Chapitre 19.2

Son poignet allait souffrir d'une tendinite si la chaleur ne tombait bientôt. Un éventail inefficace dans la main, Amara s'ennuyait mortellement. Et cuisait dans l'inconfortable corset que sa mère lui avait ordonné de porter. Plus affalée qu'assise dans le fauteuil près de la fenêtre, la jeune fille se demandait de quelle façon elle pourrait raccourcir cette cérémonie du thé qui s'annonçait in-ter-mi-nable.

Encore une idée stupide de Brandon. En quoi est-ce que boire du liquide brûlant la rafraîchirait ?

— Vous appréciez, miss ?

Elle adressa un sourire poli, quoique légèrement crispé, au jeune duc et lui adressa un hochement de tête très peu convaincant en approchant ses lèvres de la tasse de porcelaine. Heureusement pour elle, sa mère n'avait rien vu de son mauvais jeu d'acteur, trop occupée de battre des cils à la vitesse d'un écureuil devant la bedaine du fameux Général Xav. Dire qu'elle avait trompé leur père pour un gars aussi peu charmant. Dégoûtant.

Alexey, lui aussi assis derrière la petite table ronde, semblait réussir le tour pourtant difficile de charmer les demoiselles qui l'écoutaient avec avidité et de convaincre un pigeon de lui vendre tout son stock de Sijite simultanément.

Amara soupira de jalousie, observa passivement le soudain remue-ménage dans la cour, puis leva des sourcils parfaitement épilés vers Brandon qui s'était lancé dans un énième monologue sur ses talents d'escrime.

Alors que son doigt s'apprêtait à renverser de manière absolument accidentelle la tasse de thé sur son prétendant, la porte explosa. Et bien sûr, en tant que gradée et possédant un sang-froid hors-part, la jeune fille réagit de manière exemplaire. Elle hurla à gorge déployée. Mais que ses gardes se bougent, enfin !

Quels boulets, ceux-là. Comment est-ce que Mère a pu les embaucher ?

Ces pensées malveillantes et son cri s'étranglèrent lorsque son regard croisa celui d'une personne dont elle n'aurait jamais imaginé la place ici. Kayrel. Bien qu'un masque recouvre son visage, à l'image des hommes et des femmes armés qui entraient en flot dans la soudainement étroite pièce, elle aurait reconnu sa chevelure flamboyante au milieu d'une foule en plein brouillard.

Elle recula, se cogna à la vitre, les joues écarlates de honte. Il ne devait pas la voir, il ne... Trop tard. En trois longues enjambées, il était sur elle. Le coup de poing dans le ventre ne la blessa pas autant que les yeux vides qui la transpercèrent. Elle sursauta lorsqu'une lame s'appuya contre sa gorge.

— Tous dans un coin de la salle, maintenant, ordonna Kayrel en accentuant la pression de son arme. Ou c'est le couple de tourtereaux qui en payera les conséquences.

Amara perçut du coin de l'œil un Brandon à l'air dépité, dans le même état qu'elle. Les genoux tremblants, de la morve coulant de son nez, il semblait être à moitié tombé dans les pommes. Une vague de mépris enveloppa les émotions contradictoires de la jeune comtesse et une remarque acide déborda de ses lèvres.

— Mais mon cher, vous avez perdu votre langue ?

Un coup dans les reins la fit taire. Ses muscles se raidirent. Dire qu'elle aurait cru que jamais Kayrel ne dresserait la main sur elle en-dehors d'un combat amical...

Mais maintenant, il sait qui tu es réellement...

Le reste des convives se rassembla à petits, mais rapides, pas effrayés, comme une nuée de fourmis sous les ordres de leur reine. Alexey menait leur mère, une main protectrice dans son dos. Il tourna la tête vers sa sœur, la mâchoire serrée. Amara lui adressa un sourire qu'elle aurait voulu rassurant, puis se redressa légèrement dans l'espoir de déceler une autre silhouette familière. Thalya se trouvait-elle derrière tout ce remue-ménage ? La lame entailla sa peau. Elle se figea.

— Arrête de gesticuler.

Kayrel raffermit sa prise et, sans un autre mot, la poussa vers le hall, suivi par deux de ses compères et de Brandon, dont le teint avait perdu toute couleur. Alors que le reste du groupe s'arrêta en face de la porte principale, le grand roux emmena sa captive jusqu'en haut des marches, accompagné par un garçon aux cheveux bleus qu'Amara connaissait de vue.

— On doit parler, maugréa Kayrel en faisant signe à son camarade de le suivre.

Pour toute réponse, Amara lui assena un coup dans le tibia. Son assaillant jura et l'entraîna dans la première chambre venue.

— Remy, reste-là, en fait. Je crois que je dois encore... m'entretenir avec la demoiselle ci-présente.

Il souffla, agacé, puis s'aida de ses pieds pour claquer la porte derrière lui sans lâcher la jeune fille. Il la traîna ensuite sans précaution vers la console. Ses long doigts fins s'enfoncèrent dans sa joue et l'obligèrent à fixer son reflet.

— Qui est-ce que je suis sensé voir ? gronda-t-il à travers son masque. La traîtresse qui a entraîné la mort d'Alrik ou une alliée inespérée que Thalya a comme d'habitude sorti de son chapeau magique ?

Un joli visage poudré, pensa Amara. Des cheveux blonds artistiquement bouclés qui retombaient légèrement sur ses épaules. Une bouche rose, agrandie par le maquillage. Des yeux bleus vides, tout juste bons à refléter les attentes des autres. Elle était assez jolie, comme ça, au moins. Alors pourquoi ne décelait-elle aucune lueur dans le regard dur. Si dur. Comme s'il était immunisé à leur ancienne amitié.

À moins que cela aussi n'était qu'un mensonge de plus...

— Relâche-moi tout de suite.

Il n'en fit rien, continua seulement d'observer avec dégoût ce reflet qu'elle avait pourtant tant travaillé pour plaire.

— J'ai besoin d'une réponse, Amara. Ou bien préfériez-vous qu'on vous appelle Lady Amaryllys ?

Elle lui adressa un regard noir. Puis ravala sa fierté, avec réticence. Elle devait savoir.

— Pourquoi Thalya n'est-elle pas ici ? répliqua-t-elle avec dédain. Si elle a tant besoin de moi ?

La question était plutôt : Pourquoi Thalya avait-elle révélé son secret ? Pourquoi à Kayrel ? Elle aurait dû savoir, non, elle savait que la mince camaraderie qui avait régné entre eux n'y résisterait pas.

— Elle m'a donné ça. Elle m'a dit que tu comprendrais.

Ses doigts se décollèrent de ses joues, laissant des traces brûlantes derrière eux, et attrapèrent un bout de papier chiffonné dans la pochette de sa chemise. Amara dut s'y prendre à deux fois avant de réussir à l'ouvrir. Ses doigts tremblaient. Elle s'attendait à découvrir l'écriture brouillonne de son amie, mais devant elle se dévoilait une page arrachée d'un livre, avec un extrait encadré.

"Et la vieille Bérénilde tendit le bras pour atteindre son amie la colombe alors que celle-ci disparaissait dans le vide. Il ne retomba qu'avec sa maîtresse, dans les gouffres de l'infini. Pas une minute avant."

Elle ferma les yeux. L'odeur humide des géraniums l'envahit.

— Je n'aime pas cette fin ! s'exclama Amara, les yeux plissés de concentration, le livre ouvert posé sur ses genoux.

La maigre fillette roulée en boule dans un coin du balcon haussa les épaules. Elle tira l'arme qui pendait à sa ceinture et l'envoya dans les airs.

— Pourquoi pas ?

Amara tressaillit, les yeux toujours fixés sur la lame qui captaient les rayons des étoiles pour, à chaque rotation, les rediriger en un artifice de lumière blanche dans la froide nuit. Sa nouvelle... camarade, amie ? Elle ne savait pas encore mettre les mots sur le lien qui les unissait. Victime et bourreau disparaissaient avec les jours qui passaient, mais la petite comtesse ne comptait pas baisser sa vigilance. Cette Thalya ne semblait avoir peur de rien et même si elle faisait preuve de bonne volonté, d'autres desseins pouvaient trotter dans sa tête. Son père l'avait prévenue des gens de son espèce.

— Bérénilde... – elle déglutit – Bérénilde a tant souffert, on a tant souffert avec elle à travers sa vie, son parcours, ses obstacles. Et là, elle meurt d'un coup, sans avertissement ! Juste comme ça ! On reste un peu sur sa faim...

— Il faut lire entre les lignes. À l'avant dernière page, je crois.

Amara fronça les sourcils et relut le dernier chapitre sous le regard curieux et légèrement amusé de Thalya. Alors que les mots remontaient en elle, une nouvelle mélodie les accompagna. Son cœur accéléra sa cadence et un sourire ravi grimpa ses lèvres.

— L'espoir, murmura-t-elle.

Les paupières d'Amara battirent avec la vitesse des ailes d'un papillon coincé dans une mare. Elle écrasa la feuille dans sa main.

***

La nervosité agitait le pied de Thalya dans tous les sens. Tout son corps fébrile demandait de passer à l'action. Maintenant. Sortir de cet étroit couloir qui les obligeait à marcher en crabe, Amelya et elle, épaules contre épaules, dans le noir le plus total.

Les doutes l'assaillaient. Comment avait-elle pu céder le destin de Lory à des mains étrangères ? Si elle s'écoutait, elle serait déjà sur place, maintenant. D'ailleurs, il n'était pas encore trop tard...

Alors même qu'elle formulait la possibilité de retourner sur ses pas, un profond sentiment de malaise tordit son estomac, suivit par une terreur sans nom. Une émotion qu'elle n'avait plus ressentie depuis longtemps, qui ne lui appartenait d'ailleurs pas. Elle chassa le concert des Voix qui s'éleva, tenta d'ignorer la fumée ancienne de plus de dix ans qui chatouillaient ses narines.

Tout va bien se passer, Lory, ne t'inquiète pas, je serai là pour toi... Je dois partir, mais fais-moi confiance, j'ai tout prévu...

Puis elle coupa la communication avec sa sœur. La peur s'évapora de ses entrailles, laissant derrière elle des muscles contractés et pantelants. La main d'Amelya se réfugia dans la sienne.

Oui, faire confiance, voilà le mot clé. Facile à dire...





Note de la Créatrice

Et une nouvelle partie, une ! Qu'en avez-vous pensé ? Des avis, des critiques ?

Je voulais vous poser une p'tite question qui pourrait bien m'aider pour la réécriture (que je ne ferai que d'un scénaristiquement en parallèle de l'écriture de la deuxième partie) et pour la suite en général (pour ne pas continuer les mêmes fautes) :

Quels sont les plus grands défauts/qualités de ce livre, d'après-vous ?

Et n'ayez crainte de taper dans mon égo, il est assez solide ;p  *rajoute une couche de béton, juste au cas où, et s'arme d'un bloc-note pour noter toutes les choses utiles*

À dans quelques jours !

Elly

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Publié le 13.05.20

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