« La demeure face à laquelle la jeune femme se gara était immense. Grande, avec un porche et un jardin. La neige teintait de blanc la totalité du décor et les guirlandes de Noël clignotaient le long des murs et des gouttières. »

Alors que de nombreux best-sellers dans la catégorie young adult, tels Divergent, Hunger Game, After, La cinquième Vague... sont écrits au présent, la plupart des apprentis auteurs écrivent leurs romans au passé, un peu comme ça se faisant au XVIIIe, au XIXe, encore beaucoup au XXe.

Est-ce un choix délibéré, un réflexe causé par une mode ou au contraire une nécessité technique ?

D'abord mon avis sur le passé. Ce mode narratif fait vieillot, surtout quand il est mal maîtrisé. Il me paraît en décalage avec ce que nous écrivons sans cesse sur le Net. Vous ne discutez pas au passé. Vos SMS, vos tweets, vos instant messages ne sont pas au passé en général. Alors pourquoi traitez-vous différemment vos fictions ?

Le premier paragraphe de WriterOfMidnight change de tonalité une fois transposé au présent. « La jeune femme se gare devant une demeure immense, avec un porche et un jardin enneigé. Les guirlandes de Noël clignotent le long des murs et des gouttières. » En basculant au présent, les voix passives disparaissent en même temps. J'ai aussi viré « Grande » redondant avec « immense », la neige qui teinte de blanc, parce que le mot neige suffit à nous mettre du blanc dans la tête, j'ai viré l'idée de décors parce qu'on n'est pas dans un décor, mais dans la réalité du récit. Évoquer un décor, c'est déjà nous en sortir.

Je crois qu'il faut s'autoriser le présent. Il implique une narration plus dynamique, plus économique en moyens et surtout moins exigeante techniquement : les concordances des temps sont simplifiées, les voix passives naturellement éliminées, les sonorités plus douce, parce que moins de terminaisons en « a » qui créent des hiatus... Par ailleurs, le présent étant le temps des conversations sur le Net, et donc le temps de notre époque, nous nous y entraînons sans cesse, nous y sommes préparés. Ça vaut donc peut-être le coup de l'essayer avant de foncer tête baissée sur des narrations au passé. Attention, ce n'est pas une obligation, mais une possibilité à ne pas négliger.

L'usage du passé est un dogme, peut-être renforcé par Harry Potter. Si on écrivait les romans historiques ou fantastiques au passé, ceux contemporains au présent, on devrait écrire ceux de science-fiction au futur. Or, ils sont presque tous au passé. Est-ce un bug ? Non, les auteurs qui ne réfléchissent pas trop à la forme choisissent le passé par commodité, parce que ce temps est supposé être celui du récit. C'est une tradition, en aucun cas une loi immuable.

Camus a fait exploser tout ça au début de L'Étranger : « Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile : "Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués." Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier. »

Écrire au présent ouvre certaines possibilités, en ferme d'autres. On ne peut pas dire la même chose au passé et au présent. J'ai finalement écrit mon Ératosthène au présent après avoir longtemps essayé de l'écrire au passé. C'est pourtant un roman historique, situé au IIIe siècle avant Jésus-Christ. Le temps dépend du projet narratif et de l'auteur pas du genre du récit.

Je ne vous conseille pas de basculer au présent, mais de l'essayer. Pour bien écrire, il faut être à l'aise dans tous les temps. Selon moi, le passé ne supporte pas une surabondance de formes passives. Le présent force à resserrer le style.

« La jeune femme se gara devant une demeure immense, avec un porche et un jardin enneigé. Les guirlandes de Noël clignotaient le long des murs et des gouttières. » Ça marche aussi. J'aime moins. Le plus important était peut-être d'enlever les choses en trop dans le premier paragraphe de WriterOfMidnight. Couper est toujours la meilleure chose que nous pouvons faire avec nos textes.

Astuce : prendre un texte au passé, le basculer au présent, le ramener au passé. En général, il a perdu du poids au passage et il a gagné en fluidité.