Chapitre 17.1
La poignée de porte la narguait. Plantée devant celle-ci depuis dix minutes, Amara ne se résolvait pas à la pousser. Et les deux gardes flanqués à ses côtés commençaient à trouver son attitude suspecte, toute fille de comtesse qu'elle soit.
— Je réfléchis à ce que je vais dire, rétorqua-t-elle à leur question muette. C'est bon, vous pouvez me laissez entrer.
Elle joignit le geste à la parole, tentant d'effacer les tremblements de sa main, et pénétra dans la luxueuse chambre d'invité.
— Bonjour, Lory.
Elle ne l'aperçut pas tout de suite, fine silhouette dans la débauche de décorations. La gamine, effondrée sur un fauteuil devant la fenêtre, restait silencieuse. Sa tête dodelinait contre sa poitrine, ses paupières mi-closes filtrait les quelques rayons de soleil qui transperçaient à travers la fine couche de brouillard.
Amara ferma la porte derrière elle, mais n'osa s'approcher davantage.
— Lory, je sais que tu ne m'apprécies pas beaucoup, mais...
— Grande sœur te fait confiance, l'interrompit la fillette, puis ouvrit grand ses yeux marrons. Moi pas. Tu veux quoi ?
Amara prit une deuxième chaise et se posta en face d'elle.
— Que pourrais-je faire pour Thalya ?
Les lèvres de Lory s'étirèrent en une grimace ironique qui ne convenait pas à son visage enfantin.
— Tuer l'albinos.
— D'accord. Et encore ?
Les sourcils de la gamine décollèrent. Amara rajusta une mèche blonde pour ne pas indiquer son trouble, elle-même surprise par son propre sérieux. En y réfléchissant, elle se rendit compte que la pensée d'éliminer le commandant ne la gênait pas plus que ça, bien que son cœur s'affole rien qu'en pensant à lui. Tout pour mériter l'attention de Thalya. Sa présence lui manquait cruellement.
— Et bien... – la voix de Lory se brouilla – je peux peut-être te dire ça. Mais je te jure que tu le regretteras si tu le dis à quelqu'un !
Depuis quand la fillette possédait-elle cette défiance dans le regard ? Depuis quand lançait-elle des menaces avec autant de détermination ? Amara soupira, triste de ne pas simplement pouvoir ébouriffer ses boucles et rire de ses protestations avec Thalya.
— Il nous faut un code, chuchota Lory, en repliant ses longs membres sur elle. D'après les sources de Grande-sœur, il serait dans ce manoir, peut-être dans un coffre-fort.
***
Le tissu immaculé flottait autour des jambes de Thalya, s'enroulait et se déroulait le long de sa silhouette tendue, épris d'une liberté factice qui ne lui permettrait jamais de s'envoler. La Championne, debout sur la calèche officielle de la famille Yl'Coltraz, leur blason cousu en fil d'or dans les dos, laissait les coins et recoins de sa ville natale défiler devant elle sans rien voir. Son visage s'était transformé en une statue de sel, indéchiffrable.
— Eh bien, Esteyal, je croyais impossible d'effacer ce constant sourire de votre figure ! Faites donc un petit effort, l'encouragea l'albinos avec une moue sardonique, assis à ses côtés.
— Vous êtes juste à côté de moi, j'ai mes sabres et vous êtes encore vivant après plus d'une heure d'attente. Contentez-vous de cela.
Leur petite escorte s'engagea dans l'allée centrale d'Istaldel, longèrent le fleuve jusqu'au lac artificiel dans lequel il se jetait. Au-dessus de l'eau aux reflets irisés se tenait la plateforme utilisée pour les cérémonies officielles. Thalya sortit du véhicule et s'en approcha, la respiration saccadée. Elle, qui avait tant donné pour ne pouvoir faire et dire que ce en quoi elle croyait, ce qu'elle désirait, ne s'avançait pas pour récolter les honneurs d'une nouvelle victoire, mais pour déclamer les pires paroles du monde.
Les mots s'entrechoquaient dans sa tête, sans parvenir à se stabiliser, sans réussir à s'accrocher à quelques idées concrètes. La jeune fille prit place tel un automate au centre de l'estrade et garda les yeux rivés sur le discours qu'elle devrait réciter, tentant d'ignorer le monde amassé en-dessous d'elle. Les attentes qu'elle allait briser, les déceptions générées...
— Votre sœur serait sûrement plus heureuse si vous témoigniez d'un peu plus d'engagement, Esteyal, souffla le commandant Ollyver avant de se poster quelques mètres derrière elle.
Thalya releva la tête, fixa le coin d'un toit devant elle, puisa du courage dans les réminiscences du corps de Lory blotti contre le sien et débuta. Après seulement quelques minutes, les rumeurs enflèrent, l'inquiétude et le désarroi se propagea en-dessous d'elle. Elle les ignora et continua, la voix forte de la résonnance particulière de l'endroit. L'avenir de sa petite sœur dépendrait de sa prestation.
— Je répondrai dorénavant au Commandant Ollyver,...
Son cœur s'affolait de panique tandis que des larmes d'humiliation coulaient sur ses joues. Son âme hurlait sa peine, mais la peur, tenace, maintenait les feuilles devant son nez. Il ne restait aux lèvres que de proférer les phrases les unes après les autres, dans un redoutable travail de charcuterie.
— Je demande donc aux meilleurs d'entre nous, ceux dont les scores au Festival ont été applaudi, ceux dont la bravoure est reconnue de se présenter à la caserne et de... et de...
Elle s'interrompit. Ce passage avait été rajouté. Le silence plana sur l'assemblée. Le vent lui-même s'était tut, comme pour souligner l'ultime hésitation de cette figure de proue qui s'effondrait.
Et d'accepter sans résister à leur mutation au front.
La bouche de Thalya s'assécha. Son regard perdu à la recherche d'aide rencontra la mine fermée de Mika, un coup de poing, le dégoût mêlé de peine de son frère, une multitude d'aiguille dans la poitrine, mais surtout, les traits décomposés d'Amelya, une explosion dans le cœur. Son amie serait déportée, ils seraient tous déportés. Toute la bande de Drasil, tous ses compagnons d'armes, tous ses rivaux.
Thalya laissa retomber ses bras le long du corps, tremblante, comme prise de court. Un instant, sa posture laissa entrevoir l'état de faiblesse dans lequel elle se trouvait, un aigle étouffé par les anneaux d'un serpent.
L'albinos la repoussa fermement derrière lui et finit à sa place d'une voix doucereuse :
— Et d'accepter votre mutation dans divers groupes armés sans résister. Merci de votre attention.
Comme s'ils avaient attendu ce signal, des soldats submergèrent la place et entourèrent les personnes les plus proéminentes d'Istaldel, les invitant à les suivre sur-le-champ. Amelya, abasourdie, se laissa entraîner dans la foule, à la suite d'une dizaine d'autres guerriers. Son regard brûlant cherchait celui de la Championne qui n'avait pas bougé, paralysée. Ollyver attrapa Thalya et voulut la traîner hors de vue, mais la jeune fille se dégagea d'un mouvement impulsif.
— Je refuse, murmura-t-elle.
Elle se tourna vers la foule et reprit avec ferveur :
— Je refuse !
La peur se déliait enfin.
— L'armée n'a aucun droit sur vous !
En un éclair, une main pâle et osseuse s'empara de son épaule.
— Pas un mot de plus ou je n'aurais aucune pitié à tuer votre sœur aujourd'hui.
Thalya se retourna vers lui et le fixa, sans un mot. Retour brutal à la réalité. Les mugissements de la foule explosèrent dans ses oreilles, son cœur s'emballa en un sprint désespéré et le goût de sang envahit sa bouche. Une peur viscérale tordit ses entrailles et la jeta à terre. Lory ! Non ! Qu'on la prenne elle, qu'on la torture, mais que personne ne s'avise de toucher à un cheveu de sa petite sœur !
L'albinos leva la main. La jeune fille se crispa, mais ne put éviter le coup dans la nuque qui l'envoya dans l'inconscience.
Note de la Créatrice
Qu'avez-vous pensé du chapitre ? Des remarques, des avis ?
L'action de Thalya ? Irréfléchie et stupide ou courageuse et honorable ? Ou un mélange des deux ?
Réjouissez-vous, Amara entre dans la partie. Les prochains chapitre lui sont consacrés. Il était temps qu'elle s'active, non ? Vous zêtes contents ? (C'est ma Amara à moi qui l'est, en tout cas ;-))
À la semaine prochaine ! *> *> *> *>
Publié le 04.02.2020
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