Le premier flocon
NOTE
En blanc Lan Zhan (Wangji) en noir Wei Ying (Wei Wuxian), BL chinois Modaozushi.
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L'on dit parfois que lorsque deux êtres sont destinés à être ensemble, l'univers tout entier répond à l'appel de leur amour. Égaré, perdu ; brisé. Mais peut-il seulement faire revivre ce qui s'est déjà consumé ? Redonner le souffle de vie à ce qui s'est déjà envolé, loin, très loin des dernières bribes d'espoirs qui ont, elles aussi, fini par s'éteindre ?
Une nuit de givre tombe sur La Cavité des Nuages. Lan Wangji lève un regard embué vers le toit. Ce toit sur lequel son unique amour aimait s'allonger, boire et glousser entre deux gorgées, deux appels enjoués, clamant son nom. Sa voix résonne encore au plus profond de son être, claire, chantante. Aussi magnifique que douloureuse.
Il enserre la corde des petites jarres entre ses doigts et bondit sur les tuiles afin de s'assoir à l'endroit où son aimé se dessine encore parfaitement à travers ses souvenirs. Légers, ses doigts en effleurent la surface glacée, aussi délicats que la caresse de la brise froide sur son visage. Comme s'il craignait d'emporter les bribes éphémères de sa présence – sacrée – empreinte en ces lieux. La mâchoire contractée, il réprime avec peine la terrible douleur qui lui entrave la gorge.
Le mal ne parvient jamais à s'adoucir, bien au contraire. Même une décennie plus tard, son cœur renferme la plus suave des drogues. Dévorante. Seul le commun des mortels peut se délecter du temps qui passe. Des mois, des années, qui se flattent de réparer les âmes brisées. L'on sait qu'un amour était exceptionnel lorsque la durée ne fait qu'empirer le poids des maux, instaurer une souffrance plus amère encore, tandis que le monde, lui, se remet sans cesse debout, avance, retrouve sa joie au grès des vents. L'exception ignore leurs dires à tous, occulte ces promesses de monts et merveilles, cet oubli miraculeux censé endormir les souvenirs tel un doux remède de patience, salvateur.
Ainsi, pour quelle raison Wangji devrait-il répondre aux paroles de ceux qui ne subiront jamais le déchirement de sa perte ? ne vivront jamais, à travers ses propres yeux, le trésor maudit que reflète son âme ? Les flammes consument toujours son cœur, déjà tombé en cendres, même après une éternité. Encore, et encore. Pourquoi se préoccuper du monde, lorsqu'on est finalement plus seul que la lune...
Cette nuit, à l'abri des ignorants, son deuil reprend la liberté de son expression. Empli de détresse, son regard larmoyant se lève vers les cieux, adresse son tourment à l'astre solitaire. Sa fin salutaire n'arrivera pas. L'univers ne lui répondra pas. Car l'univers n'est fidèle qu'à lui-même et n'écoute aucun des cris qui se meurent et se murent sur ses lèvres.
Il ouvre la petite jarre afin d'en humer l'effluve. La voix de son aimé, réjouie par la gourmandise, retentit aussitôt dans son esprit. Un faible rictus chagrin pince ses lèvres, il referme le pot. Ce soir, la lune sera la confidente de son supplice, les constellations ses impitoyables spectatrices, sourdes à ses appels, depuis toujours. Parce qu'il n'y a finalement aucun miracle à espérer. Les larmes n'en finiront jamais de couler, silencieuses, tel que le destin l'a depuis toujours été.
De la brume céleste, s'échappent de délicats petits cotons glacés. Wangji tend une main molle vers l'un de ceux qui n'a pas encore touché terre. Parmi les légendes d'amoureux transis, l'on raconte que le premier flocon est propice aux prières, apaise les cœurs. Pourquoi, alors, celui échoué sur sa peau tiède ne lui apporte-t-il pas l'unique faveur de son âme éperdue ? Transformée en goutte froide, la petite neige roule sur le dos de sa main jusqu'à chuter sur une tuile. Les vœux et les miracles n'existent pas. Ils ne sont qu'espoirs vains. Et finissent toujours par s'éteindre.
Lan Zhan...
Wangji ferme les yeux, ses cils écrasent quelques larmes. Le cœur lourd, il étrangle ses sanglots dans sa gorge nouée.
Lan Zhan...
Le chant mélodieux de sa souffrance résonne en lui, plus pénible que jamais. C'est presque s'il sombrerait dans la démence.
Lan Zhan...
Tranchant avec la brise froide de la nuit, un souffle chaud effleure soudain sa joue larmoyante. Son cœur se met à vibrer d'une étrange façon en réponse à la voix de son amour, désormais empreinte dans l'air. Ancrée dans le temps comme si elle provenait de son esprit. Effrayé par la folie de son désespoir, Wangji ferme les yeux plus fort, serre les dents pour réprimer la torture infligée par sa tendre malédiction. Mais une nouvelle fois, la douce chaleur frôle sa peau, et maintenant, le creux de son oreille.
— Ouvre les yeux...
Hésitant, il finit malgré tout par ouvrir les yeux lentement, et, mené par le vent, le parfum divin de ses nuits hantées embaume tout son être. Aussi réel que la forme qui se dessine à présent sur sa gauche. Tout près de lui.
Sa respiration s'accélère tandis qu'il supplie les cieux cruels de cesser de se jouer de ses maux, de laisser planer l'illusion, pour ensuite mieux l'achever.
Contre sa raison, l'espoir infime ancré dans son âme le convainc de tourner la tête. La déchéance s'annonce déjà. Mais lorsque l'objet de ses tourments se tient agenouillé face à lui, son cœur rate un battement.
— Tu... tu n'es pas réel...
Les lèvres du Patriarche de Yiling s'étirent doucement
— Touche-moi, et tu le sauras...
Les yeux écarquillés et le visage tressaillant d'une réalité qu'il ne saurait supporter, Wangji lève la main avec une lenteur craintive, laissant durer les quelques instants qui le relient au bonheur, bientôt brisé en mille éclats. A quelques centimètres de sa peau, dont la chaleur réchauffe déjà ses doigts, il s'arrête, incapable d'aller plus loin.
Afin de sceller la preuve dont son aimé torturé n'ose s'affranchir, le revenant dépose sa joue au creux de sa paume. Le dessin de son sourire révèle une tendresse apaisée.
Le regard bouleversé de Wangji s'agrandit, sa bouche se met à trembler.
— Wei Ying... Pitié, ne me dis pas que c'est un rêve... murmure-t-il, fébrile.
La main de Wei Wuxian vient se nicher dans le cou frissonnant de son amour. Son visage rapproché du sien, il susurre contre ses lèvres entrouvertes.
— Lan Zhan, je suis ton premier flocon...
Les iris ambrés de Wangji scintillent d'un océan de larmes. Et dès lors que leurs bouches s'effleurent, que leurs souffles se mêlent, les paroles sacrées qui hantaient son cœur depuis toujours franchissent la barrière fragile d'un silence jusqu'alors éternel.
— Je t'aime... Wei Ying, ne me quitte plus jamais.
Les doigts de Wei Wuxian glissent dans sa nuque. Ses prunelles argentées s'illuminent sous l'éclat de la lune, spectatrice de l'instant – précieux –, de ce miracle inespéré, merveilleux.
— Lan Zhan, toi et moi, nous sommes comme l'éternité. Rien ne saurait nous séparer... Jamais.
Leurs lèvres se pressent l'une contre l'autre, scellées par un lien plus fort que les lois mêmes de la nature.
Au milieu des flocons, déposés à présent par milliers dans leurs chevelures de jais, leur étreinte flamboie, rayonne par sa magie. Car l'enchantement n'a besoin d'étincelle que celle de l'amour pour exister. Un amour qui transcende le temps jusqu'à faire pleurer le destin lui-même, et l'en déchirer. Le convaincre de rendre à la vie ce qui se doit de briller et perdurer, pour ne jamais plus s'envoler.
Fidèles lecteurs.trices, plein d'amour sur vous et vos proches🌹 et à très bientôt sur mes autres écrits !
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