Chapitre 7.1

Amara se hâtait à grand pas dans les longs couloirs du manoir lorsqu'une masse touffue se jeta sur elle. La jeune fille, prise de court, hurla, arracha la boule de poils agrippée à son visage, puis recula de manière précipitée.

Le petit écureuil qui l'avait agressée émit un son strident qu'Amara prit pour un ricanement et s'enfuit. Sa queue bien pourvue disparût derrière une statue qui chancela sur son passage.

Amara cligna des yeux, puis retira le petit papier enroulé que Lory lui avait enfoncé dans l'oreille, abasourdie. Mais quelle mouche avait donc piqué la petite sœur de Thalya pour l'attaquer de la sorte ? Amara n'entretenait pas des relations particulièrement amicales avec celle-ci mais les maintenait grâce au chocolat aux noisettes que Lory recevait en échange de ses tâches de messagère.

La jeune comtesse contempla la feuille avec appréhension avant de la fourrer dans son sac à main brodé. Elle avait eu vent de l'accélération inquiétante des activités militaires à Istaldel mais n'avait pas encore reçu d'informations précises par rapport aux événements. Les rumeurs qui se faufilaient entre les serviteurs avaient déjà éveillé son angoisse.

Malheureusement, elle ne pouvait lire le message de son amie tout de suite. Sa mère l'attendait dans le salon canari qui se trouvait à l'autre extrémité du manoir, probablement pour lui faire rencontrer un nouveau prétendant. Comme si elle n'avait pas déjà suffisamment de choses à faire !

La jeune fille n'avait plus vu Thalya depuis presque deux semaines et la vie contraignante du manoir commençait à l'étouffer. La lourdeur des robes dans lesquelles elle se prenait systématiquement les pieds, le maquillage qui coulait avec la transpiration, le regard des gens, sans cesse posés sur elle, l'insupportaient au plus haut point. Sa patience ne tenait plus qu'à un fil.

Alors, quand la servante lui annonça que la comtesse et ses invités viendraient avec une demi-heure de retard, Amara eut du mal à contenir l'énergie qui s'amassait dans ses mains et claqua la porte du salon avec force derrière elle, sans se préoccuper de l'exclamation indignée de la domestique.

La jeune fille fronça le nez en constatant l'odeur de renfermé qui flottait dans les airs. Le salon canari, surchargé de décorations, n'était utilisé que pour les invités de marque et semblait avoir été quelque peu délaissé.

— Parfois, j'ai l'impression que les domestiques se laissent un peu aller ! gronda Amara pour elle-même avant d'ouvrir la fenêtre en grand.

Le courant frais qui lui fouetta le visage la calma. La grande prairie se déroulait devant ses yeux. Le vent jouait dans les hautes herbes. La main froide qui semblait s'être emparée de la nuit vivifia l'esprit de la jeune fille. Une mèche blonde s'échappa de son chignon pour accompagner le mouvement de la nature.

La sensation de liberté la grisait et des milliers d'idées un peu folles naquirent dans sa tête. Il lui suffirait de sortir du manoir et de ne jamais revenir. Cette possibilité l'emplit d'un bonheur bref, mais enivrant.

Amara secoua la tête. Elle devait se reprendre. La forêt ne serait jamais son foyer. La noblesse ne lui permettait pas d'assouvir tous ses désirs mais la protégeait dans un cocon rempli de chaleur.

La jeune comtesse se laissa tomber dans un fauteuil, grimaça parce que la banquette s'était révélée plus dure qu'elle ne le paraissait et déroula le message de Thalya. Toutes les couleurs disparurent de son visage déjà naturellement pâle, ce qui fit ressortir ses tâches de rousseurs.

Chère Amara,

Tu es probablement déjà au courant que les soldats ont frappé un grand coup, à Istaldel. Ils ont un nouveau chef, une sorte d'albinos psychopathe qui les a amenés à établir un gigantesque piège. Ils cherchent des gradés, on le savait. Il faut croire qu'ils sont efficaces, ces charognards ! Ils ont découvert que Crystal est gradée et l'ont capturée.

Amara entama l'ongle de son index. Sa main tremblait. Le statut de Crystal avait dont été décelé ; elle n'avait pas été assez prudente. La comtesse soupira. Heureusement qu'elle avait pu convaincre Thalya ne pas révéler leur statut à la magnifique blonde. Elles seraient dans une situation compliquée à gérer, sinon. Inquiète, Amara reprit sa lecture.

Et je n'ai rien fait. Je ne l'ai pas aidée. Non, bien sûr que non. Mais Daya a réagi, elle ne pouvait pas laisser passer ça, tu penses bien.

Amara se figea. Des cercles humides parsemaient le papier. Ses yeux filèrent au-dessus des mots jusqu'à la fin, cette dernière phrase qu'elle n'avait pas voulu lire.

Daya a été tuée par ce nouveau commandant.

Non ! Cela ne pouvait pas être vrai !

Son corps se détacha de son esprit. Un immense vide emplit sa poitrine et des larmes silencieuses coulèrent de ses yeux agrandit sous le choc. Une flamme jaillit de ses mains pour grignoter le message. Amara la fixa, peu consciente de l'énergie qui s'était ravivée avec la douleur.

— Amari ! Éteins ça tout de suite, on pourrait te voir !

Alexey referma la porte derrière lui avec une once de panique et s'approcha de sa sœur qui croisa les mains derrière le dos, l'air honteuse. Les dents serrées, elle fit en sorte de cacher le message dans son sac à main et reprit contenance.

— Calme-toi. Tout est sous contrôle, assura-t-elle.

Le reniflement méprisant d'Alexey serra le cœur de la jeune fille.

— Sous contrôle ? Ça ressemblait plus à une de tes fuites.

Ce terme, peu flatteur, tira une grimace à Amara. Ce crétin arrogant ne savait rien de l'étendue de ses pouvoirs et se permettait toujours de la diminuer.

— Mère aurait pu arriver d'un instant à l'autre, n'as-tu donc aucune idée de la réaction qu'elle aurait eue ? continua son frère avec le même ton moralisateur. Et imagine que tu aies dévoilé ta perle par accident ! s'écria son jumeau.

— Bon sang, laisse-moi tranquille !

Elle fit un geste agacé de la main, se leva et se détourna de lui. La jeune fille n'aspirait plus qu'à la solitude. L'annonce de la disparition de Daya pesait sur ses épaules et lui donnait un motif supplémentaire pour quitter sa prison dorée pour voir Thalya.

— Amari, je te dis ça pour ton bien. Tu ne voudrais pas produire une nouvelle catastrophe ? Mère n'a pas besoin d'un nouvel incendie ravageur.

Amara se retourna vivement vers lui et pointa un doigt accusateur vers Alexey, qui recula prudemment devant la rage qui brûlait dans les yeux de sa sœur.

— Ne t'avise pas de répéter ces mots ! avertit la jeune fille, hors d'elle.

L'énergie se bousculait dans son corps et ses pouvoirs menaçaient de d'exploser. Son frère, nullement impressionné, posa les mains sur les épaules de sa sœur.

— Garde ton sang-froid. Mère arrivera bientôt en compagnie de notre hôte, tu dois faire bonne impression.

Ils se scrutèrent un instant. Amara hocha la tête d'un mouvement sec et détourna le regard. Sa colère n'était pas encore retombée mais elle avait entendu des voix qui s'approchaient.

La porte s'ouvra en grand devant les deux jumeaux, qui se raidirent instantanément. Leur mère, accompagnée d'un jeune homme plus grand qu'Alexey, les salua et demanda à son invité de s'asseoir.

Amara composa un sourire factice qui faillit retomber quand elle aperçut les yeux couleur sang de l'hôte. Son cœur rata un battement alors que des émotions contradictoires voltigeaient dans tous les sens.

L'assassin de Daya inclina la tête devant elle et lui fit un baise-main. Une petite étincelle éclata au contact de leur peau. Une étrange chaleur s'empara du corps d'Amara qui se redressa surprise. L'albinos lui offrit un sourire éclatant.

— Je suis enchanté de vous connaître, Amaryllis. Je suis le Commandant Ollyver.

— Je... Je...

La jeune fille contemplait le visage pâle mais élégant du jeune homme, comme liquéfiée sur place. Elle se passa la langue sur les lèvres et essaya de se ressaisir. Ses joues brûlaient. Le commandant sembla prendre conscience de l'embarras d'Amara et se retourna vers Alexey, auquel il tendit la main.

— Et voilà notre nouvelle recrue ! Alors, content de tes nouvelles responsabilités ? s'enquit l'albinos d'un air joyeux.

Alexey répondit du bout des lèvres, le visage crispé. La surprise devait se lire sur les traits d'Amara car son jumeau lui adressa un signe de tête qu'il lui en parlerait plus tard.

— Asseyez-vous tous, je vous en prie, commença la comtesse.

Amara lui obéit, perturbée par la beauté des iris vermeilles qui exploraient les moindres recoins de la pièce. Des yeux qui ne devaient pas avoir hésité un instant quand leur possesseur avait levé l'arme au-dessus de Daya. Mais qu'est-ce qui ne va pas dans ma tête ? s'agaça-t-elle.

— Alors, mon cher Ollyver, Amaryllis doit être impatiente d'entendre vos nouveaux exploits de votre propre bouche.

— Mère, protesta la concernée.

L'albinos croisa les jambes avant de prendre une tasse de thé.

— Allons, allons, il n'y a pas de mal, dit-il avec un sourire malicieux qui retourna le cœur d'Amara.

Le jeune commandant prit une gorgée avec un délice palpable.

— Délicieux. Une pointe de géranium ? Oui... Ce thé est exquis. Et bien plus doux que ces Istaldéens. Même si j'avoue qu'avec leur réputation, je m'attendais à plus de résistance...

Amara se mordit la lèvre inférieure pour s'empêcher de demander ce qui s'était passé. Son frère resta impassible.

— Quoique, en extrayant la gradée qu'un de mes soldats avait repérée, ils se sont rapidement soulevés contre nous... Mais il a suffi d'éliminer la tête pensante du mouvement pour les repousser. En parlant de la gradée, je compte sur toi, Alexey, pour que rien ne lui arrive.

Alexey hocha la tête, un peu pâle.

— J'ai personnellement choisi les soldats qui doivent la surveiller.

Un mince sourire étira les lèvres pâles du commandant.

— Parfait. Je suis vraiment ravi d'avoir été affecté ici. Oui... Ils sont intéressants ces Istaldéens. J'ai hâte d'assister à ce fameux Festival des Brumes dont j'ai tant entendu parler. D'ailleurs, vous ai-je déjà raconté ma rencontre avec la présente Championne d'Istaldel ? Elle a malheureusement montré quelques signes d'agressivité, j'ai dû l'emmener avec une poignée de personnes restées sur place...

— Pardon ? s'écria Amara.

Tous les regards se tournèrent vers elle. La jeune fille remit en place une mèche blonde et essaya d'éviter les yeux troublants du commandant Ollyver.

— Le peuple d'Istaldel révère ses Champions, s'expliqua-t-elle avec un haussement d'épaule méprisant. Stratégiquement parlant, ce n'est peut-être pas une excellente idée de se les mettre à dos.

L'albinos se leva pour se poster à la fenêtre. Les bras croisés derrière son dos, il énonça :

— L'ennui, c'est qu'elle ne m'a pas paru très réceptive à ma perle. J'ai voulu examiner ce cas de plus près. Mais comme l'a si justement précisé Amaryllis, je me suis rapidement rendu compte que cela causait trop d'agitations. Je l'ai donc libérée plus rapidement que prévu.

— Votre perle ? intervint Alexey.

La tête légèrement penchée, il semblait tendu. Le commandant Ollyver gloussa. Il plissa les yeux, comme un chat se préparant à attraper sa proie.

— Je suis capable de contrôler les émotions, mon cher.

Les yeux clairs d'Alexey s'écarquillèrent. Il bascula vers l'avant, une main crispée sur sa poitrine. Amara se redressa. Son cœur s'affolait sous l'angoisse soudaine qu'elle ressentait. Elle jeta un dernier regard à l'albinos qui lui fit un clin d'œil détendu.

— Je dois... Je suis désolée de m'absenter, je suis attendue, balbutia-t-elle en remarquant que sa mère fixait le sol d'un air absent.

La jeune fille ouvrit la porte et s'enfuit en courant jusqu'à ses appartements.

Elle devait voir Thalya. Tout de suite.



Note de la Créatrice

Je suis de retour !

Pour vous jouer un mauvais tour !

Non, non, vous rêvez, je n'ai pas publié le chapitre une semaine plus tard que prévu...

Bon, j'avais un peu trop de choses à faire et donc... Bref. Maintenant, c'est les vacances, je vais donc essayer d'écrire un peu plus.

Par ailleurs, qu'est-ce que vous aimez tout particulièrement, à Noël (si vous le fêtez) ?

Des remarques par rapport au chapitre ?

J'avoue que je suis très heureuse de commencer l'acte deux de ce livre, parce que les vrais enjeux et scènes d'actions arrivent ! Et je suis toujours aussi amoureuse du scénario... Oh, j'ai hâte que les petits retournements de situations pointent leur nez  !

Mais j'ai une petite question. Est-ce que vous trouvez que l'action se déroule trop lentement ? Dans les différentes scènes et en général ?


On se revoit la semaine prochaine, le dimanche 30 décembre ! (normalement) ;P


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