Chapitre 3.1


Deux larmes tombèrent sur le papier, seul signe de l'agitation intérieure de leur propriétaire. Elles coulaient le long des lettres rondes, répartissaient l'encre en de grosses tâches illisibles. Thalya chiffonna la feuille et la jeta par terre avec colère, ce qui fit sursauter le petit écureuil qui mâchait avec application une noisette à côté d'elle.

Thalya,

J'ai découvert que ma mère cachait un détecteur dans l'une des cavernes secrètes du manoir. Ils cherchent les gradés. N'utilise plus ta perle, sinon ils te tomberont dessus. Amara

Elle savait que ça allait arriver, un jour ou l'autre, mais pas si tôt. Dans quelques années, dans une dizaine d'années, même !

Heureusement qu'Amara avait pu la prévenir. Le goût amer de la déception envahit sa gorge. Une page de sa vie se tournait. Définitivement.

— Qu'est-ce qu'il avait dedans, grande sœur ? Tu es triste ? Tu pleures ? Mais répooonnd !

Ce que Lory pouvait l'énerver, parfois. Assises sur les marches de l'Ecole, elles observaient l'allée fleurie qui menait au portail d'un air vide. Thalya lui tendit la feuille et se releva. Sa longue tresse fouetta l'air.

— N'oublie pas de le détruire, après. Tu peux même le manger, si tu veux. On ne le retrouvera plus dans ton système digestif.

L'image de l'écureuil à côté d'elle s'estompa pour faire apparaître la maigre silhouette de Lory. Thalya s'étonnait toujours de la facilité dont sa sœur témoignait pour se transformer en ce petit rongeur. La petite fille ne faisait pas partie du cercle restreint des gradés mais se révélait bien plus puissante que la plupart des autres possesseurs de talna. Ceux-ci, au contraire des gradés qui pouvaient s'approprier le courant magique environnant à travers leurs perles, ne pouvaient compter que sur l'énergie du Flux qui pulsait en eux. Ainsi, alors que Thalya en possédait une réserve quasi illimitée, Lory ne se fiait qu'à son propre corps.

La petite attrapa le papier que tenait Thalya et fit mine de le lire.

— Ne me dis pas que tu ne l'as pas déjà lu en chemin. Je ne te croirais pas, soupira Thalya, le dos tourné vers Lory.

La petite reposa la feuille et rougit.

— C'est moi qui suis allée chercher le message ! Je ne peux pas résister à la tentation... Et les écureuils ne mangent pas le papier, marmonna-t-elle.

— Tu arriveras à sortir d'ici toute seule ?

L'Ecole était fermée depuis quelques années déjà. Avec la guerre, les professeurs avaient quitté Istaldel pour apporter leur soutien à la capitale ; Vyadel. L'énorme bibliothèque dont les Istaldeléens étaient jadis si fière avait été rapatriée elle aussi. L'essence même de l'Ecole avait été enlevée par le conflit et avait fermé ses portes, fautes de moyens. L'établissement était laissé à l'abandon. Personne n'aimait revenir dans cet endroit considéré maudit, qui faisait jadis la fierté de la ville.

La mousse envahissait les murs de pierre, la mauvaise herbe régnait en maître dans le parc. Le portail lui-même était devenu impraticable à cause de la rouille. Thalya se sentait pourtant bien dans cet endroit, petite île silencieuse au milieu de la ville.

— Je connais le passage, rétorqua Lory, vexée. Et puis, je suis rentrée toute seule.

— C'est plus facile d'entrer que de sortir, remarqua Thalya, puis se mit à marcher vers les murs qui encerclaient le vieux bâtiment.

Sa sœur la suivit en trottinant.

— Tu ne peux pas me laisser seule, un moment ? grogna Thalya sans se retourner.

Un sourire lumineux illumina le visage encadré de bouclettes.

— Non.

— Bon sang, Lory. Laisse-moi tranquille !

Thalya avait besoin de faire le point et en avait marre d'avoir une sœur en manque d'attention dans ses pattes.

— Mais pourquoi es-tu si méchante avec moi ! Je veux juste être avec toi, moi !

La voix criarde transperçait les oreilles sensibles de Thalya, qui sentait l'impatience bouillonner en elle.

— Mais pars d'ici ! s'exclama la jeune fille, irritée. Va étudier les livres que Daya t'a donné, je suis occupée, moi !

Lory fronça les sourcils et prit une mine boudeuse. Une idée illumina soudain ses yeux mordorés. Elle se mit à crier de toutes ses forces. Thalya frémit quand le son, beaucoup trop strident et aigu, atteignit ses tympans. Ses mains se fermèrent immédiatement sur ses oreilles.

— Mais arrête ça, tu es folle ? rugit-elle, le visage tiré en une grimace de douleur.

— Je n'arrêterais que si tu acceptes que je vienne avec toi, répliqua Lory avec un sourire angélique.

— Tu ne sais vraiment rien faire d'autre de ta vie que de faire chanter les autres ? Tu vas t'attirer des problèmes, plus tard !

À ses mots remplis de venin, les yeux de sa petite sœur s'embuèrent de larmes amères, avant qu'elle ne se remette à crier.

— Bon, d'accord, viens avec moi si ça te chante ! Mais boucle-là !

Thalya frotta sa cicatrice, énervée, et monta sur un arbre. Elle avança les bras écartés sur l'une des branches, puis sauta sur le muret. Lory l'observa d'un air méchant, puis se transforma pour disparaître dans un trou du mur qui encerclait la propriété.

— Tout ça pour ça, soupira Thalya, contrariée.

L'Ecole était un peu en amont par rapport à la ville entière, ce qui permettait à la jeune fille d'observer l'horizon. Les rayons du soleil couchant s'éparpillaient dans la brume montante. Elle ferait mieux d'y aller.

Après être sautée du mur, elle arpenta les rues du Quart II pour rentrer chez elle. Elle remâchait les mots de la dispute et isolait tous les points qui montraient que Lory avait eu tort de réagir de la sorte. Ainsiabsorbée par ses pensées, elle remarquait à peine l'agitation autour d'elle.

Les quelques marchands rangeaient leurs étals en bavardant, les passants hâtaient le pas pour rentrer avant la brume. Thalya n'avait pas vraiment envie de retourner tout de suite chez elle et décida de rendre visite à Daya et Verince.

Arrivée sur l'une des places principales, elle remarqua qu'un petit attroupement s'était formé autour de trois personnes. Elle discerna la silhouette de Crystal en s'approchant et accéléra la cadence, inquiète pour son amie.

La pauvre semblait s'être à nouveau enfoncée dans les ennuis. Un soldat, aisément reconnaissable à la fleur de lys dessinée sur son veston de cuir, la tenait d'une poigne forte contre lui. Un de ses compagnons faisait des moulinets avec son épée devant la foule. Son nez rouge trahissait un certain niveau d'ivresse.

— Inutile de vous inquiéter, mesdames et messieurs ! beuglait-il. On ne blessera pas cette charmante jeune dame ! Allez ! Dégagez le passage ! Vous ne voulez pas finir en prison ?

Les traits tirés, Thalya se fraya un passage. Quelle idiotie de ne pas avoir pris son arme avec elle ! La jeune fille ne s'en séparait pas souvent et regrettait amèrement d'avoir fait une exception.

— Ces soldats à la noix !

Depuis que l'armée du Conseil avait passé la frontière, son influence se faisait de plus en plus forte et ses garnisons s'autorisaient de plus en plus de choses. Il n'était pas rare de les voir agresser des personnes plus faibles, après une beuverie trop importante. Thalya n'avait pas encore réagi, de peur d'attirer l'attention des soldats sur elle. Rien qu'à cette pensée, son cœur accéléra sa cadence et les Voix montaient dans sa tête.

Les passants, déjà rare à cause du brouillard qui arrivait, se dispersaient sous la menace du soldat.

Crystal tremblait. La beauté fragile de la jeune fille ne lui causait que des soucis. De longs cheveux blonds encadraient un visage gracieux, prolongé par un corps mince et bien proportionné. Ses yeux vert clair, toujours maquillés avec soin, attiraient les hommes comme des mouches.

Des mouches qui allaient finir par avoir sa peau. Crystal ne se débattait pas, de la résignation se lisait dans son visage. Elle est comme un oiseau de verre, pensa Thalya, rare mais fragile. La belle jeune fille n'avait jamais pu participer au Festival des Brumes à cause de sa santé défaillante et était devenue une proie facile en ces temps sombres.

En reconnaissant le visage du soldat qui tenait Crystal, Thalya comprit pourquoi personne ne venait à l'aide de la jeune fille. Le commandant Xav venait de s'installer, mais sa réputation n'avait pas tardé à se faire connaître. Violent et impulsif, il avait déjà incarcéré un certain nombre de personne pour des causes incongrues comme « a ri sur mon passage ».

Thalya l'évitait, lui et sa moustache huileuse, comme la peste, même si elle se savait quelque peu protégée par son titre. Elle tourna dans ses doigts son petit dé pour la calmer. Il fallait qu'elle sauve Crystal sans qu'il ne la remarque.

Les gens murmuraient des paroles de désapprobation mais fixaient le sol. Elle en reconnaissait quelques un. Personne ne l'aiderait. Cette pensée lui fit grincer des dents.

Xav secoua Crystal et s'engagea dans une ruelle. Il fallait qu'elle réagisse maintenant. Ou jamais. Les Voix lui murmuraient les conséquences possibles de cet acte. Mais Thalya ne pouvait pas laisser cet homme dicter les lois dans son Quart !

— Ne partez pas si vite mon brave, interpela une voix.

Thalya se retourna, sur ses gardes. Intriguée. Un homme s'avançait calmement vers eux, tel un démon sorti des abysses. Une lourde cape flottait derrière lui, qui cachait son visage dans l'ombre. Une nuée de poussière s'élevait à chacun de ses pas. Il tira son épée au clair et désarma le soldat aviné en un coup.

Thalya recula d'un pas, impressionnée. Des murmures s'élevèrent.

Qui est-ce ?

— Un étranger. Ça fait longtemps qu'on n'en a pas vu, par ici.

L'inconnu leva son épée une nouvelle fois et frappa la main du Commandant du plat de la lame. Assez fort pour que Xav lâche Crystal en jurant.

— Maintenant, je vous prie de partir. Vous avez assez abusé de vos fonctions, soldat, articula l'homme à la cape, puis menaça les deux hommes de la pointe de son arme.

Le Commandant sembla se ressaisir, souffla dans une corne qu'il portait à sa ceinture et cria :

— LA GARDE ! RASSEMBLEMENT !

Sa voix portait loin et des soldats envahirent rapidement la place. Ils semblaient venir de partout, comme des fourmis accourues pour sauver leur reine. L'étranger chuchota quelques mots dans l'oreille de Crystal, qui hocha de la tête et s'écarta. Il se mit en position de combat.

Valeureux, mais stupide, pensa Thalya. L'excitation grignotait son corps entier.

L'inconnu sursauta lorsqu'elle lui attrapa le poignet et baissa la tête. Elle ne pouvait toujours pas voir son visage mais ne se démonta pas.

— Venez, messire. Vous pouvez encore fuir. Suivez-moi.

Elle eut un instant peur qu'il ne l'écoute pas, mais l'étranger réagit immédiatement. Elle commença à courir, sans le lâcher. Il fit quelques pas, puis s'arrêta brusquement. Thalya trébucha, puis rétablit son équilibre dans un souffle. Un claquement de tissu retentit. La jeune fille se retourna, juste à temps pour voir l'homme rabaisser sa capuche. Elle entendit le hoquet stupéfait d'une femme face au visage de l'inconnu.

Elle-même n'avait pas eu le temps de le discerner mais avait autre chose à faire. Elle le tira. Un sentiment d'urgence dopait ses facultés physiques. Ils s'enfoncèrent dans un dédale de ruelle, suivis d'une troupe de soldat.

Mais ils ne connaissaient pas aussi bien Istaldel qu'elle. Trop dommage pour eux, ironisa-t-elle pour soi-même. Sa respiration se transformait en buée, dans la nuit froide qui tombait, et se mélangeait au brouillard. Il serait un allié, cette fois. Elle s'aida de sa perle pour percevoir les vibrations du martèlement des souliers qui les poursuivaient. Tant qu'elle ne se dévoilait pas sur ses Moïras, elle ne causerait pas de grosse altération dans le Flux, vu qu'elle ne puiserait que dans les réserves de la jeune fille.

Thalya jura entre ses dents. Ils étaient toujours sur leurs traces.

Elle ferma les yeux, devenus inutiles dans cette purée de pois et pressa la main de l'inconnu pour le mener près d'une échelle, qui montait sur la muraille. L'accès aux remparts était formellement interdit en cas de brouillard, mais Thalya jugea que c'était une occasion exceptionnelle.

— Montez en premier. Je vous suis. Mais faites attention ! En haut, ça glisse.

Il lui obéit sans hésitations et attrapa la corde de l'échelle. Thalya posa la main sur le sol. Les semelles de ses chaussures rendaient la perception trop floue.

— Par l'Enchanteresse Suprême, ils sont déterminés ! s'écria-t-elle avant de monter à son tour.

Une fois en haut, elle guida l'étranger jusqu'à la prochaine sortie. Ils progressaient lentement mais avec efficacité. L'inconnu avançait derrière elle sans se plaindre. La jeune fille vérifia une nouvelle fois l'avancée des soldats. Un entamait l'ascension. Elle grommela. De toute façon, ils ne les verraient pas. Une chape de brouillard incroyablement dense s'était à nouveau abattue sur Istaldel. Elle désigna du doigt une sortie, puis tapota l'épaule de l'étranger en constatant qu'il ne la voyait plus très bien. Ils s'y engagèrent sans un mot.

Une fois en bas, elle l'amena jusqu'au perron de chez Daya, qui n'habitait qu'au coin de la rue. Elle avait réussi. Elle toqua une fois, après avoir remarqué que l'entrée était fermée à clé. La porte s'ouvrit et elle franchit le seuil, encourageant l'étranger à faire de même.

— Thalya ! Où étais-tu passée ? Il s'est passé un truc énorme sur la place des Ziees. On m'a dit que t'y était, s'exclama Verince, puis s'arrêta. Qui as-tu amenée ?

— On dirait que tu connais toute l'histoire, donc pas besoin de t'expliquer, si ? répliqua Thalya avec une pointe d'acidité, fatiguée.

Verince referma la porte et regarda l'inconnu avec animosité.

— D'ailleurs on racontedéjà pas mal d'histoire sur lui. Je suis donc curieux de savoir. Quies-tu ?


Publié le 14.10.18


Note de la Créatrice


Et un nouveau chapitre à l'heure !

Comment l'avez-vous trouvé ?

La relation entre les deux sœurs est pour le moins électrique, non ? Vous reconnaissez-vous dans la dispute ? ;-)

Avez-vous des frères et/ou sœurs ? Vous vous entendez bien ?

Je suis curieuse de voir si je suis la seule qui peut commencer une énorme dispute à cause d'une broutille avec sa sœur. xD

Qui est donc ce mystérieux étranger, quelle place prendra-t-il dans l'histoire d'après vous ?

J'ai besoin de votre aide, lesquels de ces mots vous posent encore des problèmes à ce stade de la lecture:

Gradé, Talna, Perle, Conseil, Moïras, Trylme, Quart, ou d'autres qui vous viendraient à l'esprit.


Le Pouvoir des Perles a atteint 4220 vues !! C'est énorme ! Avec plus de 600 petites étoiles ! Je suis si heureuse ! Merci pour  votre lecture et surtout pour tous vos  commentaires qui me font rire et réfléchir !



P.S Vous préférez le prénom Bat, ou Vérince ? A moins que vous n'ayez  une autre idée...

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