Chapitre VI (2)

Son frère vint la chercher sans qu'aucun des serviteurs ne se présente sur leur chemin. Ils montèrent l'escalier d'ébène qui s'enroulait sur les étages, le bruit de pas étouffés par la moquette verte. Enfin, après être passé par les trous béants laissés par les tapisseries détruites, ils arrivèrent devant la porte du salon canari et y pénétrèrent.

Debout devant un objet étrange qui ressemblait à un serpent de métal enroulé autour d'une colonne tout aussi argentée, le commandant Ollyver consultait un document, l'air concentré.

— Vous êtes ponctuel, Alexey, remarqua-t-il d'un ton joyeux, mais sans lever le nez de ses notes. Vous aviez quelque chose à me montrer ?

— Il faut que vous la testiez.

Amara se retourna vers lui, abasourdie, puis pâlit.

— Elle ?

L'albinos daigna enfin lever la tête, aperçut la jeune fille qui se resserra contre son frère, puis soupira.

— Ah, elle. Ecoutez, je n'ai pas de temps à perdre avec des nobletons qui croient peut-être avoir une perle cachée au fin fond des moïras...

Sous la manche Amara tenait, les muscles d'Alexey se crispèrent, mais pas un rictus ne filtra sur son visage impassible.

— J'insiste.

Silph, son frère était tombé sur la tête ? L'albinos fixa ses prunelles écarlates sur eux et Amara eut du mal à dissimuler la soudaine crainte qui montait en sa poitrine. Et avec la peur, le vif qui s'agitait de plus en plus fort.

— Très bien, abdiqua-t-il. Mademoiselle... Amarely, c'est ça ? Mettez-vous devant le détecteur, s'il vous plaît.

L'homme reposa les feuilles sur une table ronde, indiqua d'un geste distrait à Alexey de s'asseoir sur un des canapés jaunes qui l'entourait et retroussa les manches de son uniforme vert. Amara sursauta. Une perle rosâtre paressait entre des moïras languissantes.

Comment réussissait-il à toujours la dévoiler ? La jeune fille savait d'expérience qu'une perle représentait une vanne ouverte pour le vif, qui s'en échappait toujours avec une rapidité incontrôlable. Elle-même n'avait jamais réussi à la maintenir stable pendant plus d'une heure et si ses propres réserves de vif lui paraissaient inépuisables, elle savait que la plupart des Altérés prenaient plusieurs jours avant de pouvoir à nouveau manifester leur perle.

— Je n'ai pas toute la journée, alors si vous vouliez bien poser votre doigt ici, voilà, parfait. Ne bougez pas.

La main enfoncée sur plusieurs centimètres dans la gueule du détecteur en métal, Amara s'exécuta. Une goutte de sueur en profita pour couler le long de son nez. Pourquoi son frère l'avait-il plongée dans cette situation ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Une nouvelle boucle pour un esprit déjà emmêlé.

Mère va me tuer.

La tentation de retirer son bras et de s'enfuir à toute vitesse la tiraillait, mais la mine sévère du commandant la clouait sur place. D'un coup, une sorte d'épine noire jaillit de la gorge du monstre et s'enfonça dans sa paume. Le cri aigu de surprise et de douleur qu'elle poussa la gêna tellement qu'elle baissa les yeux. Qu'ils restent fermement accrochés sur ses chaussures et personne ne la remarquerait. En plus, il ne s'agissait pas de n'importe quelles bottines ! En cuir blanchi, elle avait dû remuer ciels et terres pour les trouver et...

Ollyver jura alors que deux sijites incrustées en lieu et place des yeux du reptile se remplirent de volutes sombres.

— Un problème ? s'inquiéta Alexey.

— Non, probablement un mauvais réglage. C'est une réaction positive, mais cela ne devrait pas arriver aussi rapidement.

Le commandant darda un regard nouveau sur Amara. Intéressé, chaleureux.

— Je suis désolé, ajouta-t-il avec un étrange sourire, mais je vais devoir refaire une prise de sang.

Accrochée par les iris vermeilles, la jeune fille hocha la tête, la gorge sèche. Elle se passa la langue sur les lèvres et essaya de se ressaisir. Ses joues brûlaient. Lorsque l'épine s'enfonça à nouveau dans sa chair, elle ne la remarqua pas plus qu'une mouche qui aurait pris son épaule comme perchoir. Puis, sans aucun signe avant-coureur, le vif qui s'éparpillait et tourbillonnait comme à son habitude dans chaque recoin de ses vaisseaux sanguins se figea d'un coup, puis remonta dans ses avant-bras. Avant même de comprendre ce qu'il lui arrivait, Amara sentit l'énergie se débattre contre les moïras, puis remporter le combat et se déverser à l'extérieur. Une perle écarlate se dégagea des entrelacs de métal déchaînés.

Par réflexe, la jeune fille retira la main de l'appareil et tira sur sa manche. Contrôle. Du coin de l'œil, elle aperçut Alexey se jeter en-dessous d'une table. Bon réflexe. Des flammèches se formaient déjà au bout des doigts. Sa respiration s'accéléra. Le vif... Le reprendre, se le réapproprier.

Inspiration.

Elle ne pouvait plus bouger. Son corps, engourdi dans une mélasse de transpiration et de chair amorphe, ne répondait plus. Elle paniqua. Une âcre odeur de fumée s'infiltra dans ses poumons, qui se resserrèrent, comme pour se donner du réconfort.

Exp... Expiration.

Des cris, une ville en cendre.

La cendre. L'odeur de chair brûlée.

Tout est en cendre.

À cause... d'elle ?

— Non, ce sont deux scènes différentes. Tu n'y es pour rien.

Amara ne reconnaissait plus la voix. Était-ce la sienne ou celle de son amie qui lui murmurait la vérité ? Avant-même de pouvoir tenter de se ressaisir, le vif s'arrêta net et l'énergie reflua. Elle ouvrit les yeux avec appréhension. Et se détendit. Tout semblait normal. Alexey se dépliait lentement, coincé sous la table dans une position ridicule, et Ollyver avait repris ses documents, sans lâcher la jeune fille du regard.

— Je suis désolée, balbutia-t-elle. Cela n'aurait pas dû arriver.

Ses épaules se tendirent, tout son corps se recroquevilla.

Pas la Cage, pas la Cage.

— Vous êtes puissante.

Perdue, elle manqua de répondre et il enchaîna :

— Un potentiel fantastique. Les Feys ont dû se jeter sur votre berceau, à votre naissance. Comment votre mère ne m'en a-t-elle pas parler plus tôt ?

Alexey, qui avait enfin réussit à s'extraire du meuble, passa un bras autour des épaules de sa sœur et l'attira contre lui.

— Si vous pouviez éviter de lui en parler tout de suite...

— Ne lui dites pas !

Ils s'étaient exprimés en chœur. Jamais Amara ne s'était sentie aussi proche, aussi jumelle de son frère. Une entité qui lutte contre l'adversité. Le commandant les considéra d'une mine mi-amusée, mi-inquiète, puis tendit une feuille à Alexey, qui s'en empara.

— Très bien, je choisirai mon moment, mais ne comptez pas sur moi pour garder le secret très longtemps. Il serait dommage de gâcher un vif si prometteur. Et le restreindre trop longtemps peut devenir dangereux, cela m'étonne presque qu'il ne vous ait pas encore tuée, vu sa puissance.

Il se mordit la lèvre, puis y laissa fleurir un sourire compatissant.

— Même si j'imagine que vous avez déjà pu le constater par vous-même... Pauvre enfant.

Amara rougit, tomba en une révérence instable pour cacher son trouble et se laissa glisser dans un fauteuil, les yeux fermés. Les deux hommes s'installèrent non loin d'elle.

— Pourquoi voulez-vous que je demande un rassemblement général ? demanda alors Alexey avec un ton devenu plus froid, plus professionnel.

La voix du soldat. Elesir, qu'elle détestait cette voix.

— Pas demander, rectifia Ollyver en s'asseyant à côté d'elle. Exiger.

Des bruits de porcelaines claquèrent sur le bois. Quelqu'un s'était décidé à faire infuser le thé.

— Et... Puis-je vous en demander les raisons ?

— Istaldel se trouve en zone bleue, expliqua Ollyver avant de prendre une gorgée du liquide brûlant avec un soupir de plaisir. Le flux est extrêmement dense, ici. Probablement grâce à la forêt de Drasil si proche. Et qui dit densité de flux...

— Dit densité de la population d'Altérés, intervint Amara en ouvrant les paupières, soudain attentive. Vous voulez tous les tester.

Alors que l'albinos acquiesçait, la jeune fille prit congé et retourna en hâte dans ses appartements. Elle devait prévenir Thalya. Vite.







La situation se complique... Des avis, des commentaires ?


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