Chapitre 3.2
"Qui es-tu ?"
L'étranger essuya ses bottes sur le paillasson, puis leva la main vers sa capuche.
— Verince ! Ne sois pas si agressif avec notre invité ! intervint Daya, une main sur son gros ventre.
Tous la regardèrent descendre les dernières marches de l'escalier avec précaution.
— Je vous remercie de votre hospitalité, Daya, la remercia l'étranger d'une voix grave et calme.
La mère de Verince se figea. Thalya fit de même. Cette voix... Elle n'y avait pas fait attention mais elle lui semblait familière. L'homme s'inclina devant elle.
— Merci - il resta un instant silencieux – Je ne t'ai pas reconnu tout de suite... Et pourtant. Thalya, c'est bien toi ?
Sa voix vibrait d'émotions. Il approcha sa main du visage de Thalya, hésitant. Puis secoua la tête. La capuche tomba avec un bruit sourd dans son dos. Daya étouffa un cri, Thalya recula contre le mur. Cela ne pouvait pas être possible.
Une crinière blonde parsemée de centaines de mèches argentées encadrait son visage carré et son nez cassé. Une nuit d'été remplie d'étoiles filantes n'aurait pu qu'envier les sombres yeux qui fixait Thalya avec une pointe de malice, renforcée par un petit sourire en coin, légèrement ébahi.
— Mika.
Une centaine d'images du passé assaillirent la jeune fille. Un tourbillon de couleurs qui envahirent sa conscience tel un torrent dévastateur. Une douche d'émotions qui la précipita par terre. Elle avait cru ne jamais revoir la personne qui lui faisait face avec tellement de naturel que ça lui semblait irréel. Elle ne prenait pas conscience des chaudes larmes qui réchauffaient ses joues rosies par le froid.
Mika s'agenouilla à côté d'elle. De l'inquiétude brillait dans ses yeux.
— Thalya ! Tu es blessée ?
Les épaules de Thalya tressautèrent sous un rire nerveux qui s'échappait de ses lèvres. Elle essuya son visage et le regarda avec un sourire qu'elle croyait avoir oublié ces dernières sept années.
— Tout va bien ! Tout va pour le mieux, assura-t-elle en se tournant avec lui.
Des larmes perlaient aux yeux de Mika, qui cligna des yeux pour les évacuer. Lui aussi souriait comme s'il venait de voir un éléphant rose s'envoler : avec une admiration et un étonnement sous-jacents.
Ils se détaillaient avec avidité, notant tous les changements du temps.
Thalya se raccrochait à ce qu'elle reconnaissait tout en remarquant les plus grandes différences. Son visage avait perdu de la rondeur, était devenu plus fin, anguleux même. Il lui semblait que le nombre de mèches argentées avait augmenté. Elles se fondaient autrefois dans les cheveux blonds et étaient devenues bien visibles. Et étranges... Son nez n'était plus aussi droit qu'avant, remarqua-t-elle ensuite en résistant à l'envie de le toucher.
Daya mit fin à leur confrontation de regard.
— Quelle bonne surprise ! Je suis sûre que tu as énormément de choses à raconter. En commençant par l'acte de bravoure de ce soir !
— Et surtout envie de savoir énormément de chose ! s'exclama-t-il avec chaleur.
***
Mika avait l'impression d'être revenu chez lui. Assis sur le canapé, il sirotait une tasse de thé à la lavande et discutait gaiement avec Daya et Thalya. Cette dernière ne semblait toujours pas avoir intégré le fait qu'il soit revenu. Elle ne pouvait s'empêcher de murmurer « Incroyable. » toutes les dix minutes.
Sa réaction lui avait fait plus chaud au cœur qu'il ne l'aurait avoué. Lui-même s'était mentalement préparé à revoir tous ses anciens amis, bien qu'il n'aurait pas deviné que son sauveur n'était autre que la petite sœur de Caïam.
Elle avait beaucoup changé. Pas étonnant. La gamine s'était transformée en lionne. Son regard semblait plus intense et ses mouvements gracieux témoignaient d'une plus grande force. Elle s'entraînait probablement pour le Festival. Mika se demanda un instant si elle pouvait faire partie de l'Equipe du Quart II.
Chaque Quart possédait une Equipe de six personnes, présidée par deux Champions. Un homme et une femme qui affrontaient en duo ou en simple la majorité des épreuves. Leurs résultats donnaient un énorme avantage au Quart qu'ils représentaient. Mika remua la cuillère dans sa tasse, absent. Caïam et lui s'étaient souvent imaginer Champion de leur Quart, tout en sachant qu'ils ne pourraient jamais l'être en même temps, vu qu'ils venaient du même quartier.
— Qu'est devenu ton frère, d'ailleurs ?
Thalya avala le morceau de gâteau trop rapidement et s'étrangla. Après quelques quintes de toux, elle lui répondit :
— Il est Guérisseur. Depuis environ quatre ans.
Mika écarquilla les yeux. Ceux qui possédaient la perle Hyacée, si nécessaire aux gens, se faisaient de plus en plus rares, car la plupart se cachaient au même titre que les gradés.
— Il s'est enregistré ? Ça ne m'étonne pas vraiment de lui, tiens.
— Moui. On a toujours peur qu'il soit un jour recruté dans un camp militaire. Heureusement, ils l'ont laissé tranquille. Pour l'instant, du moins, rajouta-t-elle en ramenant ses cheveux devant elle pour les tresser.
Verince se leva soudainement et annonça qu'il allait préparer à manger.
— Oh, je peux rester, dis ? Ça fait longtemps que je n'ai pas pu goûter à tes plats. Et Caïam fait toujours tout brûler !
Mika vit le géant sourire et acquiescer avec surprise. Il imaginait mal que Verince puisse si bien cuisiner avec des mains aussi calleuses et massives. Il ne le connaissait pas. Daya l'avait adopté quelques mois après son départ. Il avait rapidement noté que Thalya semblait très proche de lui.
— Tu es aussi le bienvenu, Mika. Et non Thalya, tu ne peux pas m'aider, je te vois venir. Je tiens à mes assiettes, moi.
— Je ferai attention, promit-elle, déjà levée.
— Je suis sûr que Mika serait ravi que tu lui tiennes compagnie, se justifia le colosse, puis entra dans la cuisine.
Daya servit du thé à la jeune fille, coupant court à sa réaction.
— Caïam s'est beaucoup assagi depuis ton départ, Mika. Il a absolument tenu à s'enregistrer pour pouvoir aider le plus de personnes possibles, déclara-t-elle tranquillement, puis repoussa une mèche noire qui pendait devant ses yeux.
— J'ai hâte de le revoir. On détient encore le record de bêtises ?
— Ce record n'est pas prêt d'être brisé ! Vous en avez fait des milliers. En plus, on a de plus en plus de restrictions de liberté. Vous étiez menacés d'aider à la cueillette, maintenant c'est la prison que tu risquerais, voir pire...
— Thalya ! la gronda Daya. Essaie de contrôler ta langue. Ça va te jouer de mauvais tours, un jour.
Thalya se renfonça dans le divan et croisa les bras, une lueur de rébellion dans ses yeux verts. Mika éclata de rire, à la plus grande perplexité de ses hôtesses. Elle n'avait pas tant changé, finalement. Le filet de peau brûlée qui parcourait le haut de la gorge jusqu'à l'oreille lui donnait un air plus mature, plus sage, qui l'avait mené sur des hypothèses bien branlantes concernant les événements qu'il avait ratés.
— D'où te vient cette cicatrice, Tal ? Tu as essayé de cuisiner quelque chose ?
Il fut interrompu par un grincement. Des pas s'approchaient du salon. Il interrogea du regard Daya, qui s'était relevée, tendue. Thalya se leva immédiatement et chercha quelque chose du regard.
— Nom d'une patate rôtie ! Pourquoi ai-je laissé cette stupide épée chez moi ? grogna-t-elle pour elle-même.
L'ouverture violente de la porte ne fit que confirmer leurs soupçons. Un jeune soldat aux cheveux noirs surgit dans la pièce. Il ne devait pas être beaucoup plus âgé que Thalya. Il releva ses petites lunettes rectangulaires sur son nez et pointa son épée sur Mika. Celui-ci ne cligna pas des yeux et fronça les sourcils. Probablement un soldat un peu trop zélé qui ne possédait pas beaucoup de cervelle.
— Monsieur, vous êtes en état d'arrestation !
Ils le dévisagèrent, sous le choc. Mika repoussa la lame du doigt.
— Vous savez compter – il remarqua l'insigne dorée sur sa poitrine – soldat Tapfer ? Nous sommes trois et, à moins que je n'aie besoin de lunettes, vous êtes seul.
— Quatre, rectifia Verince en sortant de la cuisine avec une poêle, à la plus grande surprise de Mika.
Une goutte de sueur coula sur le front de Tapfer. Il ne devait pas avoir l'habitude de l'insubordination.
— Je... J'ai alerté la garde. Elle arrivera bientôt, affirma le soldat. Vous... vous n'allez pas vous rendre ?
Il ressemblait à un de ces fils de riches qui avaient tenu à sortir des terrains complètement conquis pour récolter de la gloire et espéré être mieux intégrés auprès de l'élite. Pitoyable.
Mika réfléchit à une bonne solution, en vain. Ce Tapfer allait tout faire échouer. Il posa la main sur son épée mais un geste de Daya le fit changer d'avis.
La femme se leva et s'approcha du soldat. Elle souriait d'un air bienveillant et contourna la petite table qui les séparait.
— Rasseyez-vous, madame, ordonna le jeune homme d'un ton sec.
Daya lui prit les épaules par derrière. Ses longs cheveux noirs chatouillèrent la nuque du soldat.
— Je préférerais que vous alliez vous asseoir, lui chuchota-t-elle dans l'oreille.
Le jeune homme chuta sur le sol sous le regard stupéfait de Mika, comme si ses jambes ne le tenaient plus. Daya attrapa sa tête d'un geste brusque et murmura quelques mots. Ses Moïras s'illuminèrent aussitôt et se tortillèrent autour de ses avant-bras. Une mince ligne de lumière se dégagea de ses mains et formèrent des signes sur le front du soldat.
— Ta mission a été vaine, clama-t-elle, tu n'as ni retrouvé l'Etranger ni découvert son identité. Tu as décidé de revenir là où on t'attend.
— Là où on m'attend, répéta Tapfer, les yeux vides.
— Oui.
Daya se laissa tomber sur un gros coussin, tremblante. Elle enleva les mèches noires collée par la fatigue et caressa son gros ventre. Tapfer resta immobile, puis sortit de la pièce d'un pas automatique.
— Daya... Vous êtes... gradée ?
— En théorie, oui. En pratique, pas tout à fait.
Mika haussa un sourcil.
— Daya n'arrive plus à dévoiler sa perle depuis qu'elle est enceinte, l'informa Thalya avant de suivre le soldat. Je vais m'assurer qu'il ne sorte pas trop rapidement de son état comateux.
Un silence compact s'installa, seulement dérangé par la respiration sifflante de Daya.
— Vous savez manipuler les souvenirs, réalisa Mika. Ce n'est pas trop dur de perdre ses pouvoirs ?
Daya se tourna vers lui en souriant, sa main posée sur son ventre.
— Je ne les ai pas vraiment perdus. Ils se sont justes amenuisés. Tu sais, les pouvoirs ne sont rien par rapport à un rêve qui se réalise.
Note de la Créatrice
Et un nouveau chapitre, un !
Quel est votre avis ?
Vous le trouvez comment, ce Mika, qui semble avoir tenu une si grande place dans le cœur de Thalya, petite ? Il est déjà apparu dans le premier chapitre, souvenez-vous !
Que feriez-vous si vous aviez une perle semblable à celle de Daya ? ;-)
Elly.
A dimanche, normalement !
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