Chapitre 20.2

— Je ne me suis pas encore présenté, Thalya Esteyal. Je m'appelle Néo.

La jeune fille sursauta, repositionna son fourreau, puis se retourna avec lenteur, les muscles tendus. Le jeune homme qui les avait accueillis se tenait au milieu du pont, les bras derrière le dos. Son ample tunique claire flottait autour de lui, floutait sa silhouette alors que sa frange sombre se disloquait sous la brise, révélant un visage serein, aux traits graciles, presque enfantins.

— Que me vaut l'honneur de votre visite ? s'enquit-il avec un ton posé.

D'un coup, l'air s'assoupit, le navire ralentit. Une sueur froide glissa dans le dos de la Championne.

— Où sont mes amis ?

— En sécurité, pour l'instant.

Le cœur de Thalya s'échappa de son rythme habituel. Un instant seulement. Rassurée par sa respiration régulière, elle s'adossa au bastingage avec une décontraction peu naturelle.

— Vous vous imaginez bien que je ne vous crois pas sur parole ?

Néo acquiesça et un homme à la gigantesque carrure à la peau de bronze sortit d'un recoin, une Amelya inconsciente maintenue devant lui. Thalya soupira, prépara sa posture mentalement. Pourquoi est-ce que tout ne pouvait pas juste se passer comme prévu ? Le jeune homme ne la quittait pas du regard, quasiment immobile.

— Excusez-nous du traitement peu... amical. Il faut comprendre qu'on tient à notre sécurité et que la force représentée n'est pas à négliger. Même s'il est vrai que les pouvoirs du fameux Corbeau Noir à lui tout seul sont embêtants. Mais on pouvait difficilement le neutraliser tout en ayant une petite discussion avec vous, n'est-ce-pas ?

Comment était-il au courant ? Au lieu de la figer dans son élan, la révélation envoya une décharge dans son corps, l'engageant à agir sur-le-champ. Ni une ni deux, elle avait tourné son poignet, prit appui dessus et s'était lancée par-dessus la rambarde. Mieux valait choisir le terrain de leur confrontation.

L'eau se révéla plus froide qu'elle avait prévu. Après avoir laissé ses paupières et ses poumons s'acclimater, la jeune fille s'enfonça vers la coque du bateau, à la recherche d'un hublot par lequel s'infiltrer.

Sur le pont, Néo cligna des yeux, à peine surpris.

— Il faut croire que j'ai sous-estimé mes sous-estimations, murmura-t-il avant d'élever la voix. Préparez-vous à une attaque ! Rassemblez les otages et tenez-les à l'œil !

Ulyss s'approcha de lui, à petit pas, et se gratta le crâne.

— Sur une échelle de dangerosité de 1 à 10, elle est où ? s'interrogea-t-il.

— Ça dépend.

Le garçon commença à jongler avec ses poignards, faillit s'entailler la main lorsqu'une houle plus forte que les autres secoua l'embarcation. Avec Néo, cela ne servait à rien de pousser, il suffisait d'attendre.

— Si elle est vraiment gradée, notre plus grand problème est qu'elle dévoile sa perle. La fluctuation devrait se perdre dans le Flux environnant, on est quand même au milieu du lac, mais si elle insiste, les Détecteurs vont finir par nous déceler.

— L'oiseau Noir, là, il est pas censé avoir les quatre perles eltariennes ? Dont l'eau ? J'te rappelle quand même que je ne sais pas nager, moi.

Son Ange, comme il aimait l'appeler, quitta enfin le point fixe où s'était trouvée la jeune fille pour lui sourire avec bienveillance. Les épaules d'Ulyss se détendirent.

— Cette fille tient plus à ses camarades qu'elle ne le montrait. Je crois.

— Et si tu te trompes ?

— Ne t'inquiète pas, la noyade est une mort totalement sous-cotée.

***

Thalya avait attendu un instant, puis s'était hissée grâce à une colonne d'eau au niveau d'un des hublots émergés, avait éclaté le verre avec la poignée de son arme et s'était laissée tombée dans une cabine non occupée, à bout de souffle, au bord l'évanouissement.

Le mouvement seul de la vague qui l'avait apportée à cette hauteur avait suffi à dévaliser le peu d'énergie fluxienne qui lui restait et elle combattait l'instinct qui la poussait à révéler sa perle. Sa respiration se faisait de plus en plus saccadée. La sensation de manque brûlait dans ses veines.

Echouée sur le sol et complètement trempée, la jeune fille récupéra pendant de longues minutes, guettant les pas qui passaient et repassaient devant la porte. Quand la rigidité de ses membres s'amenuisa enfin, elle inspecta la salle où elle se trouvait. Une armature métallique destinée à accueillir un matelas, une armoire en face. Rien d'intéressant.

Thalya entrouvrit la porte. Personne dans le sombre couloir. Personne en vue, du moins. Le fichu navire étant essentiellement composé de bois et de trylme, les deux matières avec lesquelles elle possédait le moins d'affinité, son sixième sens se révélait particulièrement inutile.

La jeune fille avança à tâtons, peu sûre d'elle. Aucun plan génial n'était encore apparu dans son esprit et l'avantage numérique ne jouerait pas pour elle. L'idéal serait de pouvoir en attraper un pour le prendre en otage. De préférence un des supérieurs hiérarchiques. Comme pour répondre à son vœu, une voix mélodieuse retentit derrière elle. Elle fit volte-face.

— Deux surprises en moins d'une heure, j'appelle ça battre les records, Thalya Esteyal. Les probabilités que vous vous trouviez ici me paraissaient presque négligeables.

Le visage de Néo s'effaçait dans les ombres de la charpente. La Championne rectifia sa prise sur son sabre et fonça vers lui. Le jeune homme ne bougea d'abord pas, puis, à la vitesse du serpent, sortit sa propre lame du fourreau et contra le coup.

Il n'avait sans doute sous-estimé la violence de celui, car il perdit sa contenance et fit un pas en arrière.

— Je crois que tout cela part d'un malentendu, souffla-t-il. Je ne vous souhaite aucun mal.

La Championne s'était retirée, surprise par la rapidité de son adversaire.

— C'est possible, convint-elle après avoir considéré ses propos et remarqué qu'il ne contre-attaquait pas. Relâchez mes amis, alors.

— Cela n'est malheureus...

Une nouvelle attaque, qu'il ne dévia que de justesse, l'interrompit. La vague de feintes et de tranchants que la jeune fille lui opposa sembla l'étonner, mais il semblait plus habitué qu'elle au combat dans des lieux confinés et aucun des deux ne prit l'avantage pendant de longues minutes. Thalya le toucha à la jambe tandis que lui réussit à imprimer une longue estafilade sur sa joue.

— Abandonnez, siffla-t-elle. Votre tentative de domination me semble un peu ratée, de toute manière. Parlons d'égal à égal, et qu'on en finisse !

Néo abaissa son arme.

— Il suffirait que j'appelle mes camarades, et vous êtes encerclée.

— Il me suffirait d'un geste pour trouer ce fichu navire de part en part.

— Vous acceptez donc le fait que vous êtes le Corbeau Noir ?

Thalya ne répondit pas, agrippa son épée à deux mains. Elésir, que ses doubles-sabres lui manquaient ! Si elle avait engagé le combat avec eux, sur le tillac... Amelya se serait peut-être faite égorgée. Mauvaise idée. Mais au moins, elle ne serait pas en train de goutter de partout, comme un chien qui aurait oublié de s'ébrouer. Et cette sensation de brûlure à l'épaule qui ne cessait de s'accentuer...

Néo, rengaina sa longue lame d'un mouvement fluide, s'inclina de deux centimètres et l'invita d'un signe de main à le suivre.

— Je crois qu'il est inutile de s'attarder ici. La soie n'aime pas l'humidité et l'inondation de notre embarcation abîmerait grandement mon kimono. C'est mon préféré, vous savez ?

Indécise, Thalya finit par baisser la garde et ouvrit la bouche pour parler.

— Je vais demander à ce que l'un de vos amis vous rejoigne, la précéda Néo, une ombre dansante à la commissure des lèvres, avant de tourner les talons et de s'engager dans une volée d'escalier qui descendait dans les tréfonds du bateau.

Thalya hésita un instant, soupira, puis dévala les marches à son tour. Le bois grinçait sous ses pas, comme pour l'avertir d'un sombre présage tandis que l'écho de sa propre respiration se fermait sur elle au fur et à mesure de son avancée dans l'étroit boyau. Le jeune émissaire la conduisit jusqu'à un bureau aux plafonds étonnamment élevés et tapissé d'un bois sombre qu'elle n'avait jamais vu auparavant.

Quelques Sijites se baladaient avec lenteur dans les airs sous la force d'un vent imperceptible et recouvraient les objets tour à tour d'ombre et de lumière. Leurs formes, pourtant peu nombreuses, avalaient l'espace et tendaient des griffes sinueuses vers le secrétaire planté au milieu de la pièce. Néo s'y installa.

— Vous pouvez prendre une chaise, Esteyal, proposa-t-il en soufflant avec attention sur sa frange noire.

Thalya l'ignora délibérément, s'approcha d'une étagère et se mit à observer avec curiosité les babioles qui s'étalaient sur les étagères. Fascinés, ses doigts s'emparèrent de l'aiguille d'une curieuse horloge en métal, parcoururent les fins lacis creusés avec détails.

— Attention, c'est fragile, commenta Néo, l'air légèrement soucieux.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda la Championne avant de s'en détourner avec regret et de s'adosser à une armoire plus stable, les bras croisés.

— Un astrolabe. Mais revenons à nos moutons. Dans votre lettre, vous nous avez parlé de précieux documents. Vu votre plongeon... spontané, j'imagine que vous ne les avez pas sur vous ?

— Vous n'oublieriez pas quelque chose ? s'enquit-elle en une grimace de politesse.

— Je n'oublie jamais rien. Ce n'est d'ailleurs pas une capacité fort enviable, je vous l'avoue. Elk, tu peux entrer avec la fille !

Thalya fronça les sourcils, puis se jeta en arrière lorsque la porte d'entrée s'ouvrit sur le colosse qu'elle avait entraperçut sur le pont, Amelya fermement arrimée devant lui.

— Je peux marcher seule, merci bien, siffla-t-elle avant de remarquer la présence songeuse de son amie. Thalya, Elésir soit louée, tu n'as rien ?

La Championne, amusée par le ton maternel de la jeune fille, la rassura d'un sourire.

— Je me porte comme un charme. Ce cher Néo n'est pas un hôte particulièrement agréable, mais je m'adapte. Et de ton côté, les autres vont bien ?

Amelya tressaillit à l'énoncé du prénom de l'émissaire, tourna un regard sidéré vers le bureau et inclina avec lenteur et respect la tête vers lui. Le claquement de langue agacé de Thalya parut la ramener avec efficacité dans la réalité.

— Non, ils n'ont rien, murmura-t-elle enfin, les yeux rivés au sol. Enfin, Mika se plaint d'un mal de tête particulièrement perçant, mais...

La frange de Néo s'envola dans un lourd soupir. La jeune fille se tut. Il releva la tête vers elle, l'air étonné.

— Navré de vous avoir coupé, mademoiselle, glissa-t-il avec un léger rire qui ne se trahissait pas sur son visage. Il ne faut pas vous laisser impressionner par les histoires colportées sur mon compte, peu reflètent la vérité. Bien, si vous n'avez plus rien à dire, vous pouvez disposer, tous les deux.





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