Chapitre 10.1
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Extrait provenant de « La guilde des Télépathes », écrit par Nathan Svaerlyt, chroniqueur officiel de la Couronne d'Elésir, 156 p.E
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Le chant des oiseaux cachés derrière la muraille de la forêt ne parvenait pas à tranquilliser Thalya. La jeune fille, les sens comme anesthésiés par la nervosité grandissante qui s'infiltrait en elle, grimpait la colline qui menait à la Carrière. Les mots de Kayrel tournaient en boucle dans son esprit.
« N'oublie pas qu'il a une dent spéciale contre toi. Tu sais aussi pourquoi il te déteste à ce point, alors évite de le provoquer. »
Malgré son appréhension, elle continuait à grand pas, perdue dans ses pensées. Le livre qu'avait déniché Lory la perturbait presqu'autant que la rencontre avec Alrik. Un pressentiment la poussait à le dévorer, mais l'avertissement clair présenté au début la faisait hésiter. Elle se sentait mal d'intervenir dans les affaires de la Reine, qu'elle admirait malgré l'abandon d'Istaldel à l'ennemi. Sa petite sœur n'avait pas eu autant de réticence et avait semblé excitée comme une puce. Thalya n'avait pas compris grand-chose de l'interminable gazouillement qui sortait de la bouche de la gamine. Peu concentrée, la jeune fille trébucha sur une racine isolée et se reprit de justesse.
Les ombres des arbres qu'elle longeait tremblotaient au gré du vent et grandissaient avec la fatalité du déclin du jour tandis que la mélodie du bruissement des feuilles endormait tout autre son. L'air se tut soudainement lorsque Thalya pénétra dans la sorte d'amphithéâtre que formait la carrière de syphe. Les énormes parois rocheuses devenues or liquide sous la caresse des rayons couchants, à l'instar des remparts d'Istaldel, fabriquée avec le même matériel, se dressaient devant elle comme pour l'inviter à monter.
La jeune fille résista à l'envie de contempler la vue de la vallée baignant dans une fine toile de brume, habitude dont elle ne lassait jamais, et entreprit son ascension, aidée par les touffes d'herbe sauvage qui la parsemaient. Elle finit par atteindre le premier plateau. Alrik, les cheveux étonnamment propres et arrangés en une masse de petites tresses, semblait méditer sur une pierre, les jambes croisées, les yeux fermés. Thalya avala sa salive et se sentit soulagée lorsqu'elle détecta la crinière rousse de Kayrel. Allongé non loin de son ami, le jeune homme dormait, ou du moins ne laissait rien apparaître d'autre qu'un front lisse et une respiration régulière.
— Et bien, il ne fallait pas me demander de venir aussi tard si vous roupillez déjà ! jeta la Championne pour annoncer son arrivée, avant de regretter son ton moqueur.
Alrik sursauta, son œil gauche papillonna frénétiquement. Le tic fut bientôt suivi par un autre : tout son visage se crispa et ses muscles faciaux jouèrent à la surface, tels des vers fouisseurs essayant de dégager un chemin vers l'extérieur.
— Kay, j't'avais bien dit que ça ne fonctionnait pas, la méditation, grogna-t-il. Rien que sa voix déclenche une marée de dégoût.
La jeune fille serra les lèvres, mais ne réagit pas. Cette discussion s'annonçait houleuse. Le grand roux sourit avec une chaleur telle qu'elle pouvait rivaliser avec l'énorme coup de soleil qui s'étendait sur son front.
— Faut que tu t'améliores, mon gars. Tu as l'air d'aller mieux, Thalya Esteyal.
— Je n'avais pas vraiment de blessures graves, surtout une énorme fatigue.
Le ricanement arrogant d'Alrik à cette remarque la fit grincer des dents. Le jeune homme démêla ses jambes avec difficulté, sauta de son promontoire et s'approcha d'elle avec un air conquérant.
— Eh, t'es bien amochée, quand même, persifla-t-il. Et si je n'avais pas été là, ton état ne serait pas meilleur ! J'espère que tu en garderas une cicatrice pour que tu te rendes compte de ta propre stupidité. Avec ton impulsivité et ton égo gros comme le Manoir de la chienne de comtesse, là.
Une ombre passa sur les yeux verts de Thalya. Elle ramena sa longue tresse sombre vers elle et l'entortilla autour de l'index.
Ne pas le provoquer. Un rien le mettrait hors de lui.
Contrairement à ce qu'il insinuait souvent, elle pouvait garder ses émotions dans un rideau de fer. La colère qu'elle ressentait ne l'embrasait pas, elle palpitait lentement, et pour une autre personne qu'Alrik. Un ennemi beaucoup plus cruel. Elle frissonna devant la vision soudaine de l'albinos qui se dégagea d'un rocher. Après une forte inspiration, elle se rassura ; la pierre restait pierre.
— Tu m'ignores, tu restes silencieuse ? Tu te crois encore supérieure après tout ça ? demanda Alrik avec incrédulité. Avec ton action, tu as juste mis en danger la vie des autres, y compris la mienne. Pendant que tu te pavanais devant tout le monde, j'ai agi dans l'ombre et j'ai été bien plus productif que toi, mademoiselle la Championne d'Istaldel !
Le titre devenait insulte dans sa bouche. La frustration de ne pas le porter transparaissait néanmoins de son ton. Depuis que les deux jeunes gens avaient accédé à leur fonction de Champion de Quart, Thalya avait toujours battu Alrik au Festival des Brumes. Cela s'était souvent joué à peu de choses, mais le rapport de force était resté constant. Thalya releva la tête, le toisa, puis s'assit sur un bloc de syphe.
— Tu m'as fait venir ici pour me jeter mes erreurs à la figure ? lâcha-t-elle, comme fatiguée. Et puis – elle se tourna vers le ciel qui se paraît des couleurs du crépuscule – je crois que ça a quand même eu un effet positif. Que penserait le peuple si on jouait au mouton ?
— Et qui pensera au peuple si on meurt, hein ? Décapité comme ta folle de tante, par exemple.
Thalya se redressa vivement tel un serpent furieux et se planta en face de lui.
— Je t'interdis d'insulter Daya, déclara-t-elle d'une voix froide.
— Je n'ai à recevoir d'ordre de personne.
La jeune fille leva les sourcils.
— Ah oui ? Et c'est qui le toutou de soldat que j'ai rencontré dans la prison ?
Les joues d'Alrik se couvrirent de plaques rouges, un grognement s'extirpa de sa gorge. De la sueur glissait de son front sur lequel la trace d'un casque de service était encore visible. Kayrel attrapa l'épaule de Thalya en signe d'apaisement, mais elle se dégagea aussitôt avant de se mettre hors de portée.
— C'est le gars qui t'a sorti d'une situation peu reluisante, Esteyal. Ait un peu de respect, lui rappela le grand roux, les yeux plissés, toute expression de bienveillance disparue d'un coup.
Thalya se rendit compte qu'elle haletait. La situation avait dégénéré bien plus rapidement que prévu. Elle passa son regard sur Alrik, puis sur Kayrel, avant de remettre ses cheveux en place.
— Oui, tu as raison, pardon.
Son rival cracha par terre.
— Tu as raison, pardon, répéta-t-il avec une voix de fausset. Toujours en train de t'excuser, Thalya ! Assume enfin ! Ne retire pas ce que tu penses comme ça. Bien sûr que j'suis une saleté de garde à la noix qui fait tout ce qu'on lui demande, là-bas ! Mais que c'est humiliant, tu diras. Indigne d'un Champion. Tu n'arriverais jamais à t'abaisser à cela, hein ? Tu crois que je fais parce que j'ai peur pour ma peau ? Ne mens pas, ton visage n'exprime rien d'autre du mépris.
Il prit une grande inspiration devant la mine concentrée de la jeune fille, toujours en position de défense.
— Alors, tu ne veux pas deviner pourquoi je deviens crasse devant la noblesse – une grimace le transcenda à l'énoncé de cette classe qu'il haïssait – hein ?
Thalya rentra la tête dans ses épaules et se mordit les lèvres. Elle le laissait parler, attendait qu'il en vienne au but de cette rencontre.
— Tu ne sais pas ? Pour aider mon peuple, pardi ! Notre peuple que tu veux mener à la boucherie, alors que nous, les Champions, sommes sensé les diriger vers un avenir meilleur. Ah, la tête que tu fais... Comment vas-tu réagir si je te dis que dans notre ville bien aimée, dans cette assemblée que tu as convoquée pleine de confiance, il y a un traître ? Un espion, un informateur qui s'est empressé de tout raconter de ta petite expédition.
Le sang de la jeune fille se glaça dans ses veines. Qui avait bien pu faire ça ? Oui, l'assemblée qu'elle avait convoquée était grande, mais la Championne avait personnellement sélectionné chacun d'entre eux. Istaldel n'était pas une énorme ville et Thalya aimait s'intéresser à ses concitoyens. Qu'un d'eux ait pu la trahir si lâchement lui faisait plus mal qu'elle ne l'aurait cru, comme si on lui avait planté un poignard dans le dos. Tous les visages et noms défilèrent devant ses yeux. Cette femme ne l'appréciait pas vraiment, ce garçon paraissait nerveux... Et la rousse aux traits de Feys, ne pouvait-elle cacher quelque chose ?
Les mains de Thalya virevoltèrent autour de sa longue tresse, puis se calmèrent d'un coup. Personne ne méritait une suspicion non-fondée. Elle abandonna sa position défensive et proposa de s'asseoir. Kayrel s'exécuta immédiatement et, avec un regard pressant vers son ami, le convainquit de faire de même.
— J'enregistre. Tu as d'autres infos ? soupira Thalya tout en se demandant si elle pouvait faire confiance son rival.
Il t'a sauvé d'un mauvais pas, lui murmura une petite voix dans sa tête.
— Oui. Tu devras faire profil bas, ces prochains temps. Ce ne seront plus que quelques petits soldats qui te menaceraient, toi et ton Corbeau Noir adoré, dont le soutien me paraît encore être une bonne blague, d'ailleurs, mais...
Les traits d'Alrik s'apaisaient quand il parlait, enfoncé dans les réflexions, même s'il évitait clairement le regard de la jeune fille. Ou bien était-ce l'influence de Kayrel dont le demi-sourire flottait dans la poussière embrasée sous les rayons ?
— Tu as déjà entendu parler de l'Ombre ?
— Tu rigoles ?
Cela ne faisait que quelques années que , en tant que bras droit du Grand Conseil, semait la terreur là où elle passait, mais un frisson désagréable parcourut l'échine de la jeune fille à son énoncé. Les histoires, plus sombres les unes que les autres, de ce personnage aux traits inconnus avait réussi à atteindre Istaldel, pourtant très isolée des voies de communication. Des récits peuplés de cadavres et de familles déchirées. Certaines rumeurs racontaient même que le Grand Conseil avait rassemblé le pouvoir de ses membres pour façonner, à partir du sang et de la chair de gradés sacrifiés, ce soldat invincible.
— Eh, tu ne me l'avais pas encore dit, ça ! s'écria Kayrel, le teint crayeux. L'Ombre ? À Istaldel. Impossible...
— Je ne voulais pas te le dire. Je ne veux pas que tu entreprennes quelque chose de dangereux, Kay. Compris ?
L'interpelé tourna la tête vers la lumière déclinante qui n'éclairait plus que les filaments de brouillard suspendu près du gouffre, au loin. Thalya se retint de poser une question, mais elle semblait reconnaître l'éclat qui avait brillé une seconde dans le marron des yeux du rouquin.
— Non.
Note de la Créatrice
Des avis, des réactions ?
Alrik semble assagi, devenu, avec les circonstances, un chevalier de l'ombre... Une entente avec Thalya serait-elle possible, d'après vous ? Peut-elle lui faire confiance ou est-ce Alrik qui doit se méfier de l'impulsive Championne ?
Un ancien ennemi ou rival devenu ami... Avez-vous déjà expérimenté cette situation ? ;-) Personnellement pas vraiment, mais les relations peuvent énormément évoluer en peu de temps...
Côté résumé...
Grâce aux commentaires (merci beaucoup), j'ai réussi à me débloquer et ai concocté un nouveau résumé, des avis ? =>
Le pouvoir des perles est octroyé à une minorité de la population seulement ; les gradés. Longtemps refoulés à cause de leur don, ils se réunissent sous l'influent Grand Conseil et tentent d'envahir l'An'kalara.
Or grand pouvoir rime avec grande responsabilité. Et quand les troupes ennemies arrivent au bord d'Istaldel, deux gradées qui ont toujours caché leur statut deviennent, bon gré mal gré, des pions vitaux dans les magouilles des puissants.
La première, Thalya, n'hésite pas à revêtir le masque du Corbeau noir pour aider les habitants de sa ville adorée sans penser aux conséquences de ses actes. Solitaire dans l'âme, elle se retrouve pourtant en position de leader, ce qui ne réussit pas à entamer son idéologie.
Amara, elle, aimerait d'abord sauver sa peau, mais se retrouve écartelée entre son envie de liberté et le théâtre hypocrite de la noblesse. Or celui-ci lui promet une vie confortable et sûre à laquelle elle est habituée, même si la menace d'un mariage prochain plane au-dessus de sa tête...
Est-ce qu'il donne envie ?
Je vous souhaite de survivre à la nouvelle vague de canicule (moi, chuis en montagneuh, il fait supportableuh) et à la semaine prochaine !
Cuicui *>
Publié le 24.07.2019
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