Chapitre 2.3


Ploc.

Amara ramena ses draps sur elle, recroquevillée dans son lit. Il faisait froid. Avait-elle oublié de fermer la fenêtre ? Qu'importe, qu'on la laisse dormir.

Ploc.

La jeune fille grogna et s'enfonça un peu plus dans son matelas moelleux. Ce bruit contre la fenêtre était probablement le fruit de son imagination. Pas question qu'elle se lève.

Ploc, paf.

Un objet roula devant son lit. Elle étouffa un cri de rage et se redressa si vite que des petits points lumineux dansèrent devant ses yeux, rouges de fatigue. Si c'était Thalya qui venait proposer une promenade nocturne... Elle ramassa le petit caillou qui l'avait réveillée sur le chemin et s'aventura sur le balcon. La pierre froide lui blessait les pieds et l'air gelé gifla son visage. L'esprit embourbé par le sommeil, elle prit quelques secondes pour mettre un nom sur la personne assez stupide pour la réveiller en pleine nuit.

— Brandon ? Mais que faites-vous là ?

L'homme fit une courbette et lui cria :

— Mademoiselle Amaryllis ! Que vous me semblez belle par cette nuit étoilée ! Je ne pouvais point dormir après cette soirée mouvementée et le clair de lune m'a inspiré une balade ! Voulez-vous l'entendre ?

Amara le regarda abasourdie. Il interpréta son silence pour un oui et gratta une corde de sa lyre. Un flot de jurons et de réponses peu diplomatiques traversa son esprit et elle eut du mal à ne pas le tuer sur place avec un ou deux couteaux bien placés. Son éducation l'en empêcha et elle tourna les talons en claquant la porte du balcon. Non sans lui avoir jeté les cailloux à la figure.

— Quel imbécile.

Elle se rejeta lourdement sur le lit. Une faible mélodie qui réussissait à passer la vitre la fit grincer des dents. Elle allait exterminer ce benêt, le lendemain. À chaque fausse note surgissait une nouvelle forme de torture dans sa tête. Il allait arrêter, oui ?

Après une éternité, la musique cessa. Amara se détendit un instant. Un instant seulement, car des voix dans le couloir la sortirent de sa torpeur.

Mère ?

Elle s'approcha sur la pointe des pieds de la porte.

— Ma bien-aimée, où en sont les préparatifs ?

Amara reconnaissait cette voix mais n'arrivait pas à mettre de nom dessus. Un de ses prétendants ?

— Nous y sommes bientôt, mon cher, bientôt. Personne ne s'est rendu compte de rien, même pas mes enfants. Comme tu le souhaitais.

— Quand sera-t-elle en fonction ?

Les voix se turent. Un bruissement de tissu. Amara se figea.

— Mais que je suis maladroite, excuse-moi. Je le ramasse. Voilà.

Ils s'éloignèrent lentement. Amara retint son souffle et discerna une dernière phrase.

— Je peux te la montrer, si tu veux. Tu le constateras par toi-même.

Amara attrapa la poignée d'un geste convulsif. Quels préparatifs ? Elle ouvrit la porte. Juste à temps pour les voir emprunter les escaliers qui menaient au hall d'entrée. Elle pouvait encore retourner dans son lit douillet, bien au chaud, et profiter d'une bonne nuit de sommeil.

Une sonnette d'alarme retentit dans sa tête. Elle attrapa le poignard qu'Alexey lui avait offert, caché sous un oreiller, et se lança à la poursuite de sa mère. Elle dévala les deux étages, tout en priant pour ne pas tomber sur quelqu'un.

Malgré l'heure tardive, de nombreuses Sijites illuminaient les couloirs. Heureusement pour Amara, la moquette absorbait le bruit de ses pieds nus sur le sol. Arrivée dans la salle de bal, elle s'arrêta. Où étaient-ils passés ? Elle aurait juré avoir entendu leurs pas jusqu'ici.

L'énorme salle, qui, il y avait quelques heures, résonnait encore des festivités, semblait maudire l'intruse de pénétrer dans son silence. Amara s'avança avec précaution et l'impression tenace que des ombres l'observaient.

Bam.

Un des rideaux de velours bougeait. Amara s'approcha du mouvement, les tempes battantes. Son cœur cognait fort dans sa poitrine, comme les tambours lors du Festival des Brumes.

Bam. Badam.

Elle tendit la main vers le tissu et...

— Aaaaah ! hurla-t-elle en reculant avec précipitation, ce qui la fit tomber.

Elle se protégea la tête de ses bras au moment où la silhouette lui tomba dessus. Une masse poilue miaula et la lécha avec délectation.

— Flocon ? Mais tu m'as fait peur, petite crétine ! s'exclama-t-elle tout en caressant son chat.

Ses doigts parcouraient la fourrure soyeuse quand elle entendit un grincement. Une trappe s'était soulevée sur le côté de la salle. Amara se releva, Flocon dans les bras. Elle devait se cacher. Tout de suite.

Elle scruta tous les recoins, paniquée, puis se dissimula derrière le rideau. Elle se ferait repérer tout de suite dans la lumière du jour, mais les ombres, qui lui avaient parues menaçantes avant, la protégeaient des regards.

La tête de l'homme qui accompagnait sa mère se profila dans la pénombre. Il regarda autour de lui avant de disparaître.

— J'étais pourtant sûr d'avoir entendu quelque chose. Mais il n'y a qu'un chat.

— Tu es trop paranoïaque, Xav. Tu n'es plus au Manoir d'Estrilgar. Les comploteurs ne sont pas partout, ici.

La lourde trappe se referma dans un bruit sourd. Amara essaya de calmer sa respiration affolée et attendit quelques minutes avant de sortir de sa cachette.

La jeune fille s'approcha de la trappe. Grande, elle se fondait parfaitement dans le parquet. Néanmoins, un tapis devait la recouvrir la plupart du temps. Amara ne savait pas que sa mère connaissait l'existence de ce passage. Elle-même ne l'utilisait jamais, mais l'avait découvert avec l'aide de Thalya quand elles étaient petites.

Son amie avait sollicité sa perle Terra pour localiser tous les passages secrets qui sillonnaient dans le manoir. Tous étaient plus ou moins reliés les uns aux autres. Sauf celui-ci. Aucune des deux filles n'avait osé l'explorer, considérant que son entrée – et unique sortie – était trop exposée à la vue de tous.

Amara ravala sa salive et posa sa main sur l'anneau de fer. Si elle ne les suivait pas maintenant, elle ne saurait jamais ce qui se terrait dans les entrailles du manoir.

Mais le courage lui manquait. Ses membres tremblaient. Le secret de sa mère devait être suffisamment important pour qu'elle n'en révèle rien à Alexey. Elle savait ce que lui dirait Thalya.

« Bon, tu y vas ? Il ne va rien se passer de grave si tu te fais attraper de toute façon, non ? »

— Désolé, Thalya, je préfère dormir, murmura Amara en se redressant et en s'essuyant ses mains sur sa robe de nuit.

« Tu vas le regretter... Tous les jours, tu vas te demander ce qui se cache à l'intérieur. »

Amara laissa échapper un juron et attrapa l'anneau. Elle tira. À sa grande surprise, le morceau de sol se souleva instantanément. Elle descendit les marches de pierres grises et frissonna. Le passage était étroit. Et très bas de plafond.

Elle avait l'impression que de la boue s'infiltrait dans ses poumons, l'empêchait de respirer. Elle ferma les yeux. Tout irait bien. Les murs ne s'abattraient pas sur elle. Le plafond avait résisté à des centaines d'années d'intempérie. Il ne s'effondrerait pas sur elle.

La jeune fille alluma une petite flamme dans sa paume pour se rassurer et s'enfonça dans le couloir.

Elle progressait rapidement, tout en demeurant attentive à tout mouvement qui pourrait trahir la présence de sa mère. Le plafond devenait de plus en plus haut et elle finit par arriver devant une grande salle dont le plafond s'élevait en coupole.

D'immenses colonnes soutenaient la voûte, sculptées avec minutie. Amara crut d'abord à une reconstitution de l'Epopée d'Elésir, avant de remarquer que les petits personnages se tordaient de souffrance. Une mer de douleur et de désolation. L'Ere de Suie.

Elle se détourna des lugubres illustrations pour s'approcher de la machine qui se tenait au centre de la pièce. Elle était entièrement faite de trylme, le métal le plus précieux de l'An'kalara. Le seul doté une affinité au Flux.

Trylme. Cadeau des Feys, il était le composant principal des Moïras. Le seul moyen de révéler ses perles, de se servir du Flux. Chaque Sijite était également dépendante du trylme pour fonctionner. Un métal qui n'était jamais utilisé pour de si grands objets.

L'appareil ressemblait à un piano argenté. De longues lianes de métal s'enroulaient avec grâce autour de l'instrument. Il semblait si fragile... et dangereux tout à la fois.

Amara aurait voulu s'approcher mais sa mère et le prénommé Xav – un noble au service du Grand Conseil, elle le reconnaissait à présent - revenaient d'une pièce attenante.

— Ce détecteur est épatant, commenta Xav.

— Oui, il permet de repérer la moindre fluctuation du Flux à plus de cinq kilomètres à la ronde.

Ils s'approchèrent d'Amara, dissimulée derrière une des colonnes. Elle se figea.

— Les gradés qui utilisent leurs pouvoirs seront immédiatement repérés et capturés, avec ça. Je n'en avais jamais vu de si performant. Si précis, continua sa mère. Mais pourquoi ont-ils choisi de le mettre ici ? Il n'y jamais eu de coup d'éclat à Istaldel.

Xav caressa avec affection une boucle argentée avant de répondre.

— Des détecteurs beaucoup plus puissants, mais moins précis sont éparpillés un peu partout sur le territoire. Il semblerait qu'Istaldel soient une zone bleue. Le Flux révèle des taux anormalement hauts, ici. Il est très possible, même probable que plusieurs gradés se cachent parmi les Istaldéens.

Amara sentit son sang se glacer dans ses veines. Elle toucha ses Moïras par réflexe, puis se ressaisit avant de tomber par terre. Lentement. Sans un bruit. Ils savent.

— De plus, Istaldel est un formidable réservoir de recrutement, s'enthousiasma Xav. Les Istaldéens ont, grâce au Festival des Brumes, une forme physique hors du commun et bien au-dessus de la moyenne. C'est génial ! Donner le meilleur de soi est ici une tradition ! La Reine Yris n'aurait pas dû nous céder si facilement cette ville.

Cela expliquait tout. Le nombre de soldat qui avait doublé en quelques jours, le changement de groupe d'invités conviés aux réceptions de sa mère. La Reine les avait bel et bien laissé tomber.

— Si c'était si facile, c'est en grande partie grâce à moi, ne l'oublie pas, ronronna la comtesse dans l'oreille de Xav.

— Je ne l'oublie pas, ne t'inquiète pas, ma douce. Tu nous as permis de faire un sacré gain de temps, d'énergie et d'argent. Je l'ai bien écrit dans le rapport. Tu seras probablement récompensée, comme promis.

Amara ne voulait pas en entendre plus. Elle savait sa mère avide de pouvoir, mais à ce point ! Elle se retourna pour partir...

Pour se retrouver nez-à-nez avec Xav, qui la fixait. Des yeux de prédateur, pensa-t-elle.

— Eh bien qui voilà. Notre chère Amaryllis.

Amara sentit immédiatement les larmes venir aux yeux et ravala un sanglot. Elle connaissait son châtiment. Sa mère se mit aux côtés de Xav, les traits tendus en une moue déçue.

— Que fais-tu ici, Amaryllis ? Explique-toi.

— Je... J'étais... curieuse, balbutia la jeune fille en baissant la tête.

— Et donc ? tonna sa mère.

Amara se précipita sur les genoux en une supplique suprême. Elle ne voulait pas. Ne voulait pas. Des larmes coulaient librement sur sa joue.

— Mère, s'il vous plaît, pardonnez-moi, s'il vous plaît. Pitié !

La mère s'agenouilla au niveau de sa fille et lui murmura cruellement :

— Ça ne sert à rien, petite sotte ! Tu passeras par la Cage.



Note de la Créatrice

Bon... Il est minuit passé, mais on peut considérer que je l'ai quand même publié le dimanche... Non ?

Alors, alors... Voilà un nouveau chapitre riche en informations et en péripéties...

Comment l'avez-vous trouvé ?

Quelque chose qui vous a particulièrement marqué ? A part le fait que Brandon chante comme une casserole, bien sûr... ;-)


Est-ce qu'Amara a bien fait d'écouter la petite voix de Thalya ?

Qu'auriez-vous fait à sa place ?

En sachant qu'un lit chaud et moelleux vous attend ?

Ne mentez pas... ;-)


Mais maintenant, Amara va subir les conséquences de sa curiosité... que représente la fameuse Cage, selon vous ?

P.S On en parle déjà dans le prologue...


Ah, et comment trouvez-vous la nouvelle couverture ? Elle est génial, n'est-ce pas !

*yeux encore larmoyants et admiratifs*

C'est la talentueuse  @Azullyn qui l'a faites !


Merci pour tous vos commentaires et p'tites étoiles !

Elly.

Corrections publiées le 26.01.2019



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