•Chapitre 2•
Debout, droit comme un de ces piquets qui délimitaient les champs autour de la ville, Tion attendait que les immenses portes du Bâtiment des Dieux s'ouvrent pour laisser entrer le flot de la population impatiente. Le soleil matinal se reflétait sur la verrière et donnait un aspect de diamant au siège du gouvernement.
Malgré l'animosité qui s'emparait de lui à chaque fois qu'on évoquait le gouvernement en sa présence, Tion devait bien admettre que le Bâtiment des Dieux était un chef d'œuvre architectural que ni Véga ni les fades maisons dans lesquelles vivaient tous les habitants ne pouvaient égaler. De ses immenses façades de verre qui reflétaient les rayons du soleil à ses jointures d'or jaune, ce cube éblouissant ne pouvait que susciter l'émerveillement. La verrière en forme de dôme qui surplombait la Salle Supérieure, où se déroulaient tous les événements importants nécessitant la présence de la population, donnait un sentiment de légèreté malgré le bloc de matériaux qu'était finalement le Bâtiment. La Tour lançait la flèche de son toit depuis un côté de l'édifice. Le mélange de styles dont elle était l'œuvre était très étrange : on avait mis les toits de tuile de Véga et les murs de verre du reste du bâtiment. Cette protubérance qui surplombait le reste de l'édifice rehaussait encore cette impression de conquête du ciel qui soulevait tout le Bâtiment.
Il n'y avait rien de plus beau qui eut été construit par l'homme dans tout Vitam, qui se résumait à Olympia et un vieux Sanatorium, bijou dans un écrin de vallée, où les populations qui n'étaient plus en âge de travailler finissaient leur vie. C'était cela qui dérangeait le plus le jeune homme au fond : ce besoin de démesure, de prestige et de luxe pour narguer la plèbe, les pousser à vouloir atteindre cet idéal.
Le froid de ce 18 mars avait le don de s'infiltrer dans les interstices de sa toge d'Apollon et il ne savait plus si c'était l'idée de vivre pour toujours dans cette ode au luxe en dépit du reste du monde ou la brise qui lui glaçait les os. Les bras croisés, il tapait du pied pour faire reculer la fraîcheur de ses membres engourdis. Il portait bien un maillot de corps qui était soi-disant fait pour lui tenir chaud, mais les frissons qui couraient sur sa peau lui assuraient que le fin tissu n'était clairement pas suffisant.
Ses parents se tenaient tout aussi raides que lui, une trentaine de centimètres à l'écart l'un de l'autre. Leur toge grise, parfaitement tirée sur leur corps, renforçait l'air froid et sévère que leur visage anguleux leur conférait. Il n'y avait absolument rien de chaleureux chez eux, et Tion se prit à penser qu'ils s'accordaient bien avec le climat ambiant. À vrai dire, il n'était pas très proche de ses parents. Du plus loin qu'il s'en souvienne, il avait toujours ressenti un décalage avec eux, comme si quelque chose avait été brisé avant même sa naissance. Il n'allait pas s'en plaindre en revanche : il pouvait manigancer tout ce qu'il voulait dans sa chambre sans que personne ne vienne le déranger.
Tion était lui aussi un élève brillant, de ceux que les professeurs rêvent d'avoir dans leur classe. Un exemple de bonne conduite, jamais un mot plus haut que l'autre. Il était apprécié de tous, d'une gentillesse à toute épreuve avec tout le monde, et il avait plusieurs fois été élu meilleur camarade de classe.
À vrai dire, cela lui importait peu, mais il préférait se faire bien voir des gens, cela les rendait plus aveugles au petit manège qu'il menait dans les coulisses de sa vie. S'il semblait croire à tout ce que l'on racontait, c'était parce qu'il le voulait bien. Au fond de lui, il était animé d'une rage bouillonnante, circulant dans ses veines comme un pic d'adrénaline intarissable. Il y avait trop d'incohérences, trop de blancs dans les foutaises que l'on jetait au visage de tous, et il était bien trop intelligent pour ne pas les remarquer. Aujourd'hui, en cette Apothéose, il comptait bien s'approcher un peu plus de la réponse à ses questions, de tous ces secrets que le gouvernement gardait.
Il était un peu comme Aliéna au fond. Ils semblaient tous deux avoir perdu l'espoir de réveiller leurs camarades aveugles aux réalités de ce monde et voulaient tout aussi fortement se sortir enfin de cette mélasse de crédulité où ils se trouvaient embourbés.
Sans aucun doute que leur jugement envers leurs compatriotes était dur, mais je ne pouvais pas leur en vouloir. On était adeptes de l'uniformité à Vitam, si bien que tout ce qui existait était fade et sans saveur. Femmes, hommes, portaient les mêmes vêtements gris, les enfants les mêmes vêtements bleu pastel ternis. Tous habitaient les mêmes maisons, travaillaient les mêmes champs. Les seules choses remarquables parmi la grisaille ambiante étaient tout ce qui touchait au Théosis. L'académie Véga et le Bâtiment des Dieux étaient les seuls édifices d'Olympia qui s'extirpaient de la hauteur uniforme des constructions de la capitale. Situés au centre des cercles formés par les quartiers résidentiels aux cubes gris, et rehaussés par une petite colline, on les voyait à une dizaine de kilomètres à la ronde. Même depuis les champs qui enfermaient la ville, tant l'éclat du Soleil se reflétant sur les vitres était éblouissant.
Cette uniformité de personnes et d'horizons était étouffante pour un être à la curiosité aussi développée que Tion. Certes, l'organisation était faite pour que chacun puisse exercer une activité parallèle aux travaux des champs, une activité qu'ils choisissaient et apprenaient dans l'une des 23 académies qui complétaient le système d'éducation. Mais le jeune homme savait pertinemment qu'il n'aurait jamais pu croire à la liberté fictive qu'on jetait comme de la poudre aux yeux sur les Vitamienos.
Il observait maintenant les nouveaux arrivants du même œil incisif qu'il posait sur tout ce qui l'entourait. C'était comme s'il essayait de percevoir la vérité de chacun d'eux juste en leur lançant un regard. La place se remplissait progressivement de toges grises ou bleues, comme une nuée grouillante qui s'affairait encore et encore pour présenter la meilleure image de la famille. Les mères attentives époussetaient les vêtements des plus petits, les pères souriaient devant leurs enfants habillés d'or ou de bleu, les élèves de Véga se tenaient droits, fiers de représenter la plus prestigieuse académie de Vitam.
L'atmosphère de la place se chargea peu à peu en cris d'excitation, en effervescence d'êtres innocents qui couraient entre les jambes des parents. Les yeux dans le vague, le jeune homme se prit à vouloir les rejoindre, à souhaiter oublier qu'il avait trop conscience du spectacle d'illusionniste par lequel ils étaient aveuglés. Mais il ne le pouvait pas, et il assumerait son choix.
Il deviendrait Guide. Pour connaître, comprendre enfin. Il quitterait cette famille qu'il exécrait, il porterait l'habit blanc et son cerveau aurait enfin la satisfaction du savoir infini. Bien sûr, il n'obtiendrait pas forcément toutes les réponses, mais il ferait partie de ces treize qui étaient la voix du Prêtre, ses fidèles conseillers, et il aurait l'opportunité de chercher au bon endroit. Il connaissait les risques : on n'avait jamais vu un Guide revenir du Bâtiment des Dieux. Mais ce n'était pas un obstacle pour Tion, car selon lui, c'était bien la preuve qu'ils se voyaient confier des secrets inavouables, le genre de secrets qui ne devaient pas quitter l'enceinte de l'édifice de verre et d'or. Après tout, ils côtoyaient quotidiennement l'énigmatique dirigeant de Vitam.
Ce Prêtre... Tion n'avait jamais pu étudier son visage en détail, jamais pu l'observer de près. Il rêvait de découvrir cet homme qui ne semblait pas vieillir. Sa démarche conquérante était toujours la même, le charisme qu'il dégageait aussi. Il y avait trop de perfection en lui, trop de sincérité pour qu'elle soit réelle. Et le jeune homme se posait des questions.
Mais dans trois mois – dans trois mois ! il saurait. Dans trois mois, il deviendrait Guide, il vivrait avec le Prêtre, il résoudrait les énigmes de ce monde et il pourrait enfin cesser de se tourmenter à la recherche d'informations inatteignables.
Un brusque tremblement de mon siège ramena une partie de ma conscience dans mon propre corps. Encore à moitié plongée dans l'esprit de Tion, je constatai que les Portes brinquebalaient sur leurs gonds dans un raffut étourdissant. Elles étaient si impressionnantes, si imposantes que cela secouait tout le Bâtiment comme si un séisme avait lieu. Je rejoignis définitivement mon esprit, toujours enfoncée dans le confort de mon siège tournant.
Je ne savais pas quoi penser de ce que je venais de voir, et je ne disposais pas encore d'assez d'informations pour parvenir à dresser des portraits complets de ces deux jeunes gens comme il l'avait demandé. La seule certitude qui m'animait irrémédiablement était que jamais je n'avais observé de tels esprits.
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Étant donné que je suis en vacances, je me suis dit que je pouvais publier un chapitre par semaine jusqu'à la reprise des cours :)
Alors voici le deuxième chapitre, où vous découvrez un autre personnage important notre cher Tion.
Qu'en avez-vous pensé ? Et de ses parents (qui ont l'air très sympathiques n'est ce pas :') ?)
Sur ce je vous laisse pour aujourd'hui et je vous retrouve la semaine pro pour le chapitre 3 :)
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