Chapitre 5

Montre-leur ce que tu vaux. Montre-lui ce que tu vaux.

Tu attires trop l'attention. Tu vas te faire capturer sans avoir trahi ton secret.

Les hallucinations envahissaient la tête de Thalya, s'entrechoquaient, s'élevaient dans les hauteurs tels des violons désaccordés. La jeune fille se tenait les oreilles avec une telle force que du sang s'infiltra sous ses ongles sales. Des ombres indistinctes murmuraient à côté d'elle, l'oppressaient contre l'arbre auquel elle s'adossait. Des nuages d'encres s'infiltraient partout et lui faisaient perdre pieds avec la réalité.

Thalya envoya avec un cri de rage un coup d'épée dans la masse informe qui se disloqua une seconde, révélant la clairière éclairée par le clair de lune, puis se reforma, encore plus dense, autour d'elle.

Une grande silhouette se forma parmi les volutes de charbon. Elle s'approcha de sorte que Thalya put reconnaître les traits gracieux de la femme.

Mama... Tu es morte, laisse-moi tranquille, souffla la jeune fille, pourtant consciente que son esprit lui jouait des tours.

Sa mère lui sourit. Une onde de chaleur traversa le corps de Thalya.

Si tu veux battre Mika, il faudra montrer toutes tes capacités. Ça pourrait devenir dangereux d'attirer l'attention sur toi comme ça. Abandonne.

Un étau de fer sembla serrer le cœur de la jeune fille à ces propos. Cette solution – la plus simple – lui était déjà venue à l'esprit. Elle l'avait rejetée. Elle ne pouvait plus s'éclipser sans assumer ses responsabilités.

— Les autres croient en moi. Et je ne peux pas priver Verince de son titre...

La manifestation surnaturelle lui prit le menton. Thalya se sentait toute petite face à l'immensité de sa mère.

— Tu t'inquiètes pour Verince ? Je me suis sacrifiée pour toi ! Pour que tu puisses vivre ! Et c'est comme ça que tu me remercies ? En faisant des choix qui vont à l'encontre de ta survie ? vociféra sa mère, dont le visage s'était transformé de braises chaleureuses en un brasier de fureur.

Un rideau d'ombre voila la vue de la jeune fille, qui se laissa tomber par terre. Elle ne sentait plus la terre sous ses doigts, ne voyait plus le ciel nocturne. Même la gravité semblait lui échapper. Elle essayait de se relever, titubait. Des milliers de Voix menaçantes l'assaillaient au milieu de l'obscurité.

Mais ton statut de Champion te protège. Tu es trop populaire pour qu'ils s'en prennent à toi...

Être visible de la sorte... tu deviens une cible parfaite en cas de représailles, en pleine ligne de mire...

La cacophonie disharmonique prenait de l'ampleur, grossissait comme un ballon d'air au lieu de lentement décroître. Thalya se recroquevilla sur elle-même, écartelée par la décision à prendre. Elle tâta le fourreau de son sabre gauche. Sa main tremblait comme une branche brise dans un tourbillon. Elle avait promis à Amara de ne le faire qu'en cas de perte de contrôle totale. Et les sifflements qui ne semblaient pas s'arrêter... La jeune fille tira son sabre au clair. Puis, dans un geste précis, entailla la peau fragile de son avant-bras, juste au-dessus des Moïras.

Une goutte de sang s'échappa et tomba sur le sol. Elle se mêla à l'obscurité et fit apparaître un mince parterre d'herbe. Au même moment, une douleur aigue traversa son corps et libéra ses sens endormis. Thalya raffermit sa pression. Le sang gicla autour d'elle, atterrit sur son visage.

Le monde reprenait lentement ses couleurs originales. L'odeur fraîche de l'herbe accompagnait la rugosité de l'écorce et les chants des oiseaux dans une danse de sensations puissantes qui exaltaient la jeune fille.

Encore un peu plus.

Sa main semblait absorber le liquide rouge qui perlait à flot. Les murmures se turent, reculant devant la marée de douleur. Thalya glissa sa main dans la terre et se laissa choir sur le dos. Le temps entre les crises se raccourcissait de plus en plus. La dernière remontait à seulement deux jours, alors que les Voix s'étaient jetées sur elle en public, pendant le combat avec Mika. L'impuissance et le dépit qu'elle avait ressentis rongeaient encore son cœur.

Son regard pensif se porta sur son bras ensanglanté. La blessure qu'elle s'était infligée s'ajoutaient aux quatre maigres cicatrices blanches. Les preuves de ses faiblesses, de ses lâchetés antérieures.

Les Voix étaient apparues la première fois quelques heures après la mort de sa mère. Elle avait cru devenir folle. Les pieds dans les cendres de la forêt, les bras couverts de griffures, elle avait cherché le corps de sa mère dans la plaine ravagée par les flammes.

— Mama... Mama ! MAMA !

La petite fille cherchait parmi les décombres, marchait comme un automate, poussée par des voix insistantes qui ne la laissaient pas tranquille. Des bras l'encerclèrent. Elle sursauta et se retourna pour voir son frère.

— Caïam... Aide-moi à retrouver mama, gémit-elle, puis se laissa aller contre lui, exténuée.

Il regarda Thalya avec gentillesse. Ses cheveux blond platine flottaient dans le vent. L'adolescent caressa la brûlure palpitante de sa petite sœur, qui mangeait la moitié de son visage. Une douce lumière s'échappa de ses mains et apaisa la blessure.

— Je t'ai enfin retrouvée. J'avais peur pour toi. Viens, on rentre à Istaldel.

— Mama était avec moi, s'obstina la petite. Elle voulait m'emmener dans un endroit formidable, à la capitale ! Elle me l'avait promis... Un voyage qu'à nous deux. Sans personne d'autre.

Caïam essuya une larme qui perlait au coin de son œil et dévisagea l'horizon encore fumant. Il prit sa sœur dans les bras et se mit à marcher. Thalya se dégagea et hurla qu'elle entendait des voix qui lui disaient de trouver sa mère.

— Regarde ! cria-t-elle en tendant ses bras.

— Qu'est-ce...

Une nouvelle perle s'élevait des Moïras de Thalya. Sa couleur changeait continuellement du bleu des plus profonds abysses de l'océan au bleu clair, presque transparent, des ruisseaux de montagne. L'énergie qui s'en dégageait était presque palpable.

— J'ai éteint tout le feu ! J'ai le pouvoir, comme Mama le dit tout le temps. Alors, je vais la retrouver, non ?

Elle leva ses grands yeux verts pleins d'espoir vers ceux de son frère. Caïam détourna la tête pour ne pas montrer le torrent de larme qui coulait sur ses joues.

— Non.

Thalya mit sa main sur sa bouche pour étouffer un sanglot. Ses crises de folie l'empêchaient de tirer un trait sur son passé. Le souffle court, elle perçut soudain des vibrations qui s'avançaient vers elle. Paniquée à l'idée qu'on la trouve dans un tel état, elle s'accrocha aux premières branches de l'arbre et monta jusqu'à être cachée par les feuillages. Le son d'une voix familière monta jusqu'à elle.

— J'ai peur, Mika.

— Crys... Tout va bien se passer. Je suis là.

Une branche craqua. Crystal et Mika apparurent sous elle et s'installèrent sur un rocher, au milieu de la clairière. La belle jeune fille mit sa tête sur l'épaule de son compagnon.

— J'ai l'impression que tu sous-estimes Verince et Thalya. Ce sont des Champions hors pairs. Ou que tu te surestimes, avoua Crystal tout en entourant une boucle blonde autour de son doigt.

— J'ai pourtant battu Thalya. Et je n'aurais pas de problème avec Verince. Il est fort, mais assez lent. En revanche, tu ne seras battue en solo, contre Thalya.

— Et pourquoi pas ? s'insurgea Crystal en se redressant. Tu as vu comment je me battais en réalité, pourtant. Ne me dis pas que je me ferai écraser alors que je m'entraîne depuis des années en cachette !

— Je l'ai espionnée pendant qu'elle s'entraînait avec ses deux sabres. C'était impressionnant. Elle semblait presque... danser. On dirait que plus rien d'autre n'existe pour elle, que même la gravité n'entravera pas sa route...

Surprise, la jeune fille se redressa sur sa branche. Elle n'avait pas remarqué la présence de Mika, le jour précédent. Une goutte de sang tomba sur le sol. La jeune fille jura entre ses dents et comprima sa blessure. Les paroles de Crystal atteignirent soudainement son esprit.

Je m'entraîne en cachette.

Thalya ne comprenait pas. Crystal n'avait jamais participé au Festival des brumes à cause de problème de santé... Du moins, elle le clamait.

— La beauté ne fait pas l'efficacité, protesta Crystal.

Ses cheveux brillaient dans le clair de lune. Comme si les étoiles s'étaient fondues dans sa chevelure, pensa Thalya. Mika la regarda d'un air amusé.

— C'est toi qui le dis.

Crystal s'empourpra et se leva.

— Tu fais comme les autres ! Ce n'est pas parce que je suis jolie que je ne peux rien faire d'autre. J'en ai marre de ça. J'en ai marre, tu le sais pourtant !

Mika s'étira longuement, puis passa sa main dans les mèches argentées qui brillaient sous l'astre nocturne.

— Alors pourquoi joues-tu ce rôle ? demanda-t-il avec fermeté. Tu te maquilles et t'habilles bien, joues les faibles, n'essaies jamais rien qui puisse te faire sortir de ta zone de confort. Je veux bien t'aider à devenir Championne, mais il faut que tu m'expliques. Je suis certain que tu n'es pas celle que tu prétends être.

Il s'approcha d'elle et lui ôta une larme qui ruisselait sur sa joue. Puis l'embrassa avec douceur. Thalya s'agita. Elle ne voulait pas les interrompre mais se sentait de trop. Une tristesse soudaine, qu'elle ne saisissait pas, remontait dans sa gorge. La vue de ces personnes, qu'elle aimait tellement, enlacées sous le rayon lunaire, lui donnait la nausée.

Elle avait cru que c'était Mika qui avait enhardi Crystal de les défier afin qu'il puisse s'amuser avec ses anciens amis et se refamiliariser avec la compétitivité des Istaldéens. Elle avait cru que Crystal avait accepté parce qu'elle était tombée folle amoureuse de lui. Elle avait cru. Ses suppositions s'étaient révélées fausses.

Crystal brisa leur étreinte. Elle releva ses manches et demanda à Mika de s'écarter. Thalya se renfonça dans son antre en remarquant que les deux compères se retournaient vers son arbre.

— Gèle. Eifree, murmura-t-elle.

Une lance de glace apparut de ses mains et frappa l'arbre de plein fouet. La glace monta le long du tronc à une vitesse lascive et donnait l'affolante impression d'être vivante. Thalya retint un gémissement de surprise et se glissa dans des branches plus élevées. Un froid soudain s'infiltra sous ses vêtements et la fit greloter. L'avancée de la masse gelée s'arrêta dans un craquement sonore.

Mika et Thalya regardaient Crystal avec un même air effaré. La belle jeune fille se retourna vers son ami, ses fins sourcils froncés, comme pour le défier.

— Depuis combien de temps ? souffla Mika.

— J'ai reçu ma perle Icel bien avant que tu ne partes. Un des plus puissants dérivés de la perle Aqua.

Thalya manqua de tomber de son arbre et ne put empêcher le sang de goutter sur la glace, juste à côté du couple. Elle agita ses bras pour retrouver son équilibre et se tendit comme un arc. Mika jeta un coup d'œil vers la cachette de Thalya avant de se concentrer sur les paroles de Crystal.

— Petite, je ne maîtrisais pas ce pouvoir, commença Crystal, des larmes aux coins de ses magnifiques yeux vert pâle. Je voyais les gens s'amuser, se donner à fond. Et je ne pouvais pas faire la même chose ! Non, je devais m'effacer devant des Thalyas fanfaronnes, ne pas me faire remarquer.

La jeune fille prit les mains de Mika et les porta à sa bouche.

— Oh, comme je les enviais. À s'amuser, à se faire des amis. Et moi qui devait rester dans l'ombre à cause de ces fichus pouvoirs !

Elle se laissa tomber à terre et sanglota. Mika l'entoura de ses bras et joua avec ses mèches blondes.

— Ce que tu es beau, murmura-t-elle en l'embrassant.

Il la laissa faire, puis se détourna délicatement d'elle.

— Crystal. Ne t'inquiète pas. Tu n'es plus seule maintenant. Je vais tout faire pour t'aider à accomplir tes rêves, crois-moi. Arrête de pleurer, s'il te plaît. Ça me fait de la peine.

— Est-ce que tu peux comprendre ce que c'est de porter ce poids constant sur les épaules ? demanda la jeune fille, lovée dans ses bras.

Thalya n'entendit pas la réponse de Mika. Elle comprenait. Et se reprochait de ne pas avoir remarqué ce qui oppressait la jolie blonde. La tristesse constante de Crystal, sa rancœur. Perchée en haut dans le ciel, elle avait mal interprété la détresse de son amie. Elle avait toujours cru que c'était de la timidité, un manque de volonté. Oh, comme elle avait dû lui faire du mal en essayant de la motiver à participer.

Thalya contempla les deux tourtereaux en essayant de démêler les sentiments qui s'affrontaient en elle. Elle se mordit la lèvre, essuya une larme salée qui coulait et attendit patiemment qu'ils lui laissent le champ libre pour partir.

Elle devait s'entraîner pour offrir un combat merveilleux à Crystal.





Note de la Créatrice

Comment l'avez-vous trouvé ?

On apprend de plus en plus de chose sur la folie de Thalya... Comme quoi, tout le monde porte son fardeau.

Si vous étiez Thalya, auriez-vous révéler votre présence aux deux tourteraux ? Elle a appris des choses qu'elle n'était pas sensée savoir.

Et j'ai une question assez importante pour tous ceux qui ont lu la première version;

La version réécrite est-elle meilleure ? En quoi ?


Je vous expliquerai la prochaine fois l'importance de cette question à mes yeux. Elle est lié à un projet qui intéressera peut-être les autres auteurs qui me lisent. ;-)


Merci pour tous vos commentaires !


Corrections publiées le 17.12.2018

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