Chapitre 16.1
Plus forte, encore plus forte. Ses sabres tailladèrent le pauvre buisson qui s'effondra d'un coup. Elle devait devenir meilleure. Bien meilleure. Ses muscles hurlaient d'arrêter, cuisaient sous sa peau écorchée. Personne ne pourrait la battre. Un nouveau coup, suivi d'un saut en arrière et d'une roulade. Chorégraphie chronométrée perpétuée par des générations de Champions. L'appel des Esteyal vibrait en chœur en elle pour l'aider à se hisser vers la victoire.
D'abord Daya, ensuite Lory. L'albinos lui prenait tous les membres de sa famille, un à un. Il la dépouillerait de tout ce qu'elle possède, jusqu'à ce qu'elle traîne à ses pieds pour le supplier de l'épargner. Nouveau saut, coup de pied circulaire pour désarmer un ennemi imaginaire. Son ventre se rebella et un flot de bile remonta son œsophage, brûlant, douloureux.
La jeune fille recracha la vague d'acidité mêlée de sang, stoïque. Elle méritait cette souffrance. Elle endurerait tout ce qui la rapprocherait de son but : retrouver sa sœur. Au milieu de l'océan de haine, l'image souriante de Lory s'imposa tel un soleil dans les pénombres éternelles. Des sanglots mordants arrachèrent les poumons de Thalya qui dut renoncer à continuer. Ses jambes cédèrent sous son poids.
Une main chaude se posa sur son épaule, compatissante. Elle frémit, mais se laissa enrouler par une étreinte apaisante.
— Tu en fais trop, déclara Mika. Ton corps ne va pas le supporter longtemps.
Thalya haussa les épaules et perdit son regard dans la nuée de pétales blancs qui perçait la mousse malgré la chute de température récente.
— T'es là depuis quand ? Caïam t'a demandé de me suivre ? demanda-t-elle tout en se redressant, les yeux toujours dans le vague.
Mika hocha la tête d'un air peu convaincu. De fait, il la suivait depuis qu'elle s'était faufilée hors de la réunion catastrophique à laquelle elle n'avait qu'énoncé une phrase lapidaire :
— Je ne collaborerais ni avec des assassins, ni avec des maîtres chanteurs.
La foule présente avait hurlé à l'unisson son approbation, tel un troupeau de mouton devant leur berger. La rumeur de la capture de Lory s'était répandue comme une trainée de poudre et tous les Istaldéens s'étaient révoltés contre une telle ignominie. Encourager leur Championne dans ces temps difficiles, voilà la dernière once de volonté belliqueuse qui les animait. Les soldats n'osaient intervenir en plein jour de peur de provoquer un mouvement de masse.
Seulement, Mika savait que la patience d'Ollyver ne tenait qu'à un fil que Thalya avait allègrement déchiré aujourd'hui et que cette protection ne résisterait pas longtemps.
Son amie se releva enfin. La rare lumière qui perçait le lourd feuillage de la forêt de Drasil s'aventurait dans ses cheveux sombres et une auréole dorée semblait l'entourer, protectrice. Le sabre à la main, elle ressemblait, l'espace d'un instant, à une Feys venue pour rétablir la paix et la justice, debout dans un courant de haine.
Un émerveillement fugace traversa le jeune homme. Mais quand Thalya se mit en position de défense, les yeux plissés, il se ressaisit et confisqua son arme d'un geste ferme.
— Thalya, il se fait tard. Viens, je te raccompagne en ville, lui proposa-t-il en tendant sa main.
Elle le fixa un moment, avant de secouer la tête. Ses yeux brillaient, petites étoiles sauvages dans un monde devenu fou.
— Je... Désolée...
Comme un lapin effrayé, elle tourna les talons pour se perdre dans la touffue forêt. Mika laissa tomber son bras, désemparé, puis s'allongea dans la mousse pour contempler le bout de ciel que les feuilles ne découpaient pas en mille morceaux. Aucun danger ne le menaçait, personne ne le soupçonnait, tout fonctionnait comme prévu alors... Pourquoi se sentait-il si agité ?
***
Endormie dans les draps de sa petite sœur, Thalya n'entendit pas la porte sauter de ses gonds, ni les pas s'enfoncer dans l'escalier branlant. La respiration lourde, un filet de salive perlant sur les lèvres, les cils collés à cause des pleurs, elle s'était enfoncée dans un sommeil invincible. Seule la voix effrayée de Caïam, pourtant douce comme de la soie, la sortit de sa torpeur. Son frère ne montrait jamais une quelconque angoisse.
— Où est-elle ?
— Mais je viens de vous dire qu'elle devrait être dans sa chambre...
— Cheffe, il y a encore un escalier, ici !
Des bras invisibles semblaient tirer Thalya vers la profondeur du matelas, un poids sur ses paupières les clouait contre les joues. Les personnes approchaient, il fallait qu'elle se lève, qu'elle cherche ses sabres... Mais sa main léthargique avait beau tâtonner dans le noir, elle ne les trouvait pas. À quoi bon... Plus personne ne l'attendrait à la table du petit déjeuner avec un grand sourire, heureuse de la voir.
Ce n'est que lorsqu'un chiffon au parfum particulier s'enfonça dans sa bouche qu'un jet d'adrénaline la secoua, aussitôt engourdi par l'effluve enjôleuse. Des bras la traînèrent contre le sol. Ses jambes, ballotées contre les marches, ne lui obéissaient plus. On la traîna jusqu'au palier sur lequel Caïam se tenait, les lèvres serrée, les yeux devenus cendre. Peinée, Thalya voulut articuler quelque chose, lui dire que tout irait bien, mais seul un marmonnement inaudible sortit de sa bouche pâteuse. Les poings de son frère se serrèrent, et, un instant, la jeune fille crut qu'il allait passer à l'attaque. Mais l'arrivée d'une soldate entrava son élan.
— Je peux savoir pourquoi vous vous en prenez à ma deuxième sœur, maintenant ? déclara cependant Caïam, le ton glacial.
— Rentrez dans votre chambre, citoyen.
Il renifla et, contre toute attente, suivit la petite procession jusqu'au rez-de-chaussée. On laissa Thalya se lever et avancer d'elle-même. Elle trébucha entre les marches défoncées, encadrée par deux soldats à la mine patibulaire. Une silhouette rabougrie qui attendait dans le hall entra dans son champ de vision et l'arrêta net. Ses poils s'hérissèrent et un grondement menaçant sortit de sa gorge.
Un des soldats lui adressa un regard lourd d'avertissement. Thalya l'ignora, toute son attention fixée sur cet homme au cou enfoncé dans des épaules battues par le temps. Qu'est-ce que son père faisait là ? Ce satané père qui les avait abandonnés depuis la mort de leur mère. Celui qui s'était alors enfermé dans la cave, sans accepter autre chose que le strict nécessaire pour lui et ses rats. Des rats de laboratoire sur lesquels il s'échinait en silence, transmettant les rares dernières miettes d'énergie qui l'animait.
La jeune fille le fixa, les dents serrées, la colère à peine adoucie par la substance qui l'abrutissait. Les soldats avaient dû obliger l'ermite à sortir de son repère, chose qu'il n'avait plus faite depuis des années... Depuis que le titre de Championne était officiellement tombé sur les épaules de sa fille.
L'homme redressa son visage recouvert de cendre, presque surpris de la voir, comme s'il ne la reconnaissait pas. Il fit un pas en arrière lorsqu'elle passa devant lui, tenue à bout de bras par les deux mastodontes.
— Où est Lory ? demanda-t-il, la voix rauque. Où est-elle ?
Thalya retint un ricanement alors qu'une boule de frustration éclot dans sa poitrine. Où était-elle, ah ! Telle était la question, oui. Mais comment, lui, le lâche, osait-il seulement poser la question ? Bien sûr, il ne se souciait que de la gamine qui lui apportait encore les vivres qui l'aidaient à tenir, vu que les aînés s'étaient détournés de lui, dégoûtés du fardeau qu'il leur avait laissé.
— Beaucoup d'événements se sont passés, papa. Mais ne t'inquiète pas, retourne dans ton trou à rat, laisse le monde filer autour de toi !
Thalya essaya de se défaire de la pression des soldats, mais la fatigue étreignait ses membres, aussi lourde que la peine qui étreignait son âme.
— Tu ne l'as pas... protégée ?
Le sang de la jeune fille ne fit qu'un tour.
— Parce que c'était à moi de le faire ?
Des larmes lui montèrent aux yeux. Le pauvre souffle qui s'échappait de sa bouche l'exaspérait, la frustrait. Elle aurait voulu crier, hurler.
— Pauvre type... Est-ce que tu sais à quel point je te hais ?
Thalya abandonna et se laissa traîner hors de vue de la misérable épave de souffrance qu'était devenu son père. Sa présence lui était insupportable. Les mots prononcés se fichaient dans son cœur, aussi tranchantes que des aiguilles. Échoué, elle avait échoué à protéger sa petite sœur, son soleil terrestre, son bourgeon de bonheur... Oh, comme elle aurait voulu pouvoir jouer son rôle à merveille, mais elle avait misérablement échoué !
Des mains rugueuses la retinrent quand elle sombra dans la somnolence artificielle que son corps avait cessé de combattre.
Note de la Créatrice
Je suis de retour ! Pour vous jouer un... *cherche la porte*
Entre les textes à rendre pour le concours de la Plume Encrée (tous disponibles sur "Mes pensées dans le vent" (no-comment sur le titre, il date)) et les étuuuuuudes (ce n'est pas l'équivalent de la prépa, mais on s'en approche) je n'ai plus beaucoup de temps à consacrer à Wattpad, ni à l'écriture... *sanglote*
Malheureusement, les vacances de Noël ne seront pas propices à l'écriture (vive le blocus avant la boucher... les exams !) Mais les quatre semaines en janvier/février... *a hâte*
Quoiqu'il en soit : des avis, des réactions ?
Merci pour votre fidélité (je vous aime fort) et à dans deux sem... hrm. À dans deux mois !
Elly qui va aller finir ses exos de physique.
*> *> *>
Publié le 30.11.19
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