Chapitre 18
Assis en équilibre instable sur l'ancien siège du directeur de l'Ecole, Mika griffonnait un portrait, les yeux dans le vague, ne prêtant qu'une oreille peu attentive à la discussion de ses collègues.
— Ollyver, il me semble pourtant avoir indiqué clairement à quel point il était vital d'avoir le soutien de la Championne ! grommela Xav, sa moustache frétillante. Istaldel est une pièce maîtresse de notre plan, tes erreurs pourraient nous coûter cher.
L'albinos, debout devant le bureau directorial, baissa la tête, comme un enfant prit en défaut. Mika se rendit compte que son dessin ne ressemblerait bientôt plus qu'à un tourbillon de noirceur. Il le mit de côté. Observer la déconfiture de son rival lui paraissait bien plus satisfaisant.
Ollyver s'en rendit compte et se redressa. La mâchoire serrée, il laissa ses doigts filer sur l'étagère encore remplie de livres, contempla la poussière luire sur sa peau pâle, puis se rassit sur une des chaises.
— Mon général, commença-t-il. Vous savez que la situation dans laquelle je suis... est plutôt délicate. S'il y a révolte, les renforts auront du mal à s'infiltrer si loin en territoire ennemi. Et reprendre la ville plus tard serait couteux. En temps et en argent.
— Et en vies, fit remarquer Mika, un léger sourire en coin. Ce n'est pas pour rien qu'on m'a personnellement dépêché sur place... Mais il est bien difficile d'avancer lorsque des fautes aussi grossières sont commises...
Le peu de teintes qui animaient le visage de l'albinos s'évaporèrent, ses pupilles rougeoyantes se fixèrent sur l'impudent.
— Cette décision, pourtant, susurra-t-il, a été prise en se basant sur les informations que vous nous avez fournie.
Il se leva, concentré, et énuméra les caractéristiques de la Championne sur ses longs doigts blafards.
— Primo, Thalya Esteyal a perdu sa mère très jeune, dans une escarmouche. Elle en est ressortie avec un traumatisme violent qui l'empêchait de voir une arme sans paniquer.
— D'où ma surprise quand j'ai appris qu'elle était devenue la Championne d'Istaldel, murmura Mika, plus pour lui-même.
Le jeune homme laissa dériver son regard vers l'extérieur. Il distinguait dans la pénombre les murailles qui coupaient l'Ecole de l'extérieur et derrière, les reflets azurés du lac illuminé dès la tombée du jour. La ville entière baignait dans une atmosphère un peu irréelle, hors du temps.
— Secundo, elle a toujours eu des liens forts avec sa famille. Son frère, devenu guérisseur et dès lors quasiment intouchable, Daya, éliminée comme prévu au début des opérations et sa petite sœur qu'elle nous a servi sur un plateau d'argent. La peur, surtout si amplifiée par un trauma, de la perdre aurait dû être suffisante pour qu'elle se rende sans poser de question !
Xav soupira et trempa sa plume dans de l'encre.
— C'est ton travail de faire une carte psychologique des pions, pas le nôtre, Ollyver, souffla-t-il. Même si Mikaël devrait pouvoir t'aider – il retourna sa lourde tête vers le jeune homme – il me semble que tu as réussi à devenir assez proche d'elle, non ?
L'intéressé, qui avait repris son dessin, termina son trait de crayon avant de répondre avec un haussement d'épaule.
— Ce n'est pas si difficile de raviver les vieilles amitiés... Mais il faut les consolider petit à petit, regagner la confiance. Cela prend un certain temps.
— Pourquoi est-ce que tu ne te contenterais pas de devenir Champion ? proposa Xav. Les Istaldéens ne jure que par les armes et tu as toi-même dit que cela ne poserait pas de problème.
Mika leva les yeux au ciel, agacé, et se laissa glisser sur sa chaise. L'albinos prit la parole d'une voix de velours.
— Dans notre... situation, cela risque d'être pris comme une trahison. La Championne est affaiblie, seuls les « lâches » oseraient remettre en question son titre.
— Je persiste à croire que le règne par la terreur n'est pas la bonne solution, soupira Mika. Mais j'imagine qu'il est difficile de retourner en arrière... Vous voulez un conseil, Commandant ?
— Je ne...
— Si vous m'aviez demandé mon avis avant d'agir avec Esteyal, je vous aurais aviser d'effrayer son frère d'abord et demander à lui de faire le boulot à votre place. Il aurait trouvé les mots justes pour la convaincre et aurait été à ses côtés pendant sa brève hésitation. Et la mission aurait été accomplie plus rapidement.
— Oh, le petit chien du Grand Conseil a hâte de continuer à se salir les mains à leur place, s'amusa Ollyver.
Mika ne releva pas. L'humiliation d'avoir été éjecté hors des affaires courantes pour une mission loin du pouvoir lui restait encore en travers de la gorge. Dire qu'une simple et stupide erreur avait été suffisante pour anéantir les dures années à escalader la montagne hiérarchique établie par le Grand Conseil... Il haussa à nouveau les épaules et tourna une feuille de son bloc-notes. À quoi bon se lamenter, il rentrerait bien un jour dans les bonnes grâces du gouvernement et, il devait se l'avouer, il appréciait de plus en plus l'escapade à Istaldel.
L'esprit de camaraderie mêlée de compétition lui plaisait. S'il croyait d'abord que des contacts soutenus le fatiguerait à la longue, il en tirait à présent une énergie nouvelle. En discutant à nouveau avec des gens plus « communs » que d'habitude, il renouait aussi avec un ancien lui, enfoui au plus profond de son être. Un enfant qui s'approchait sans aucune précaution des autres. Un enfant qui n'appréhendait pas la lueur de peur dans les prunelles qui le fixaient.
Car depuis longtemps, la maligne s'était accrochée à ses talons, se répandait comme de l'encre indélébile autour de lui, tachant tout le monde sur son passage. La réputation de l'Ombre le devançait partout où il se déplaçait. Sanglante, invulnérable, exagérée par le bouche-à-oreille. Le crayon de Mika s'échappa de ses mains et retomba avec un bruit sourd sur le parquet délabré. L'albinos grimaça, les épaules de Xav sursautèrent. Même chez eux, elle était là, tapie sous la haine.
Le jeune homme bailla, se pencha pour attraper son porte-mine et entama une nouvelle page immaculée. Le frottement régulier du carbone contre le papier rompit l'épais silence qui s'était installé. Xav passa une main sur son front et se racla la gorge.
— Commandant Ollyver, pour quand arriverez-vous à rassembler la première volée de mercenaire ?
Un sourire étira les lèvres gercées de l'albinos.
— L'intervention de la Championne n'est qu'un contretemps, assura-t-il. J'ai déjà quelques idées... Mais cela pourrait encore durer quelques semaines. Un mois tout au plus.
— Parfait. Dites à Esmeralda que je serai de visite pour quelques jours.
Xav les congédia d'un signe de la main et se remit à écrire. Ollyver se releva et s'étira tel un chat paresseux, peu pressé de s'en aller. Mika laissa retomber sa chaise par terre.
— Et qu'avez-vous fait d'Esteyal ?
L'albinos ne laisserait sûrement pas passer l'humiliation qu'elle lui avait fait subir. S'il comptait mater les Istaldéens par la terreur, il devrait frapper fort.
— À elle ? Rien du tout, ronronna Ollyver. On ne veut pas créer un martyr. C'est sa sœur qui a payé le prix de sa rébellion.
Le calepin tomba par terre. Son propriétaire s'était soudainement levé, le sang devenu glace.
— Tu t'en es pris à la gamine ?
La surprise, mâtinée de déception et de colère contenue, s'affichait sans filtre dans sa voix. Le tutoiement, traître, était revenu à toute vitesse. Une mèche argentée s'échappa de son oreille.
— Il fallait l'éliminer, de toute façon, glissa Xav sans daigner lever ses yeux porcins de ses documents.
— C'est une gradée !
— Une Télépathe, rectifia l'albinos. D'après tes propres paroles. La Centrale m'a informé de tous les détails concernant cette guilde. Elle savait qu'Istaldel était un foyer probable d'une nouvelle « épidémie ».
Mika plissa ses yeux inhumains et croisa les bras. Un rire retentit dans la nuit.
— Explique-toi.
— Quoi, tu n'as pas reçu l'information ? sourit l'albinos avant de se reprendre devant le les sourcils froncés du jeune homme. Les légendes s'accordent pour dire que ces pouvoirs de communication ressurgissent toujours lorsque le royaume d'Elesir est en danger. Dans les faits, ceux-ci n'apparaissent que dans les zones brillantes, là où le Flux est extrêmement concentré, comme ici – il étendit les bras pour souligner ses propos. On ne sait pas encore exactement comment les personnes le développe, mais une chose est sûre : il se transmet comme une maladie, au moindre contact physique. Imaginez un peu l'avantage que la Reine posséderait si un réseau parvenait à se former.
Mika se mordit la lèvre. L'odeur métallique qui envahit son palais calma un peu sa colère et remit de l'ordre dans ses pensées.
— Avec une meilleure communication, chuchota-t-il, établir un front de résistance est infiniment plus simple. C'est vrai que ça peut devenir dangereux. Mais on pourrait l'utiliser, nous aussi, non ?
Xav secoua la tête.
— Trop imprévisible, grogna-t-il. C'est une des ruses d'Elésir, rien de bon ne peut en résulter. De toute manière, son exécution a déjà été prévue. Message clair et net pour tous les potentiels Télépathes ou rebelles. Tu ne l'as pas trop amochée, Ollyver ?
— J'étais un peu... frustré, mon Général, admit l'albinos, sans quitter des yeux son rival qui bouillait de l'intérieur. Mais rien d'irrécupérable... À part sa vue, bien sûr, mais elle n'en a pas besoin pour rester debout.
Sans un mot, Mika laissa son corps se disloquer et traversa le plancher. Ses émotions venaient d'atteindre un niveau de turbulence assez rare, il préférait éviter tous gestes inconsidérés. Mais Ollyver payerait de ses actes, un jour ou l'autre. Il suffisait d'être patient.
Traverser l'Ecole tel un fantôme en peine pour arriver dans les rues vides d'Istaldel ne lui posa aucun problème. Le couvre-feu était plus ou moins respecté, mais évitait les foules nocturnes ainsi que les bruits tapageurs. L'air frais de la nuit revitalisa le jeune homme. Il avait toujours apprécié le voile nocturne qui dissimulait sa chevelure argentée, ses traits trop fins pour provenir d'Istaldel.
La nuit, tous les chats sont gris.
Lorsqu'il arriva devant chez lui, il avisa une mince ombre sous le porche. Un filet d'adrénaline l'emplit. Mika s'avança, la mine neutre, les mains dans les poches. Les traits de la personne se dessinèrent sous les rayons lunaires.
— Amelya ? Par l'amour des Feys, qu'est-ce que tu fais ici ? s'exclama-t-il, surpris.
Note de la Créatrice
Pourquoi est-ce que l'inspiration arrive toujours au moment où on est débordé ?
Même si mon uni s'est arrangée pour qu'on suive tous les cours en ligne, je gagne quand même un peu de temps avec le confinement... (surtout qu'à la maison, il y a l'ordi qui me fait des yeux doux, impossible de résister ^^)
Pour le coup, j'avais fait un premier jet de ce chapitre il y a quelques semaines, et j'ai pris beaucoup de plaisir à le remanier (Débloquage est enfin arrivé) !
Mais qu'en pensez-vous ? Des avis, des réactions ?
On va commencer à examiner Mika avec plus de profondeur, maintenant qu'on connaît sa véritable identité... (De fait, je dois avouer que j'ai toujours eu un peu de mal à le cerner, mais Mr. Déclic est arrivé avec une backstory qui tient mieux la route et... je suis contente. Très contente. Bref)
J'espère que vous allez tous bien en ces temps troublés, que vous restez bien au chaud chez vous et que vous en profitez pour liiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiire (et aussi écrire, pour certains ^^)
Encore un petit pour encourager et remercier tous les soignants qui mettent leur santé en jeu malgré les risques <3 *> *> *> *> *>
*applaudit comme un mouton*
(comme quoi c'est bien les moutons, des fois)
À peut-être même la semaine prochaine ! (oui, oui, je clame que je n'ai pas le temps, puis je passe deux soirées de suite à écrire jusqu'à 1h du mat. Comme quoi il faut juste le prendre. Sur les heures de physique, par exemple =-) )
Bye !
Publié le 20.03.2020
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