RoxanneHLK / Antithèse
« C'est complètement dépassée par les évènements et complètement affolée que je franchis les portes battantes de mon université. Jamais je n'aurai cru un jour souffrir autant à cause d'une personne, moi qui d'ordinaire suis plus solide que la pierre. »
Aucune des critiques déjà formulées ne convient à ce premier paragraphe. Il est écrit au présent, il sonne air du temps. Il ne commence pas par une description, mais par de l'action. Il n'accumule pas les qualificatifs pour faire écrit à moindre coût. Comme dans la plupart des romans yound adult, le héros se raconte à la première personne.
Une petite remarque à ce sujet. Une telle narration n'est pas réaliste (attention, c'est pas un défaut, c'est juste un fait). Explication : le présent est en quelque sorte « théoriquement » incompatible avec le « je ». On ne peut pas vivre une chose et le raconter en même temps. Donc, choisir un tel mode narratif revient à affirmer le côté fictif, à s'autoriser toutes les libertés. On signe un contrat avec le lecteur : « Je ferai tout pour te raconter une histoire, ça restera une histoire, une illusion. »
Quand Proust écrit « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. », il nous raconte au passé, il commente ce passé au présent, exactement comme on le fait dans les journaux intimes. « Ce matin, j'ai fait ça (récit au passé). J'ai toujours cette mauvaise habitude (commentaire au présent). » C'est la forme canonique des textes à la première personne, aujourd'hui remplacé par un « je » qui se raconte au présent. Ce « je » est alors une troisième personne qui se cache.
Ce mode narratif, assez neuf et rafraîchissant, simplifie la narration, il facilite l'identification des lecteurs, il n'interdit même pas le point de vue divin de l'auteur. Puisque le caractère fictif est affirmé dès la première ligne rien n'empêche des trucs du genre : « Pendant ce temps, Julie est avec son petit ami. Je ne suis pas censée le savoir, mais mon sixième sens ne me ment jamais. »
Ce « je » qui se raconte, qui se déballe à la façon réseau social, reste toutefois très superficiel. Il souffre de son irréalisme. C'est le prix à payer pour ce mode narratif (et c'est un risque à courir, surtout si on en prend conscience).
Dans un véritable récit subjectif à la première personne et au présent, tout en monologue intérieur, le « je » est quasi inutile. Quand nous vivons quelque chose, nous ne pensons jamais « je ». Cette exigence littéraire n'est plus tendance aujourd'hui. Le réalisme intérieur ne nous intéresse plus beaucoup. Nous entretenons une sorte de passion pour le présent à laquelle n'échappe pas RoxanneHLK.
Elle commence brutalement par un « C'est ». Difficile de ne pas faire plus présent et aussi plus parlé. Ce « C'est » est lui-même une sorte de « je ». Il fait doublon avec lui. La première phrase est construite à l'envers. Logiquement on devrait écrire : « Je franchis les portes battantes de mon université complètement dépassée et affolée par les évènements. » C'est tout à coup très plat. Il ne reste plus grand-chose dans cette phrase.
L'adverbe « complètement » n'apporte rien comme souvent les adverbes. Je suis affolé ou je ne le suis pas. Si je suis plus qu'affolé, je panique. Idem pour « dépassée ». Je ne vois pas comment on peut être à demi dépassé. Le « je » permet de balancer ses sentiments de but en blanc, mais attention de ne pas abuser de cette facilité.
À ces surcharges pondérales, s'ajoute un problème visuel. J'ai visité quelques universités. Elles ne ressemblaient pas à des cathédrales avec une grande porte, genre Poudlard. Elles se composent en général de nombreux bâtiments. « Les portes battantes », c'est une image caricaturale (même s'il existe des universités avec des portes battantes).
La première phrase pourrait s'alléger ainsi : « C'est dépassée et paniquée que je regagne mon université. » Elle manque alors de substance.
La seconde bien que plus intéressant reste peu convaincante. Dans « Jamais je n'aurai cru un jour souffrir », le « un jour » n'a aucun intérêt, jamais signifie jamais. Une « personne » est très vague : un mec, une fille, un prof... Garder ainsi le secret, c'est artificiel. Et puis la pierre n'est pas solide, elle est dure... et elle se brise quand on tape dessus.
Plus gênant, selon moi, les deux phrases s'articulent autour d'un « que », chacune avec une relative. Je n'aime pas les relatives. Nous en abusons trop, souvent incapables de concevoir les phrases sur nos rythmes propres. La relative nous pousse à de simples variations « sujet, verbe, complément ». Ce truc est trop commun. Utilisez-le avec modération.
*
J'ai relu il y a quelques jours le début d'Harry Potter en français. La traduction est terrible. Une relative par phrase. C'est pour moi illisible. Si j'avais critiqué le premier paragraphe, j'aurais été plus sévère qu'avec RoxanneHLK. Cela démontre que :
1. Mon avis ne vaut pas grand-chose.
2. Une bonne histoire peut faire oublier un mauvais style.
3. Le succès entraîne le succès et les gens sont capables de lire n'importe quoi.
Mettez donc tout ce que je vous dis entre parenthèses.
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