Chapitre 16.2

Le fourmillement glacé de la dure pierre la réveilla. Sa peau lui signalait la présence d'un métal froid, mais son don ne lui signalait qu'un vide dérangeant. Elle battit des paupières. La lumière artificielle d'une Sijite qui pendait juste au-dessus de son nez l'éblouit. Où l'avaient-ils donc amenée ? Il lui suffit de détailler l'étroite cellule d'un bref coup d'œil pour remarquer qu'elle connaissait l'endroit pour l'avoir visité en tant qu'intruse. De l'autre côté des barreaux.

La seule source de lumière qui l'atteignait venait du couloir qu'elle avait librement parcouru il y a quelques semaines de cela. Une goutte d'eau éclata sur sa joue, suivit du grincement rouillé de la porte. Thalya tenta de se redresser, mais fut arrêtée par les chaînes qui enserraient ses poignets à mi-chemin.

— Thalya, quel plaisir de te voir, même en de si sombres circonstances !

La jeune fille arrêta de se démener pour tourner sa tête vers lui, le regard encore un peu embrouillé. Alexey, habillé d'un long manteau bleu qui remontait en un col dur, probablement la dernière mode, sourit et s'assit sur la sorte de rocher qui était censé servir de couchette.

— Qu'est-ce que tu fais là, Alex ? rétorqua la Championne avec rancœur. Tu veux contempler le résultat de tes efforts ?

— Je n'y suis pour rien, la démentit-il immédiatement, le visage à nouveau sérieux. Est-ce que... ça va ?

Thalya arqua un sourcil dubitatif et se mit sur les coudes, position la plus confortable qu'elle put trouver. La superbe du frère d'Amara s'était effondrée et seul un pâle rictus animait son pâle visage perturbé. Quelque chose clochait. Devant l'air scrutateur de la jeune fille, les traits d'Alexey se durcirent un instant.

— Je regrette beaucoup les derniers... événements, crois-moi. Je ne les approuve pas et...

— Cesse ton bavardage, le coupa Thalya, dégoûtée. Tu es un meilleur menteur, d'habitude.

La déconfiture totale de son expression faillit convaincre la jeune fille de son honnêteté, mais Amara lui avait prévenu de se méfier de son jumeau : manipulateur, coureur de jupon et aussi ambitieux qu'une souris montant les Montagnes du Nord, il était le chef d'orchestre de la cour, prêt à utiliser la moindre faille de ses partisans pour les utiliser. Thalya se laissa retomber en arrière.

— Je peux comprendre que tu sois méfiante... après tout ce que les soldats t'ont fait, mais je t'assure que j'ai essayé de les en empêcher ! Et que...

— Menteur. Tu as toute une troupe d'hommes et de femmes sous ton commandement.

Alexey se figea, passa une main dans ses pâles cheveux blonds, puis laissa échapper un sourire railleur.

— Je te connaissais plus naïve, déclara-t-il en soupirant. Je lui avais bien dit que ça ne marcherait pas. Très bien, jouons franc-jeu.

Il se leva et se dépouilla de son lourd manteau pour dévoiler une chemise à jabot de dentelle ajusté à sa fine silhouette. Ses dents immaculées renvoyaient l'éclat des Sijites contre le mur. Thalya frissonna ; un sourire félin, dangereux.

— Tu refuses de reconnaître l'autorité du Grand Conseil sur Istaldel... Pourquoi ?

Thalya ferma les paupières et se mura dans le silence. Il n'obtiendrait rien d'elle tant qu'ils ne seraient pas sur un pied d'égalité. Et en ce moment, attachée à la pierre, les membres perclus de courbatures, l'énergie du Flux inaccessible, elle se sentait faible, trop faible. Chaque mouvement du jeune homme affolait son cœur, chaque ombre était repérée par son œil affolé. Cela devait cesser.

— Quoi qu'il en soit, cela ne t'avance à rien de résister comme ça. En tant que Championne, tu pourrais accomplir de rêves bien plus hauts, tu pourrais toucher les étoiles, acheva-t-il avec un soupir méprisant.

— Comme Alrik, tiens. Mais il s'y est brûlé.

Alexey la fixa de son regard bleu délavé, soupçonneux. Il se pencha vers elle, comme pour tenter de lui soutirer toutes les informations en sa possession. Sa peau pâle brillait presque sous le reflet des Sijites. Thalya respira son souffle acide, retroussa son nez, dégoûtée, le cœur battant de sentir sa présence si proche, si menaçante, mais trouva la force d'ouvrir ses yeux pour le défier à aller plus loin.

— On sait tout deux à quel point tu aimes ta place, murmura-t-il, l'œil fuyant. Mais si tu t'alliais à moi, tu ne la perdrais pas, au contraire. Avec la situation actuelle, tu n'as pas la voix au chapitre, je suis en mesure de te donner une place de choix dans ce nouveau monde qui approche...

Le concert de leurs respirations douloureuse résonna dans la cavité rocheuse avant d'être interrompu par une phrase aux accents hautains.

— Alexey Yl'Coltraz, mais que fais-tu ici ?

Ils sursautèrent tous les deux. Une silhouette imposante par la multitude de jupon qu'elle portait se découpa derrière les barreaux. La comtesse, glaciale, dévisageait son fils qui se releva et inclina la tête en un signe de respect mâtiné de moquerie.

— Réfléchis à ma proposition, chuchota-t-il enfin avant de tourner les talons non sans saluer sa mère au passage.

Thalya se relâcha. Un sourire étira ses lèvres, hésitante balance entre folie et satisfaction que, même derrière les barreaux, les gens restaient attachés à son influence. Jamais elle ne serait qu'un pion dans leurs plans tortueux. Jamais.

— Thalya Esteyal. Je suis fort désolée que vous ayez à subir un transport si... inconfortable, débuta la comtesse d'un ton rigide sans remarquer le peu d'attention que lui offrait la jeune fille perdue dans ses pensées.

Cela n'aurait d'ailleurs pas perturbé la Championne si elle n'avait pas reconnu l'homme qui se tenait dans l'ombre à quelques mètres, en pleine conversation avec Alexey. L'albinos.

***

— Tu joues ton rôle de gentille petite idiote modèle avec notre invitée, compris ? Nous serons probablement amenés à traiter assez souvent avec elle, alors tiens-toi bien.

Si Amara avait su ce qu'il l'attendait en suivant sa mère jusque dans le labyrinthe des cachots, elle y aurait renoncé. L'humidité y flottait, insidieuse, ce qui la fit pester ; ses vêtements ne le supporteraient pas longtemps et elle tenait beaucoup à son léger veston de soie.

Ce ne fut qu'après un tournant qu'elle l'aperçut et que le désir de tourner les talons au plus vite la saisit à la gorge. Ses mains, occupées à la réchauffer se figèrent avant de retomber mollement le long de son corps. La jeune noble ne put s'empêcher de faire un pas en arrière. Juste là, juste devant elle se tenait Thalya, nez-à-nez avec Alexey.

Enchaînée, les bras nus couverts de bleus, elle ne resplendissait pas de sa superbe habituelle, mais son charisme caractéristique flottait dans l'air et produisait des étincelles de tension en se confrontant à celui d'Alexey. Amara aurait voulu crier, l'avertir des intentions de son frère, mais sa mère, surprise de le retrouver là, elle aussi, s'en chargea.

— Alexey Yl'Coltraz, que fais-tu ici ?

Son frère se redressa immédiatement, comme pris en faute, enfila son manteau d'un geste preste, puis s'inclina, sans répondre à la question. La comtesse pinça les lèvres devant tant d'arrogance, mais ne fit aucune remarque, impuissante. D'un coup, Amara se sentit plus proche de sa mère ; elle la comprenait. Aucune des deux ne possédait de charme assez puissant pour magnétiser les courtisans ; elles devaient recourir à des artifices, des stratégies astucieuses afin de se hisser à la place qu'elles lorgnaient. Il était absolument normal de se sentir frustrée en face de deux jeunes gens qui rayonnaient d'une énergie intérieure prête à exploser dans le monde, à peine contenue.

Par cet aspect, Alexey tenait beaucoup plus de son père défunt que sa jumelle, bien qu'il soit le portrait craché de la comtesse. Mêmes longs cils presque blanc, même nez coupé au couteau, même mimique étrange – une joue asymétrique, tendue – lorsqu'ils réfléchissaient. Il incarnait le rêve de sa mère, son champion personnel, tandis qu'Amara l'effacée, avec ses pouvoirs incontrôlables, ne lui inspirait que dégoût.

Elle frémit lorsqu'il passa à côté d'elle sans même lui jeter un coup d'œil. Son long manteau claqua dans les airs. Ils ne s'adressaient plus la parole depuis que le jeune homme l'avait livrée au bon vouloir du Commandant Ollyver.

— Il m'avait demandé où tu étais. Amari, on ne peut pas mentir à cet homme !

Quoique cruellement déçue par l'évolution de leur relation, la jeune fille ne se résolvait pas à le pardonner si facilement. Deux gardes la suivaient à présent en permanence, comme si elle était soudainement devenue un colis précieux à surveiller de très près. Plongée dans son ressentiment, elle ne perçut la présence de l'albinos dans son dos que lorsqu'il adressa quelques brèves paroles à Alexey.

— Alors ?

Son frère se figea juste derrière le dos d'Amara qui louchait vers la scène avec un manque de discrétion digne de Brandon. Il arqua les épaules en signe de soumission, la mine renfermée, jeta un coup d'œil à sa mère, puis lâcha :

— Elle n'a jamais été le genre de fille de salon facile à séduire. Elle a une confiance en soi de trylme, c'est difficile de la déstabiliser.

Il ne l'a d'ailleurs jamais réussi, pensa Amara narquoise. Alexey, dès son plus jeune âge, avait enchaîné les conquêtes pour obtenir un bout de cœur de chaque fille, et même quelques garçons, de la cour. Un mini-monde qui tournait autour de lui avec une nuance de dédain qui s'effaçait dès qu'il lui envoyait un de ses rares sourires.

Amara n'avait jamais su si les sentiments qu'il montrait pour Thalya frôlaient la réalité ou s'il ne voulait qu'ajouter une nouvelle tête à son tableau de chasse. La Championne cependant, après l'avoir laissé jouer un peu par gentillesse, l'avait éconduit sans prendre de gant. Depuis, Alexey ne participait plus aux sorties des deux filles, même s'il ne semblait pas souffrir de la présence de l'impétueuse amie de sa sœur.

— Heureusement que moi, je connais ses faiblesses, susurra Ollyver en lui posant une main paternelle sur l'épaule. Mais j'aurai probablement besoin de toi, par la suite. Tu es toujours d'accord, j'espère ?

Une lueur qui renvoya les œillades fouineuses d'Amara à leur place, presque démente, alluma la glace blafarde du regard d'Alexey lorsqu'il hocha la tête avec brusquerie. La jeune fille s'approcha alors de la geôle, emplie appréhension. Mika avait-il raconté à Thalya qu'elle avait essayé de la voir ?

Le regard de la Championne glissa à peine sur elle.

— Tiens, mais j'ai l'honneur de rencontrer toute la petite famille ?






Note de la Créatrice

Eh bien, on peut dire que ça fait un petit temps que je ne suis pas venue par ici... Faute à la vie estudiantine très... exigeante. Mais maintenant, j'ai terminé les fichus exams et je res-pi-reuh à nouveau ! J'ai quatre semaines de vacances à remplir et l'écriture est tout en haut de ma to-do-list : en bref, je reprend du service.

Que pensez-vous du chapitre ? Des remarques, des avis, des conseils ?

La pauvre Amara ne sait plus où se mettre... Que feriez-vous, à sa place ?

Vous avez passé de bonne vacance ? Z'êtes prêts pour cette nouvelle année ?! (Perso, chuis excitée à l'idée de ne plus faire de math 24h sur 24h)


À la prochaine !!!!! *> *> *>  (bientôt, bientôt, ce chapitre est encore incomplet)


Publié le 21.01.20


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