Chapitre 14.2
Lory se leva alors d'une chaise installée au fond de l'aula, la tête haute. Ses boucles dorées flottaient en cadence de son pas guilleret et nombre de visage s'attendrirent en la voyant monter sur l'estrade avec fierté. Personne ne fit mine de partir, curieux.
— Il y a pas longtemps, débuta la gamine, les yeux brillants, j'ai trouvé un livre avec une pierre dedans. Je crois que ma sœur est meilleure pour vous expliquer ce qu'y a dedans, parce que je sais pas trop lire, mais je peux faire des trucs trop cool depuis quelques jours. Grande sœur a dit que ce serait grâce à la pierre.
Thalya se mordit la joue, partagée entre l'angoisse de voir sa petite choupette s'exposer devant un si grand public et la fierté de la voir tenir le discours sans fléchir malgré son trac évident. Elle n'avait d'abord pas voulu révéler les nouveaux pouvoirs de Lory au groupe, mais Verince avait argumenté que si elle voulait les faire confiance, elle pouvait accepter cela. Une légère appréhension l'habitait, cependant.
Elle s'avança ensuite et partagea ce qu'elle avait lu sur la guilde des Télépathes. L'émerveillement montait dans les hauteurs de l'aula au fur et à mesure qu'elle étalait ses découvertes. À la fin de son récit, l'attention se reconcentra sur une Lory rougissante d'être le centre d'intérêt.
— Tu sais faire quoi, exactement ? demanda Fynn dont l'enthousiasme frôlait l'indécence. Ça veut dire que t'es gradée, en fait !
La fillette secoua la tête.
— J'ai pas de perle, juste un talna. Pour l'instant, du moins.
— Elle n'arrive qu'à communiquer avec moi, annonça Thalya pour désamorcer les regards avides qui dévoraient sa petite sœur en songeant à sa nouvelle importance. Sur une assez grande distance. Pour vous donner une approximation, j'ai perdu le contact une fois arrivée à la clairière de la cascade. Mais elle n'entend pas mes réponses.
La jeune fille évita de dire que depuis que Lory avait compris comment réussir ce tour, elle l'inondait de paroles à n'importe quelle heure de la journée et qu'elle n'avait pas encore trouvé le moyen de l'interrompre. Surtout qu'elle ne pouvait même pas la gronder vu que la gamine se trouvait rarement à ses côtés. Au moins, la machine à bavarder se taisait lorsque les autres lui posaient des questions. Sa carcasse longiligne se courbait dans tous les sens en cherchant une position plus agréable à tenir en public.
— Tu peux communiquer avec d'autres Télépathes ? questionna Mika, la tête levée vers elles.
Ses long cheveux remplis de fils argentés flottaient légèrement dans le courant d'air qui passait dans la grande salle. Plongée dans la contemplation du ballet de lumière vacillante des Sijites qui s'amusait à sculpter le visage d'albâtre du jeune homme, Thalya rata le coup d'œil anxieux de sa petite sœur, puis sursauta quand sa voix criarde retentit dans sa tête.
Grande sœur ! Je sais pas comment expliquer, il va pas comprendre, je fais quoiiijefaisquoijefaisquoi ?
Des sentiments qui n'étaient pas les siens affluèrent dans l'esprit de la Championne. Une grande chaleur, un visage souriant. Mika, Mika, Mika...
Je veux pas qu'il me prenne pour une idiote. Aide-moi.
Thalya s'agenouilla à la hauteur de la gamine et lui posa une main dans ses boucles rebelles.
— Ne t'inquiète pas, choupette, murmura-t-elle dans le ton de la confidence. Je suis certaine qu'il est aussi impressionné que moi par ce que tu fais.
J'aimerais me transformer et me cacher dans un trou, avoua Lory, le visage empourpré, avant de se rengorger et de répondre au jeune homme qui semblait peiné de l'avoir mis dans l'embarras.
— Je ressens – son visage se tordit sous l'effort de mettre un mot sur ses nouveaux sens – une sorte de présence lointaine et vague comme de la brume..., mais c'est impossible de l'atteindre. Selon le gros livre il faut un contact physique pour établir un lien. Ou posséder le même sang, ça veut dire être de la même famille, clama-t-elle avec superbe.
Une ride soucieuse se forma sur le front de la Championne en se rappelant les lignes du grimoire qu'elle avait à présent lu de long en large. Les Télépathes avaient certes formé le réseau de communication le plus performant qui n'aie jamais existé en An'kalara, mais en avait payé le prix. Cher. La guilde, pour établir le plus de liaisons intra-humaines possible, rassemblait tous ses adhérents de manière régulière dans des bains de foules car seul un contact physique permettait aux Télépathes de se lier psychiquement et communiquer par la pensée.
Seulement, une fois la crise de l'Ere de Suie achevée, les Télépathes tentèrent de se soulever contre le système : la promiscuité mentale devenait intolérable et les conditions dans lesquels ils travaillaient ne remboursaient pas l'intimité qu'ils avaient perdue à tout jamais. De plus, leur importance dans la société les avait menés à se croire invincible et certains, parmi les plus ambitieux, convoitaient même la couronne d'Elesir.
Or, pacifistes de nature, ils avaient négligé l'avidité humaine qui leur faisait face. Leur révolte fût matée en un rien de temps. Le gouvernement, n'ayant pu se résoudre à instaurer une sentence sévère qui impliquerai des troubles de communication, fit un choix qu'il allait amèrement regretter : il supprima les prérogatives des Télépathes, ce qui entraîna une négligence quant à la sécurité des membres de la guilde. La malveillance de populace dont la confiance avait été fissurée par le conflit ne fit que croître à mesure que les années passaient. Les abus devinrent plus fréquents. Partagée entre la pitié et la peur que cette « ressource » ne s'épuise, des systèmes d'exploitation se mettaient en place. L'esclavage, pourtant aboli par Elésir, ressurgit comme la mauvaise herbe qui attendait son heure.
Le roi de l'époque, porteur de la couronne d'Elésir, n'approuva pas ces atrocités et prit la décision radicale de retirer le lété, métal qui permettait au don de s'épanouir, du marché. Choix controversé, mais non-contestable : il l'avait pris en concertation avec les esprits d'Elésir elle-même et de ses douze disciples qui dormaient dans la tiare de la monarchie. La lignée des Télépathes s'étaient éteinte aussi rapidement qu'elle avait surgie.
Quoi qu'il arrive, Lory ne fera jamais partie de cette guilde, se promit Thalya, la mine sombre, la main sur l'épaule de sa petite sœur. Celle-ci, encore écarlate à cause de l'intervention de Mika, souriait avec la candeur d'un ange, spectacle curieux et fascinant pour l'assemblée.
— Je peux faire aussi d'autres choses ! s'écria la gamine. Attendez, je vais essayer, je n'y arrive pas toujours.
Thalya baissa la tête vers elle, surprise. Que voulait-elle faire ? Elles n'avaient rien convenu pour la suite. Les sourcils de la Championne se haussèrent alors qu'elle sortait son dé pour le faire virevolter dans les airs. La fillette se dégagea de l'emprise de sa sœur et se tourna vers le mur derrière elles.
Elle ferma les yeux, se concentra sur sa respiration. Après trois inspirations régulières, ses paupières s'ouvrirent et révélèrent deux orbites totalement blanches, comme si ses pupilles avaient été aspirée par un monstre niché dans sa tête. Horrifiée, Thalya voulut l'empêcher de continuer, mais Verince l'arrêta dans son élan.
— Laisse, on ne sait pas comment elle réagirait si on la sortait de sa transe.
La salle gardait son souffle. Le courant d'air, tenace, paraissait glacial lorsqu'il s'engouffra dans les boucles dorées de la gamine. Un cri étouffé ricocha contre les arches de pierres lorsque des taches de couleurs vacillantes apparurent d'un coup sur le recouvrement de chaux, scintillèrent un instant avant de s'évanouir.
Mais la fillette ne semblait pas vouloir abandonner. Des grosses gouttes de sueur coulaient sur ses joues rebondies et ses épaules frémissaient comme sous l'inflexion d'une mer agitée. Les Moïras sur ses avant-bras se tordaient, prenaient soudainement vie et serpentaient autour de sa peau juvénile.
Le cœur de Thalya rata un battement. Elle connaissait ses signes prémonitoires. Une terreur confuse la secoua. Non ! Lory ne pouvait pas devenir gradée, ne devait pas en devenir une !
Des images sortirent alors avec un bruit sec hors de l'espace dans lequel volait une poussière nonchalante. Au même moment, une perle apparut dans les entrelacs de métal de Lory.
Le monde sembla s'arrêter. Tout le monde fixait la perle, translucide, remplie d'une fumée opaque qui se mouvait de manière continue, comme pour les hypnotiser. Beaucoup n'avaient jamais vu de gradé de leur vie et des larmes affluèrent chez les plus sensibles. Pendant ce temps, le spectacle d'apparitions spectrales continuait, silencieux. L'ordre de Thalya agit comme un électrochoc.
— Dispersion !
L'urgence de la situation redevint claire pour les jeunes qui, confus, ne surent pas tout de suite réagir. Les rumeurs du Détecteur avaient fini par passer les murs épais du Manoir, mais peu s'en étaient vraiment soucié jusqu'à présent.
— Le groupe A sort par la sortie principal avec Kayrel, commanda Thalya avec un sang-froid de glace. B avec moi, on part par derrière. Et C avec Verince ! Et on se bouge ! Les soldats peuvent arriver d'une minute à l'autre.
Ses camarades obtempérèrent immédiatement comme une machine bien huilée. L'hésitation s'était envolée, remplacée par une détermination calme. La jeune fille s'empara alors de Lory, la hissa sur son dos et courut vers la sortie après avoir palpé son pouls. Rien d'anormal.
Après un coup d'œil pour vérifier que tout le monde suivait ses ordres, elle s'engagea dans les couloirs sombres de l'Ecole. La pierre sous sa main, devenue lisse sous la foulée autrefois quotidienne des étudiants, lui assurait qu'aucun soldat n'avait encore franchi le portail. La fluctuation du Flux causée par Lory avait dû être minimale, mais ils viendraient, tôt ou tard, Thalya en était convaincue.
Ses jambes la menèrent à travers la cantine, sans hésitation, louvoyant entre les tables vides et chaises tombées par terre. La fermeture de l'établissement ne s'était pas faite du jour au lendemain, mais le chaos s'est rapidement imposé comme seul maître de l'endroit. Les adultes lettrés étaient partis en masse vers la capitale pour apporter leur aide et continuer à enseigner malgré les jeunes étudiants qui, à l'approche des conflits, se réfugiaient dans leur famille, dont les foyers étaient éparpillés à travers tout le royaume.
Thalya ravala une boule qui montait dans sa gorge en passant à côté de la gigantesque cloche qui pendait autrefois dans le fier clocher de l'Ecole. Sans la guerre, elle serait entrée depuis plus d'un an en tant qu'étudiante avec le but clair de se hisser dans l'élite pour parfaire son rôle de Championne, Daya à ses côtés.
Elle gémit lorsqu'un fragment de verre se planta à travers la fine semelle de ses sandales dans son pied. Vers la fin, seuls les vandales se rassemblaient dans le bâtiment désaffecté. Eux aussi s'étaient finalement évanoui dans la spirale du temps et avaient laissé l'Ecole telle quelle, avec une réputation hantée causée par le bruit qu'ils produisaient au plus profond de la nuit sans égard pour les voisins.
Enfin, la porte ! Délaissée et éventrée, elle ne tenait plus qu'à un gond, comme pour les inviter à l'ignorer alors que tout le groupe B s'y engouffrait à la suite de la Championne.
Pour avoir passé ces heures perdues pendant les périodes de brouillard épais dans le jardin, Thalya n'eut aucun mal à se faufiler à travers les ronces et mauvaises herbes pour mener ses camarades jusqu'à une brèche dans la muraille qui entourait l'Ecole. Elle les laissa passer devant.
— Éparpillez-vous, faites un grand détour et, si vous êtes certains de ne plus être suivi, rentrez chez vous !
Les silhouettes sombres défilèrent, à peine éclairées par la lune perdue dans un mince rideau de brume. Noirceur et silence régnèrent lorsqu'elle se retrouva seule avec une Lory encore sonnée par les événements qui releva à peine la tête en demandant d'une voix si fine que le vent menaçait de l'emporter :
— J'ai fait... une bêtise ?
Thalya serra les dents, malheureuse. Iranama, Fey du destin, semblait se moquer d'elle avec brio.
— Non, choupette, répondit-elle d'une voix douce qui cachait parfaitement les sanglots coincés dans la gorge.
Lory était dotée d'un Flux énergétique anormalement haut dans son sang. Cela lui permettait des transformations compliquées normalement réservées aux gradés, car ses besoins énergétiques étaient couverts par ses propres réserves. Bien que le don de Télépathe se manifeste quasi systématique sous forme de perle, Thalya avait espéré que cette capacité entraverait le processus.
De chaudes larmes silencieuses coulèrent alors qu'elle s'engouffra dans le trou en direction des arènes du Quart I. Elle les avait atteintes lorsqu'un enfer de galopade la dépassa en direction de l'Ecole. Normalement, tout le monde devrait être parti.
Espérons...
Note de la Créatrice
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Que pensez-vous de ce mode de communication ?
Oui, je sais, j'ai raté mon rendez-vous habituel... Merci la reprise scolaire ! Je viens d'entrer à l'université, en école d'ingénieur, plus précisément. (Ingénierie des Science de la vie à l'EPFL) Et il y a énormément de travail, environ 60h par semaine... La première année ressemble un peu à la prépa, je crois, question boulot. *va sangloter dans un coin avant de se remettre à travailler*
Mais vu que j'ai été productive pendant l'été donc rendez-vous tous les dimanches, à présent ! Je devrais avoir le temps d'au moins relire/réécrire les chapitres en questions (je devais encore rendre un texte pour le concours de la Plume Encrée, cette semaine. (Croisée entre les mondes "Mélodie Interdite", ma nouvelle, X Tara Duncan de Sophie Audouin Mamikonian... Marrant à faire)
À la semaine prochaine ! (si je ne suis pas morte, ensevelie sous la physique mécanique <*)
Publié le 23.09.19
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