Chapitre 8.5

Sa respiration s'accéléra, le sang se mêla dans le fluide salé qui envahissait ses yeux papillonnants. Au fur et à mesure que la lame avançait, elles revinrent. Des mains s'agrippaient à ses bras, à ses jambes. Des ongles acérés qui la serrait jusqu'au sang, se promenait le long de sa peau. La jeune fille ne pouvait rien faire qu'assister à la souillure de son corps, impuissante...

Impuissante...

Un gémissement guttural transperça ses lèvres. Que les mains s'arrêtent, qu'elles arrêtent la malmener. Mais les milliers de doigts s'incrustaient dans sa peau, la déchirait de l'intérieur. Sa joue hurlait sous les assauts des membres sans visage, sa poitrine criait l'injustice.

— A... a... arrêtez-vous, pa... partez d'ici... sanglota-t-elle.

L'arme, d'abord occultée par la soudaine vision délirante, réapparu soudainement, auréolée d'une lumière bleuâtre. Sa pointe acérée jouait avec la peau tendre de son cou. Thalya résista à l'envie de fermer les paupières. Malgré la fatigue, elle se devait de guetter la moindre ouverture.

— J'en ai attrapé un, tu as vu ? exulta son assaillant. Alexey va être con...

Sa voix s'acheva dans un râle. Le poids sur le ventre de la jeune fille se relâcha dans un bang sonore quand le soldat tomba dans les escaliers. Elle se redressa avec difficulté pour apercevoir son sauveur qui la regardait avec un mélange de mépris et d'indulgence, la visière du casque relevée. Alrik.

— Mais... que...

Son rival s'agenouilla à sa hauteur et entreprit d'enlever la cagoule.

— Ta plaie va s'infecter, sinon, se justifia-t-il.

La jeune fille garda la tête baissée. L'œil droit d'Alrik tiqua en découvrant le visage et il recula imperceptiblement avant de se reprendre.

— Tiens, ma fauteuse de trouble favorite en personne !

Thalya prit appui sur son genou pour se hisser, les yeux fermés pour réprimer la nausée. Pourquoi sa vision chavirait-elle comme ça ? Pourquoi Alrik l'avait-il sauvée ? Les murs semblaient se balancer lentement en avant et en arrière, pulser même. Et le ricanement du jeune homme ne l'aidait pas. Sa tête allait exploser s'il continuait.

— Ta gueule, Alrik.

— Tiens, politesse et gratitude se barrent dès qu'il n'y a pas de public ?

Thalya voulut rétorquer, mais fut prise d'un haut le cœur qui se termina en une fontaine peu ragoûtante vomie sur le soldat à terre. Son corps lui faisait payer les excès.

Pas maintenant... Tiens encore un peu.

Alrik lui tendit sans un mot un mouchoir sorti de nulle part. Elle le regarda de travers avant de l'attraper avec un faible remerciement.

— Prend le casque de ce gars et enfile-le ! Allez, magne-toi, je vais cacher le corps dans une cellule.

Thalya serra les dents et prit sur elle pour ne pas se braquer. La jeune fille ne supportait pas recevoir des ordres. Le fait qu'ils venaient de son rival n'arrangeait rien, mais elle n'avait pas vraiment le choix.

— Bon, maintenant, tu me suis sans faire d'histoire.

Alrik prenait un grand plaisir à la malmener et ne le cachait pas. Il la prit par la main et la mena dans le couloir vers un escalier moins fréquenté. Les muscles de Thalya tremblaient sous l'effort et la peur de croiser quelqu'un étreignait sa poitrine. Que venait faire Alrik ici ? N'était-ce pas lui qui avait sonné l'alarme ? Mais qui alors ?

Ils ne s'arrêtèrent qu'une seule fois dans leur course effrénée pour croiser un petit groupe de garde. Alrik conserva un visage de marbre et le salua dans les formes. Au plus grand soulagement de Thalya, ils purent continuer leur route sans autres incidents jusqu'à ce qu'ils parvinssent devant une porte verrouillée. Alrik sortit des clefs de sa poche et fit entrer la Championne dans un autre couloir sombre bordé par de nombreuses cellules.

— D'où possèdes-tu cette...

— T'occupes, je te raconterais plus tard, l'interrompit-il. On n'est pas sorti d'affaires, mais ce manoir est troué comme un bon fromage de Vergir. Il y a des passages partout qui mènent partout. Certains ont été bloqués, d'autres sont restés un secret pour beaucoup de gens. Ça va jouer à notre avantage, aujourd'hui.

Thalya n'insista pas. Ses membres devenaient lourds. Elle devait se concentrer pour ne pas à nouveau vomir. Le goût de bile restait collé dans sa bouche. Ses pieds heurtèrent une pierre qui pointait son nez du sol inégal et l'entraînèrent dans leur chute. Alrik jura et lui tendit la main pour se relever. Elle l'ignora et se ressaisit. Son rival secoua la tête et repartit de plus belle.

— Tu me mènes où ?

— À un passage secret qui aboutit dans les beaux quartiers du Manoir. Ils sont peu surveillés, tu devrais parvenir à t'enfuir.

La Championne n'avait pas d'autre choix que de le croire, mais gardait ses dernières forces... Au cas où. Mieux valait être prévoyante, elle n'avait pas confiance en lui. Le jeune homme, comme s'il avait entendu ses pensées, s'arrêta subitement et parcourut le mur de la main.

— Je crois qu'on est arrivé. Ah, c'est ici qu'il se cache, le petit mécanisme.

Un pan du mur coulissa et dévoila un sombre tunnel.

— Je dois te prévenir que je ne l'ai jamais emprunté. Je l'ai juste repéré sur un plan.

Son regard de boue croisa celui embué de Thalya. Il remarqua alors l'état misérable de la jeune fille ; adossée contre le mur, elle peinait à reprendre son souffle et devait sans cesse se débarrasser du sang qui coulait dans son œil.

— D'accord. Merci, murmura la jeune fille qui avait toujours un peu de mal à comprendre les motivations de son ennemi de toujours.

— Tu as une dette envers moi. Je veux qu'on discute dès que ce sera possible. Je t'enverrai quelqu'un.

Thalya se redressa de toute sa hauteur. Une grimace éphémère tordit le visage d'Alrik.

— Très bien, répondit la jeune fille d'un ton détaché en avançant dans le passage. Mais ne t'habitue pas à me parler sur ce ton.

Sa bravade tomba à plat à cause d'une quinte de toux qui la secoua. Elle mit sa main devant la bouche et la ressortit pleine de sang. Un frisson la parcourut. Alrik fronça les sourcils, mais se résigna à faire un pas en arrière pour la laisser passer avant de clore le passage derrière elle.

— Sois prudente.

Une fois le dernier interstice bouché, Thalya s'écroula par terre, le corps agité par des spasmes douloureux. Un filet de sang coula des commissures des lèvres. Son organisme rendait l'âme, cela faisait longtemps qu'elle l'avait autant poussé à bout. Le prix à payer pour surmonter les restrictions physiques de son corps ne se faisait pas attendre. Un tel forçage laissait des traces.

Quelle idiote. Je n'avais pas besoin de cette force, au début.

Les regrets ne changeraient pas sa situation actuelle. Elle espérait que Verince soit parvenu à échapper à ses poursuivants. Que Mika et Amelya aient suivi ses ordres et s'étaient replié sans attendre. La Championne ne doutait pas de la loyauté de la fille aux cheveux bleus, mais redoutait que Mika, aveuglé par ses sentiments pour Crystal, ait refusé de s'y plier.

S'ils étaient capturés... Thalya préférait ne pas y penser. La jeune fille resta roulée en boule sur le sol pendant un moment avant de retrouver le courage d'avancer.

S'ils étaient capturés, elle viendrait les libérer. Avec plus de précaution et en apprenant de ses erreurs, elle y arriverait. La certitude de cette affirmation la fit sourire. Tant que le Corbeau Noir était en liberté, il se battrait pour ses camarades.

Après quelques minutes de boitillement, Thalya arriva – au travers d'un tableau qui masquait l'entrée – dans un salon qu'elle reconnaissait à peine. Son pied s'enfonça dans la moquette moelleuse alors qu'elle s'approchait de l'énorme fenêtre qui donnait sur Istaldel. Tout semblait paisible, dans cette partie de la maisonnée. Une douce brise vint caresser les narines de la jeune fille lorsqu'elle ouvrit la porte vitrée. Cela la ressourça en un instant. La nature l'appelait.

Elle descendit à l'aide de plantes grimpantes, puis, une fois que la hauteur ne lui semblait plus trop dangereuse, elle sauta, se réceptionna avec un boulé-roulé et puisa dans ses dernières forces pour sprinter jusqu'au couvert du bouquet de saule pleureur. Son organisme criait. Elle l'ignora.

Au loin, un groupe de soldats commençait sa ronde. Une gigantesque silhouette l'attendait, perché dans les branches d'un arbre.

— Je m'inquiétais pour toi, Thal.

— Qu'est-ce que tu fais là ? Tu n'avait pas une meute de crétins à tes trousses ?

Verince s'approcha d'elle. La jeune fille se laissa choir contre lui. Il lui dégagea une mèche du visage avec bienveillance et rétorqua.

— Pas tellement. Ils avaient bien vu que j'avais trop d'avance. Je suis revenu après avoir un peu attendu. Ils croient que tout le monde est coincé dans la prison souterraine.

— Et... ?

— Et quoi ?

— Les autres.

Un long silence plana sur la prairie. Les louanges d'un criquet pour sa demoiselle l'interrompirent.

— Je ne sais pas.







Note de la Créatrice

Petite (vi, parce que c'est un petit chapitre - Elly est nulle en découpage) surprise du dimanche !

Des réactions ?

Quel jeu joue donc Alrik ?

Au fait, vous allez bien ?

J'ai un petit conseil à vous demander pour mon résumé :

Pour deux jeunes filles aux profils bien différents, faire partie de l'élite des gradés grâce à leurs Perles se traduit surtout par une partie interminable d'illusions et de tromperies.

Tandis que Thalya n'hésite pas à se revêtir du masque du « Corbeau noir » pour aider les habitants de la ville d'Istaldel face au gouvernement autoritaire du Conseil, Amara essaie de cacher ses valeurs derrière les froufrous de son titre de noblesse.

Les deux amies tentent alors de tirer leur épingle du destin qui les enserre petit à petit dans un étau de fer.

Danger incessant
Pouvoirs incommensurables
Ensemble, nous surmonterons.

Si vous aviez des remarques ou des conseils pour l'améliorer, je vous en serai très reconnaissante de les partager, je bloque un peu. ;-)

À la semaine prochaine ! ('fin mercredi, probablement)

Publié le 07.07.2019

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