•Chapitre 6•

Tion s'avança à son tour vers le contenant. En un coup d'œil, il repéra la pierre parfaite, celle qui s'accordait autant avec son apparence que la façon dont il abordait la compétition pour les postes de Guide. Il savait qu'Aliéna venait de réaliser une performance parfaite, elle avait dit précisément ce qui faisait mouche auprès du dirigeant et du peuple. Elle lui avait damé le pion en quelque sorte, mais sa fierté lui soufflait qu'il pouvait la faire redescendre de son piédestal.

D'un geste fluide, il captura une gemme de jais entre son pouce et son index. Il la brandit devant ses yeux, vers le peuple et vers le Prêtre, le regard brûlant d'un éclat déterminé.

— Je choisis ce jais, noir comme les ténèbres les plus profondes. Cette pierre me guidera pour me sortir du mensonge et m'aidera à éviter les personnes qui tenteront de me faire dévier du droit chemin.

Cette fois, le Prêtre ne souriait pas. Il arborait plutôt une expression à la limite entre l'effarement et l'incompréhension. Quand j'entendis sa pensée, je ne pus m'empêcher d'écarquiller les yeux. Un sentiment de terreur se répandit depuis le sommet de mon crâne vers la plante de mes pieds. Une panique irrationnelle montait en moi. Avant de complètement y succomber, je me ressaisis. Il fallait que je me calme, l'Apothéose n'était pas terminée ! Plus je regardais le jeune homme plus je trouvais des éléments qui confirmaient ses soupçons.

On est un peu longs à la détente quand même, ça a l'air d'être la même chose pour Aliéna.

Grâce à l'hilarité dont été teintée ma transmission, je vis le coin de sa lèvre se soulever légèrement. Mission accomplie.

Les deux jeunes gens attendaient patiemment tandis que des Guides s'occupaient de sertir les pierres sur leur bracelet d'appartenance à Véga. Dans un grand mouvement de cape qui projeta un courant d'air sur la rangée derrière lui, le Prêtre fit de nouveau face au peuple qui le vénérait.

— Mesdames. Messieurs. Nous avons vénéré nos Dieux, nos jeunes, nos anciens, il est temps d'honorer notre présent. Sur la Place des Dieux, de délicieux mets vous attendent. Dans l'après-midi seront présentées les créations des différents départements artistiques et artisanaux de notre beau pays. Je vous invite à vous restaurer, à profiter du fruit de votre travail. Que l'intelligence, la valeur et la vérité guident vos pas.

Le chœur clama une dernière fois la devise avec une ardeur démesurée.

Alors que les Guides repartaient de là où ils étaient venus, que la masse de gens en toges grises grouillait le long des allées de l'amphithéâtre et que Tion et Aliéna tentaient de rejoindre leurs parents, je me levai de mon siège-cocon si confortable. Je conservai tout de même un coin de ma conscience dirigé vers eux en empruntant quelques raccourcis entre les couloirs labyrinthiques de ce bâtiment. Trois dizaines de secondes plus tard, j'étais parvenue à mon objectif. Ma concentration se reporta donc entièrement, sur les adolescents qui peinaient à se frayer un chemin dans la foule d'élèves en toges dorées qui se massait au bas des escaliers.

Tel une ombre, il se faufila, se contorsionna et parvint à leur niveau.

— Par ici, vous venez avec moi.

Cela avait été un chuchotement si faible qu'Aliéna aurait pu jurer l'avoir rêvé. Mais tournée vers sa gauche d'où le murmure avait semblé lui parvenir, la silhouette du Prêtre l'attendait, quelques mètres plus loin, les yeux rivés sur elle. Il n'y avait aucun doute, cette tessiture si particulière ne pouvait qu'être la sienne.

Après un dernier regard circonspect à la foule, elle vint à bout de son hésitation grâce à la perspective d'en découvrir plus. En trois enjambées elle se trouvait au niveau de l'homme argenté à la tête du pays. Tion avait fait de même mais n'avait pas hésité une seule seconde. Dans la cohue, personne ne remarqua leur départ.

La double-porte, gigantesque, par laquelle le Prêtre était entré s'ouvrait toujours sur le noir insondable dont il avait émergé plus tôt. Il entraîna les deux jeunes gens au travers du rideau de néant. Juste avant que son corps ne soit attiré par une force qui semblait étirer sa cage thoracique vers l'avant, Aliéna sentit une vague de panique déferler sur ses pensées. Et s'il leur faisait du mal ?

Cette perspective l'envahit tout entière durant le long instant où elle fut plongée dans le noir, sans savoir où se trouvait le haut et le bas. En un instant cependant, elle fut balayée par l'émerveillement.

Le Prêtre avait refermé les portes derrière eux, bien qu'ils ne l'aient pas vu exécuter un seul geste, et la pièce où ils se trouvaient s'avérait être tout ce qu'ils n'attendaient pas.

Si le couloir paraissait donner sur le vide avec son obscurité visible depuis la Salle Supérieure, il était en réalité tout aussi envahi de lumière que cette dernière. Peut-être même plus. Ils se trouvaient dans une gigantesque serre dont le sol était fait de marbre. Un toit de verre distribuait les rayons du Soleil dans l'air pour abreuver les plantes grimpantes et les fleurs. Les premières couraient le long de colonnes au style proche des constructions gréco-romaines de l'Antiquité. Les secondes envahissaient de leurs couleurs les bacs qui soutenaient les murs de verres formés par les vitres entre ces colonnes.

C'était un miracle d'architecture autant que la précédente salle. Chaque mur latéral, tout en longueur, débouchait sur une cour intérieure et son jardin ancien, rempli d'arbres fruitiers aux feuilles éclatantes de vie. La lumière s'engouffrait partout et faisait scintiller les perles des toges des adolescents qui redevenaient des enfants face à la beauté du lieu.

Tous deux bouche-bée, ils se dévissaient les cervicales pour admirer les ornements des montants qui soutenaient le toit dix mètres plus hauts. Leurs yeux tournoyaient autour d'eux, à la recherche d'une logique à cette explosion de couleurs et de Soleil qui contrastait radicalement avec l'obscurité dans laquelle ils avaient auparavant été plongés.

Aliéna prit la parole en premier, la voix basse, comme si elle s'était parlée à elle-même.

— Comment est-ce possible ? C'est absolument illogique...

Leur guide en ce lieu les regardait d'un air amusé, les bras croisés sur son torse. Je levais les yeux au ciel face à son air satisfait. Il était définitivement incorrigible.

— Comment est-ce possible ? Cela demeure un des grands mystères irrésolus de l'humanité.

Le Prêtre avait parlé d'un ton que je ne lui connaissais que trop bien. Cela l'amusait beaucoup de les faire tourner en bourrique.

Aliéna s'était dirigée vers lui, sa toge suivant son mouvement brusque. Ses sourcils se froncèrent légèrement. Ce Prêtre était vraiment très étrange. Il semblait presque... plaisanter ? Cela lui paraissait si incongru qu'un homme avec un tel statut, qui dissimulait tant de secrets, puisse faire de l'humour. Dans tous les cas, ce n'était pas vraiment à son goût : elle avait l'impression que cette gentillesse cachait quelque chose.

Le sourire du Prêtre s'élargit alors qu'il leur indiquait l'autre extrémité de ce couloir-serre des deux bras.

— Je vous en prie, jeunes gens

Ils lui emboîtèrent le pas, non sans continuer d'observer le lieu dans lequel ils se trouvaient. Certes, c'était tout simplement splendide, mais Aliéna ne pouvait s'empêcher de penser que tout ceci ne pouvait pas être réel. Selon les lois de la physique qu'elle avait étudiées, cela était impossible. Selon tout ce qu'elle avait appris en fait. Sa classe de géographie lui en avait appris autant sur la configuration d'Olympia que sur l'architecture du Bâtiment des Dieux sur lequel on avait une vue imprenable. Elle savait que de tels jardins n'existaient pas. Alors comment ?

Accablé par de toutes autres considérations, Tion se perdait lui aussi dans les méandres acérés de ses pensées. Il avait peur d'abord, peur de ce que l'homme pourrait leur faire, peur qu'il sache. Vu les choses impossibles qui se déroulaient en ce moment sous ses yeux, depuis la présence de cette salle à l'étrange sensation de tiraillement qui avait remué ses entrailles, tout cela ne lui disait rien qui vaille. Ensuite, il était curieux. Très curieux. Trop curieux définitivement. Il avait observé le Prêtre pour satisfaire sa soif d'information et ses conclusions ne l'aidaient pas.

La dague à la ceinture renforçait sa peur, les entrelacements argentés semblaient former des mots d'une langue inconnue, des traits noirs ornaient le bas de la nuque, toutes ces infimes détails de l'apparence du Prêtre titillaient son esprit. Il aurait aimé comprendre, poser des questions jusqu'à ce que tout le flou dans son esprit soit aussi clair que s'il avait subitement enfilé une paire de lunettes. Mais le Prêtre aurait refusé. Et puis cela entacherait un peu tout le concept de gentille brebis crédule.

L'homme à la cape argentée se stoppa parvenu à l'extrémité du couloir et s'effaça pour dévoiler aux jeunes gens une porte de bois aussi basique que la Salle Supérieure était grandiose. Je pouvais presque voir les points d'interrogation apparaître dans leurs esprits et la question dont ils étaient issus : pourquoi la porte était-elle si... minable ?

Malgré leurs interrogations, ils suivirent le Prêtre dans l'embrasure de bois sans dire un mot. Elle donnait sur une immense bibliothèque, de celles où on ne rentre pas : on plonge. Ce genre d'endroit où l'Histoire et la Science se reposent dans le silence qui nous happe. Les murs étaient uniquement constitués d'étagères, coupés tous les trois mètres par des plateformes pour accéder à toute la hauteur des rangées. On aurait dit que tout le savoir du Monde voulait rejoindre les cieux. Contemplatifs, le regard vif des adolescents se posait sur les tables de consultation où des êtres en toges cuivre s'affairaient d'ordinaire. Mais aujourd'hui, la seule présence était celle de la connaissance qui semblait murmurer à la curiosité de tous que le meilleur était à découvrir.

Aliéna brûlait d'ouvrir tous les livres à portée de vue. Tion de trouver celui qui lui donnerait la solution au mystère de l'homme qui venait de s'arrêter devant une porte identique à celle qu'ils avaient traversée pour entrer dans cette pièce.

Il avait ce sourire, celui qu'il avait entraperçu sur ses lèvres alors qu'ils détaillaient le plafond de la Serre. Qu'allait-il se passer maintenant ? Le jeune homme n'en avait pas la moindre idée, et malgré l'émerveillement que ces découvertes suscitaient chez lui, il essayait tant bien que mal de rester sur ses gardes.

— Jeunes gens...

Laissant traîner ses mots dans le silence étouffant, il déposa ses doigts blancs sur la poignée dorée de la petite porte marron, dans un geste si fluide que sa main parut semblable à de l'eau. Il l'ouvrit avec une cérémonie exagérée.

— ... bienvenue à la Tour.


-----

Oui bonjour ! 

I am back.

La rentrée fut mouvementée parce qu'en plus je m'occupais d'accueillir les premières années de mon école donc comment vous dire que j'ai pas eu beaucoup de temps pour écrire.

Mais du coup, maintenant que ça s'est un peu calmé, je vais doucement reprendre l'écriture et la réécriture pour vous publier un chapitre toutes les deux semaines.

Et vous votre rentrée ? 

J'espère en tous cas que ce chapitre vous a plu et je vous retrouve le dimanche 9 octobre pour le chapitre 7 :)

Zoubi de la part d'Agathe.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top