Chapitre 11.1

Des dizaines de petites mains s'affairaient autour d'Amara qui bouillait littéralement de l'intérieur. Des camaïeux d'étoffes passaient sur elle, entouraient sa taille pour flotter jusqu'à se chevilles. Les bijoux, assortis de pierres plus précieuses les unes que les autres, s'accrochaient à ses poignets, tombaient en cascade fraîche dans son cou. D'habitude, cela ne la dérangeait pas ; elle adorait assister à la concoction d'une merveille vestimentaire.

Mais ce jour-ci, elle ne savait pas ce qui lui tapait le plus sur les nerfs : les circonstances de cette activité hystérique autour de sa petite personne – chose qu'elle appréciait pourtant, en toute honnêteté – ou le manque de nouvelles de sa meilleure amie. Le manque de nouvelle... et d'attention. Sa colère fut soufflée en un claquement de doigt, remplacée par une morne dépression qui laissa son cœur dans un état proche du champ après l'incendie. L'entrée de sa mère dans la petite salle étouffante interrompit le flot gris de pensée de la jeune comtesse.

— Alors, ma chérie, as-tu une préférence pour un certain modèle ? Je te laisse champ libre, tu as très bon goût.

Si seulement vous me laissiez le choix pour plus de choses, songea amèrement Amara. Elle aurait voulu lui crier qu'elle n'épouserait personne, que partager sa vie avec quelqu'un d'autre la terrifiait, mais le regard dur de la comtesse l'en empêchait. Ses jambes tremblaient et menaçaient de la faire basculer du piédestal sur lequel elle était installée.

— Je... je, balbutia-t-elle avant de se reprendre. Je dois avouer que cela dépendra de l'homme que je devrai marier. Impossible de le faire toute seule.

— Oh, et bien, sélectionne tes préférées et nous aviserons ensuite. Je ne suis pas encore certaine d'avoir trouvé le parfait prétendant à ta main, j'hésite entre plusieurs no... hommes. Ne fais pas cette tête, tu devrais être contente, je ne suis pas cruelle : je te promets que je ferai en sorte qu'il ne soit pas trop vieux et si possible, assez beau. Il y en a un d'une splendeur, mais d'une splendeur ! Ah, j'en serais presque jalouse.

Amara serra les lèvres et se concentra pour rester tranquille : des aiguilles retenant les divers tissus la menaçaient de leur pointe effilée. La chaleur de son pouvoir n'était pas de cet avis ; il afflua vers ses mains qui furent parcourues de picotements avant de se tarir en repensant à la discussion qu'elle avait essayé de mener avec la comtesse. Quand sa mère s'était enfin décidée à le lui annoncer, elle avait préparé un bloc d'argumentation pour contrer ses plans. Un bloc qui s'est écrasé contre la réponse de sa mère.

C'est pour ton bien, il n'y aura pas de discussion.

Et l'éclat menaçant qui avait brillé dans les yeux bleu glacier l'avait dissuadé d'en demander davantage. Ça, et la porte entrouverte par Thalya. Une porte de sortie sur la possibilité d'une nouvelle vie, loin des bandeaux qui l'enserraient, loin de la noblesse hypocrite qui n'attendait qu'une seconde d'inattention pour la faire tomber de son piédestal. Mais après l'accueil qu'elle avait reçu... Par Elésir, il fallait qu'elle la revoie ! Ces dernières semaines avaient été compliquées à gérer avec tous les préparatifs du mariage.

Quand elle fût enfin débarrassée de tous les froufrous qui l'encombraient, Amara respira et prit directement le chemin vers sa chambre, un dilemme en tête. En parler à Alexey ou pas ?

D'un côté, son jumeau n'approuvait clairement pas ses expéditions, il le lui avait fait clairement savoir. De l'autre, il l'avait toujours couverte et l'idée que sa mère prenne connaissance de ses petites expéditions malgré l'interdiction de sortir la fit frissonner. La porte de son frère était entrebâillée. Amara se mordit la lèvre, finit de ronger l'ongle de son majeur et, sous une impulsion soudaine, passa sa tête par l'embrasure de celle-ci.

— Alexey, je vais faire un tour.

Le jeune homme, concentré, finit d'écrire sa phrase avant de reposer sa plume corbeau sur la table nacrée qui occupait le milieu de la pièce. Il soupira et s'étira de toute sa longueur, sans prendre garde à sa sœur qui attendait un signe d'approbation.

— Tu sais qu'on est convié à une réception, ce soir ? demanda-t-il d'un air indifférent, son nez à présent enfoncé dans un lourd dictionnaire à la reliure de cuir.

Amara claqua sa langue contre le palais, agacée, et entra dans la luxueuse chambre de son frère. Aussi énorme que son égo, elle regorgeait d'œuvres d'art qui provenaient des régions les plus éloignées d'Istaldel. Des petites statuettes de Siatoù, consciencieusement rangées par grandeur aux tableaux glacés des Montagnes du Nord ; tout était agencé avec bon goût pour mettre en valeur la pièce maîtresse d'Alexey : un gigantesque candélabre, composé de mille petites Sijites sculptées avec soin.

Ses différentes facettes reflétaient les quelques rayons du soleil couchant qui arrivaient à traverser les lourds rideaux pourpres. Ce phénomène produisait ainsi une multitude de petits points lumineux qui se promenaient joyeusement sur les murs tapissés.

— Ce n'est rien. Je me porterai pâle. Je ne peux plus supporter les préparatifs.

Les paupières lourdes de son frère s'agitèrent. Il passa une main dans ses cheveux pâles et se retourna enfin vers sa sœur.

— Nous avons un invité d'honneur de marque...

— L'albinos, pardon, le Commandant Ollyver, peut bien se passer de moi une soirée !

Rougissante, des émotions contradictoires fusant dans sa poitrine, Amara tourna le dos à son frère et découvrit un pan du rideau. Un flot de lumière tamisé inonda la pièce. Alexey grogna et mit un bras devant ses yeux éblouis.

— Ferme ces rideaux, veux-tu ?

Sa sœur s'exécuta d'un mouvement sec. Elle s'approcha de la lettre que son frère écrivait et s'en empara. Alexey se rencogna dans son fauteuil rembourré, placide. Il fixait Amara qui blêmissait à mesure qu'elle avançait dans sa lecture. Elle froissa le papier dans un craquement sinistre et le jeta sur le bureau.

— C'est une lettre d'amour que tu adresses à ton albinos chéri ? lâcha-t-elle avec une colère à peine contenue.

Son frère fronça les sourcils, soupira et enfouit son front dans sa main.

— Tu ne comprends jamais rien à rien, Amaryllis.

La jeune fille haussa les épaules et voulut retourner dans sa chambre, mais son frère recula rapidement la chaise et attrapa son poignet.

— Amari... Tu sais que tu peux me faire confiance ?

Les yeux bleu délavé d'Alexey semblaient vouloir scruter l'âme de la jeune fille. Ils la suppliaient de lui répondre par la positive, de lui prouver que le lien qui les unissait depuis la naissance n'avait pas disparu avec le temps, cet ennemi invisible qui les tiraient loin l'un de l'autre. Quelque chose remua dans la poitrine d'Amara.

— Oui, souffla-t-elle alors que son corps lui hurlait de se dégager.

Les paupières d'Alexey se fermèrent un instant, frémir. Chacun de ses muscles respiraient la tension. Il releva la tête et lui demanda gravement :

— Est-ce que Thalya te fait chanter ?

Amara éclata de rire devant une telle absurdité, puis se contrôla en remarquant l'agacement et le sérieux de son jumeau.

— Bien sûr que non. Pourquoi...

Les épaules d'Alexey se relâchèrent.

— Je ne sais pas. Je me disais que... il était très possible qu'elle sache pour ta perle. Et que tu doives lui rendre des comptes. Mais pourquoi es-tu aussi agitée à chaque fois que tu vas la voir ?

Le visage de la comtesse s'assombrit.

— C'est mon amie, répondit-elle d'un ton sec avant de se secouer et de s'engouffrer dans le couloir qu'ils partageaient.

— Attends !

La jeune fille se retourna vivement, la main sur la poignée de sa propre porte. Une de ses barrettes tomba sur la moquette. La meute de mèches blondes rebelles la suivit et troubla son champ de vision. Elle les ramena en arrière avec irritation.

— Amari... Ne gâche pas tes chances pour une vulgaire amitié qui ne te causera que des problèmes.

— Mes chances ? D'épouser un vieux noble bien loti pour satisfaire Mère ?

— Tu es vraiment désespérante, murmura son frère, ce qui la surprit un instant. Obnubilée par tes petits tracas, tu ne vois pas la trame qui se joue devant tes yeux. Tu es aussi aveugle que Mère.

Amara leva les yeux aux plafonds et appuya sur le pommeau doré.

— Arrête avec tous ces mystères. Crache le morceau.

Alexey détailla les alentours, s'approcha d'elle et l'entraîna dans la chambre. Il verrouilla la porte derrière lui avant de se laisser tomber sur un pouf océan. Les rayons d'un soleil affaibli par la Brume illuminaient la pièce d'un halo étrange.

— Mère va probablement te lier à un soldat haut placé. Ou mieux : à un gradé. J'ai réussi à la convaincre de se focaliser sur ces prétendants. Bientôt, la noblesse ne vaudra plus rien.

Un vertige saisit Amara, qui dût s'appuyer sur la petite commode blanche.

— Que...

— Le Grand Conseil n'est pas bête. Avec notre aide, il ne prendra qu'une dizaine d'année pour envahir l'An'kalara. Ensuite, ils nous élimineront. On ferait tache dans leur système d'élu par les Feys. Moi, je ne suis pas gradé et ne peut donc pas espérer une bonne alliance. Je dois gagner ma place d'une autre façon. Mais toi... Ne saccage pas ton avenir pour des désirs superficiels et éphémères.

Il prit une grande inspiration.

— Viens ce soir, au moins pour quelques minutes. Et rapproche-toi d'Ollyver.






Note de la Créatrice

Un chapitre un peu court, qui sera compensé par le suivant.

Des avis, des réactions ?

Que pensez-vous d'Alexey ? Digne de confiance pour Amara ?

D'ailleurs, est-ce que vous avez des frères/sœurs ?  Vous vous entendez bien ?

À la semaine prochaine !

*> Cuicuicuicuicuicuicuicui ! <*


Publié le 07/08/19

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