Bonus : La rancœur au bord des lèvres (EIB)

Voici un petit texte bonus écrit dans le cadre de l'Epic Inked Battle, pour lequel il fallait prendre un personnage de notre roman et le faire atterrir... au lycée (dans un cadre réaliste). J'ai choisi de prendre un de mes chouchous parmi les personnages secondaires : Kayrel. Une petite remarque : il n'a pas conscience de venir d'Istaldel et sa backstory a été légèrement adaptée à notre bon vieux monde, mais elle reste fondamentalement la même.

Bonne lecture ! 


***


Lorsque Kayrel arrive enfin au lycée, vers vingt-deux heures, la fête de l'école a déjà commencé à dégénérer. Les collégiens ont tous été renvoyés de la cour et les sodas se font lentement mais sûrement remplacer par les bouteilles d'alcool en tout genre. Les professeurs, comme pour s'assurer de toujours avoir une longueur d'avance sur les jeunes, ne les ont pas attendus pour trinquer et se sont isolés dans un coin de la cour avec un paquet de cigarettes.

— Hey, notre pote est enfin de retour ! s'exclame Léo avec son accent espagnol prononcé lorsque le rouquin s'approche d'un pas traînant à la rencontre de ses amis. Pourquoi tu viens si tard ?

Kayrel sent ses lèvres se tordre malgré lui et sa tension disparaître devant l'enthousiasme de ses camarades. Sa mère a donc eu raison de le pousser à les rejoindre pour une ultime soirée au lycée.

— Problème à la maison, élude-t-il en s'installant sur la margelle de la fontaine, à leur côté. Il est passé où Arthur ?

Léo passe une main inutile sur ses cheveux laqués, plonge l'autre dans l'eau fraîche derrière lui et en sort une canette de bière, triomphant.

— T'as vu ça ? s'exclame-t-il, tout content. Mieux que Jésus ! Allez, prends-la, c'est cadeau. Et si tu veux pieuter chez moi cette nuit pour éviter ton daron, tu peux hein ?

— Oh merci, mec, répond Kayrel, dont les épaules se détendent enfin. Je crois que je vais faire ça.

Il contemple la boisson alcoolisée avec un brin de dégoût, mais finit tout de même par la décapsuler. Une vague de nausée monte en lui lorsque l'odeur de fermentation s'empare de son odorat. Sa respiration se bloque. Il ferme les yeux, attend. Les flashs ne feront que passer, comme d'habitude.

Une dizaine de canettes vides empilées au pied d'un divan défoncé.

Les cris de sa mère.

Le claquement d'une ceinture. La douleur. Les squelettes des canettes. Une ombre, les...

L'arrivée d'un Arthur mi-penaud, mi-hilare le sort brutalement de sa transe.

— Alors ? s'écrient ses amis à l'unisson.

— Alors, Léo a gagné le pari. La poufiasse de HAAVEN m'a giflé quand j'ai voulu l'embrasser, s'esclaffe le jeune homme en soufflant une mèche rebelle de son visage. Mais c'est pas une grande perte.

Son regard tombe sur Kayrel et, l'espace d'un instant, son expression joviale se détériore.

— D'ailleurs, j'ai une de ces soifs ! reprend-t-il avec entrain. Ça te dérange si je vole ta bière, Kay ?

Sans attendre une réponse, il s'empare de la canette et la vide en quelques gorgées.

— Cette fille, murmure le rouquin après avoir réussi à s'arracher à la contemplation de son meilleur ami. C'est... Tu as vraiment voulu l'embrasser ?

— Laeticia van der Haaven, la fameuse fille du chef de l'entreprise du même nom, l'éclaire Léo, serviable. J'avais gagé qu'Arthur ne parviendrait pas à la séduire. Tiens, elle est allée rejoindre la tapette de service. Chiche qu'ils vont parler de vêtements !

Kayrel se fige, ses pressentiments confirmés. La brume de fatigue s'évapore de son cerveau. Son cœur s'affole. Tous ses muscles reprennent leur tension habituelle. Se contractent même encore plus. Il accepte la clope de son ami avec reconnaissance et aspire une si grande bouffée qu'il manque de s'étouffer avec.

Se calmer. Dompter la vague de haine qui le prend aux tripes.

Lorsqu'Arthur annonce une tournée générale de cocktails, il pose un sourire de circonstance et suit d'un pas raide la troupe alors qu'elle s'égaie en direction du stand, ravie d'enfin pouvoir se détendre après les examens, sans se soucier de la silhouette en béton armé qui semble encore les surveiller de près, malgré leur bac en poche.

L'alcool et l'ambiance décontractée aidant, Kayrel faillit réussir à oublier la fille. Mais lorsque celle-ci passe à côté d'eux en fin de soirée avec un reniflement méprisant, le feu tapi dans l'ombre de sa poitrine s'embrase à nouveau.

— Eh les nazes, vous n'avez rien de mieux à faire de votre vie que de vous soûler ? jette-t-elle, toute boucles dorées dehors, avant d'entrer avec une démarche de reine dans le lycée, accompagnée de près par son longiligne et chic ami, qui a la décence de leur jeter une œillade nerveuse avant de disparaître derrière la lourde porte de métal, lui aussi.

Bruit de verre cassé. Du sang coule entre les paumes de Kayrel lorsqu'il desserre enfin sa prise sur la bouteille. Sa tête chauffe.

— On fait quoi, les gars ? grogne Léo.

Un sourire maladroit étire les lèvres de Kayrel.

— Leur faire un peu peur, ça ne fait pas mal, hein ? lance-t-il en haussant les épaules, l'air de rien.

Arthur acquiesce d'abord avec hésitation, mais l'énergie de ses camarades a tôt fait de le contaminer et il mène l'équipée d'un pas ferme à l'intérieur.

Leurs pas résonnent bientôt dans les longs halls, ricochant contre les casiers à la peinture délavée, comme un dernier écho à une part de vie désormais achevée. Kayrel sent une boule de tristesse éclater dans sa poitrine. Il serre les poings, avise la fille et son copain, assis côte à côte dans un sofa. La peine se mue en rage. Un soupir d'aise s'échappe de ses lèvres. Mieux, beaucoup mieux.

Arthur, comme d'habitude, se lance le premier.

— Eh, la pète-sec, tu fous quoi avec ta tablette dernier cri ? Tu te demandes quelle robe de gala acheter, peut-être ?

— Lâchez-moi les baskets, bande de trouffions préhistoriques.

Sans lui laisser le temps de réagir, Léo passe en courant et lui chipe l'iPad des mains.

Elle hurle, se lève pour le lui reprendre, mais le jeune homme a déjà opté pour une passe acrobatique vers Kayrel qui fait mine de le rendre à sa propriétaire avant de le rejeter en arrière.

— Oups, il m'a glissé des mains, s'excuse-t-il avec un faux air désolé.

Sa conscience devient légère, s'envole. Le rouquin éclate de rire. Ce soir, il laissera tout exploser. Sa rancœur, si lourde, si encombrante, se vide à chaque seconde. Il veut tourner la page. Enfin.

L'ami de Laeticia le bouscule pour atteindre Arthur et la précieuse tablette. Kayrel laisse son instinct agir et abat le cadavre de bouteille qu'il tenait encore sur la tête du jeune homme.

Un cri. Puis le silence. Une flaque rouge se forme sur le parquet.

— Armand ! s'écrie Laeticia en se précipitant vers lui.

Kayrel réagit le plus rapidement, dopé par la panique grandissante. Il prend la lycéenne par l'épaule avec violence, l'éloigne de la scène et la plaque contre un casier.

— Toi, tu vas rien dire, ok ?

Le cocktail d'émotions fortes éclate, guide sa main vers la gorge de la fille, pétrifiée par la peur.

— Tu sais quoi ? Je vais te raconter une histoire, susurre-t-il.

Les vannes se sont ouvertes, mille tambours battent en cadence dans sa tête, il ne sent pas les larmes qui coulent.

— C'est l'histoire d'un homme. Plutôt pauvre, avec un job de merde, mais heureux. Peut-être même plus heureux que son enflure de patron, pourtant riche à bouffer de l'argent. Parce qu'il a une famille. Une famille... heureuse.

Il éclate en sanglot, accentue la pression sur le cou palpitant tel un oiseau en cage. La fille n'ose pas bouger, ses paupières bougent à toute vitesse.

— Puis, un jour, il a un accident au boulot. Paralysé à vie. À cause d'une connasse de machine usagée que ton putain de père n'a pas voulu remplacer pour s'en mettre plein les poches ! Alors que le mien a perdu toute raison de vivre, à commencer à boire, à devenir violent... Notre famille s'est effondrée. Tu captes, ça !

Il finit sa phrase en criant. La souffrance tapie reprend l'avantage, accentue les tremblements de son bras. Une main se pose sur son épaule. Un souffle chaud s'immisce dans sa nuque.

— Kayrel, déconne pas. Laisse-la tranquille.

Le rouquin se dégage, la respiration sifflante. Il cligne des yeux, reprend avec difficulté pied dans la réalité. Le visage exsangue de couleur de Laeticia. Ses camarades qui l'observent, choqués.

Il bascule en arrière, se redresse de justesse et tourne les talons pour se précipiter dans les premières toilettes venues. Adossé au carrelage froid, il tente de reprendre son souffle. Des points lumineux dansent devant ses yeux engourdis. Un étau glacé enferme sa poitrine dans une poigne douloureuse.

— Merde ! Merde, merde, merde !

Sa voix rauque résonne dans l'étroite salle, alors que l'ampleur des dégâts qu'il a causés balaie la moindre pensée. Qu'est-ce qu'il a fait, putain ? Son père va le tuer. Et sa mère... Il gémit en s'imaginant sa réaction atterrée. C'est presque pire.

Sa respiration s'accélère. La porte claque, des pas s'approchent. Il ne relève pas la tête, n'en a pas la force. Arthur s'installe à ses côtés, le regarde.

— T'inquiète. Je lui ai parlé, à la fille. Elle va pas moufter. Tout va rentrer dans l'ordre.

Kayrel tourne la tête, fixe ses yeux larmoyants dans ceux presque éthérés de son meilleur ami. Plus encore que ses mots, son épaule chaude collée contre la sienne l'apaise. Une bouffée de désir l'envahit. Il se penche vers lui, doucement. La peur se tait, comme fatiguée. Arthur ne quitte pas son regard, ne bouge pas.

Desserre les lèvres quand celles du rouquin s'en emparent.




N.d.l.C

Des remarques, des avis ?

C'est un concours à plusieurs étapes, la suite arrive bientôt ;)


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