'étais au fond du gouffre...

- Je sais.

Il hoche doucement la tête sans répondre : je devine que c'est à moi de continuer.

- Je ne savais pas comment dire les choses... et je ne peux pas admettre qu'elle... que l'histoire se termine comme ça. Je ne peux pas m'y résoudre.

Son regard rencontre de nouveau le mien. Il me dévisage un bref instant, une lueur d'incrédulité au fond des yeux :

- C'est pourtant comme ça qu'elle s'est terminée, constate-t-il sur un ton neutre.

Je me fige. Il n'y a pas le moindre soupçon de reproche dans sa voix, mais ses paroles se répercutent dans tous les angles de mon cerveau, implacables et sans appel.

Des dizaines de pensées contradictoires surgissent dans mon esprit, amplifiant mon désarroi : je ne sais plus comment poursuivre, les mots que je dois prononcer. Mon optimisme et ma confiance ont rendu les armes. J'ai le sentiment de foncer à toute allure vers un mur de béton, sans aucune possibilité d'éviter l'impact.

C'est alors que ma petite voix surgie de nulle part déboule au milieu de ce bazar et s'agace : bordel Matteo ! Arrête de cogiter et ouvre les yeux ! Il est quatre heures du matin, vous êtes tous les deux assis à l'endroit même où vous vous êtes rencontrés il y a plus de dix ans, il a fait un détour de 800 bornes pour venir te voir ! Bouge-toi, maintenant !

Elle a raison, évidemment. Je rassemble tout mon courage et me lance :

- Celle-là peut-être – je veux dire, cette histoire-là est terminée... J'ai fait les mauvais choix. J'ai pris les mauvaises routes... ça fait 5 ans que j'avance dans le brouillard. Je me suis perdu. Mais je n'ai qu'un but, à présent : me retrouver. Te retrouver.

Il tressaille, tandis qu'une vive lueur illumine son regard. Est-ce bien de la tendresse que j'y décèle ? Avec un peu plus d'assurance, je déclare :

- Je veux que tu sois dans ma vie. J'ai besoin que tu sois dans ma vie. Je veux être dans la tienne... Cette histoire est terminée, c'est vrai, mais on peut en commencer une autre. On a le droit de changer la fin de la chanson – en tous cas je veux y croire.

Ma voix s'éteint. Il m'observe, aussi immobile qu'une statue et je retiens mon souffle : est-ce que j'ai dit ce qu'il fallait ? J'esquisse une légère grimace, entre dépit et résignation.

- J'ai compris que tu as ta vie, tu sais. J'attendrai le...

- On n'est pas ensemble, m'interrompt-il lorsqu'il comprend à quoi je fais allusion. Sinon, je ne serais pas là.

Il hausse un sourcil entendu.

- Je ne dis pas que je ne l'avais pas envisagé – ce serait un mensonge. Mais il ne s'est rien passé.

- Pourtant, chez Cipriano... commencé-je, incertain.

Il pince les lèvres.

- On était en train de discuter. Notre après-midi à Montalcino m'avait complètement retourné la tête – tout me paraissait si confus... Et mercredi quand tu as débarqué, j'essayais justement de le lui expliquer. Mais bon, comment expliquer un truc qu'on ne comprend pas soi-même ? Putain... je n'avais pas prévu que te revoir soit si...

Il laisse sa phrase en suspens et lève la tête vers le ciel en laissant s'échapper un grognement de frustration. Puis il plante de nouveau son regard dans le mien.

- L'autre soir chez Cipriano... si tu étais arrivé une ou deux minutes plus tard, je ne serais pas là, probablement, déclare-t-il avec une certaine solennité.

Ok. Un millier de petites explosions simultanées retentissent dans mon cerveau à mesure que ses paroles prennent tout leur sens : il est seul. Me revoir a chamboulé sa vie. Je n'ai pas rêvé la complicité retrouvée, l'évidence de notre lien. Sa voix me sort de mes réflexions.

- La chanson que tu m'as envoyée, Matteo... souffle-t-il de nouveau avec un regard appuyé. C'est à la fois une phrase inachevée et une question, une inquiétude et un besoin de certitude : je lui ai dit que je l'aimerai quoi qu'il arrive. Il sait que j'ai manqué à ma parole la première fois. Mais je sais que je tiendrai mes promesses, pour la seconde – s'il accepte de me laisser cette chance. Je suis à court de mots. Ce que j'éprouve pour lui est trop fort, trop immense. Alors, tout comme je l'ai fait il y a presque une semaine, je décide de me laisser guider par mes sentiments : le sang bourdonnant à mes tempes, je saisis sa main échouée sur la table et entrelace nos doigts dans de lentes caresses – j'ai tout simplement l'impression de retrouver mon ancre, mon port d'attache. Lorsque ses doigts répondent aux miens, mon cœur explose littéralement, déversant un flot de bonheur incandescent dans mes veines. J'ai du mal à réaliser ce qui est en train de se passer : nos mains emmêlées, la peau de Luca contre la mienne, l'évidence de cette étreinte. Tout me renverse. Tout m'enflamme.

D'une voix étranglée, je murmure :

- Tout ce que je dis dans cette chanson, c'est la réalité. Je le pense vraiment. Non. Je ne le pense pas, en fait : je le respire, je le ressens dans la plus infime partie de ma chair. Je ne peux pas lutter contre ce que j'éprouve pour toi, Luca. Je ne veux pas lutter. J'ai besoin de toi : ma vie n'a pas de sens, si tu n'es pas là.

Lorsque je me tais, je retiens mon souffle dans l'attente d'une réaction de sa part, mais il baisse les yeux sur nos doigts qui dansent ensemble. Après quelques secondes qui me semblent une éternité, il me regarde de nouveau.

- Il y a eu un moment où j'aurais donné n'importe quoi pour entendre ça.

Je déglutis avec peine, la gorge serrée. Le chagrin et la tristesse qui transpirent dans sa voix me déchirent mais je refuse de les laisser vaincre cette bataille.

- Je n'aurai probablement jamais assez d'une vie pour te demander pardon. Mais je ne cesserai pas de le faire. J'espère infiniment qu'il n'est pas trop tard, réponds-je seulement. Je voudrais tellement que tu me donnes une chance. Une deuxième chance... la dernière. La seule.

Ses yeux scintillent doucement dans la pénombre. Hésitation, désir, peur, tendresse. En formulant ces mots dans mon esprit, je réalise que je suis de nouveau capable de lire dans ses yeux, sur son visage. C'est à moi de réduire à néant les craintes et les doutes que j'ai fait naitre il y a longtemps. Il m'en laisse l'opportunité, il est en train de me donner cette seconde chance. Après un bref silence, je fais un mouvement de tête vers la maison derrière moi :

- Est-ce qu'on peut aller s'assoir là-bas ?

Il plisse des yeux interrogateurs. J'esquisse une petite grimace en haussant les épaules :

- J'ai juste envie d'être plus près de toi. S'il te plait.

Nous nous asseyons côte à côte sur le petit banc, adossés au mur de pierres. Je reprends ses doigts et pose nos deux mains sur ma cuisse. Mon pouce dessine de lentes arabesques au creux de sa paume et rien que ce geste me comble d'un bonheur sans nom. Je sens la chaleur de son épaule presque collée à la mienne imprégner ma peau et se diffuser en moi, réveillant des sensations depuis si longtemps endormies. Durant de longues secondes, nous demeurons ainsi, immobiles et silencieux. Cette situation m'est à la fois si familière et si étrange que j'ai l'impression d'être écartelé entre deux dimensions. Le moment que nous attendions est enfin arrivé. Notre moment.

Au ras des collines, à l'horizon, s'étire désormais une mince ligne couleur lagon – qui me fait penser aux yeux de Luca. Le jour va bientôt se lever.

- Je veux que tu me dises ce que tu éprouves pour moi, Matteo. Je veux l'entendre de ta bouche, souffle-t-il finalement.

C'est une exigence. C'est une prière aussi. Je tourne les yeux. La tête appuyée contre le mur, le regard qu'il pose sur moi est intense et impérieux. C'est maintenant. Mon cœur tambourine comme un sourd dans ma cage thoracique comme s'il voulait s'en échapper et tous les mots qu'il renferme se bousculent à mes lèvres :

- Je donnerai tout ce que j'ai pour toi, Luca. Je ne te décevrai pas, je ne t'abandonnerai pas. Jamais je ne te laisserai sombrer. Je te le promets.

Ses yeux s'illuminent au fil de mes paroles. Si je n'y prends pas garde, ils finiront par m'engloutir. Une vague d'espoir brut me submerge, tandis que ses doigts se resserrent autour des miens. Encouragé par cette étreinte, je poursuis :

- Je t'aime, Luca. Je t'aime à l'infini. Ho sempre amato solo te, cuore mio. Je n'ai jamais aimé que toi, répété-je dans un français affreux.

Ses yeux s'écarquillent. Je lui souris. Mon regard glisse sur ses lèvres entrouvertes et putain, à cette seconde, j'ai envie de les bouffer. De sentir sous les miennes le velours qui les tapisse. Son regard descend lui aussi vers ma bouche, puis revient à mes yeux. Et enfin, ses lèvres s'étirent dans un sourire qui fait exploser les derniers remparts de ma raison. D'une voix rauque, je répète :

- Je t'aime. Est-ce que... est-ce que je peux t'embrasser ?

Des milliers de paillettes crépitent dans ses prunelles – mes papillons se libèrent enfin de leurs entraves. Il acquiesce d'un mouvement de tête. Et je m'approche. Je sens son souffle sur ma joue. Nos lèvres s'effleurent doucement. J'ai juste envie de mourir tellement c'est bon de le sentir contre ma peau. Juste ça, et plus rien n'a d'importance.

- Je t'aime, murmuré-je, mes yeux plongés dans les siens.

- Moi aussi, je n'ai aimé que toi. Embrasse-moi.

Et enfin, enfin nos lèvres se joignent. Après tant d'années, elles se retrouvent et s'unissent, avec une douceur infinie. Notre baiser est le plus tendre de l'univers. Il dure une éternité. Je vole. Je plane. Je ne sais plus ce que je ressens. Mon corps n'est plus qu'un amas de cellules amoureuses. Lorsque je sens la pointe de sa langue sur mes lèvres, je lui offre la mienne sans pouvoir retenir un gémissement de plaisir. Nous sourions tous les deux sans cesser notre étreinte. Ses doigts se posent sur ma nuque, son pouce caresse ma joue. Je tressaille. Est-ce que c'est un rêve ? Sa paume contre ma peau, son souffle chaud qui coule sur mes joues.

Quelques secondes plus tard, nos lèvres se séparent. Il joint nos deux fronts. Ses doigts caressent ma peau, à la naissance de mes cheveux. Des millions de bruissements d'ailes remuent en moi : j'ignorais que tant de papillons avaient élu domicile là-dedans.

- Ça me fait tellement peur, Matteo... je ne veux pas revivre ça une nouvelle fois, murmure-t-il d'une voix brisée.

Ma poitrine s'écrase et j'encadre son visage de mes mains. J'aimerais tellement le rassurer, qu'il n'ait plus jamais le moindre doute... cela va prendre du temps, je le sais. Je plante mes yeux dans les siens. Il est tellement beau. Son regard est tellement bleu. Comment ai-je fait pour supporter la vie sans lui ? Avec toute la tendresse que j'éprouve pour lui, je réponds :

- Plus jamais, cuore mio. Je te le promets. Je suis à toi. Je ne me perdrai jamais plus ailleurs que dans tes bras. Je te le promets. Je t'aime.

- Embrasse-moi, encore.

Vie. Mort. Renaissance.

Nous sommes ensemble. Luca et moi. Luca et moi, une deuxième fois. Luca et moi, pour l'éternité.

Aux premières lueurs de ce nouveau jour, je sais enfin ce que signifie être heureux.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top