Chapitre 16.3
Assise sur la couchette à l'aspect peu confortable, un garde lui avait retiré les chaînes, mais des menottes de trylme emprisonnaient encore ses poignets sagement posés sur les genoux. Les jambes croisées, le buste légèrement incliné, aucune peur ne transparaissait de la posture de Thalya. Seul un sarcasme doublé d'insolence troublait ses traits tirés. Concentrée, aucun signe de sympathie ne traversait le masque d'argile.
Amara se raidit, mal à l'aise. Sa mère l'avait-elle convoquée afin de lui demander d'utiliser son amitié pour elle ? Alexey avait-il vendu la mèche ? Auquel cas, le Commandant Ollyver aurait-il cru nécessaire d'avertir la comtesse ? Et Thalya qui l'ignorait avec superbe...
La Championne blêmit un peu plus lorsque l'albinos se rangea aux côtés de la comtesse et mit la main sur l'épaule d'Amara qui, perturbée, ne trouva pas la force de le déloger. Il la tenait, l'empêchait de s'écrouler sous le regard brûlant de négligence de son amie.
Un tic de la joue déforma le visage de Thalya avant qu'elle ne déchire une feuille jaunie que venait de lui tendre Ollyver. Le froissement du papier qui tombait par terre sonna aussi fort qu'une détonation alors que des paroles tranchantes franchirent ses lèvres.
— J'ai déjà dit non. Qu'est-ce que vous allez me faire pour que je signe ce contrat, maintenant ? Me séquestrer encore pendant quelques semaines sans nourriture, me torturer ? La loi d'Istaldel l'interdit.
La peur vida l'esprit d'Amara, qui fronça les sourcils, essai désespéré d'arrêter sa meilleure amie dans son allègre avancée vers le chemin du peloton d'exécution.
— Vous semblez portez une grande confiance en vos concitoyens, Thalya Esteyal. Mais les mouvements de foules ne vous tireront pas toujours d'affaires, rétorqua Ollyver, un sourire de requin aux lèvres.
Thalya haussa des épaules, mais sa respiration s'accéléra et ses pupilles envahirent ses iris, immenses trous noirs dans une forêt tropicale. Les Moïras du Commandant se mouvaient avec paresse sur ses avant-bras osseux, ses ongles se détachèrent de la peau d'Amara. Il peut influencer les émotions...
La jeune fille joua avec l'idée de lui envoyer un coup dans le tibia.
— Est-ce que ça vous dirait de revoir votre sœur, Esteyal ?
Plongée dans un monde intérieur, la Championne ne sembla d'abord pas l'entendre. Ses longs cheveux bruns pendaient devant ses traits impassibles, fermes. Puis elle pâlit, quand la réalisation la frappa en plein fouet.
— Vous n'avez pas le droit de l'utiliser, souffla-t-elle enfin. Vous ne...
— Tststs, plus un mot, l'interrompit Ollyver d'une voix enjouée. Vous avez déjà tenté de nous discréditer en nous accusant de l'avoir enlevée, ça suffit comme ça. Surtout si vous savez pertinemment pourquoi elle est ici... Vous voulez probablement la revoir ?
Amara se sentit partir en arrière. Quoi ? Thalya n'avait qu'une sœur : Lory. Comment les soldats avaient-ils pu s'en prendre à la gamine ? À part énerver sa sœur et chasser les écureuils de la forêt, la fillette ne pouvait faire de mal à personne. Une bile amère remonta dans sa gorge. Elle se sentit soudain à l'étroit, engoncée dans les couches de tissu.
— Cette chère Amaryllis vous montrera l'endroit où... séjourne votre sœur, n'est-ce pas ? C'est une hôte de marque.
La jeune fille se raidit lorsque toute l'attention convergea vers elle. La pression d'Ollyver sur son épaule s'affirma. Elle ne savait pas où il voulait en venir, pourquoi lui demander à elle. Sa mère ne lui avait rien dit et un coup d'œil à celle-ci, un peu en retrait, lui confirma qu'elle n'en savait pas plus.
Une lueur s'alluma soudainement dans son esprit. Un hôte de marque. Un frisson glacé la parcourut, puis remplacé par une boule de rage en fusion qui exila le froid de son corps. Amara se dégagea et se retourna vers le visage habituellement rempli de bienveillance de l'albinos.
— Vous n'avez pas osé l'emmener...
Le sourire sardonique du Commandant s'élargit.
— Eh bien, mademoiselle Esteyal à l'air d'avoir hâte de voir la charmante gamine. Vous n'allez pas la faire attendre ?
Thalya se leva d'un coup et fut devant le grillage en une foulée. Ses phalanges blanches enserrèrent les barreaux avec une force telle qu'ils tremblèrent. Une ride d'amusement troubla le visage blafard du Commandant alors qu'une perle pourpre sortait de ses Moïras illuminée. La Championne jura et s'effondra sur les genoux. Le front pressé contre le métal, les bras tremblants, elle demeura silencieuse un instant avant de cracher un « sale vermine » qui résonna dans les couloirs.
L'albinos ne broncha pas, mais son regard se figea sous la concentration. Amara, n'y tenant plus, ordonna aux gardes de sortir la prisonnière pour l'emmener vers Lory et se mit de force entre le commandant et sa victime.
— Ça suffit !
Ollyver rompit le contact visuel avec Thalya, qui se détendit d'un coup, puis offrit un chevaleresque bras à la fille de la comtesse.
— Heureusement que vous êtes là pour faire cesser nos enfantillages, Amaryllis ! lança-t-il d'une voix enjouée. Je ne connais qu'une seule personne qui résiste aussi bien que mademoiselle Esteyal ci-présente à ma perle. C'est assez intéressant de jouer... avec ses limites.
Amara le dévisagea, incrédule. L'albinos dût remarquer son air courroucé car il se reprit immédiatement pour l'inviter à leur montrer le chemin. La comtesse, qui ne semblait n'avoir saisi que la moitié de la conversation, un mouchoir parfumé devant son nez, s'exclama que quelques affaires « trrès imporrtannte » l'attendait et s'en fut, non sans avoir jeté un coup d'œil lourd de sous-entendus à sa fille.
Tiens-toi à carreau.
Deux gardes encadrèrent Thalya et l'entraînèrent hors de la cellule. Elle se laissa faire à contrecœur et, en l'espace d'un instant, son regard croisa celui d'Amara qui tressaillit devant le mélange d'amertume et de rancœur contenu dans celui-ci.
Après avoir réfréné un hochement de tête encourageant, la jeune noble s'engouffra dans l'un des tunnels, le pied tremblant. Elle espérait que le Commandant l'arrête dans son élan et lui affirme que Lory ne se trouvait pas dans la fameuse Chambre des Confessions, pièce redoutée lors de l'Ere de Suie. Son père avait pourtant ordonné d'en murer l'accès.
Elle craignait la réaction de Thalya.
En arrivant au terme du voyage, le visage de la Championne perdit ses couleurs lorsqu'elle avisa les premiers éclats des instruments de tortures. Rutilants, comme neuf, on leur avait redonné une deuxième vie. Amara frissonna. Et au fin fond de la salle, derrière les barreaux d'une étroite cellule, se tenait une masse recroquevillée sur le sol, aussi misérable qu'un tas de chiffons sales.
Thalya tituba. L'albinos la rattrapa avec une grimace de courtoisie. Les quelques mots chuchotés se perdirent dans le couloir, infime bruissement de lèvres qu'Amara déchiffra avec peine.
— Je suis certain que vous faisiez partie de la même expédition, Esteyal. Un jour, je vous prendrai sur le fait...
Insensible à la menace, les yeux vitreux, comme concentrée sur une voix intérieure, Thalya se défit de l'emprise des paroles venimeuses et s'élança vers la petite silhouette. Avec une infime précaution, elle l'entoura de sa présence. Ses murmures remplis de promesse et d'encouragement flottèrent dans la pièce, indiscernable, emplis d'une tendresse dont Amara fut presque jalouse.
Le Commandant fit signe de les laisser un instant et la jeune noble obtempéra, bien que la perspective de quitter l'ambiance feutrée des retrouvailles pour la froideur des couloirs de la prison ne l'attire pas. La porte claqua sur un sanglot refoulé avec peine.
— Que la situation est regrettable, soupira Ollyver en s'adossant au mur, les traits soudainement fatigués. J'aurais préféré ne pas devoir recourir à de telles extrémités. Mais le soutien de la Championne d'Istaldel est vital pour le contrôle de la ville.
Amara sentit sa colère fondre comme neige au soleil. Elle recula néanmoins d'un pas pour fixer une fissure qu'elle trouva subitement extrêmement intéressante. Sa méfiance ne devait pas retomber ; dès qu'elle se trouvait devant cet homme, ses émotions ne lui appartenaient plus. Cela l'effrayait. Si ça se trouvait, sa perle l'influençait en ce moment même.
Ollyver lui jeta un coup d'œil en coin et se passa une main dans les cheveux.
— Vous connaissez bien la Championne ?
Amara se raidit, puis s'empara d'une de mèche de cheveux pour l'entortiller sous son doigt.
— Pas vraiment, mentit-elle effrontément, guettant sa réaction. J'ai déjà assisté aux Festival de Brumes, puis à quelques représentations officielles... Pourquoi donc ?
Le regard carmin du commandant s'ancra dans le sien.
— Votre mère a beau porter le titre de comtesse, elle ne sait pas grand-chose de ce qui se trame ici, à Istaldel. Je me demandais si vous aviez été un peu plus attentive. Un peu plus réfléchie.
Une forte rougeur monta aux joues de la jeune fille. S'il continuait de l'observer de la sorte, elle allait le gifler. Son cœur papillonna alors qu'elle réajusta les plis de sa robe afin de se donner une contenance.
— Je suis un peu plus curieuse de nature que Mère, convint-elle. Et d'ailleurs, si vous voulez vraiment mon avis, je ne crois pas que faire chanter la Championne de la sorte soit une bonne idée. Les Istaldéens possèdent une admiration sans borne pour elle.
Ollyver inclina sa tête en signe d'approbation.
— Je l'ai déjà analysée. Elle ne nous résistera pas, et la foule suivra. Vous n'imaginez pas comme la culpabilité peut décupler l'amour fraternel. Je suis certain que la gamine, là, ne se serait pas retrouvée à un endroit interdit sans les ordres de sa sœur.
Comme pour souligner ses propos, la lourde porte en bois s'ouvrit sur Thalya qui lui tendit sans un mot le contrat. Elle évitait de les regarder, ne semblait même pas pouvoir affronter le jugement des gardes qui les entouraient.
— Maintenant, vous la libérez, exigea-t-elle, en croisant les bras.
— Oh, pas si vite, Esteyal, s'amusa Ollyver. La gamine aura droit à des appartements plus luxueux, mais ne sortira pas de ces murs tant que vous n'aurez pas soutenu publiquement le Grand Conseil.
Thalya se redressa vivement, les pupilles brûlant d'une haine qu'Amara n'avait jamais observée chez son amie.
— Vous allez regretter d'avoir fait ça, cracha-t-elle, avant de tourner les talons pour chercher sa sœur.
Le commandant, pas le moins du monde impressionné, se retourna vers Amara, les mains dans les poches.
— Quelle sorte de vêtement devrait-elle porter pour la Cérémonie, dites-moi. Il paraît que c'est un des domaines dans lesquels vous excellez. La représentation doit être parfaite.
Note de la Créatrice
Des avis, des réactions ?
Que faut-il penser de l'albinos ? Un adjectif pour le décrire ?
On arrive lentement, mais sûrement (bon, il reste deux chapitres et demi avec la longueur qu'on connaît ainsi qu'un épilogue, so...) à la fin de la première partie de ce livre ce qui va me mettre devant un mini-dilemme : continuer ou réécrire ? D'un côté, j'aimerais bien arriver à une vrai fin, un jour, de l'autre, je vois des tooonnes de choses à modifier, surtout du côté des personnages (on va en supprimer, youpiii, et en profiter pour en approfondir d'autres), ou je le fais en parallèle(mon option préférée pour l'instant)... Bref, je ne sais pas encore et vos conseils seraient les bienvenus !
À la semaine prochaine ! *> *> *> *>
Publié le 28.01.20
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